Résumé
Introduction
En France, une politique de réduction des risques liés à l’usage de drogues a été mise en place en 1993. Jusqu’à présent, les données françaises de prévalence du VIH et du VHC chez les usagers de drogues (UD) étaient issues de données déclaratives. En 2004, l’InVS a mis en place une enquête de séroprévalence auprès d’UD afin de décrire les profils et pratiques des UD, d’estimer la séroprévalence du VIH et du VHC et d’évaluer la politique de réduction des risques.
Méthode
Une enquête transversale multivilles (Lille, Strasbourg, Paris, Bordeaux, Marseille) a été menée chez les UD ayant sniffé ou injecté au moins une fois dans leur vie. Une stratégie d’échantillonnage a été mise en œuvre à deux degrés (services recevant les UD et UD). Un questionnaire sociocomportemental était administré par un enquêteur à l’UD et un auto-prélèvement de sang au doigt sur buvard était réalisé par l’UD. La recherche des anticorps anti-VIH et anti-VHC sur les buvards a été réalisée à l’aide de tests Elisa. Les résultats présentent des estimations qui prennent en compte le plan de sondage.
Résultats
Au total, 1462 (61%) UD ont accepté de participer. La séroprévalence du VHC était de 59,8% [IC95% : 50,7-68,3] et de 28% chez les moins de 30 ans. Au total, 27% des UD croyaient être négatifs à tort pour le VHC. La séroprévalence du VIH était de 10,8% [IC95% : 6,8-16,6] et de 0,3% chez les moins de 30 ans. La co-infection VIH/VHC était de 10,2% [95% CI : 6,3-15,9]. Durant le dernier mois, 13% des UD ont partagé leur seringue, 38% le petit matériel, et 25% la paille de snif.
Discussion
La prévalence élevée du VHC chez les jeunes UD laisse supposer des contaminations dès l’initiation. Les pratiques à risque persistent, ce qui constitue des conditions favorables à la poursuite de la transmission du VHC, mais aussi du VIH
L’ARTICLE
Contexte
En France, l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies estime entre 170 000 et 190 000 le nombre d’usagers de drogues (UD), dont un peu plus de la moitié pourraient être des injecteurs actifs.
Afin de minimiser le risque d’infections en lien avec l’usage de drogues, une politique de réduction des risques a été mise en place en France, il y a une dizaine d’années. La réduction des risques est une politique pragmatique qui propose de réduire l’ensemble des risques sociaux et sanitaires liés à l’usage de drogues en les hiérarchisant. Le premier outil de la réduction des risques est la libéralisation de la vente des seringues en pharmacie en 1987, suivie au début des années 90 des programmes d’échange de seringues, de la diffusion des traitements de substitution aux opiacés (le Subutex® en 1994 et la méthadone en 1995), et de l’accès aux soins avec la création des premiers dispositifs bas-seuil à partir de 1993 [1].
Sur un plan international, de nombreux articles et études ont montré que la réduction des risques avait eu un impact important sur la transmission du VIH chez les UD, mais que cet impact était plus limité pour le VHC [2, 3].
Jusqu’à présent, les données de prévalence du VIH et du VHC chez les UD en France étaient issues de données déclaratives et portaient sur des échantillons non aléatoires [4, 5, 6]. Aucune estimation de la prévalence du VIH et du VHC portant sur un échantillon aléatoire d’UD et s’appuyant sur des données biologiques n’était disponible en France. Il était donc difficile d’évaluer précisément l’importance de ces deux infections chez les UD et l’impact de la politique de réduction des risques.
En 2004, l’Institut de Veille Sanitaire (InVS) a mis en place, après une phase pilote [7], une enquête de séroprévalence auprès d’UD (enquête Coquelicot), soutenue par l’Agence Nationale de Recherches sur le Sida et les Hépatites virales (ANRS) et réalisée en collaboration avec l’Institut National d’études Démographiques (INED) et le Centre National de Référence (CNR) du VIH de Tours.
