Ndlr : Selon cette clinicienne précurseur, il y a 40 ans, du traitement par la méthadone, deux fortes tendances se dégagent aujourd’hui : d’une part, une augmentation de la compréhension, des compétences et des règles de prescription et d’autre part, une dégradation de la santé des patients. Le recul de la stigmatisation, l’intérêt grandissant des médecins, et la modification du cadre de prescription commencent à faire évoluer le traitement par la méthadone.
Cet article décrit le point de vue d’un médecin new-yorkais travaillant au Collège de Médecine Albert Einstein situé dans le Bronx et précurseur des traitements de substitution opiacée. Son expérience et la description qu’elle en fait n’est pas le reflet de ce qui se passe aux Etats-Unis en général. Dans beaucoup d’états, les traitements par la méthadone font l’objet de régulations très contraignantes (voire sont prohibés), parfois prescrits pour des durées limitées, souvent mal pris en charge par le système d’assurance, et quelques fois à des posologies limitées et inefficaces (40 mg/jour maxi). Ils ne sont pas aussi accessibles qu’ils le sont à New York.
Introduction
Tandis que le traitement de maintenance à la méthadone entame sa cinquième décennie, les programmes de traitement de substitution opiacée (TSO) tirent les leçons des succès et des échecs du passé afin de continuer à améliorer les modalités de traitement.
Aujourd’hui, la tranche d’âge des patients est plus large qu’auparavant et ces patients présentent un nombre et une gravité plus élevés d’addictions et de problèmes de santé. En parallèle, les TSO ont également conduit à l’amélioration de la recherche et des techniques. Les TSO ont également permis une meilleure compréhension de toutes les dimensions de l’addiction aux opiacés et du soin.
Nous savons maintenant que l’addiction aux opiacés est une maladie chronique et, désormais, nous ne considérons plus la méthadone comme une passerelle, permettant à court terme d’accéder à l’abstinence. Nous considérons plutôt la méthadone comme une aide qui peut être indéfiniment bénéfique.
La réglementation qui encadre aujourd’hui les TSO est plus rigoureuse que par le passé, mais elle est également plus pratique. Tout en exigeant des prescripteurs qu’ils décrivent, analysent leurs résultats et corrigent leurs erreurs, la réglementation donne aux cliniciens une certaine latitude dans la planification du traitement et dans la prescription de méthadone.
Ce texte décrit la population actuelle sous traitement par méthadone tout en examinant plus précisément les conditions d’utilisation de celle-ci. Nous abordons ensuite l’histoire de la méthadone et les diverses expériences qui nous ont permises d’améliorer notre compréhension et nos compétences sur ce sujet. En dernier lieu, les opportunités et les prochains défis concernant l’évolution du traitement et de son environnement seront identifiés.
Les patients d’aujourd’hui
Les patients traités par la méthadone diffèrent de ceux du passé. En effet, les préoccupations et la complexité du traitement ont été accentuées par les épidémies de VIH et d’hépatite C, l’accroissement de la poly-toxicomanie et par l’augmentation de la tranche d’âge des héroïnomanes. De même, nous disposons maintenant de groupes de patients sous méthadone depuis longtemps, très expérimentés et qui peuvent être des alliés pour les cliniciens et les autres patients. Ce sont aussi d’ardents défenseurs des points de vue et des intérêts des patients.
Les patients sont davantage malades
Aujourd’hui, les prescripteurs de méthadone travaillent avec une population de patients dont les consommations de drogues, la gravité de l’addiction et les comorbidités psychiatriques sont sans précédents. Grâce à la recherche et à aux expériences cliniques, les cliniciens ont pu développer de meilleures compréhensions, compétences et interventions.
Cependant, des années de dégradation régulière de la santé générale des patients ont contribué à une stagnation voire à une légère détérioration des résultats du traitement par méthadone.
Il y a trente ans, la grande majorité des patients sous méthadone consommait uniquement de l’héroïne. Aujourd’hui, dans l’état de New York, environ 30 % consomment d’autres substances comme l’alcool, la cocaïne, la méthamphétamine, les benzodiazépines et la marijuana (Office of Alcoholism and Substance Abuse Services de l’État de New York, 2005). La méthadone ne réduit pas l’usage de ces autres drogues. Ces autres drogues peuvent compromettre les principaux objectifs d’un traitement de maintenance à la méthadone, c’està-dire le retour à une normalité comportementale et sociale.
