Introduction
La pratique des traitements de substitution a, dès son début, suscité une réflexion sur les pratiques de seuils. Les commentaires sur les premiers ‘programmes de maintenance’ à la méthadone évoquaient ces pratiques de seuil. Seuil d’exigence thérapeutique notamment.
Qu’était-on en droit d’exiger des usagers de drogues à qui on allait ‘distribuer’ de la méthadone ? Une simple venue au centre et un contact se résumant à une remise du ‘produit’, ou allait-on exiger qu’ils suivent une psychothérapie, qu’ils rencontrent fréquemment l’éducateur et/ou l’assistante sociale, ou tout autre intervenant médico-psycho-socioéducatif ? Plus précisément en France, dès les années 90, quand on parlera de traitement de substitution, des pratiques de seuil, parfois volontaires et parfaitement réfléchies, d’autres fois complètement à l’insu de ceux qui les mettent en œuvre, vont s’élaborer. Le résultat sera qu’à partir d’une seule AMM (celle de la méthadone ou du Subutex®) et d’une série de circulaires, les conditions de mise en œuvre de la substitution, en ville comme dans les structures spécialisées, vont être extrêmement diversifiées, voire aux antipodes les unes des autres. Par ailleurs, il va se dégager l’idée largement défendue par une partie du champ spécialisé que la méthadone devait être ‘haut seuil’ et le Subutex® ‘bas seuil’, participant entre autres facteurs au déséquilibre de diffusion manifeste qui s’est établi entre les deux médicaments. Mais de quoi parle-t-on exactement ?
Le seuil d’accès au médicament
En fait, c’est plus du seuil d’accès au médicament qu’il va être question que du seuil d’exigence thérapeutique. Sur ce point, entre des médecins de ville qui prescrivent le médicament le jour-même, ou qui en diffèrent sa délivrance de quelques jours, et des centres qui peuvent aller jusqu’à plusieurs semaines avant d’initier le traitement de substitution, on peut effectivement parler d’opposition de style et surtout de pratiques de seuil diverses et variées. Même si aujourd’hui, quelques centres pratiquent un seuil d’accès immédiat au médicament (1), dans la plupart des cas, les centres de soins mettent en œuvre une stratégie d’ « analyse de la demande », importée de la psychanalyse (entretiens préliminaires pour mesurer la ‘consistance’ de la demande), sans que l’on ait pu valider la pertinence de cette transposition (2). En effet, aucune étude n’établit que le fait d’attendre plusieurs semaines avant l’instauration du traitement de substitution puisse avoir une influence favorable sur le déroulement de celui-ci ni sur la qualité du suivi.
A l’inverse, on peut imaginer que cette pratique d’analyse de demande devienne une pratique de sélection, parfois non désirée par les équipes, créant ce que l’on peut qualifier de biais de recrutement. En effet, ceux qui n’auront pas la patience, les ressources ou la ‘présence d’esprit’ d’attendre, ou ceux qui ne le peuvent pas pour des raisons psychiatriques seront exclus du système de soins spécialisés et n’auront comme recours que la médecine générale. Il sera dès lors ‘un peu facile’, de porter un regard ironique sur ces médecins qui accèdent aux ‘désirs’ immédiats des patients qui n’ont pas été sélectionnés dans l’institution.
Même dans le cas de patients suivis depuis longtemps par un médecin de ville, adressés ‘entre confrères’ pour, par exemple, un passage BHD vers méthadone, on reprendra, dans certaines structures, tout à zéro, ignorant le travail initié par le médecin. Quand il ne s’agit pas d’analyse de la demande, on s’essaye souvent à rechercher, tester ou développer la motivation, avec là aussi, le risque d’idées préconçues (3). Par ailleurs, qui peut prévoir exactement ce qui va se passer dès que le patient aura son traitement ? Les constats cliniques regorgent d’expériences de transformations radicales dès les premiers jours chez des patients pour qui on n’en espérait pas tant, autant que de statu quo chez d’autres où on pensait avoir tout balisé.
