3 articles du Lancet
La revue « Lancet » a publié courant janvier 2012 une série de trois articles sur le thème de l’addiction et de la santé publique.
Chaque publication s’intéresse à une thématique différente :
- Le premier article (Deghenhardt et al.) revient sur les données de prévalence d’usage de substances. Il rappelle qu’en 2009, 200 millions d’adultes dans le monde ont consommé des substances illicites parmi lesquelles le cannabis, les amphétamines, la cocaïne et les opiacés tels que l’héroïne.
- Le deuxième article (Strang et al.) évoque la nécessité d’une politique pragmatique de lutte contre la drogue. Les débats actuels autour de la réduction des dommages ne sont pas toujours alimentés par des données scientifiques mais les interventions basées sur des preuves sont désormais de plus en plus identifiées.
- Le troisième article (Romm et al.) retrace l’historique des politiques internationales de lutte contre la drogue en particulier depuis la convention unique sur les stupéfiants des Nations Unies adoptée en 1961.
Les auteurs insistent sur le fait que les autorités de santé ont à relever un véritable défi pour déterminer le nombre de personnes concernées dans leur pays.
Cette difficulté est une conséquence non voulue de la pénalisation des drogues, qui entrave les usagers dans leur recherche d’aide par peur de l’emprisonnement.
« Une réponse politique intelligente au problème de la drogue nécessite de meilleures données de prévalence quant aux différentes catégories de substance et aux dommages qu’elles occasionnent à un niveau global » écrit un des auteurs. « Ce besoin est particulièrement urgent au sein des pays à hauts revenus qui sont particulièrement concernés par des taux élevés d’usage de substances illicites et pour les pays à revenus faibles ou moyen et qui sont proches des zones de production ».
Deghenhardt L. et al. – Prévalence de l’usage de substances illicites et de la dépendance et contributions au fardeau de la maladie.
Dans le premier article, les auteurs ont estimé qu’en 2009, entre 125 et 203 millions de personnes âgées entre 15 et 64 ans ont consommé du cannabis (marijuana et haschisch, soit environ 2,8 à 4,5% de la population mondiale). Les taux les plus élevés ont été retrouvés en Australie et Nouvelle-Zélande. Bien que le cannabis soit la substance la plus utilisée, les opiacés tels que l’héroïne engendrent généralement plus de dommages et sont responsables de la plupart des décès prématurés. Ce phénomène s’explique du fait d’un haut niveau de dépendance et des risques de transmission du VIH et des hépatites chez les usagers par voie injectable partageant leurs seringues.
L’usage d’opiacés (12 à 21 millions de personnes) est plus fréquent au Proche et au Moyen-Orient (0,8% à 1,4%), 50% des usagers d’opiacés vivant en Asie. Les niveaux les plus élevés se retrouvant aux environs des principales routes de trafic partant d’Afghanistan. Concernant la cocaïne, en 2009, 14 à 21 millions de personnes en ont consommé (0,3 à 0,5%). Les taux les plus élevés ont été retrouvés en Amérique du Nord (1,9% de la population).
Enfin, on estime entre 14 et 56 millions le nombre de personnes consommant des stimulants de type amphétaminique. Les taux plus élevés se retrouvant en Asie du Sud-Est. Une étude menée en 2004 par l’OMS confirme le bilan négatif de l’usage de drogue qui, du fait de handicap, a entraîné une perte globale de 13 millions d’années de vie. Cette perte est liée pour 20% à l’alcool et pour 23% au tabac.
« Les conséquences de ces addictions [aux substances illicites] se classent bien après le tabac et l’alcool, qui sont consommés de manière plus répandue du fait de leur légalité. Si l’on regarde les données les plus récentes de l’OMS recueillies en 2004 concernant la contribution des différentes drogues au fardeau de la maladie, le tabac arrive en premier… l’alcool ensuite… et les drogues illicites apparaissent bien après. Ainsi, les substances illicites, bien que moins consommées, contribuent tout de même à la même quantité de dommages ».
Strang et al. – Politique de lutte contre la drogue et bien public : des preuves pour des interventions efficaces.