L’hépatite C est actuellement la maladie la plus prédominante et la plus préoccupante chez les patients sous méthadone. Dans la ville de New York, la prévalence de cette infection est restée stable (environ 75 %) depuis que sa détection par un test diagnostique sanguin a été rendue possible pour la première fois à la fin des années 1990. Pourtant, de plus en plus de patients évoluent vers un stade symptomatique de la maladie et le nombre de patients nécessitant une hospitalisation a augmenté de façon spectaculaire. Dans notre programme, sur 4 000 patients environ 600 ont besoin d’un lit d’hôpital chaque année, et pour la majorité de ces patients, l’hospitalisation est en rapport avec une hépatite. Parmi nos patients, la maladie du foie a remplacé le VIH comme première cause de décès.
L’infection par le VIH affecte actuellement environ 20 % des patients de notre programme, c’est-à-dire la moitié du pourcentage de 1992. Malgré l’efficacité des traitements qui a réduit la mortalité, l’impact du VIH ou de l’hépatite sur le psychisme des patients et les interactions entre les antirétroviraux avec la méthadone peuvent considérablement compliquer le soin. Par exemple, la rifampicine (utilisée pour traiter la tuberculose), l’AZT (pour le SIDA), et l’interféron (pour l’hépatite C) interagissent tous avec la méthadone et peuvent provoquer des modifications des taux sanguins et des effets secondaires. Si ces interactions ne sont pas attentivement surveillées par les cliniciens, elles peuvent conduire certains patients à la rechute.
À peu près 60 % de nos patients ont, durant la phase initiale du traitement, une dépression ou une anxiété étroitement associée à leur toxicomanie. Ce chiffre est bien plus élevé aujourd’hui que dans les années 1970, soit parce que le nombre de patients présentant ces troubles a augmenté, soit parce nous avons appris à les identifier de façon plus cohérente, soit encore pour les deux raisons. La croissance de la poly-toxicomanie associée à l’héroïne pourrait être un indicateur du développement des comorbidités psychiatriques dans la population des héroïnomanes.
En théorie, cette propension peut refléter une augmentation du nombre d’individus essayant de contrôler leurs symptômes d’anxiété avec des sédatifs et une automédication de leur dépression à l’aide de stimulants. Avec une consommation s’intensifiant de façon chronique, l’automédication exacerbe en définitive les troubles de la dépression et de l’anxiété. Il est également de plus en plus nécessaire pour les cliniciens de surveiller leurs patients pour des comportements suicidaires et d’autres complications mentales sévères.
Les patients sont plus jeunes et plus âgés
Durant les dernières années, davantage de jeunes gens âgés de 18 à 25 ans sont venus pour un traitement par un TSO. Ces jeunes amènent avec eux une dynamique cognitive et émotionnelle de l’adolescence et du jeune adulte, ainsi qu’une prévalence très élevée de polyconsommations.
Des patients plus âgés sont également traités dans ces programmes. Certains seniors ont vieilli pendant qu’ils suivaient le traitement par méthadone et d’autres se présentent pour la première fois à 50, 60 et 70 ans. Dans l’État de New York, 10 patients sont actuellement âgés de plus de 80 ans. Les patients âgés posent un ensemble unique de défis cliniques liés à leur mobilité réduite et aux problèmes médicaux de la vieillesse comme le diabète, l’hypertension, la ménopause.
Les patients sont mieux informés
Les patients sous méthadone ainsi que leurs prescripteurs ont beaucoup appris de leurs expériences durant ces quarante dernières années. Les patients d’aujourd’hui, en particulier les individus plus âgés qui se sont engagés dans un traitement continu ou répété sur de nombreuses années, constituent un groupe bien informé de consommateurs. À New York, ils connaissent souvent les différents modèles de traitement de l’héroïnomanie et comprennent que si un programme ne répond pas à leurs besoins, ils peuvent en essayer un autre.