Cette pratique de seuil d’accès, à l’échelle du pays (4), et en tenant compte du fait que le médecin de ville ne peut prescrire que la buprénorphine, a évidemment eu un impact non négligeable sur la diffusion comparée des 2 médicaments. Il est fréquent d’incriminer les pouvoirs publics et leurs décisions dans le déséquilibre dans l’accès entre la méthadone et la buprénorphine. Certes, les AMM respectives des 2 médicaments et les circulaires (5) qui ont accompagné leur mise sur le marché ont eu un impact non négligeable sur ce déséquilibre dans leur accès, puis dans leur diffusion. Mais elles n’ont eu en fait qu’un effet d’amplificateur sur une situation qui portait en elle le gène de ce déséquilibre. D’un côté, des médecins généralistes, dont l’acte de prescription reste essentiel dans leurs pratiques, allaient se voir confier la diffusion de la buprénorphine haut dosage. De l’autre côté, des centres de soins spécialisés qui, au début de l’histoire (1995), sont majoritairement composés de personnels qui ont été formés au principe même qu’un bon toxicomane devait être abstinent, devaient se charger de la diffusion de la méthadone, sans trop y croire.
Sans compter l’impact sur la population des usagers. Car pour justifier cette pratique de ‘haut seuil’ d’accès à la méthadone, les équipes la pratiquant mettent en avant le caractère ‘grave’ du ‘produit’, sa dangerosité, et le caractère irrémédiable de la mise sous traitement, comme une prison dont le ‘détenu sous métha’ aurait le plus grand mal à sortir. Tout ceci méritant bien qu’on y réfléchisse avant. On entend encore parfois ici et là des propos de type : « c’est bien que la méthadone soit le dernier recours » ou « après, il n’y a plus rien », tenus par des praticiens qui, par là-même, se placent dans la situation de l’ultime recours quand tout a échoué… ( ! ). Evidemment, il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur ceux qui, de bonne foi et avec beaucoup d’énergie et de cœur, ont eu à accompagner et convaincre des patients (qui avant 1995 n’intéressaient finalement que peu de monde) que l’abstinence était le seul objectif thérapeutique à proposer. Leurs pratiques, expériences, formations les incitaient à être méfiants vis-à-vis du médicament de substitution ‘méthadone’, méfiance alimentée par l’écho de quelques expériences catastrophiques à l’étranger
On comprend ainsi aisément pourquoi dans l’esprit des praticiens, équipes soignantes, patients eux-mêmes, la méthadone soit devenue dans les faits un médicament de seconde intention, lorsque la buprénorphine a échoué. Il s’agit en effet plus d’une conséquence du gradient dans l’accès au médicament (on commence par ce qui est le plus facile à obtenir), que d’une stratégie basée sur des considérations cliniques validées. Il n’existe aucune étude clinique comparative permettant de définir pour les médecins initiateurs des traitements, des critères qui les amèneraient à choisir un médicament plutôt que l’autre (on peut citer toutefois l’étude du Dr Xavier LAQUEILLE (6)). Par ailleurs, l’expérience internationale montre que la méthadone est plus souvent le médicament de première intention, quand elle n’est pas le seul disponible. Là, ce ne sont pas les pratiques de seuil qui l’ont déterminé, mais le contexte historique, souvent bien différent de ce qu’il a été en France. Le programme préparatoire (provisoire) de la D.A.S.
A Genève, l’équipe de Nelson FELDMAN à la « Division d’Abus de Substances » a mis au point un programme préparatoire avec la méthadone (7), ayant pour principe la mise sous traitement très rapide, dès lors que le diagnostic de pharmaco-dépendance aux opiacés est établi. Pendant un mois, la pertinence du traitement, l’analyse de la demande et de la motivation, l’adéquation du patient aux soins médico-psycho-sociaux, la recherche de ses besoins et de ses possibilités font l’objet de toute l’attention des soignants. La principale différence avec les ‘admissions classiques’, est que le patient est déjà en cours de traitement de substitution, et non pas dans l’attente de l’être. Cela évite l’écueil du patient avec lequel on élabore un projet de soins, et qui dans le même temps pratique un ‘mésusage’ d’opiacés (traitement de substitution acheté au marché noir ou ‘prescrit’ par des compagnons d’infortune, injectés ou sniffés, ou codéinés en vente libre, antalgiques détournés de leur usage, voire héroïne de rue).
