Terme anglo-saxon qualifiant « l’éducation par les pairs », l’auto-support, que l’on pourrait traduire par auto-organisation, s’est développé dans un objectif de réduction des risques au sein de la population des usagers de drogues. Cette implication des (ex) consommateurs dans les actions de la réduction des risques, si elle est (re)connue par les spécialistes de la santé, l’est beaucoup moins du grand public. Et même pour une grande partie des intervenants du secteur sida toxicomanie, cette démarche d’auto-support reste une notion assez floue.
L’action participative des usagers de drogues – assez disparate d’un groupe à l’autre – passe par différentes étapes :
- représentation des usagers du dispositif de soins,
- défense de leurs droits sous la forme de syndicat d’usagers de drogues,
- intervention, voire mise en œuvre d’actions de terrain incluant la participation d’usagers relais (travail de rue, accueil et programme d’échange de seringues notamment).
A ces différents niveaux d’implication s’ajoute une terminologie qui varie selon une partition Nord/Sud caractéristique (expériences au nord de l’Europe différentes de celles des pays méditerranéens, issues d’une culture latine). Ainsi, la majeure partie des écrits disponibles fait référence à l’historique des groupes du nord de l’Europe, anglo-saxonne alors que, par exemple, l’expérience française se réduit à quelques publications (1).
Naissance d’Asud à Nîmes
Les actions d’Asud-Nîmes ont débuté en 1994, l’année où Véronique Cerf, la présidente fondatrice, a déposé les statuts de l’association. Avec le soutien de l’association Aides et la pugnacité de quelques médecins et pharmaciens libéraux, nous avons débuté nos actions selon deux axes de travail : l’accès au matériel stérile et les traitements de substitution. Ces besoins prioritaires étaient exprimés par les injecteurs d’héroïne, à l’époque où la Buprénorphine Haut Dosage était annoncée, où les premiers « Programmes méthadone » débutaient dans le cadre des CSST.
Avec le concours de quelques médecins qui prescrivaient, selon les cas, du Temgésic®, Palfium® et/ou des sulfates de morphine, nous avons pu organiser les premières réunions, qui donneront naissance, par la suite, au réseau Ville/Hôpital Toxicomanie, malheureusement disparu aujourd’hui.
Nous avons bénéficié d’une situation locale peu commune. A l’époque, la ville de Nîmes étant la première commune à installer un AUTOMAT échangeur de seringue, alors que l’un des premiers « Programmes méthadone » débutait en région (mars 1994). On peut considérer qu’un élan régional particulier a favorisé la mise en œuvre de notre projet d’accueil et d’orientation des usagers de drogues, avec la mise à disposition du PES (programme d’Echange de Seringues).
Quand notre PES ouvre ses portes en septembre 1995, grâce au financement de Sidaction, nous avons rapidement décidé de recruter des salariés issus du secteur professionnel : une jeune psychologue diplômée et une intervenante ayant une expérience d’aide soignante sont ainsi entrées à Asud-Nîmes. Cette embauche de personnel qualifié fut l’un des éléments déterminants pour valider le sérieux de notre expérience et dès le début, la nécessité de mettre en place une équipe pluridisciplinaire nous est apparue. Mais cette organisation du travail inédite a suscité bien des débats au niveau national. Pourtant, nous restions en conformité avec nos statuts puisque la présidence était assurée par une ‘usagère’ de drogues et la proportion de 60% d’usagers parmi les membres de l’association était respectée.
On peut s’interroger sur la présence d’une psychologue au sein d’un PES. Malgré un climat local globalement favorable, la relation patient-soignant était balbutiante. Le CSST et certains médecins hospitaliers ne voulaient pas entendre parler de nous, usagers de drogues, en tant qu’interlocuteurs. D’où la présence de la psychologue, qui a pu intégrer les principales réunions de médecins, élaborer un réseau de prescripteurs et orienter les usagers vers une prescription de Subutex®.
En parallèle, un travail de sensibilisation était mené afin que, nous usagers, puissions être présents dans toutes les réunions qui nous concernaient. Un an plus tard, nous avions orienté environ 200 usagers vers un traitement de substitution et notre présence légitime était reconnue par une grande majorité des médecins.
Aujourd’hui notre action bénéficie du statut « Boutique ». Nous privilégions toujours la pluridisciplinarité des fonctions. Ainsi une infirmière, un éducateur spécialisé, un adulte relais, un référent de l’accueil et un directeur composent l’équipe d’Asud Nîmes actuelle, qui gère, depuis 2004, l’unique « boutique auto-support » en France.
Idéologie ou pragmatisme ?
Préoccupation centrale de l’auto-support, la question des traitements de substitution reste incontournable dans la mise en place d’une politique de réduction des risques. Là aussi le cadre reste flou : les réticences des secteurs médical et universitaire étaient telles que les pouvoirs publics – DGS en tête – n’ont eu d’autre argument que celui du soin. L’objectif annoncé, le passage à l’abstinence par l’entremise d’un traitement de substitution, devait tout au plus durer quelques mois. Un ‘optimisme’ qui fixait une durée de traitement à six mois, période couramment recommandée dans les diverses communications de la DGS. Mais l’expérience montre qu’il existe une différence entre les recommandations et la pratique.