Des patients sous méthadone depuis longtemps peuvent fournir aux services spécialisés des idées très utiles sur la façon de répondre à leurs besoins et sur leurs objectifs et attentes. Pour en tirer parti, certains centres ont intégré des patients à leur comités consultatifs et ont organisés des commissions consultatives de patients (Patients Advisory Committees ou PAC). Dans certains cas, les PAC et autres associations de patients ont aidé les équipes à répondre aux préoccupations des patients et des communautés avant qu’elles ne deviennent problématiques.
De nombreux centres recherchent une contribution de la part de leurs patients via des enquêtes de satisfaction qui leur demandent : « Que pensez-vous du traitement que vous recevez ? Qu’est-ce qui fonctionne pour vous ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? ». New York et d’autres États ont ratifié l’autorité des patients en rendant obligatoire de telles enquêtes afin que les patients apportent leur expérience en témoignage.
Des organismes tels que la Joint Commission on Accreditation of Healthcare Organizations (JCAHO) et la Commission on Accreditation of Rehabilitation Facilities (CARF) collectent les réactions des patients, ce qui est une exigence pour obtenir leur accréditation. Les PAC sont un autre moyen de répondre à ce modèle, qui est maintenant obligatoire au niveau fédéral.
Les patients d’aujourd’hui sont des partenaires efficaces des traitements, également à travers d’autres activités qui étendent le réseau de soin. Les groupes de soutien par des pairs, comme le « Méthadone Anonymous », donnent aux patients la possibilité de rencontrer, en dehors d’un centre, d’autres personnes ayant traversé ou traversant le même processus de traitement.
Un autre groupe, « The National Alliance of Methadone Advocates », a conduit le mouvement à protéger les droits des patients et à garantir que leurs points de vue soient entendus des prescripteurs et des responsables politiques.
Les patients forment également des « groupes de pairs » pour se soutenir durant les phases difficiles du processus de traitement. Par exemple, avant de pouvoir commencer un traitement par interféron/ribavirine pour l’hépatite C, le patient ou la patiente doit d’abord subir plusieurs tests dont une biopsie du foie. La biopsie peut être impressionnante, et il est utile d’avoir un patient ayant déjà subi cet examen pour accompagner le patient au centre chirurgical et lui fournir soutien et recommandations.
Objectifs et caractéristiques du traitement
Les caractéristiques des prises en charge actuelles se distinguent de celles du passé ; la personnalisation du traitement s’est accrue en fonction des objectifs et des besoins individuels de chaque patient. Quarante ans d’expérience clinique et de recherches ont amené aux cliniciens une ouverture d’esprit et fourni des outils et des compétences pour adapter les programmes de soins en fonction des comorbidités psychiatriques, des circonstances familiales et sociales, et des attentes en matière de soin.
Objectifs du traitement
Les objectifs techniques initiaux du traitement par la méthadone sont de soulager les besoins du patient en opiacés, supprimer le syndrome de manque et bloquer les effets euphoriques associés à l’héroïne. L’objectif général est d’améliorer la santé et la qualité de vie du patient.
Les objectifs intermédiaires comprennent l’amélioration de l’accès des patients aux soins médicaux et de leur utilisation. Ceci afin de leur apprendre à réduire le risque de maladies infectieuses comme le VIH et l’hépatite et de les aider à construire des relations saines et à réintégrer la population active ou l’école.
Les expériences successives avec la méthadone ont conduit les prescripteurs à réexaminer l’une de leurs idées de départ quant au traitement par la méthadone : tous les patients doivent se battre pour en devenir abstinents. Au cours des dernières années, un consensus a approuvé le maintien de la méthadone comme traitement chronique, potentiellement comme traitement à vie. Ce point de vue s’accorde avec l’importance de la récente définition de la forme de l’héroïnomanie, c’est-à-dire, épisodique ou chronique.
Le public et les responsables politiques mettent plus de temps à faire cet ajustement conceptuel, ce qui peut entraîner une certaine tension au niveau des attentes. De nombreux patients, surtout dans la première partie de leur traitement, souhaitent réduire progressivement leur posologie de méthadone. En effet, durant cette période, leur « craving » s’atténue et ils se voient avancer dans d’autres domaines de leurs vies.
