Introduction
La méthadone figure parmi les molécules les plus anciennes et les plus étudiées de la médecine moderne. Lorsqu’elle est prescrite et utilisée correctement, la méthadone est un médicament efficace et sans danger. Par le passé, de nombreux professionnels des centres de soins ont été guidés dans leurs prescriptions de méthadone par des principes philosophiques, moraux, ou psychologiques plus que par des bases pharmacologiques et cliniques. Nous analysons ici le contenu de cet article récent, disponible sur www.atforum.com, qui rappelle les principes qui devraient guider la prescription de méthadone sur des considérations scientifiques maintenant bien établies.
Balance bénéfices/risques
La méthadone a trois objectifs à court terme à atteindre :
- 1) supprimer les symptômes de manque
- 2) supprimer l’envie d’opiacé
- 3) bloquer les effets des opiacés illicites
Au cours de nombreuses années d’études cliniques, la méthadone a montré un profil de sécurité plutôt bon. La mortalité due à la méthadone est bien moindre que chez les toxicomanes non traités. Le risque relatif de mort est au moins 3 à 4 fois moins élevé pour les patients en MMT (Methadone Maintenance Treatment) que pour ceux qui arrêtent le traitement. Cependant, la méthadone est un opiacé puissant, capable d’induire des dépressions respiratoires chez les individus non tolérants aux opiacés. Lors de phases plus avancées en MMT, l’utilisation d’autres drogues a souvent été associée à la mortalité. C’est le cas notamment des benzodiazépines.
Rappels sur la pharmacologie de la méthadone :
- La méthadone est un agoniste des récepteurs µ à opiacés situés dans le cerveau sur lesquels elle se fixe, bloquant par ailleurs la fixation d’autres agents opiacés comme l’héroïne (si elle y est suffisamment présente).
- Bio-disponibilité par voie orale 80 à 95 % (morphine 30 %).
- Métabolisée en métabolites inactifs et non toxiques.
- Demi-vie moyenne de 24-36 heures (extrêmes : 4 à 91h).
- Stockage principalement dans le foie.
- La quantité présente dans le sang (SML-Serum Méthadone Level) est relativement constante du fait du lent re-largage de la méthadone par les tissus.
- Avec la méthadone, un équilibre des taux sanguins (steady-state) est atteint en 4 à 5 jours, mais est parfois beaucoup plus long à atteindre chez certains individus. Il est donc important de considérer, qu’après chaque augmentation de la posologie de méthadone, il va falloir attendre 4 à 5 jours pour atteindre l’équilibre sanguin à la nouvelle posologie.
- Le pic plasmatique est atteint en 2 à 4 heures, mais la demi-vie et la réponse physiologique du patient peuvent être influencées par de nombreux facteurs (alcool, drogues, médicaments, alimentation, stress psychologique, maladie psychiatrique, fonctions rénale et hépatique, grossesse ou ménopause, variations génétiques du métabolisme).
- Le métabolisme de la méthadone fait intervenir le complexe cytochrome P450 (enzymes CYP450). Les médicaments qui induisent l’activité de ces enzymes peuvent accélérer le métabolisme de la méthadone et en raccourcir les effets. A l’inverse, ceux qui inhibent le CYP450 peuvent ralentir le métabolisme de la méthadone et auront l’effet contraire. Des facteurs génétiques et environnementaux ont également une influence sur ces enzymes. Ceci a pour résultat une variation individuelle des effets de la méthadone.
SML et symptômes
Il a été recommandé par certains chercheurs d’utiliser les SML (Méthadonémie) pour déterminer la posologie adéquate de méthadone. Cependant, la posologie de méthadone n’est pas toujours corrélée avec les SML. Une forte corrélation a pourtant été rapportée par Wolff ou d’autres auteurs, mais de grandes différences peuvent survenir entre les patients. A des doses supérieures à 100 mg/j, il n’existe plus de corrélation entre les SML et les posologies de méthadone.