A l’issue de cette période probatoire, le patient est orienté soit vers un sevrage, soit vers un médecin généraliste dans le cadre d’un relais, soit vers une autre institution spécialisée plus adaptée aux besoins-demandes du patient, soit encore inscrit dans le programme de ‘maintenance’ du centre. Cette modalité d’accès aux soins a fait l’objet de plusieurs évaluations présentées dans des congrès internationaux. Dans cette stratégie, il ne s’agit plus d’opposer l’accès au médicament et le seuil d’exigence thérapeutique demandé aux patients (mais aussi à l’équipe soignante). Il s’agit surtout d’éviter d’induire un biais de recrutement, qui entraîne la non-inclusion de patients qui ne veulent (peuvent) pas attendre plusieurs jours ou semaines avant d’avoir leur médicament de substitution, comme c’est souvent le cas.
Transposition dans le système français du programme provisoire
En premier lieu, il faut comparer l’offre de soins en France et en Suisse. Nos voisins ont choisi de saturer l’offre de ‘places’ méthadone pour en faciliter l’accès et réduire le temps entre le début de la consommation d’opiacés et la mise sous traitement de substitution. Cette saturation impose aux programmes méthadone d’être novateurs et attractifs pour accueillir de plus en plus tôt des usagers de drogue, dès les premiers avatars de leur dépendance. Si en France, il n’en est pas de même pour la méthadone, il n’en reste pas moins que l’offre en matière de médicament de substitution est large, de part la grande disponibilité de la buprénorphine haut dosage, disponible en théorie dans toutes les villes et les villages, dès lors qu’un médecin généraliste et/ou un pharmacien s’y trouvent installés.
D’autre part, la méthadone est aujourd’hui un médicament relativement disponible avec près de 18 000 patients traités dont plus de 10 000 en ville. Malgré les propos récurrents sur le déséquilibre méthadone/buprénorphine, ils sont moins vrais aujourd’hui qu’ils ne l’ont été, alors qu’on ne comptait que 4 à 5 000 patients traités en 1998. La circulaire de Janvier 2002 élargissant la primo-prescription de méthadone aux médecins exerçant en établissement de santé (8), et surtout la pratique croissante de relais vers la ville de patients ‘initiés’ à la méthadone en CCST ont largement contribué à faire de la méthadone une modalité de traitement plus accessible qu’elle a pu être il y a quelques années seulement (9). Par ailleurs, la codéine est toujours disponible dans les officines, et il n’étonne plus personne que des flacons de méthadone ou des comprimés de buprénorphine soient disponibles au marché noir, et donc accessibles à des usagers de drogues qui ne fréquentent pas les professionnels de santé.
On peut donc se risquer à dire que les possibilités de substitution opiacée sont nombreuses en France, et que l’offre de substances pour y parvenir est variée.
Quel serait alors l’intérêt d’ouvrir en France, des programmes ‘provisoires’ d’accès au traitement de substitution ?
1. le temps entre le début de la dépendance aux opiacées et l’accès au traitement de substitution
C’est un des paris à gagner quand il s’agit de la prise en charge des patients pharmacodépendants, quelle que soit la substance incriminée. Faire en sorte que les patients accèdent le plus tôt possible à la palette de soins médico-psycho-sociaux, avant que cette dépendance ne se traduise par trop de conséquences néfastes pour la santé des individus, et de la communauté : pathologies virales, marginalisation, état de santé physique et mentale. Il va sans dire que les modalités thérapeutiques nombreuses et variées favorisent l’accès au soin. Si globalement tout le monde est d’accord avec cela, l’unanimité n’existe pas sur les moyens pour y parvenir.
En Suisse, l’offre de places ‘héroïne’ injectable est une proposition pragmatique pour faire venir dans le système de soins, ceux qui n’y viennent pas pour la méthadone ou en échec avec cette dernière. Elle pourrait se révéler tout aussi utile en France pour ceux qui ne viennent ni à la méthadone, ni à la buprénorphine. Question : faut-il passer d’abord par une offre de places ‘méthadone’ plus généreuse que celle aujourd’hui proposée et voir alors quels sont ceux qui relèvent d’une autre alternative, ou proposer d’emblée à certains patients l’héroïne médicalisée comme une modalité d’entrée dans le soin ? Faute de débat d’experts, nul n’a de vraies réponses sur le sujet, tout juste quelques avis documentés par des pratiques ‘étrangères’.
En attendant, l’accès plus large et plus rapide à la méthadone dans le cadre de programmes provisoires géographiquement disséminés, pourrait permettre de répondre à cet objectif : un accès au soin plus précoce, pour un plus grand nombre d’usagers de drogue dépendants aux opiacés.
