Ce communiqué de presse fait suite à l’Audition Publique qui s’est tenue à Paris les 7 et 8 avril 2016 sur le thème : « Réduction des risques et des dommages liés aux conduites addictives »
Le communiqué
La politique des drogues et des addictions est en pleine évolution dans le monde. Des pays amorcent de véritables virages, mais, dans ce contexte, la France s’en tient à la continuité d’une politique basée à la fois sur la prohibition totale des drogues illégales et la frilosité face aux drogues licites (tabac, alcool) malgré leurs graves conséquences sur la santé publique.
Pourtant, face aux évolutions sociétales et aux progrès des connaissances scientifiques, les acteurs de l’addictologie français ne cessent de modifier profondément leurs conceptions et les modes d’intervention depuis au moins une ou deux décennies. Ce changement de « logiciel » peut se résumer à travers le développement d’une stratégie d’action, dans les soins et la prévention pour toutes les addictions : la réduction des risques et des dommages (RdRD). Plutôt que de « lutter contre » des produits et des comportements et de ne donner comme perspectives aux personnes ayant un problème avec ces conduites que la stigmatisation et l’abstinence, la RdRD vise en priorité à prévenir et à diminuer les conséquences négatives, sanitaires et sociales, des conduites addictives, avec de biens meilleurs résultats tant pour la société que pour les individus.
Devant ces changements largement méconnus par l’opinion et sujets à des polémiques très éloignées des réalités dans le milieu politique, la Fédération Française d’Addictologie (FFA) qui regroupe la totalité des associations professionnelles et des sociétés savantes de l’addictologie, a décidé d’organiser une Audition Publique sur la RdRD liés aux conduites addictives.
Celle-ci s’est tenue les 7 et 8 avril avec les soutiens de la MILDECA et du Ministère de la Santé, et avec l’accompagnement da la Haute Autorité de Santé. Au terme de plusieurs années de préparation cette Audition Publique a permis d’entendre une trentaine d’experts, dont près d’un quart au nom d’associations ou communautés d’usagers, sur les différentes questions scientifiques, préventives, thérapeutiques, sociales et politiques que soulèvent la RdRD. Le débat public et retransmis en direct sur le web a réuni trois cent participants de toutes origines et professions dans la Salle Laroque du Ministère de la Santé et plus du double d’internautes.
Une Commission d’Audition de composition large et diversifiée, indépendante de toute pression et de tout lien d’intérêt et présidée par le Professeur Didier Sicard, Président d’honneur du Comité National Consultatif d’Éthique, en a tiré des conclusions et des propositions d’orientations dans un rapport qui comporte 15 recommandations*.
Celles-ci traduisent parfaitement le consensus qui existe aujourd’hui entre usagers, professionnels et institutions chargées de l’action sociale et sanitaire en matière de drogues et d’addiction.
Un consensus pour une politique axée sur le respect des droits fondamentaux des personnes, la collaboration avec les usagers et le soutien à leurs associations. Une politique qui abandonne la pénalisation des usagers et la prohibition pour ouvrir d’autres voies de régulation légales et éducatives.
Un consensus pour une politique gradualiste, qui tienne compte de la diversité des situations et des personnes vivant avec une addiction, de leurs besoins, de leurs choix, de leurs ressources. Une politique qui intègre les évolutions modernes portées en premier lieu par les usagers comme celles de la cigarette électronique ou la réduction des risques sur Internet.
Une politique qui organise de façon cohérente une déclinaison d’actions depuis la prévention, la promotion de la santé, l’intervention précoce jusqu’aux soins et aux accompagnements sociaux les plus lourds.
Une politique qui diminue effectivement les effets négatifs sur la santé et la sécurité des personnes et soit évaluée sur ces critères grâce à la création d’une institution de recherche dans ce domaine qui manque aujourd’hui cruellement.
Le meilleur facteur de progrès dans une société démocratique c’est, à partir d’un débat social, de construire des consensus pragmatiques facteurs de changements favorables à tous. C’est ce à quoi veut œuvrer la FFA et c’est pourquoi elle a décidé de soutenir et de promouvoir avec toutes ses associations membres et par tous leurs moyens d’expression, les conclusions de l’Audition Publique sur la RdRD.
