Selon une étude récente publiée dans la prestigieuse revue The Lancet en juin 2015, les usagers sous traitement de substitution à la méthadone qui sont incarcérés sont souvent forcés d’arrêter leur traitement et sont moins enclins à le reprendre leur lors de leur libération.
Pour le Dr. Josiah D Rich, de l’université Brown de Providence, Rhode Island et auteur principal de la publication, si elle est l’un des médicaments les plus strictement contrôlés, la méthadone est très efficace pour traiter l’addiction à l’héroïne ou aux opiacés, réduisant ainsi la transmission du VIH, les comportements criminels et les décès par overdose. « Les personnes physiologiquement dépendantes aux opiacés développent une tolérance à ces produits et doivent donc prendre des doses de plus en plus fortes pour éviter le manque », explique le docteur Rich à Reuters Health par téléphone. Il ajoute que dans le cas de l’héroïne, le manque est douloureux et diabolique, conduisant la personne à commettre des actes désespérés. Le manque de méthadone, lui, est plus long et moins intense, mais reste néanmoins douloureux.
Dans un cas comme dans l’autre, être incarcéré et être sevré supprime la tolérance, ce qui augmente le risque d’overdose et de décès lors de la libération, précise-t-il. « Sevrer quelqu’un du médicament et le remettre en liberté, c’est le pire des scénarios » indique le Dr Rich. « Pour de nombreux dépendants aux opiacés, sortir de prison est pire que d’y entrer. »
Le Dr Rich et ses collègues ont sélectionné des détenus du département de l’administration pénitentiaire du Rhode Island qui participaient à un programme de maintien à la méthadone lors de leur arrestation et souhaitaient rester sous méthadone pendant leur incarcération. D’après lui, presque tous les détenus qu’il a approchés pour cette étude ont indiqué vouloir continuer la méthadone.
Les détenus, dont la durée d’emprisonnement n’excédait pas 6 mois, ont été affectés au hasard au groupe qui devait continuer la prise de méthadone ou à celui qui était soumis au sevrage progressif, ce qui est la règle dans les quartiers pénitentiaires aux Etats-Unis. Il y avait environ 100 détenus dans chaque groupe, dont 22% étaient des femmes.
Dans le groupe qui continuait la méthadone, 96% sont retournés dans un centre méthadone dans le mois qui a suivi leur libération, contre 78% dans le groupe du sevrage progressif. Dans le groupe qui continuait la méthadone, on a enregistré une overdose non mortelle dans le mois suivant la sortie de prison, contre deux dans l’autre groupe. Le groupe sous méthadone a aussi connu 1 hospitalisation et 11 visites aux urgences, contre respectivement 4 et 16 dans le groupe en voie de sevrage.
Selon les auteurs, la poursuite du traitement par la méthadone après la sortie de prison pourrait réduire les risques de décès par overdose ou les comportements à risque.
Ils ajoutent : « La poursuite du traitement a entraîné un surcoût qui a été compensé par les économies réalisées en honoraires de médecins et frais médicaux à la sortie. »
« Le moment le plus critique est le retour dans la communauté. Que pouvons-nous faire pour les aider à ne pas replonger ? » s’interroge le Dr Rich.
« On estime qu’aux États-Unis, 10% environ des personnes sous méthadone sont incarcérées chaque année… ce qui fait près de 30 000 personnes sous méthadone par an qui entrent en prison, » déclare le Dr. M-J Milloy, du centre d’excellence pour la lutte contre le VIH/SIDA à Vancouver en Colombie Britannique, au Canada, et co-auteur de l’édito qui accompagnait la publication de ces résultats. Plus de 90% sont sevrés de la méthadone pendant leur incarcération, a t-il indiqué à Reuters Health par e-mail.
Si on pratique le sevrage de la méthadone en prison, c’est « qu’on a toujours fait comme ça » indique le Dr Rich. Poursuivre la thérapie coûte de l’argent, et l’administration du produit peut s’avérer très difficile à contrôler. « Et c’est pourtant le meilleur moment pour tirer profit du traitement par la méthadone, » ajoute-t-il.
La crainte d’être incarcéré et de devoir être sevré de force dissuade vraiment les consommateurs d’opiacés de tenter un traitement à la méthadone. « Nous sommes désarmés ; à cause de ce qui se passe derrière les barreaux, on ne peut utiliser cet outil pour traiter une maladie mortelle », conclut-il.
D’après lui, au Portugal, les gens ne sont plus incarcérés pour simple possession de drogue. « Ils ont changé la loi, et on n’incarcère plus simplement parce qu’on consomme de la drogue. Les petits dealers sont interpellés et mis sous traitement, » explique le Dr Rich. « Ils obtiennent de meilleurs résultats que nous. »
Dans d’autres pays, dont le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie, les prisonniers sont maintenus à la méthadone en toute sécurité, et ils peuvent même commencer le traitement en prison s’ils le souhaitent, ajoute le Dr Milloy.
Le meilleur exemple de prison américaine délivrant de la méthadone est celui du centre pénitentiaire de Rikers Island à New York, même s’il constitue une exception à la règle. « Cela s’accompagne de multiples avantages, dont un taux de récidive plus bas après la sortie de prison, » conclut-il.
Commentaire de la rédaction
Effarant.
Avec aplomb, les USA évaluent la privation de choix pour les traitements prodigués en prison et constatent bien sûr que ce n’est pas très positif.
Le principe d’équivalence pour les mesures de soins et de prévention entre prison et milieu libre, prôné par l’OMS et l’UNODC, est évoqué brièvement : « Forced withdrawal of methadone treatment in correctional settings is unusual in developed countries. In most of western Europe, the UK, Canada, and most Australian jurisdictions, people entering correctional facilities while receiving prescribed opioid pharmacotherapies are allowed to continue methadone while incarcerated, and often could start such treatment during incarceration if it is clinically indicated. Such an approach is in accordance with the internationally recognised principle of equivalence of care, which states that incarcerated people are entitled to the same standard of health care as is available in the surrounding community. Furthermore, in the USA, to not provide medically necessary care is regarded as cruel and unusual punishment in violation of the US Constitution, and, although rare, some correctional jurisdictions have had to pay legal settlements to individuals involuntarily withdrawn from methadone maintenance treatment. »
On ose espérer une sournoise intention des auteurs : plonger les USA dans leurs contradictions = être chantres des droits de l’homme mais aussi les bafouer dès qu’un citoyen est mis derrière les barreaux. Mais on en est pas très sûr car les auteurs présentent cela presque comme une option et non une privation supplémentaire de liberté, et ne prennent pas position. Il s’agit pourtant du prestigieux Lancet. On peut supposer qu’il s’agit d’un débat américano-américain. Il y a cependant des détenus au centre de tout cela.
Il n’est plus besoin de prouver que le taux d’overdoses à la sortie de prison est extrêmement élevé chez les usagers de drogues. Sevrer arbitrairement de méthadone en prison engage la responsabilité de l’Etat en cas d’overdose à la sortie de prison et cela ne semble pas effleurer les auteurs. Méthadone et buprénorphine appartiennent à la liste des médicaments « essentiels » établie par l’OMS. Leur intérêt en détention et dans la perspective de la sortie de prison n’est plus à démontrer, notamment en terme de maintien en traitement, prévention des overdoses, des contaminations par le VHC, de la récidive criminelle, de réduction des pratiques à risques….
Pour une fois, on est vraiment meilleur…