2. Donner (re-donner) aux pôles référents (centres de soins spécialisés et équipes hospitalières spécialisées en addictologie) une place centrale dans l’accueil, la mise en place du traitement et des modalités de prise en charge les mieux adaptées aux besoins et possibilités des patients, et leur orientation vers les autres acteurs
Ce qui, en fait, est l’essence même d’un service spécialisé, à l’instar de ce qui se fait dans la prise en charge d’autres pathologies : choix du traitement le mieux adapté, utilisation de ressources disponibles alors qu’elles ne le sont pas chez le médecin généraliste. Il peut s’agir par exemple de ressources humaines : psychologues, éducateurs, assistantes sociales, psychiatres … Il peut s’agir de modalités pharmacologiques, elles aussi non disponibles en ville, comme c’est le cas pour la méthadone.
Les médecins généralistes souhaitent-ils à tout prix obtenir la primo-presciption de méthadone ? Pas forcément. Tout au moins, ils désirent que certains de leurs patients en échec puissent en bénéficier.
Dans certains bassins de population, on peut noter une relative concurrence de points de vue entre CSST et réseaux de médecins de ville. Les programmes provisoires, vers lesquels les médecins de ville pourraient envoyer leurs patients demandeurs d’autres solutions, avec la perspective d’être en relais à l’issue du mois que dure ce programme, pourraient permettre de positionner (ou re-positionner) les CSST ou services spécialisés comme pôle ressource et pôle référent, ce qu’ils ne sont pas toujours.
3. Limiter quand elle a lieu, la durée de mésusage du traitement de substitution, notamment la pérennisation de l’injection des comprimés, et les conséquences préjudiciables de ce mésusage
Discrédit du traitement et du thérapeute, conséquences somatiques et virales, maintien dans une logique d’échec. L’accessibilité faible à une stratégie médicamenteuse alternative est à regretter dans certaines situations difficiles. Le manque d’accès au médicament ‘méthadone’ à des patients qui visiblement en ont besoin, ne profite à personne, si ceux-ci sont dans des pratiques d’injection chronique et/ou compulsive de leur traitement de substitution.
Les patients eux-mêmes en subissent les conséquences (séroconversion au VIH ou au VHC, abcès et conséquences morbides des lésions veineuses), ou absence de résultats du traitement sur les critères habituellement retenus (médico-psycho-sociaux).
Les professionnels de santé ne bénéficient pas plus de ces situations qui les épuisent, et leur font perdre confiance dans l’efficacité même partielle du traitement. Là encore, des programmes provisoires, ayant pour but de définir pour chacun le meilleur traitement et les modalités optimales qui l’accompagnent, pourraient contribuer à une efficacité globale améliorée des traitements de substitution dans leur ensemble.
Quelles pourraient en être les modalités, adaptées aux spécificités du système actuel français ?
1. Choix du médicament pendant le premier mois de traitement
Il devrait dépendre des besoins du patient, ainsi que de son attente. La position du médecin en ville devrait être prise en compte. Pense-t-il que son patient doit profiter d’un passage d’une modalité pharmacologique à une autre, ou garder le même traitement en faisant l’objet d’une redéfinition du protocole thérapeutique ? L’équipe médicale du service spécialisé pourrait-elle aussi, en fonction de son expérience, orienter le choix du médicament, sur la base de ce qu’elle appréhende en terme de ‘profils répondeurs’ à l’un ou l’autre des médicaments de substitution. Pour ceux qui n’ont pas de médicament de substitution, là-aussi, en fonction des profils répondeurs ‘suspectés’, le choix doit exister entre méthadone ou buprénorphinependant le premier mois de traitement. A l’issue du mois initial, l’équipe soignante et les patients pourraient s’orienter vers l’un des deux médicaments. Pour exemples, plusieurs cas de figures pourraient se présenter :
Exemple 1 : le patient pratique le détournement par voie IV de la buprénorphine. L’équipe soignante considère qu’il faut réapprendre la prise sublinguale, et accompagner le patient dans une délivrance quotidienne contrôlée. On sait, que pour certains patients qui ‘avalent’ le comprimé avec ce que cela entraîne en terme de perte d’efficacité, cette redécouverte d’une prise sublinguale efficace peut s’avérer utile. Dans ce cas, le médicament prescrit sera la buprénorphine.