La FFA va interpeller les autorités publiques, les partis et responsables politiques pour qu’ils prennent en compte les enjeux et l’importance du consensus qui existe dans la société française d’aujourd’hui afin de sortir des affrontements stériles, des impasses ou des immobilismes actuels.
Une partie de la rédaction du Flyer était présente à cette audition publique placée sous la présidence d’Alain Morel et d’Amine Benyamina. Devant un public parfois peu important (variable selon les sessions), nous avons pu assister à une succession parfaitement rythmée des différents intervenants. L’objectif de briser les clivages qui existent encore entre réduction des risques et soins nous a semblé atteint. La participation des associations d’usagers (de substances qui sont aussi usagers du système de soins lui-même) nous a paru déterminante sur le plan de la symbolique. Elles ont montré leur capacité, à côté des professionnels du champ de l’addictologie et de la réduction des risques et des dommages, à réfléchir aux modalités de soins et d’accompagnement qui leur sont destinées. Mais aussi, au travers des forums qu’elles animent, à fournir des informations capitales pour la Santé Publique et celle des usagers.
Dans le domaine des addictions aux opioïdes, sur lequel nous avons beaucoup écrit et publié, nous avons lu avec intérêt la recommandation n° 7 :
- Ouvrir des espaces de consommation à moindre risque au sein des lieux existants (CAARUD et CSAPA) et mettre en place un dispositif d’analyse des produits consommés après étude des besoins et en respect du cahier des charges national.
- Mettre à disposition des usagers et de leur entourage de la naloxone (injectable ou en spray) pour prévenir les overdoses d’opiacés et réduire la mortalité.
- Permettre l’accès à des programmes d’héroïne médicalisés sous certaines conditions à définir par un groupe d’experts incluant des usagers.
- Mettre en œuvre la primo prescription de méthadone en ville.
- Promouvoir les programmes d’échanges de seringues par voie postale pour les usagers isolés.
Si pour les programmes d’échanges de seringues par voie postale ou encore la mise à disposition de la naloxone, les choses semblent être actées, nous sommes très dubitatifs sur les autres sujets. En effet, où en est la primo-prescription de méthadone en ville qui alimente nos colonnes depuis plus de 10 ans ? L’héroïne médicalisée !? On entend plus souvent nos Autorités de Santé s’exprimer sur la buprénorphine injectable, qui est certainement une bonne option pour les injecteurs de Subutex, mais qui semble aussi être LE moyen d’éviter le débat sur l’héroïne médicalisée, pourtant disponible chez plusieurs de nos voisins. Quant aux espaces de consommations dans les CAARUD et CSAPA, on pressent bien les difficultés à surmonter, tant sur le plan politico-sanitaire que sur celui de l’acceptation de certaines équipes de ces structures.
Nous avons également particulièrement apprécié le considérable travail de recherche et de synthèse bibliographique réalisé en amont de cette audition publique. Cette ‘bible’ de 159 pages est, elle-aussi, disponible sur le site de la FFA et mérite une lecture approfondie si on est tenté de prendre une position sur un sujet qui touche à la réduction des risques et des dommages.
Il reste donc à transformer l’essai pour que les recommandations faites suite à cette Audition Publique ne soient pas lettres mortes et qu’elles atteignent leurs cibles. Les Pouvoirs Publics en premier lieu, la communauté scientifique addictologique (pas uniquement celle qui s’est réunie à Paris les 7 et 8 avril, mais ceux qui ont encore du mal à adopter la philosophie de la RdRD dans leurs pratiques et ils sont encore nombreux) et, bien sûr, les citoyens, notamment les citoyens-parents (que nous sommes, que nous serons ou que nous avons été). Pour eux, la notion de réduction des risques, qui porte en elle l’acceptation de l’usage, n’est pas évidente à comprendre tant l’idéal d’abstinence reste bien ancré dans les consciences collectives et individuelles.