Résumé
Le C.S.S.T. Alter-Native de Mulhouse s’est engagé depuis 2002 dans un changement dans ses pratiques de soins visant à faciliter la rencontre avec le patient.
Chaque patient demandeur d’un MSO se voit proposer d’intégrer le Programme Provisoire.
Dans ce programme, le patient peut recevoir immédiatement un MSO et bénéficie de 28 jours pour faire le bilan médico-psycho-social.
Depuis 2002, 77 patients ont intégré ce Programme Provisoire. A l’issue de ce Programme Provisoire, les patients peuvent entrer dans un Programme Classique de substitution, faire un sevrage ou être relayés vers un médecin de ville.
Le Programme Provisoire permet d’éviter ce paradoxe, être Centre de Soins et remettre la délivrance du médicament à plus tard. Cette démarche vise, entre autres, à réduire les dommages liés aux pratiques à risque.
L’accès à un Programme Classique de substitution en est facilité et la relation avec le patient plus fructueuse (réduction du temps de réalisation du bilan médico-psycho-social, patients plus détendus, lettre de motivation plus personnelles). Des patients plus éloignés du soin, plus ambivalents, se sont adressés au Centre.
Nos observations vont dans le sens d’un bénéfice à engager le TSO au plus tôt dans le processus de soin.
L’article
Introduction
Le Centre Spécialisé de Soins pour Toxicomanes Alter-Native de Mulhouse a été créé en 1995, en même temps que l’obtention de l’AMM de la méthadone, à l’initiative de trois secteurs de psychiatrie du Haut Rhin.
Ce C.S.S.T. est localisé en centre ville, hors des murs de l’hôpital. Son accompagnement pluridisciplinaire s’est ouvert progressivement à tous les domaines de l’addictologie, même si les traitements de substitution par la méthadone représentent encore une part prépondérante de son activité.
Le Centre a réalisé 417 inductions de traitement de substitution aux opiacés depuis son ouverture.
Les modalités d’inclusion sur les sept premières années sont restées quasiment les mêmes, bien qu’elles aient fait l’objet de quelques assouplissements au cours du temps.
Ce programme « classique » se décline de la façon suivante : le patient rencontre tout d’abord l’une des infirmières de la structure pour un premier entretien au cours duquel sont évaluées la problématique et la demande, puis il rencontre un médecin, une psychologue et une assistante sociale afin de pratiquer son bilan d’inclusion. Il doit fournir un bilan sanguin, un examen urinaire, une lettre de son médecin traitant et une lettre de motivation. Quand tous ces éléments sont réunis, ils sont présentés en réunion d’équipe pour admission. L’induction du traitement par la méthadone ou BHD (Buprénorphine Haut Dosage) peut débuter le lundi suivant.
Ce programme « classique » était jusqu’en 2002 la seule modalité d’inclusion. Il avait à nos yeux un certain nombre de vertus. Ainsi, en différant la demande, on s’éloigne du fonctionnement dans le « tout, tout de suite » supposé être celui du toxicomane. L’attente peut aussi permettre une élaboration de la demande. De plus, avec ce délai, on peut espérer éviter l’illusion que le médicament de substitution aux opiacés apparaisse comme « La Solution », la baguette magique qui résoudra tous les problèmes du jour au lendemain, amenant la personne à de graves désillusions.
Pourtant, malgré ce que nous vivions comme des certitudes, des questions taraudaient notre équipe.
En effet, le système d’inclusion classique montre un versant paradoxal et peut-être pervers : « Se déclarer Centre de Soin et remettre une partie du soin à plus tard ». De plus, la toxicomanie concerne le plus souvent des personnes dans l’impossibilité de surseoir à leurs besoins, leur vécu abandonnique est prégnant. En laissant la personne livrée à elle-même, ne l’incite-t-on pas à passer à l’acte ? Dans la période, d’attente n’accroît-on pas le risque infectieux pour la personne et ses pairs ?
Dans un autre registre, la majorité des motivations exprimées dans l’urgence du bilan d’inclusion (cf. lettre de motivation ) sont souvent vagues, peu personnelles et semblent répondre aux représentations que se fait la personne des attentes des soignants.
Plus largement, la persistance de douleurs physiques et psychiques, l’expectative, l’incertitude, sont-ils compatibles avec la réalisation d’un bilan dans des conditions sereines et constructives ?
Au final, par cette pratique du programme « classique » ne risque-t-on pas de mettre l’absent (cf. le médicament de substitution aux opiacés) au centre des enjeux de la rencontre ?
Le Programme Provisoire à Alter-Native
Afin de tenter d’apporter une réponse à ces questions, l’équipe du C.S.S.T. Alter-Native s’est engagée depuis le début 2003 dans une démarche pragmatique, en débutant les premiers Programmes Provisoires avec de la BHD.
Devant le succès de cette démarche et suite à la lecture de l’article de N. Feldman sur le Programme Préparatoire à la Division d’Abus des Substances de Genève, le Programme Provisoire a été élargi à la Méthadone fin janvier 2004.
Le Programme Provisoire est une modalité d’accès aux soins proposée au patient lors de son premier rendez-vous médical. Le patient peut recevoir le jour même jusqu’à 40 mg de méthadone ou 8 mg de BHD. Par la suite, la délivrance du traitement se fait lors d’un passage quotidien au Centre avec prise sur place. Un examen urinaire est réalisé avant la première délivrance de MSO (Médicament de Substitution Opiacée), puis une fois par semaine. Ce programme dure 28 jours et il est non renouvelable. Durant les 28 jours du Programme provisoire, il appartient au patient de réaliser son bilan médico-psycho-social.