En 2003, Payte et ses collègues ont montré que le rapport ‘SML au pic – SML résiduel’ serait une valeur plus intéressante ; il devrait être inférieur ou égal à 2. Cependant, les indicateurs les plus fiables sont les signes cliniques et les symptômes relatés par les patients eux-mêmes (symptômes d’overdose, de confort, symptômes subjectifs de manque, signes objectifs de manque). Chaque patient pose un challenge clinique unique, et il est rappelé aux praticiens qu’il est préférable de s’enquérir de l’état clinique du patient que de ‘traiter les résultats de ses SML’, afin d’atteindre la dose idéale de méthadone.
Importance de la tolérance
La prise de méthadone peut être toxique pour tout individu non tolérant aux opiacés. La tolérance aux opiacés découle d’un procédé complexe de neuro-adaptation et même des consommateurs expérimentés peuvent subir les effets opiacés puissants de la méthadone. C’est pourquoi, il est essentiel de déterminer le niveau de dépendance-tolérance aux opiacés d’un individu avant d’initier la méthadone. La définition traditionnelle de la tolérance est la diminution des effets procurés par une substance après administrations répétées. Les récepteurs aux opiacés sont alors moins sensibles à la stimulation par ces mêmes opiacés, et plus de substance est alors nécessaire à l’obtention de l’effet recherché.
Les différentes étapes du dosage et la sécurité
Il existe plusieurs phases du dosage :
- -> Phase d’induction initiale : supprimer les symptômes liés à l’abstinence.
- -> Phase d’induction précoce : diminuer l’envie d’opiacés (« craving »), et atteindre le niveau de tolérance.
- -> Phase d’induction tardive ou de stabilisation : déterminer la dose adéquate -> Phase de maintenance : conserver les effets atteints.
L’induction
Il existe plusieurs facteurs de risque : le dosage initial, l’utilisation d’autres drogues, l’état de santé global du patient. Pendant la période d’induction, on estime que le risque de mortalité est 7 fois plus élevé qu’avant le début du traitement. Il est 98 fois plus élevé pour les nouveaux patients que pour ceux qui prennent la méthadone depuis plus de 2 semaines. L’aspect le plus délicat est l’appréciation du niveau de tolérance aux opiacés du patient. Les lois fédérales aux Etats-Unis imposent la réalisation d’examens cliniques et d’examens de laboratoire pour chaque patient dans les 15 jours qui suivent l’admission en MMT. Il peut également être conseillé de recueillir des commémoratifs précis, et de faire un bilan cardiaque. La détection de troubles respiratoires, neurologiques ou cardiaques, ainsi que l’existence de maladies interférant avec le métabolisme des médicaments requiert un suivi intensif du patient.
Les posologies d’induction
Il n’existe pas de formule scientifique pour calculer la tolérance aux opiacés. Il est donc conseillé de commencer lentement et avec des doses faibles. Il faut trouver un juste milieu entre une dose trop faible (signes de manque trop importants et persistants) et une dose trop forte (risque d’overdose). Les doses initiales recommandées sont variables d’un pays à l’autre. La dose maximale de 40 mg recommandée par certains est élevée et devrait justifier une surveillance accrue. Pendant la phase d’induction, les patients peuvent ressentir un manque peu avant la prise suivante. Ce n’est pas un critère pour augmenter la posologie. Il faut leur demander comment ils se sentaient 3-4 heures après la prise, et si la réponse est satisfaisante, la dose ne doit pas être augmentée.
Certaines directives conseillent, d’une manière générale, de ne pas augmenter les doses de plus de 5 à 10 mg par jour pendant la première semaine, et en tout cas, pas plus de 20 mg en tout pour la semaine. Bien sûr, l’utilisation concomitante d’alcool, d’autres opiacés, de sédatifs augmente de manière significative le risque de mort par overdose. Il n’existe pas de protocole d’induction absolument inoffensif pour tous. La phase d’induction se termine lorsque les SML ont atteint un niveau stable (steady-state).