Exemple 2 : le patient pratique le détournement par voie IV de la buprénorphine. L’équipe considère cette fois que la mise sous méthadone est plus appropriée, car elle pense que le patient relève d’un opiacé avec un profil pharmacodynamique différent. Pour certains, c’est une réponse adaptée à l’injection de buprénorphine ; le choix se portera alors sur la méthadone.
Exemples 3 et 4 : le patient est traité par méthadone depuis plusieurs mois ou années, et présente un effet indésirable mal supporté (hypersudation par exemple). Un passage à la buprénorphine est envisagé, qui sera alors le médicament choisi le premier mois. A l’inverse il peut s’agir d’intolérance à la buprénorphine, qui là aussi nécessite un changement de traitement, et dans ce cas, la méthadone sera le médicament du premier mois.
Exemple 5 : le patient est traité par buprénorphine et la réponse clinique est insuffisante sur les critères habituellement retenus (consommations, situation socioprofessionnelle, etc…). Un changement de traitement est alors proposé.
2. Choix des modalités de traitement à l’issue du programme préparatoire
En premier lieu, à l’issue de la période d’observation d’1 mois de traitement par méthadone ou buprénorphine, l’évaluation clinique pourrait aboutir à une décision de sevrage, en accord avec le patient.
Pour les autres, ceux pour qui le traitement de substitution est une modalité de traitement adapté et souhaité, plusieurs options se présenteront :
- maintien du médicament choisi initialement, car opérant
- changement du médicament choisi pour la phase initiale d’ 1 mois, avec par exemple retour au médicament antérieur, car le changement n’a pas été efficient.
et
- maintien du patient dans le programme de maintenance du centre, avec soit délivrance au centre, soit dans une pharmacie d’officine
- relais vers le médecin de ville, qui a adressé le patient au programme provisoire, ou vers un médecin choisi par le patient, et délivrance en pharmacie
- relais vers un autre centre aux conditions de suivi plus adapté au patient (pas toujours possible en dehors des grandes agglomérations), ou vers un service hospitalier à orientation ‘addictologie’
- nouvelle période d’un mois, si elle est jugée nécessaire par l’équipe, voire par le patient lui-même
Discussion et objections
On perçoit aisément l’intérêt de diffuser une pratique de ‘Programme Provisoire’ comme celle utilisée à Genève à la ‘Division d’Abus de Substances’. Un grand nombre d’usagers de drogues hésite à recourir au système de soins actuel, en raison des difficultés d’accès au traitement et des contraintes liées à la prise en charge. L’idée que l’on puisse essayer un traitement pendant un mois, et dans le même temps savoir si les modalités d’accompagnement de ce traitement sont en adéquation avec ses besoins et surtout ses possibilités, contribuerait probablement à faire entrer plus d’usagers dans le système de soins qui leur est destiné. Cette période probatoire d’1 mois aurait plus encore d’intérêt pour de nombreux médecins, notamment en ville, qui se demandent si pour leurs patients, un changement de modalités de traitement serait pertinent et efficace. Le patient doit pouvoir lui-aussi se prononcer à l’issue de cette période sur sa décision de continuer ou pas cette nouvelle modalité.
Pour les patients dépendants aux opiacés, leurs niveaux de dépendance et de tolérance, ne seraient pas modifiés par un traitement à l’essai d’une durée d’1 mois, et le cas échéant, le sevrage n’en serait pas plus compliqué ni plus difficile.
De façon similaire, dans la prise en charge de la douleur, on n’hésite pas à passer de la codéine à la morphine (certes sur une règle consensuelle des paliers de l’OMS), lorsque la réponse clinique est insuffisante, voir à revenir à la codéine lorsque la douleur régresse. On utilise aussi la stratégie dite de rotation des opioides, consistant à changer de molécule, tout autant pour diminuer les phénomènes de tolérance que pour trouver le médicament avec le rapport efficacité/tolérance le meilleur possible. Par ailleurs, hésite-t-on à changer l’hypotenseur d’un patient dont les chiffres tensionnels baissent trop ou trop peu, ou en cas d’effets secondaires ? La pratique du test thérapeutique est une pratique courante, et tester un opiacé fut-il fort chez un ‘dépendant’ à ces substances, ne présente aucun risque, si on respecte les règles consensuelles de prescription.