Après ce Programme Provisoire, le patient peut intégrer un programme classique avec adaptation de la dose de MSO et suivi médico-psycho-social. Il peut aussi faire un « relaisville » ou faire un sevrage programmé.
Si le patient n’a pas réalisé son bilan médico-psycho-social dans les 28 jours, son traitement par MSO sera diminué progressivement. Il garde toutefois la possibilité de finir son bilan et d’intégrer un programme classique.
Le Programme Provisoire poursuit le but de faciliter l’accès aux soins en travaillant sur l’image « d’inaccessibilité du Centre » et essayant de toucher une population moins avancée dans sa motivation au soin.
Le Programme Provisoire tend aussi à réduire les dommages en diminuant le temps de recours à l’injection et au marché noir.
Fin juin 2007, le bilan chiffré du Programme Provisoire s’établissait comme suit :
- 49 patients en Programme Provisoire Méthadone
- 28 Patients en Programme Provisoire BHD.
Que constate-t-on au bout de quatre ans de pratique du Programme Provisoire ? :
Tout d’abord, les projets de soin élaborés avec les patients sont en général plus riches. En particulier, les lettres de motivation sont plus personnalisées. Les visites quotidiennes au centre permettent de rapidement mieux se connaître, d’instaurer plus rapidement de la confiance. De ce fait, lors du bilan médico-psycho-social, les patients sont plus détendus.
D’autres effets n’étaient pas attendus, voire paradoxaux. Tout d’abord, les patients réalisent plus rapidement leur bilan d’inclusion qu’en programme classique. Ainsi, contrairement à ce que nous pouvions penser, l’attente du MSO n’accélère pas les démarches du patient. C’est même le contraire qui semble survenir.
Autre effet inattendu, dans les suites d’un Programme Provisoire : les patients sont équilibrés à des doses inférieures de MSO qu’auparavant. Différentes hypothèses peuvent être évoquées, comme une diminution de la tolérance durant la phase à 40 mg de méthadone ou 8 mg de BHD, ou également, le recrutement d’une population moins avancée dans sa toxicomanie, et donc un niveau de pharmaco-dépendance plus faible.
Autre effet du Programme Provisoire : des personnes en plus grande difficulté sont incluses ainsi que des personnes plus ambivalentes. Il s’agit d’usagers plus désinsérés, ou plus jeunes dans leurs pratiques toxicomaniaques.
L’accompagnement en particulier au niveau social en est rendu plus ardu, les suivis étant plus épars, mais plus lourds. Les personnes ont moins recours au suivi social, mais celles qui y ont recours sont en très grande difficulté, en désinsertion sociale majeure.
Notre expérience ne nous a pas permis de poser de manière claire les indications et contre-indications de ce programme. Ce point sera à approfondir.
Conclusion
Nos observations vont dans le sens d’un bénéfice à engager au plus tôt un traitement de substitution aux opiacés dans le processus de soin, les usagers sont plus détendus, les motivations exprimées sont plus personnelles, les bilans sont fait plus rapidement et on peut en espérer une réduction des dommages liée aux pratiques à risque.
Les travaux de Feldman à la DAS de Genève et de Schwartz à Baltimore vont dans le même sens. Ils renforcent notre engagement dans cette pratique.
Les indications/contre-indications du Programme Provisoire restent à préciser.
Ce programme provisoire ne va pas sans créer de nouvelles difficultés, car il permet de recruter des patients moins motivés au soin que le programme classique.
Auteurs
- Dr. Leroy Bruno, Médecin généraliste addictologue attaché, CSST Alter-Native, Mulhouse
- Dr. Bopp-Limoge Christiane, Médecin assistant généraliste, CSST Alter-Native, Mulhouse et secteur 7 de psychiatrie, Centre Hospitalier de Mulhouse
- Dr. Soulier Jorge, Médecin psychiatre, Praticien Hospitalier, CSST Alter-Native, Mulhouse et secteur 8 de psychiatrie du CHS de Rouffach
- Dr. Weibel Hubert, Directeur médical du pôle de psychiatrie du Centre Hospitalier de Mulhouse et Médecin coordinateur du CSST Alter-Native
- Gautherot Nathalie, secrétaire médicale CSST Alter-Native, Mulhouse
- Kueny Carole, assistante sociale CSST Alter-Native, Mulhouse
- Marc Chantal, infirmière CSST Alter-Native, Mulhouse
- Renckly Valérie, psychologue CSST Alter-Native Mulhouse
- Tonello Estelle, infirmière CSST Alter-Native 68100 Mulhouse
- Weber Bernadette, assistante sociale CSST Alter-Native, Mulhouse
Bibliographie
- Feldman N., Le programme préparatoire à la méthadone, Flyer Hors-série n°2, décembre 2003.
- Schwartz et al., A randomized controlled trial of interim methadone maintenance, Arch. Gen. Psychiatry, (63), 01-2006.
- Bopp-Limoge et al., La délivrance provisoire de produits de substitution au CSST Alter Native de Mulhouse, Nervure, XIX supp. 06-2006.