Bien que certains patients puissent se dispenser de prendre de la méthadone et qu’ils ont toujours l’espoir de parvenir à un sevrage stable à long terme, d’une façon générale, les recherches ont montré qu’environ 80 % des patients arrêtant la méthadone rechutent dans les 3 ans (Ball et Ross, 1991; Joseph, Stancliff et Langrod, 2000). Dans notre programme, nous enseignons que le succès ne dépend pas du fait que vous preniez votre médicament le matin, mais du fait que vous preniez soin de vous-même et de votre famille, que vous agissiez de façon responsable et de votre réinsertion sociale. Même ceux qui peuvent se passer de méthadone ne réussiront probablement pas sans être encore dans une certaine forme de traitement.
Posologie et calendrier
Trouver la bonne posologie de méthadone est primordiale, le principe d’un traitement individualisé s’est affirmé au cours du temps. Les cliniciens d’aujourd’hui bénéficient de d’expériences qui ont beaucoup amélioré leur capacité à identifier et à prescrire à chaque patient, la posologie adéquate. Celle-ci supprime complètement pour chacun le « craving » et la consommation d’héroïne tout en entraînent des effets secondaires minimes.
Tout d’abord, nous avons appris que la posologie adéquate varie énormément. Alors que certains individus sont stabilisés avec une faible posologie de 20 mg/jour, d’autres requièrent jusqu’à 10 ou 15 fois cette dose, voire plus. Des différences dans le métabolisme, les interactions médicamenteuses entre la méthadone et d’autres médicaments expliquent l’étendue possible des posologies (cf. Alcohol and Medication Interactions with Buprenorphine and Methadone » dans Science & Practice Perspectives Vol. 2, n°2, p. 10-11).
Les interactions les plus fréquemment rencontrées surviennent chez des patients recevant des médicaments pour le VIH et pour l’hépatite C, dont certains accélèrent et d’autres ralentissent le métabolisme de la méthadone. Les patients prenant de l’interféron pour l’hépatite C peuvent avoir besoin d’un ajustement à la hausse de leur posologie de méthadone. Ceci, afin de neutraliser un effet de l’interféron qui reproduit un syndrome de sevrage d’opiacés dans certains cas.
La réponse du patient ou de la patiente à la méthadone — persistance du craving ou de la consommation d’héroïne, ou sédation — est un indicateur essentiel de l’insuffisance ou de l’excès de la dose prescrite. Pour cela, nous parlons avec le patient afin de découvrir s’il a essayé de prendre des opiacés pendant qu’il était sous méthadone, et si c’est le cas, nous lui demandons pourquoi et quels effets opiacés il a ressenti. Nous l’interrogeons sur le moment de la journée durant lequel s’est déroulée la prise de drogue, ce qui se produit fréquemment lorsque les taux sanguins de méthadone atteignent leur niveau le plus bas.
La personnalisation de la posologie de méthadone, tout comme la durée non définie du traitement, n’est pas acceptée partout. Quelques États fixent encore des plafonds pour les quantités prescrites. Une étude récente sur environ 30 structures sur une période de 10 ans a montré que les programmes où les médecins déterminaient librement la posologie de méthadone permettaient plus probablement d’administrer des posologies adéquates par rapport à des programmes où la politique publique limitait les options (D’Aunno, FolzMurphy et Lin, 1999).
Une attention aux comorbidités
Ceux qui mettent en oeuvrent les TSO aujourd’hui reconnaissent l’impact défavorable des codépendances et des comorbidités sur les progrès de leurs patients, mais, d’une façon générale, nous avons encore à élaborer des modèles applicables dans les grandes lignes pour y répondre. Étant donné que la prévalence de ces problèmes a tendance, sur le long terme, à être plus élevée, ceux-ci devraient donc être les principaux thèmes de recherche.
Malheureusement, même dans les domaines où les recherches ont prouvé l’efficacité de l’une ou l’autre approche, les financements limités interdisent à de nombreuses structures de mettre en œuvre les meilleures pratiques.
Co-dépendances
Certains centres sollicitent la participation des patients à des groupes afin de parler honnêtement leurs co-consommations, pour éviter une interruption du traitement. D’autres ne mettent pas de limites au traitement et continuent d’essayer de motiver les patients à cesser la consommation de drogues non-opiacées. Des études ont montré que les médicaments peuvent aider les patients sous méthadone à réduire leur consommation d’alcool et de cocaïne (Amantadine, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine). Dans une étude, les chercheurs ont utilisé un éthylotest pour déterminer quels types de patients étaient les plus grands consommateurs d’alcool. Ils leur ont ensuite demandé soit de prendre de l’Antabuse®, soit de changer de clinique. Tous ont consenti à prendre de l’Antabuse® (Ndlr : Disulfiram en France) et, durant les 90 jours de l’étude, aucun n’a consommé d’alcool (Bickel et al., 1988).