Quel est l’inconvénient à inscrire dans la trajectoire de patients dépendants aux opiacés, une période d’un mois au cours de laquelle, sans trop poser de condition d’accès, on évalue l’adéquation mutuelle du patient au médicament et du médicament au patient dans le cadre de la structure de soins à laquelle il s’adresse ? S’agit-il d’un échec, si à l’issue de cette période, les patients n’adhèrent pas à la suite suggérée par cet essai ? Aujourd’hui, un grand nombre d’usagers sous-estiment leur capacité à s’adapter aux conditions des centres, faute d’avoir tenté la démarche. Dans le même temps, certaines équipes sur-estiment probablement la capacité de certains usagers à s’adapter à leurs ‘seuils’, et ce faisant, se privent d’un recrutement potentiel de patients en situation théorique de demande de soins.
Dans le cadre d’admissions classiques avec des délais longs, n’est-il pas contre-productif, à un moment où on élabore un projet de soins avec un patient dépendant aux opiacés, en lui refusant l’accès rapide au médicament de substitution, de le laisser soit dans un mésusage persistant de son médicament de substitution, soit dans un recours au marché noir d’opiacés illicites ou de médicament détournés ?
Par ailleurs, il est certainement aussi difficile d’annoncer à un candidat à l’entrée d’un programme de substitution, après analyse de sa demande et de sa motivation, qu’il n’est pas retenu dans le protocole de soins,…, que de lui expliquer au bout d’un mois en ‘situation réelle’ de soins, que le cadre et le médicament qu’il est venu chercher ne sont pas adaptés à sa demande ou peu compatibles avec sa situation médico-psycho-sociale.
Et enfin, il n’est certainement pas plus chronophage de pratiquer ces programmes préparatoires, où l’élaboration du projet de soins et l’analyse de la pertinence de la demande se font alors que le patient est correctement substitué, que de mobiliser des équipes sur cela, comme préalable à la mise sous traitement de substitution. Dans le second cas, cela se fera parfois dans une atmosphère plus tendue et avec des patients en état de manque plus ou moins bien contrôlé par une auto-substitution.
Utilisé à l’échelle d’un pays, il pourrait contribuer à dé-stigmatiser les médicaments de substitution, et plus encore le dispositif spécialisé. Car si on évoque régulièrement la stigmatisation des ‘toxicomanes’ par le grand public, on peut tout autant parler de la stigmatisation de ce dispositif spécialisé par ceux à qui il est destiné.
Ce programme préparatoire nous paraît tout autant approprié à ceux qui, notamment dans le cadre de co-morbidités psychiatriques, sont peu enclins à formuler une demande élaborée, qu’à ceux qui, insérés et sans conséquences morbides sévères de leur toxicomanie, ne s’inscrivent pas forcément dans la logique de maintenance à long terme des équipes des centres. Pour ces derniers, souvent suivis pas des médecins en ville, le programme provisoire permettrait de tester une autre modalité de suivi, avant de retourner auprès des praticiens habituels.
Notes :
- (1) C’est le cas notamment, des Bus MDM Paris et Marseille, mais aussi d’un certain nombre de centres de toutes ‘origines’ confondues ( Le trait d’union Boulogne, Le centre Baudelaire Metz, Ste-Marguerite Marseille…). 2
- (2) Seuils, analyse de la demande et pratique de sélection. J-P. JACQUES, Flyer 6, Déc. 2001 et dans ce numéro
- (3) La motivation au changement dans le traitement des patients pharmaco-dépendants aux opiacé : Mythes et réalités. V. ROSSIGNOL, Flyer 14, Déc. 2003.
- (4) L’accès à la méthadone en France, bilan et recommandations, M-J AUGE-CAUMON, W. LOWENSTEIN, J-F BLOCH-LAINE, A. MOREL.
- (5) circulaire DGS/SP3/95 n°29 du 31/03/95 relative au traitement de substitution pour les toxicomanes dépendants aux opiacés.
- (6) Facteurs prédictifs de la réponse à la buprénorphine en traitement substitutif des héroïnomanes. X. LAQUEILLE et al. La Presse Médicale. Nov 2001/30, n° 32.
- (7) Le programme préparatoire avec la méthadone. N. FELDMAN, Flyer 11, Janv. 2003
- (8) Circulaire DGS/DHOS n° 2002/57 du 30 Janvier 2002 relative à la prescription de la méthadone pour les médecins exerçant en établissement de santé, dans le cadre de l’initialisation d’un traitement de substitution pour les toxicomanes dépendants majeurs aux opiacés.
- (9) En début 2000, 8 000 patients recevaient un traitement par la méthadone, dont 2 000 en ville