Les objectifs de cette étude étaient d’estimer les prévalences du VIH et du VHC chez les UD à partir de données biologiques, de décrire les caractéristiques de la population UD, leurs consommations de produits psychoactifs et leurs modalités et d’identifier leurs pratiques à risque. Il s’agissait également de contribuer à l’évaluation de la politique de réduction des risques et notamment son impact différentiel sur le VIH et le VHC chez les UD. Dans cet article, les principaux résultats de l’étude sont présentés, mais des analyses plus détaillées seront disponibles ultérieurement dans un rapport d’étude.
Matériel et méthode
Population d’étude
Les sujets inclus sont des UD volontaires ayant injecté et/ou sniffé « au moins une fois dans leur vie ». Cette enquête est multi-villes (Lille, Strasbourg, Paris, Bordeaux, Marseille) et le recrutement des UD s’est effectué, entre septembre et décembre 2004, dans l’ensemble des services issus de la chaîne thérapeutique spécifique aux UD (Centres de Soins Spécialisés pour Toxicomanes, Centres de Post-Cure, Appartements thérapeutiques, Sleep-in, Boutiques, Programmes d’Echange de Seringues, Equipes de rue) et dans des cabinets de médecins généralistes prescripteurs de traitements de substitution aux opiacés.
Echantillonnage
Un plan de sondage stratifié (villes et services/médecins) a été mis en œuvre.
Concernant les services, pour chaque ville, une base de sondage des services par demi-journée d’ouverture a été constituée. Des couples (services-demi-journée) basés sur les files actives déclarées par les services ont été tirés au sort par un sondage aléatoire simple sans remise, permettant de constituer un calendrier des visites au cours de la période d’enquête. Au sein de chaque service, les UD étaient tirés au sort de manière aléatoire, à l’exception des hébergements où tous les UD étaient interrogés.
Concernant les médecins, un sondage en grappe a été appliqué dans chaque ville. Un sondage aléatoire simple des médecins prescripteurs, avec stratification sur le volume de prescription de traitements de substitution (gros/moyens prescripteurs) a été mis en place. Puis tous les UD ont été enquêtés chez les médecins tirés au sort.
Données recueillies
Les données socio-comportementales ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire administré à l’UD par un enquêteur professionnel. Un auto-prélèvement de sang au doigt déposé sur buvard a été effectué et la recherche des anticorps anti-VIH et anti-VHC sur les buvards a été réalisée par le Centre National de Référence VIH de Tours à partir de tests Elisa.
Aspects éthiques
Pour obtenir des données de séroprévalence, des échantillons biologiques ont été recueillis auprès des UD interrogés au moyen de l’auto-prélèvement de sang au doigt sans restitution individuelle des résultats. Les investigateurs se sont donc engagés à fournir des informations aux UD, par le biais de brochures et d’affiches, sur l’intérêt de se faire dépister et prendre en charge. Les enquêteurs ont orienté les UD qui le souhaitaient vers les intervenants spécialisés afin de favoriser la démarche de dépistage. Le Comité Consultatif de Protection des Personnes dans le cadre de la Recherche Biomédicale (CCPPRB) de Créteil a émis un avis favorable avec « Bénéfice Individuel Direct ».
Analyse
Tous les résultats présentés dans cet article sont des estimations qui prennent en compte la stratégie d’échantillonnage (stratifications, degrés, poids de sondage) et portent sur la population des UD pris en charge dans les dispositifs spécialisés et chez les médecins généralistes dans les cinq villes. Un poids de sondage a été affecté à chaque UD en utilisant la méthode généralisée du partage des poids [8,9] prenant en compte les fréquentations des UD au cours de l’enquête dans tous les services participants.