Quelle que soit la politique du programme, les cliniciens ont besoin de prendre en considération l’ensemble du comportement de chaque patient lorsqu’ils décident comment réagir face à poly-dépendance.
Un patient qui est franc sur sa consommation de drogues et qui souhaite arrêter ne devrait donc pas être considéré de la même manière qu’un autre qui refuse de participer aux réunions de groupes ou de suivre le traitement jusqu’à la fin. Le premier, lutte contre son craving, et fait un effort, le second, ne semble pas motivé à accepter un traitement.
Les comorbidités psychiatriques
Les programmes méthadone qui proposent des soins médico-psychologiques complets obtiennent significativement de meilleurs résultats pour leurs patients (National Institute on Drug Abuse, 1999).
Un modèle particulièrement couronné de succès est le « one-stop shopping » (guichet unique) où les patients reçoivent tous les services sur le même site (Barnett et Hui, 2000). Bien que ces principes soient bien acceptés dans le domaine, de nombreux programmes de moindre envergure manquent de ressources pour les appliquer. À la place, ces programmes adressent les patients à d’autres services en les encourageant à les suivre et, en espérant qu’ils le fassent.
Le point positif dans le contexte actuel, qui sera discuté ci-dessous, est que les médecins non spécialisés ont de plus en plus le souhait de traiter les patients toxicomanes.
Systèmes de délivrance du traitement
Les structures aujourd’hui ont commencé à faire évoluer l’ancien système d’origine de délivrance du traitement qui était rigide. En effet, il exigeait de chaque patient qu’il se présente à un centre pour recevoir sa dose quotidienne de méthadone. À New York et dans d’autres lieux, les cliniques mettent en place des systèmes progressivement flexibles et qui répondent au développement personnel des patients et aux changements de situation, tandis qu’ils progressent vers la guérison.
Un maintien médical, un nouveau contrat prometteur, permettent aux individus qui ont dépassé les phases initiales de la thérapie d’obtenir un traitement dans le cabinet d’un médecin. À l’hôpital de New York, au centre médical Cornell, par exemple, le patient voit un médecin une fois par mois, il laisse un échantillon d’urines pour vérifier sa consommation de drogues, et obtient une prescription de méthadone délivrée dans une pharmacie locale. Le patient ne choisit pas entre la réduction progressive et l’exposition démoralisante au milieu des héroïnomanes nouvellement traités.
Le contrat reconnaît que ces usagers sont parvenus à une gestion significative de leur maladie, les aide à établir des relations normales de patient à médecin et leur permet également de mettre en place un traitement qui ne contrarie pas leurs obligations professionnelles ou sociales. Le traitement opiacé en cabinet libère également des places dans un centre pour de nouveaux patients requérant des services plus structurés.
Autre modèle récent, l’approche du traitement par phase, il divise le traitement en étapes très structurées (Hoffman et Moolchan, 1994). Tous les patients participent aux trois premières : stabilisation intensive, engagement et ré-insertion. Les patients choisissent ensuite entre deux voies, avec l’aide de leur médecin : maintenance ou réduction progressive.
La phase finale est le renforcement. Les centres utilisant le modèle de traitement par phase proposent d’emblée leurs services aux personnes commençant le traitement, et qui ont un grand besoin de s’impliquer dans un système de soins efficace. Les patients y reçoivent une formation sur le VIH et l’hépatite C, les ressources extérieures fournissant des soins médicaux et des services sociaux nécessaires leur sont proposés. Le personnel travaille avec des patients pour élaborer des projets de soin qui traitent les problèmes des patients par ordre d’urgence, comme les problèmes judiciaires, psychiatriques, le logement, l’emploi et l’éducation.
Lorsque la première série de problèmes a été résolue, le personnel met en place de nouveaux services pour traiter le problème suivant le plus sérieux. Ainsi, au final, les améliorations cumulées obtenues éliminent le besoin de faire appel à la plupart des services.