Aujourd’hui, malgré ce chemin parcouru, nous avons toujours beaucoup de mal à parler, de manière pragmatique, des pratiques de réduction des risques, surtout quand il s’agit de la délivrance des traitements de substitution. Tout juste, pouvons-nous aborder la notion de haut et bas seuil, ce dernier seuil étant d’ailleurs régulièrement attaqué (remise en cause de l’expérience du Bus méthadone de Médecins du Monde, notamment).
La conférence de consensus
Cette conférence ayant eu pour thème « Stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés : place des traitements de substitution », s’est tenue à Lyon en juin 2004. Elle ne fut guère plus explicite dans ses nouvelles recommandations. A quel moment doit-on considérer qu’une prescription relève de la réduction des risques ou d’une démarche thérapeutique ? Qui est habilité à la mettre en œuvre ? Et sur quels critères ?
Au moment où la politique de réduction des risques et les traitements de substitution sont copieusement critiqués, il semble indispensable de rappeler quelques faits avérés en terme de santé publique :
- résultats positifs obtenus en terme de prise en charge des usagers de drogues,
- diminution des décès par overdose,
- réduction des contaminations VIH parmi les usagers,
- diminution du trafic et des délits liés à la consommation d’héroïne. Et si le nombre d’interpellations n’y suffisent pas, c’est bien que la question idéologique prime sur le pragmatisme.
Les communications de nos hommes politiques focalisent toujours sur les quelque 5 à 20 % – selon les régions – d’usagers qui sont effectivement en difficulté, détournent le produit, se l’injectent et développent un état de nomadisme lié aux prescriptions de Subutex®. Comme si les 80% (et plus) d’usagers qui ont pu retrouver une vie « normale » grâce à la substitution ne comptaient pas. Comme si parler de ceux qui ont réussi à renouer avec le cercle familial, repris une vie affective et sociale stable ou retrouvé un emploi n’intéressait personne.
Que dit la conférence de consensus à ce sujet ? Il faudrait un rééquilibrage entre le nombre de prescriptions Subutex® et Méthadone, la délivrance des traitements de méthadone en médecine de ville, l’expérimentation d’un ou deux programmes de délivrance d’héroïne médicalisée (injectable). Asud adhère évidemment à toutes ces recommandations, mais veut aller plus loin.
Lors de la conférence de consensus, outre l’élargissement de la palette de traitements de substitution, la position d’Asud visait différents points :
- la nécessaire alliance thérapeutique,
- la reconnaissance du principe de connaissances partagées sur le sujet de la substitution,
- la prise en compte de la notion de plaisir ou de confort thérapeutique.
Dans le cadre du confort thérapeutique pour des traitements que l’on sait aujourd’hui de longue durée, la possibilité de délivrance des traitements à 28 jours doit être conservée et le libre choix du pharmacien maintenu – ce qui hélas n’est plus le cas. Une alternance thérapeutique avec changement de molécules devrait aussi être proposée avec mise sur le marché d’une galénique en forme sèche pour la méthadone.
Dans le cadre du confort thérapeutique pour des traitements que l’on sait aujourd’hui de longue durée, la possibilité de délivrance des traitements à 28 jours doit être conservée et le libre choix du pharmacien maintenu – ce qui hélas n’est plus le cas. Une alternance thérapeutique avec changement de molécules devrait aussi être proposée avec mise sur le marché d’une galénique en forme sèche pour la méthadone.
Rappelons qu’un usager qui souhaite prendre des congés de plus de 14 jours se verra l’accès à ses produits de substitution compliqué. Il devra faire un choix restrictif de sa destination en fonction d’un relais de prescription, sans parler des destinations hors de nos frontières où la substitution n’existe pas ou prou.
Par ailleurs, 14 jours de traitement à une posologie de 75 mg par jour représente un chargement de près de 7 kilos. En cas de voyage en avion, c’est, en plus de l’encombrement, une part conséquente du poids autorisé en bagage qui va être consacrée au seul médicament. Réduire les possibilités de prescription et de délivrance des produits de substitution, c’est à la fois nier les compétences et le diagnostic posés par le prescripteur. C’est mettre en cause les capacités du pharmacien et nier le droit de tout usager au confort thérapeutique.
Pour ces raisons d’ordre compassionnel, Asud-Nîmes poursuivra son action d’auto-support aux cotés des usagers, qui sont en demande d’aide et de soulagement. L’association consolidera sa relation de travail avec les médecins et les pharmaciens de bonne volonté, également engagés auprès de ces patients, souvent en détresse, qui s’adressent à eux.
(1) Publications de référence en français :
- Interview de J.-L. Rozembaum par Christophe Montaucieux, Le journal du sida, 1996.
- Les travaux d’Abdala Toufick, parus dans les revues Prévenir et Toxibase, 1997.
- Marie Jauffret, L’auto-support des usagers de drogues en France, groupes d’entraide et groupe d’intérêt, Groupement de recherche Psychotropes Politique et Société du CNRS, juillet-septembre 2000.