Une prévalence de l’hépatite C encore très forte chez les UDVI (Usagers de Drogue par Voie Intraveineuse)
La mise en place, à partir du milieu des années 80, des politiques de réduction des risques, avec notamment l’accès facilité à des seringues neuves et le développement des traitements de substitution aux opiacés a permis de réduire fortement l’épidémie de VIH/sida parmi les usagers de drogues.
En revanche, l’effet de ces politiques sur la transmission du virus de l’hépatite C (VHC) a été limité : d’une part, parce que l’hépatite C est un virus plus résistant – et donc contagieux – que le VIH, d’autre part parce que, malgré des évolutions, les pratiques à risques et les partages de matériel se sont maintenus. Et enfin, parce que la prévalence du VHC parmi les usagers injecteurs étant élevée cela favorise une forte dynamique de l’épidémie lorsqu’il y a partage du matériel.
Ainsi, malgré une tendance à la baisse de l’incidence du VHC chez les usagers de drogues entre 1995 et 2010 (Inserm, 2010), les résultats de la dernière enquête Coquelicot montrent que 44% des usagers de drogues fréquentant les structures de soins sont séropositifs au VHC (Jauffret-Roustide et al, 2013 – voir Le Flyer n° 57), et, de fait, la prévalence du virus parmi cette population en fait le foyer principal de l’épidémie.
Par ailleurs, malgré une diminution des pratiques d’injection depuis la diffusion des traitements de substitution aux opiacés au milieu des années 90 (Inserm, 2010), un accroissement du recours à l’injection est notée depuis cinq ans environ dans un certain nombre d’espaces sociaux spécifiques (jeunes usagers fréquentant le milieu festif techno non commercial, homosexuels masculins utilisant des drogues par voie injectable dans un contexte sexuel). Lutter contre la diffusion de l’hépatite C parmi les usagers de drogues par voie intraveineuse reste donc un enjeu majeur de santé publique et cela impose, au-delà du maintien et de l’adaptation des actions existantes, l’expérimentation d’un nouveau type d’interventions.
Parmi elles, figurent des interventions visant à agir sur la Transition de la voie injectable vers d’autres Modes d’administration – TMA – (Inserm 2010), encore très peu développées en France . En effet, dans la mesure où l’injection est le principal vecteur de transmission de l’hépatite C, faire baisser le nombre global d’injections dans une population donnée constitue un levier d’action important pour freiner l’épidémie (Lert, 2006).
Deux grandes stratégies peuvent guider les programmes de TMA (Hunt et al., 1999 ; Inserm, 2010) :
- faire diminuer ou arrêter l’injection et promouvoir des modes d’administration alternatifs parmi les injecteurs actifs (switching);
- prévenir ou différer le passage à l’injection des usagers non-injecteurs (preventing).
L’intervention Change le programme
C’est cette seconde stratégie que se propose de suivre l’intervention Change le programme.
L’intervention est l’adaptation de l’intervention britannique Break The Cycle (BTC), initiée par Neil Hunt et qui a été évaluée positivement (Hunt, 1998). C’est une intervention brève d’une quarantaine de minutes qui s’appuie sur les principes de l’entretien motivationnel (EM).
L’intervention s’adresse aux injecteurs et vise à faire en sorte qu’ils soient plus conscients de l’influence qu’ils exercent sur les usagers non-injecteurs et mieux armés pour refuser leurs demandes d’initiation. L’objectif de l’intervention est de faire baisser le nombre d’initiations à l’injection, ou à défaut de les retarder et de les sécuriser, afin de faire diminuer le nombre de contaminations virales (en particulier par le VHC).
Pour ce faire, il s’agit d’intervenir individuellement auprès des injecteurs actifs pour :
- les encourager à réfléchir à leur positionnement et à leur attitude par rapport à l’initiation d’autrui ;
- accroître chez eux la conscience des comportements pouvant inciter les autres à entrer dans l’injection (comme parler positivement de l’injection ou s’injecter devant un usager non-injecteur) et faire en sorte qu’ils les modifient ;
- augmenter leurs capacités à gérer les demandes d’initiation qui leur sont adressées et à pouvoir y répondre de la manière qu’ils jugent la plus appropriée : soit en refusant ou en différant l’initiation ; soit en initiant mais en relayant les pratiques et les messages essentiels de réduction des risques ;
- améliorer leurs connaissances des risques (sanitaires mais aussi psychologiques, sociaux et légaux) liés à l’injection et ainsi les aider à mieux informer les personnes susceptibles de s’initier.
L’intervention vise donc à une modification des représentations, des connaissances, des attitudes et des comportements. Sur le plan théorique, elle repose sur l’idée que l’injection est un geste qui s’apprend au contact des autres injecteurs.