Un traitement médical universel
Accueillie à l’origine avec scepticisme et suspicion, la méthadone est devenue un traitement bien établi de la dépendance à l’héroïne. Bien que les perceptions négatives et la stigmatisation persistent toujours sous une forme atténuée — et tous attendent avec impatience le jour où les TSO donneront des résultats plus rapides et à long terme — globalement, les héroïnomanes, les communautés, les responsables politiques et les chercheurs acceptent désormais que la thérapie soit essayée, soutenue et perfectionnée du fait de son efficacité prouvée.
Dans ce nouveau climat de tolérance accrue, le traitement par la méthadone est entrée dans une phase de transition évoluant d’un courant marginal vers une reconnaissance académique.
Le recul partiel de la stigmatisation
La confirmation par la recherche que l’addiction est une maladie chronique, soutenue par des exemples de rémission, a permis de tempérer la stigmatisation des patients sous méthadone ainsi que de leur traitement. L’évolution en faveur d’un concept basé sur la santé plutôt que sur un concept moral d’addiction, bien qu’encore incomplet a progressé extrêmement vite.
En effet, surtout si nous considérons que c’est seulement en 1997 que le National Institute of Health a recommandé pour la première fois avec insistance ce point de vue au corps médical.
En dépit d’une meilleure acceptabilité des traitements de substitution aux opiacés, le détournement de la méthadone et l’errance des usagers près des cliniques engendrent une attitude très négative à l’encontre des Centres de soins. Les voisins ont plutôt tendance à remarquer ceux qui traînent, ceux qui sont arrêtés ou qui nécessitent un transport en ambulance vers les urgences. Ils remarquent moins que la majorité de ceux qui entrent et sortent du centre améliorent leur existence. Les contribuables répugnent à voir leur argent entretenir des individus dépendants aux opiacés qui revendent à d’autres toxicomanes.
De même, bien qu’une enquête ait déterminé que le détournement des TSO n’était pas la première cause de la hausse récente du taux de décès liés à la méthadone (Center for Substance Abuse Treatment, 2004), les communautés craignent la potentielle létalité du médicament.
Renforcer la communication entre les structures de soins et la communauté s’est révélé une stratégie efficace pour apaiser ces préoccupations, légitimes mais exagérées. De nombreux acteurs assistent maintenant aux comités de projets, aux conseils de quartiers et autres réunions où ils peuvent entendre et répondre aux inquiétudes ou aux plaintes des communautés. Alors que les centres de soins se sont mieux intégrés dans leur communauté au cours des années, nous avons trouvé des alliés naturels dans les églises, les synagogues, les mosquées, et même les services de police et les organismes d’aide à l’enfance.
Tous partagent le devoir d’assister ceux qui sont moins bien lotis et cherchent à renforcer des messages de bon sens et de tolérance. A présent, certaines autorités locales incitent elles-mêmes les structures de soins à prendre des mesures actives pour améliorer les perceptions du public.
L’État de New York, par exemple, exige des programmes pour solliciter et aborder les préoccupations et les critiques des communautés.
Le Center for Substance Abuse Treatment (CSAT) et les réglementations d’accréditation exigent des programmes permettant de mettre en œuvre des dispositions pour faire disparaître le détournement de méthadone. Les soignants doivent savoir où se rendent leurs patients après avoir quitté le centre et, également évaluer leurs patients concernant la possibilité de détournement.
L’engagement du médecin
Le niveau d’investissement du médecin dans le traitement par la méthadone est plus élevé que jamais. Dans les premiers temps, certains programmes étaient chanceux s’ils pouvaient trouver un médecin à mi-temps ou retraité pour assurer la prescription de méthadone. À présent, nous refusons des médecins hautement qualifiés.
De nombreux médecins se sont d’abord intéressés à la méthadone à la fin des années 1980, lorsque des études ont montré que les patients traités avaient des taux inférieurs d’infection par le VIH que les injecteurs actifs d’héroïne (Blix et Gronbladh, 1988; Kreek et al., 1990; Metzger et al., 1993). Au départ, ces médecins ont abordé le traitement à la méthadone principalement comme un moyen d’enrayer l’épidémie de VIH par l’évaluation, l’éducation et le service d’aide psychologique aux injecteurs de drogues.