L’analyse a considéré globalement l’ensemble des répondants. Des comparaisons ont ensuite été systématiquement effectuées en fonction de l’âge. Une comparaison a été effectuée selon la ville de recrutement uniquement pour les prévalences du VIH et du VHC. Ont été définis comme « jeunes UD », les individus âgés de moins de 30 ans. Ce critère de définition a scindé les UD en deux classes, ceux nés avant et après 1974.
Le choix de cette délimitation est tout d’abord lié au fait qu’il est généralement établi qu’un UD entame une démarche de soins 10 années après son initiation et que l’âge moyen de l’initiation au snif et à l’injection se situant en moyenne vers 20 ans, les premières démarches de soins s’effectuent le plus souvent à partir de 30 ans. Ensuite, ce choix s’appuie sur le fait que les UD nés après 1974 ont commencé à consommer des produits psychoactifs après la mise en place de l’ensemble des mesures de réduction des risques, soit après 1994. Cette scission en deux classes peut ainsi nous permettre de contribuer à l’évaluation de l’impact de la réduction des risques sur les prévalences du VIH et du VHC chez les UD.
Les estimations de prévalence sont présentées accompagnées de leur intervalle de confiance à 95% (IC95%) et les comparaisons ont été effectuées avec le test du chi2, avec un seuil à 5%. Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel Stata V.8.2.
Résultats
Sur 2389 UD à qui il a été proposé de participer, 1462 UD ont accepté, soit un taux de participation de 61%. Parmi eux, 79% ont accepté le prélèvement de sang au doigt. Notre population a été recrutée pour 58% dans les dispositifs bas-seuil, 31% dans les dispositifs haut-seuil et 11% chez les médecins généralistes. Parmi les non-répondants, 93% ont été contactés dans les dispositifs spécialisés et 7% chez les médecins. Il n’existe pas de différences significatives entre répondants et non-répondants concernant l’âge et le sexe.
Profil sociodémographique
La population des UD est essentiellement masculine (74% d’hommes), l’âge moyen est de 35,6 ans pour les hommes et de 34,5 ans pour les femmes.
Au moment de l’enquête, 65% d’entre eux ne travaillent pas. La majorité des UD (79%) déclare un niveau d’études secondaire, 1% dit n’avoir jamais été scolarisé, 7% s’être arrêtés en primaire et seuls 12% sont allés au-delà du baccalauréat.
Seuls 45% des UD ont un logement stable. Ainsi, 55% d’entre eux sont dans une situation d’instabilité vis-à-vis du logement, c’est-à-dire qu’ils ne vivent ni chez eux, ni chez un conjoint ou ni chez leurs parents. Et parmi ceux-ci, 19% sont confrontés à une grande précarité et vivent dans un squat ou dans la rue.
La majorité des UD (61%) ont connu un antécédent d’incarcération au cours de leur vie.
Concernant le profil sociodémographique, la seule spécificité des moins de 30 ans par rapport aux plus de 30 ans est d’avoir un niveau d’études plus élevé. Les autres marqueurs d’exclusion (précarité de l’emploi et du logement) sont similaires au reste de la population des UD.
Séroprévalences du VIH et du VHC
La séroprévalence globale du VIH est de 10,8% [IC95% : 6,8-16,6]. La séroprévalence du VHC est de 59,8% [IC95% : 50,7-68,3]. La co-infection VIH/VHC est de 10,2% [IC95% : 6,3-15,9]. La quasitotalité des UD séropositifs pour le VIH ont été également contaminés par le VHC.
La séroprévalence du VIH croît régulièrement avec l’âge : elle est quasi nulle chez les mns de 30 ans (0,3%) et atteint 17% chez les UD âgés de 35-39 ans ainsi que chez les plus de 40 ans (figure 1). La séroprévalence du VHC croît également avec l’âge : elle est déjà élevée chez les moins de 30 ans (28%) et, à 40 ans et plus, 71% des UD ont été contaminés par le VHC (figure 1).

Les données de séroprévalence portent uniquement sur les prélèvements interprétables (taille suffisamment importante de la goutte de sang prélevée).