Elle s’appuie, en particulier, sur la théorie de l’apprentissage social (Bandura, 1977) et sur des travaux ethnographiques ayant montré comment l’adoption de la pratique de l’injection se forme au contact des autres injecteurs – modelling- (Stilwell et al, 1999).
Sur le plan technique, l’intervention s’appuie sur les principes de l’entretien motivationnel (EM) (Millner & Rollnick, 2013), dont l’objectif est justement d’accompagner et de susciter les changements de comportements, en augmentant la motivation intrinsèque et dont l’efficacité a été éprouvée dans plusieurs domaines de l’addictologie (Inserm, 2010).
L’évaluation de Change le programme
Change le programme est actuellement expérimenté dans le cadre d’une recherche interventionnelle (EVAL-CLP) portée par le Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (RESPADD) et financée par l’Institut National de Prévention d’Education et de pour la Santé (INPES).
L’objectif général est d’apporter des éléments de réflexions sur la pertinence de développer France l’intervention en évaluant sa forme française et son implantation.
Plus précisément, l’intervention « Change le programme » est implantée, du 15 juin 2015 au 14 février 2016, dans sept Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues (CAARUD), dans six villes en France (Aulnay-sous-Bois, Bordeaux, Marseille, Metz, Montreuil et Paris).
Pendant ces huit mois d’expérimentation, chaque CAARUD intègre l’intervention à son offre de services deux ou trois demi-journées par semaine. Pendant ces temps dédiés, les personnes intéressées peuvent faire l’entretien Change le programme avec l’un des intervenants formés de la structure et dans le cadre de la recherche, elles doivent répondre à un questionnaire avant et après l’entretien. Trois mois après avoir fait l’entretien, elles sont rappelées pour répondre à un questionnaire de suivi.
Les premiers résultats de cette recherche sont attendus pour le second semestre 2016.
IMPORTANT : Bien qu’implantée dans des CAARUD spécifiques, l’intervention s’adresse à tous les usagers des territoires concernés s’ils ont plus de 18 ans, qu’ils ont injecté dans les trois derniers mois et qu’ils parlent français. La participation est indemnisée à hauteur de 15,00 euros à M1 et de 20,00 euros à M2. N’hésitez donc pas à promouvoir l’intervention auprès des personnes qui fréquentent vos structures et qui entrent dans ces critères d’inclusion. Plus la participation sera forte, plus les résultats de l’évaluation seront solides !
Sites Pilotes
- Caarud Aurore 93 CH R. Ballanger, Aulnay-sous-Bois
- Centre Planterose, Bordeaux
- Bus 31/32, Marseille
- Centre Les Wads, Metz
- P.R.O.S.E.S, Montreuil
- Centre Beaurepaire, Paris
- La boutique 18, Paris
Références bibliographiques
- AFR, Gaïa, PROSES, Sida Paroles, Médecins du Monde, 2012, Chasser le dragon. Comment fumer sur de l’alu, Brochure.
- Bandura A., 1977, Social Learning Theory, Englewood Cliffs, Prentice Hall.
- Hunt N., Griffiths P., Southwell M., Stillwell G., Strang J., 1999, « Preventing and curtailing injectiong drug use: a review of opportunities for developing and delivering route transition interventions », Drug and Acohol Review, vol. 18, pp. 441-451.
- Hunt N., Stillwell G., Taylor C., Griffiths P., 1998, « Evaluation of brief intervention to prevent initiation into injecting. » Drugs Education and Prevention Policy, vol. 5, pp. 185-194
- Inserm, 2010, Expertise collective. Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues, Paris, Inserm.
- Jauffret-Roustide M., Pillonel J., Weill-Barillet L., Léon L., Le Strat Y., Brunet S., Benoit T., Chauvin C., Lebreton M., Barin F., Semaille C., 2013, « Estimation de la séroprévalence du VIH et de l’hépatite C chez les usagers de drogues en France. Premiers résultats de l’enquête ANRS-Coquelicot 2011 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n°39-40, pp. 504-509.
- Lert F., 2006, « Peut-on stopper la transmission du virus de l’hépatite C chez les usagers de drogue ? », Revue d’épidémiologie et de santé publique, vol.54, n° spec. 1, pp. 1S61-1S67.
- Millner W.R. & Rollnick S., 2013, L’entretien motivationnel. Aider la personne à engager le changement, Paris, InterEditions – Dunod.
- Stilwell G., Hunt N., Taylor C., Griffiths P., 1999, « The modelling of injecting behaviour and initiation into injecting », Addiction, Research and Theory, vol.7, pp. 447-459.