Dans le second article, John Strang MD rappelle que « Les débats autour des politiques de lutte pouvant prévenir ou réduire les dommages provoqués par les substances illicites sont rarement alimentés par des preuves scientifiques. Heureusement, les interventions basées sur des preuves sont de plus en plus souvent identifiées ».
Ces interventions émergentes ont pour objectifs de rendre les substances moins disponibles, de réduire la violence provoquée par la commercialisation de drogues, de diminuer le mésusage de médicaments ainsi que de prévenir la consommation de nouvelles substances par les jeunes et de diminuer l’usage et ses conséquences au sein des populations d’usagers. Les recherches actuelles montrent qu’une politique intensive d’emprisonnement a peu d’effet pour endiguer le flux de drogues. Il n’y a pas non plus de preuves d’efficacité quant à la subvention de cultures conventionnelles (Maïs, blé…) dans les pays producteurs.
« Dans la plupart des pays, l’essentiel des investissements vise à renforcer la loi pour réduire l’approvisionnement en substance, criminaliser et dissuader l’usage en pénalisant les individus au travers du système judiciaire ». Cette méthode est celle pour laquelle il existe le moins de preuves : « Les personnes consommant dans l’illégalité [et]prennent souvent de grands risques en termes de dommages ».
Une autre approche fréquemment utilisée pour détourner de l’usage est celle de l’emploi de médias de masse comprenant également l’information sur la drogue dans les écoles.
Selon l’un des auteurs, « Les preuves ne sont pas très convaincantes, surtout pour les campagnes au travers des média de masse », les meilleurs programmes ayant un effet tout au mieux modeste si ce n’est pas nul dans la plupart des cas.
A l’inverse, de nombreuses études existent sur les traitements de substitution aux opiacés par méthadone ou buprénorphine, qui ont démontré un impact aussi bien sur le taux de mortalité, la criminalité, les infections au VIH et l’usage de drogues.
La limitation du mésusage de médicaments représente un autre enjeu : le nomadisme médical ou encore la disponibilité des médicaments par l’intermédiaire de la famille ou des amis en sont des exemples. Des systèmes de contrôle des prescriptions existent, la difficulté étant de trouver une balance entre d’un côté un accès facilité aux traitements antalgiques et de l’autre une restriction de l’accès quand il s’agit d’un usage inapproprié.
En complément, les programmes de ciblage et d’interventions brèves ont peut-être un effet modéré mais peuvent être plus largement employés avec un bon rapport coût-efficacité.
Les interventions brèves comprennent les entretiens motivationnels, les brochures d’auto-assistance et diverses interventions psychologiques. Les auteurs rappellent que les politiques de lutte contre la drogue devraient être évaluées en termes d’amélioration de la santé publique plutôt que de chercher à endiguer l’approvisionnement en substances illicites.
Room R. et al. – Dans quelle mesure les politiques internationales de lutte contre la drogue protègent-elles la santé publique ?
Dans le troisième article, les auteurs Robin Room, PhD, et Peter Reuter, PhD, soulignent le fait que les traités internationaux signés depuis 1961 sont rigides et empêchent les pays d’expérimenter de nouvelles mesures judiciaires ou d’adapter la loi pour répondre aux dommages causés par les différentes substances.
Depuis 50 ans, la convention unique sur les stupéfiants (dont la plupart des pays sont signataires) requiert que les gouvernements fassent de l’usage de substances illicites une infraction pénale cannabis, cocaïne, amphétamines, héroïne lors d’une utilisation autre que médicale.
Ce n’est pas par hasard que les mesures les plus populaires prises par les gouvernements sont de l’ordre du renforcement du domaine législatif.
Le bureau des drogues et des crimes des Nations Unies (ONU) aggrave le problème en ne prenant pas en compte au niveau global les politiques basées sur des preuves scientifiques. Pour échapper aux sanctions et aux blâmes de l’ONU, les pays qui sont tentés par une approche différente quant à l’usage de drogues comme la dépénalisation sont contraints d’abandonner les traités pour ensuite les réintégrer avec de nouvelles conditions leur garantissant une plus grande marge de manœuvre.
L’auteur note que la perspective d’amélioration de la santé publique repose dans un système qui prend en compte les risques associés spécifiquement à chaque substance tout en considérant l’impact des différentes approches législatives autour de l’usage de drogue et de la réduction des dommages.