Une analyse par année de naissance montre clairement que la diminution de la séroprévalence du VIH démarre avec la cohorte née après 1970 (soit moins de 34 ans aujourd’hui), alors que, pour le VHC, la diminution commence à être marquée pour la cohorte plus jeune de 10 années, née après 1980 (soit les moins de 24 ans) (tableau 1).

La séroprévalence du VIH diffère significativement selon la ville, variant de 1% à Lille à 32% à Marseille (p<10-4) (tableau 2). En revanche, il n’existe pas de différence statistiquement significative pour le VHC, la séroprévalence variant de 44% à Lille à 66% à Marseille (p=0,19).
Le niveau de dépistage des UD est élevé. Plus de 95% des UD déclarent avoir déjà une fois dans leur vie pour le VIH et 91% pour le VHC. Les moins de 30 ans déclarent un niveau de dépistage moins élevé pour le VIH que les UD plus âgés (89% versus 97%, p<010-3), mais la probabilité d’être dépisté au cours de la vie augmente naturellement avec l’âge. Toutefois, il n’existe pas de différence significative selon l’âge pour le dépistage du VHC.
La comparaison entre les données biologiques et déclarative séronégatifs pour le VHC à tort. Pour le VIH, les résultats déclaratifs et biologiques sont quasiment concordants, 2% des UD se déclarent négatifs à tort.
Traitement de substitution
Dans les six derniers mois, la majorité des UD (71 %) reçoivent un traitement de substitution aux opiacés, dont 57 % par Subutex® et 36 % par méthadone. Le traitement est prescrit dans le cadre d’un centre spécialisé pour 48 % des cas et par un médecin de ville pour 37 %. Une minorité d’UD (10 %) se procurent leur traitement hors cadre médical. Les moins de 30 ans se procurent plus souvent leur traitement hors cadre médical (22 % versus 7 %, p=0,01).
Consommation de produits psychoactifs et de médicaments
Dans le dernier mois, les principaux produits psychoactifs illicites consommés par les UD sont le crack (30 % des UD), la cocaïne (27 %), l’héroïne (20 %) et l’ecstasy (12 %) (figure 2). Les principaux médicaments consommés sont les benzodiazépines (40 % des UD), les hypnotiques (20 %) et les amphétamines (7 %).Même si les moins de 30 ans consomment moins fréquemment du crack que les plus de 30 ans (18 % versus 33 %, p=0,01), ils se distinguent par une consommation plus fréquente de produits stimulants et hallucinogènes. Ils consomment, en effet, plus souvent de la cocaïne (40 % versus 23 %, p<10-4), de l’ecstasy (26 % versus 8 %, p<10-4), des amphétamines (14 % versus 5 %, p<10-3), du LSD (12 % versus 1 %, p<10-4) et des hallucinogènes autres que le LSD (11 % versus 1 %, p<10-4).
Modalités de consommation
L’injection a été pratiquée par 70 % des UD au moins une fois dans leur vie. Lors de la première injection, l’âge moyen est de 20,4 ans et la première injection est réalisée par un autre UD dans 83 % des cas.
Dans le dernier mois, 40 % des UD ont eu recours à l’injection. Parmi eux, 39 % ont injecté tous les jours, 30 % au moins une fois par semaine et 31 % au moins une fois dans le mois. Les produits les plus fréquemment injectés sont les sulfates de morphine (64 %), la cocaïne (37 %) et l’héroïne (29 %). Les moins de 30 ans sont significativement plus nombreux que les plus de 30 ans à avoir pratiqué l’injection dans le dernier mois (58 % versus 35 %, p=0,007).

La quasi-totalité des UD (98 %) ont sniffé au moins une fois dans leur vie. L’âge moyen au premier sniff est de 20,1 ans. Dans le dernier mois, 37 % ont eu recours au snif. Parmi eux, 32 % ont sniffé tous les jours, 42 % au moins une fois dans la semaine et 26 % au moins une fois dans le mois. Les moins de 30 ans sont significativement plus nombreux (50 % versus 34 %, p=0,03) à avoir sniffé un produit dans le dernier mois.