Par la suite, de nombreux médecins se sont pleinement engagés dans les questions autour de l’addiction notamment au travers de leur implication avec les patients et dans les programmes.
Établissement de standards
Grâce à une amélioration des opinions concernant les traitements par la méthadone, ceux-ci ne sont désormais plus contraints de justifier sans cesse leur existence. Le traitement par la méthadone a pu ainsi évolué vers un concept médical reconnu. Nous avons réalisé cet objectif avec les mêmes outils que d’autres spécialités médicales avaient utilisés pour établir et maintenir la qualité de leurs services et de leur prestige : en fixant des modèles pour la qualification du personnel et l’accréditation du programme.
À présent dans l’État de New York, dans chaque centre, 25 % du personnel impliqué dans le traitement doit être validé comme ayant une compétence en alcoolisme et abus de substance.
En 2001, le CSAT a introduit un système national d’accréditation où les programmes doivent démontrer à un organisme fédéral d’accréditation (par ex. CARF ou JCAHO) qu’ils répondent aux standards comme par exemple la durée du séjour, le nombre de patients consommant des opiacés ou d’autres drogues tout en étant sous traitement, le nombre de patients capables de trouver un emploi et de garder cet emploi et ainsi de suite…
En sélectionnant un ensemble de mesures standardisées de performances, le système d’accréditation permet au secteur d’accomplir collectivement ce que de nombreux programmes ont toujours essayé de réaliser individuellement , c’est-à-dire, collecter et analyser les informations relatives aux résultats des patients, identifier les formes de traitements ayant le plus de succès, apprendre des erreurs, et améliorer invariablement les taux de réussite.
Tandis que le nouveau système évolue, et que les programmes cherchent à obtenir l’accréditation, il faut prendre en compte les différents défis auxquels les structures font face en travaillant dans différents environnements.
Ainsi, nous ne mesurons pas le succès de la même manière pour un patient sans domicile fixe avec un passé d’incarcérations de 20 ans et un jeune en phase initiale de traitement. Nous ne pouvons attendre des programmes aidant des populations hétérogènes de patients dans des circonstances différentes qu’ils répondent aux mêmes critères pour leurs résultats.
Les ambitions pour l’avenir
Tandis que les structures continuent de progresser vers des modèles de traitement basés sur les résultats et l’intégration dans un concept propre à la médecine, nous pouvons anticiper un succès croissant dans l’aide apportée à nos patients pour relever les nombreux défis concernant leurs addictions et leurs vies. La poursuite de ces objectifs, associée à une acceptation publique et professionnelle encore plus importante de la méthadone, doivent être les priorités.
Au-delà de cela, je crois que les développements suivants pourraient faire avancer considérablement la cause :
- un médicament pour la dépendance à la cocaïne.
- l’amélioration des installations matérielles et des emplacements des structures. La situation actuelle de la plupart d’entre elles, dans des locaux exigus à l’intérieur de bâtiments en piteux état, au sein de quartiers marginaux peut rendre l’expérience du traitement difficile et intimidante. Dans l’idéal, les centres devraient avoir un local pour permettre au personnel soignant de donner des traitements en toute confidentialité, tout en ayant également des espaces plus vastes pour les réunions de groupe.
- Des outils d’évaluation standardisés plus efficaces pour les patients avec des comorbidités sérieuses, comme une poly-dépendance et une pathologie psychiatrique. L’indice de sévérité de l’addiction et autres outils existants sont utiles, mais il nous faut un ensemble de dispositifs standardisés qui soient spécifiques au traitement par la méthadone et utilisables par tous nos cliniciens, avec leurs formations universitaires diverses, pour piloter le processus de planification du traitement.
- Un effort conjoint pour informer le public sur les bénéfices du traitement à la méthadone. Un effort fédéral pour réduire la stigmatisation associée au traitement par la méthadone pourrait aider à communiquer sur la nature des addictions aux drogues et sur la raison pour laquelle la méthadone est si importante, non seulement pour les toxicomanes, mais également pour la société entière.
Remerciement : L’auteur a été soutenue par le financement du New York State Office of Alcoholism and Substance Abuse et le New York State Department oh Health, AIDS Institute.
Références
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