Vers la phase de stabilisation
Une fois la stabilisation des SML atteinte, la méthadone doit être présente en quantité suffisante pour maintenir le patient dans un état de « confort thérapeutique » entre deux prises. Il n’existe pas de relation clairement établie entre la posologie optimale de méthadone et la quantité d’opiacée consommée avant l’entrée en MMT (elle-même difficile à apprécier). Les études ont tout d’abord démontré que 80 à 120 mg par jour étaient suffisant pour la plupart des patients. Pour certains, il faut cependant utiliser une posologie de plus de 200 mg par jour. Pendant la phase de stabilisation, on ajuste les posologies par palier de 5 à 10 mg à chaque fois, tous les 3-4, parfois 5 jours, avec là-aussi, un maximum de 20 mg par semaine.
La posologie adéquate à ce stade ne peut être déterminée par des mesures objectives (comme les SML), donc les compte-rendus des patients sont des aides précieuses sur lesquels on se base. Des posologies élevées sont parfois nécessaires (et inoffensives), pour peu que les augmentations soient progressives et espacées. Une dose adéquate de méthadone permet (doit permettre) chez la plupart des patients d’arrêter la consommation parallèle d’opiacés.
Qu’est-ce qu’une posologie optimale ?
D’après les essais cliniques, les patients qui reçoivent une posologie élevée de méthadone obtiennent généralement de meilleurs résultats que ceux qui reçoivent une posologie plus faible. Cependant, la quantité nécessaire dépend des besoins du patient. Par exemple, ceux qui souffrent de troubles psychiatriques ont souvent besoin de doses plus élevées. Payte a dit récemment que les ‘plafonds arbitraires’ en terme de posologies (exemple le plus courant : 100 mg) n’ont pas de fondement scientifique ou clinique.
Utilité des SML
Ils peuvent être utiles dans certains cas, pour confirmer une nécessité d’adaptation des posologies et pour déterminer quels sont les patients qui ont besoin d’une prise répartie en deux fois sur la journée. En moyenne, les chercheurs ont retenu une valeur d’au moins 150 à 600 ng/ml pour supprimer le besoin d’opiacé, et une valeur supérieure ou égale à 400 ng/ml pour avoir un effet de blocage des opiacés, en phase de maintenance. Des études cliniques ont montré que pour l’obtention de SML à ce niveau (400 ng/ml), les posologies de méthadone nécessaires varient entre 50 mg/j et 900 mg/j. Le but recherché est une valeur résiduelle située entre 400 et 500 ng/ml (24 heures après la prise), et un pic inférieur au double (moins de 800 ng/ml). Le taux fatal des SML n’est pas déterminé avec précision : il varie de 60 à 4 500 ng/ml selon les cas étudiés.
Répartir les doses
Si un patient montre des signes cliniques de surdosage quelques heures après la prise (hypersédation), mais ressent des signes de manque avant la prise suivante, il est indiqué de répartir la posologie quotidienne en deux prises. Sinon, augmenter la monoprise quotidienne ne ferait qu’élever le pic, mais pas le SML résiduel. (NDLR : selon Tenore, cette situation clinique peut faire l’objet d’une confirmation par une méthadonémie au pic. Si elle est 2 fois supérieure à la méthadonémie résiduelle, l’indication de la bi-prise peut être posée).
L’éducation du patient est essentielle
S B. Leavitt rappelle, dans son article, que l’éducation des patients est essentielle à la réussite et à la sécurité du traitement par la méthadone. Il y a beaucoup de mythes et de mauvaises informations autour de la méthadone. Les patients ont besoin d’une compréhension minimale de ‘comment fonctionne la méthadone’ et de ce que cela va leur apporter. Ils doivent comprendre qu’il y a un délai de 2 à 4 heures avant l’effet, et qu’il y a une accumulation de la méthadone dans l’organisme en cas d’augmentation de la posologie. Il est indispensable qu’ils soient informés des signes évoquant le surdosage, notamment pendant la phase délicate de l’initiation. Par la suite, la décision de l’adaptation de la posologie (à la hausse comme à la baisse) doit être partagée avec chaque patient, et prise sur des considérations cliniques.