Pratiques à risque vis-à-vis du VIH et du VHC
Dans le dernier mois, les pratiques à risque sont largement déclarées puisque 13 % des UD déclarent avoir partagé la seringue, 38 % le petit matériel lié à l’injection (coton, cuillère, eau) et 74 % déclarent avoir réutilisé leur seringue (ce qui peut être considéré comme une pratique à risque si un élément relatif à la préparation du produit est mis en commun). Le partage de la pipe à crack est une pratique très répandue car 73 % des UD déclarent y avoir eu recours dans le dernier mois. Les pratiques à risque liées à l’injection ou au fait de fumer du crack ne varient pas en fonction de l’âge (plus ou moins de 30 ans).
Dans le dernier mois, 25 % des UD ont partagé la paille de snif et cette pratique est plus fréquente chez les moins de 30 ans (37 % versus 20 %, p=0,03).
Le moment de l’incarcération favorise l’exposition au risque en raison de la pénurie de matériel d’injection stérile en prison. Parmi les UD ayant été incarcérés au moins une fois dans leur vie (61 %), 12 % ont eu recours à l’injection en prison dont 30 % ont partagé la seringue au cours d’une période d’incarcération.
Connaissance des risques d’exposition au VIH et au VHC
Le niveau de connaissance des UD vis-à-vis des principaux modes de transmission du VIH et du VHC est globalement élevé. En effet, les principaux modes de contamination du VIH (partage de la seringue, relations sexuelles non protégées) sont connus par 90 % des UD et ceux du VHC (partage de la seringue) sont connus par 84 % des UD. En revanche, concernant le partage du petit matériel, le niveau de connaissance diminue à 71 % pour le risque VIH et à 65 % pour le risque VHC. De plus, les moins de 30 ans ont une moins bonne connaissance des risques de transmission du VIH en lien avec le tatouage (63 % versus 75 %, p=0,02) et le piercing (63 % versus 76 %, p=0,004) que les plus de 30 ans.
Discussion-Conclusion
Une des forces de l’étude Coquelicot est qu’elle repose sur une stratégie d’échantillonnage permettant de fournir des estimations dans la population des UD pris en charge dans les dispositifs spécialisés et chez des médecins généralistes dans cinq villes en France. Une de ses faiblesses est de mal nous renseigner sur les populations d’UD dites « cachées » c’est-à-dire ne fréquentant pas les dispositifs de soins ou de prévention.
Un volet qualitatif de l’étude Coquelicot en cours actuellement [10] s’efforcera de fournir des éléments sur les profils et les pratiques de ces populations dites « cachées ».
Ainsi, globalement, les profils des UD (qui fréquentent les dispositifs spécialisés et les médecins généralistes) sont très fortement marqués par la précarité sociale. Les UD sont fréquemment sous traitement de substitution. Les produits illicites les plus couramment consommés sont des stimulants (crack et cocaïne) et la pratique d’injection est fréquente.
Malgré l’amélioration de l’accessibilité au matériel stérile, les pratiques à risque persistent tant vis-àvis de l’injection que des autres modes de consommation. Les plus jeunes UD se caractérisent par une consommation plus importante de produits illicites et en particulier de stimulants et d’hallucinogènes et ils ont également plus souvent recours à l’injection.
Pour la première fois en France, une estimation nationale des prévalences des anticorps anti-VIH et anti-VHC chez les UD (qui fréquentent les dispositifs spécialisés et les médecins généralistes) est disponible.
Elle est élevée pour le VHC (59,8 %) en comparaison à celle du VIH (10,8 %). Une analyse par année de naissance montre clairement l’impact différentiel de la politique de réduction des risques sur le VIH et le VHC entre les UD âgés de moins de 30 ans (qui ont pu bénéficier de l’ensemble des mesures de réduction des risques) et les UD plus âgés.
Dans l’étude Coquelicot, la quasi-absence de contamination par le VIH chez les moins de trente ans (0,3 %) tient sans doute à l’impact des actions et messages de réduction des risques qui ont pu se traduire par des changements de normes comportementales individuelles et collectives chez les UD.
Le discours de la réduction des risques a certainement été progressivement intériorisé et les comportements ont pu se normaliser au moins sur la question du partage de la seringue, comme l’attestent les 13 % de partage dans le dernier mois et le bon niveau de connaissance des UD concernant les risques de transmission du VIH et du VHC liés à cette pratique (plus de 90 % des UD en sont conscients). De plus, on peut supposer que les moins de 30 ans ont commencé à consommer des drogues par voie injectable après que les seringues aient été mises en vente libre en France (1987), mesure dont n’ont pas pu bénéficier les usagers les plus âgés au moment de leur initiation.
Toutefois, l’importance de la séroprévalence du VHC (28 %) chez les moins de 30 ans est particulièrement préoccupante.
Elle résulte d’une combinaison de deux facteurs, une prévalence globale beaucoup plus élevée (59,8 %) dans la population UD et une transmissibilité plus élevée du VHC comparée à celle du VIH. Comme le VIH, le VHC se transmet surtout par le partage de seringues chez les UD.
Néanmoins, le VHC se transmet plus facilement que le VIH [11].
Le virus de l’hépatite C est plus résistant à la dessiccation que le VIH. Plusieurs études ont montré que la transmission du VHC chez les UD était également liée au partage du matériel de préparation (eau, filtre, cuillère) et au fait d’injecter des drogues [12]. De ce fait, la transmission du VHC peut se produire pour un nombre d’injections et de partage plus faible que pour le VIH et peut concerner des UD n’ayant injecté qu’une seule fois dans leur vie.
Au-delà du partage de seringue, la transmission du VHC est également fortement liée au partage du petit matériel (eau, cuillère, coton).
Ainsi, dans la cohorte d’UD recrutés dans le Nord et l’Est de la France [13], après ajustement sur le partage de la seringue, le partage du coton utilisé pour la préparation de l’injection restait fortement associé à la séroconversion au VHC. Dans l’étude Coquelicot, le niveau de partage du petit matériel reste très élevé (38 %).
De plus, il ressort que 35 % des UD ignorent que le partage du petit matériel est une pratique à risque de transmission pour le VHC alors qu’il est confirmé que cette pratique est un vecteur de contamination du VHC [14].
L’importance de la séroprévalence du VHC chez les moins de 30 ans indique des contaminations rapides après le début de l’usage. Le moment de l’initiation constitue un moment particulièrement à risque pour la transmission du VHC car les jeunes UD sont souvent initiés à l’injection par des pairs plus âgés et donc probablement infectés par le VHC.
La contamination par le VHC se produit souvent au début du recours à la voie intraveineuse [15].
Dans l’étude Coquelicot, l’initiation a été réalisée par un tiers dans 83 % des cas. Étant donné la prévalence très élevée du VHC (59,8 %) dans la population UD, l’initiateur peut potentiellement être contaminé par le VHC, ne pas être conscient de sa contamination (27 % pensent être négatifs pour le VHC à tort) et constituer un vecteur de transmission par le VHC pour l’initié.
La fréquence de l’initiation à l’injection par des tiers plus âgés et la persistance des comportements à risque constituent des conditions favorables à la persistance de la transmission du VHC mais aussi du VIH, en particulier chez les plus jeunes UD.
Il semble donc important de repenser les messages de prévention à destination des UD en ciblant les évolutions de pratiques et les nouveaux publics et en prenant en compte le contexte de consommation, en insistant plus particulièrement sur la prévention du passage à l’injection, le partage du petit matériel et l’initiation à la pratique d’injection tant du côté de l’initié que de l’initiateur.
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