Les soignants des CDAG constatent que de nombreux jeunes viennent faire un dépistage après avoir adopté des conduites sexuelles à risques alors qu’ils étaient sous l’emprise de substances psychoactives. Nombreux sont les motifs de dépistage avancés par les consultants, qui renvoient à l’oubli, à l’euphorie, à une désinhibition exacerbée … conséquences d’une consommation de substances psychoactives.
« Je me suis réveillé le matin, et trou noir, je ne savais même pas le nom de la fille qui dormait à côté de moi », « J’avais pas mal bu, il y avait de la cocaïne, franchement, comment voulez-vous que je pense au préservatif, déjà en temps normal … »
Un constat précisé par plusieurs enquêtes à visée épidémiologique
Plusieurs enquêtes ont été menées sur les CDAG de 2 CHU parisiens : les CHU Ambroise Paré et Bichat – Claude Bernard. Les 2 CHU drainent une population très hétérogène et jeune (moyenne d’âge 27 ans). Sur les 2 CDAG, les hommes sont plus nombreux à consulter que les femmes. Durant les enquêtes, il était systématiquement joint au questionnaire médical de dépistage habituellement rempli par le consultant, un questionnaire bref, l’ADOSPA [1] (cf. annexes), permettant d’évaluer le type d’usage de substances psychoactives (usage simple, usage à risque, usage nocif).
Enquêtes menées sur le CDAG du CHU A. Paré :
- Enquête de Dupont C. & al. (2007) [2] : L’enquête a été réalisée sur un échantillon de 229 consultants, pendant 6 semaines (le CDAG étant ouvert une soirée par semaine pendant 3h30). Les résultats montrent que 38% des consultants présentent un usage potentiellement problématique de substances psychoactives.
- Enquête de Goutte S. & al. (2008) [3] : L’enquête a été réalisée sur un échantillon de 253 consultants, pendant 10 semaines (le CDAG étant ouvert une soirée par semaine pendant 3h30).
Fréquence et typologie des usages de substances psychoactives

37,2% de la population présente un usage potentiellement problématique (usage nocif + usage à risque) de substances psychoactives.
Enquête menée sur le CDAG du CHU Bichat – Claude Bernard (en partenariat avec l’ECIMUD Bichat – Claude Bernard) (2008) :
L’enquête a été réalisée sur un échantillon de 656 consultants, pendant 10 semaines (le CDAG étant ouvert tous les jours, 27h30 par semaine).
Spécificités de l’enquête
Au questionnaire ADOSPA, ont été ajoutés :
- le questionnaire DETA [4] (cf. annexes) pour évaluer spécifiquement la consommation d’alcool et permettre une exploration séparée de la consommation des autres substances psychoactives. Il était alors précisé dans la consigne que l’ADOSPA portait sur la consommation de substances psychoactives hors alcool.
- un item explorant les drogues consommées sur les 3 derniers mois
Fréquence et typologie des usages de substances psychoactives (hors alcool)

153 personnes soit 23,33% de la population des consultants, présentent une consommation de substances psychoactives (hors alcool) potentiellement problématique (usage à risque + usage nocif).
Fréquence et typologie des usages d’alcool

112 personnes soit 17,07% de la population des consultants, présentent une consommation d’alcool potentiellement problématique (score > ou égal à 2).
Fréquence des usages problématiques de substances psychoactives (alcool + autres substances)
Soulignons que parmi la population repérée comme ayant un usage à risque de substances psychoactives (hors alcool), 75,47% ne présentent pas un score problématique au DETA.
Parmi la population repérée comme ayant un usage nocif de substances psychoactives (hors alcool), 63% ne présentent pas un score problématique au DETA. 55,36 % des personnes ayant un score problématique au DETA n’ont pas de score problématique à l’ADOSPA.
Si l’on ajoute les pourcentages d’usages problématiques à l’ADOSPA et d’usages problématiques au DETA uniquement (sans ADOSPA problématique associé, soit 55,36% des personnes présentant un usage d’alcool problématique au DETA, soit 9,45% de la population générale des consultants), on totalise un score général d’usage problématique de substances psychoactives (alcool et autres substances confondues) de 32,78%.
Substances psychoactives (hors alcool) consommées dans les 3 derniers mois

Analyse des résultats
D’une manière générale, la consommation de substances psychoactives de la population des consultants du CDAG est nettement supérieure aux statistiques nationales sur la population générale et sur la population des 15-39 ans.
Pour exemples de comparaisons avec la population générale, selon les données OFDT (2007) [5] :
- On dénombre en France 26,9% d’expérimentateurs de cannabis, sur le CDAG 35,67% de la population déclare avoir consommé du cannabis dans les 3 derniers mois.
- 1% de la population française des 15-39 ans dit avoir consommé de la cocaïne dans l’année, contre 7,47% des consultants du CDAG dans les 3 derniers mois.
- Dans le même sens, 0,2% de la population française des 15-39 ans déclare avoir consommé de la cocaïne dans l’année, contre 0,61% parmi la population des consultants du CDAG sur les 3 derniers mois.
- Concernant la consommation d’ecstasy, 0,9% des 15-39 ans affirment en avoir consommé dans l’année contre 2,59% pour la population des consultants du CDAG interrogés sur leur consommation des 3 derniers mois.
- Enfin, pour la consommation d’alcool, toujours selon l’OFDT, 9,4 % de la population générale présenterait des signes d’usages d’alcool potentiellement problématiques, avec un score supérieur ou égal à 2 au DETA contre 17,07% de la population des consultants du CDAG.
Les différentes enquêtes dont les résultats en termes d’usages problématiques de substances psychoactives sont du même ordre de grandeur (38%, 37,2% et 32,78%) et confirment que la population des consultants des CDAG est une population cible particulièrement à risque. Ces enquêtes appuient et précisent le constat initial des soignants des CDAG et témoignent de l’importance de réfléchir à des réponses adaptées.
Le dispositif mis en place, en réponse, sur le CDAG du CHU A. Paré en partenariat avec le CSST Trait d’Union (92)
Description du dispositif : Mise en place d’une consultation de proximité
Dans un premier temps, il avait été décidé de communiquer à tous les consultants présentant un risque d’usage problématique de substances psychoactives, les coordonnées du CSST partenaire de l’action, Le Trait d’Union, installé non loin de l’hôpital, mais aucun n’a pris contact avec ce centre de soins par la suite.
Devant ce décalage entre des besoins potentiellement importants d’une population à risque élevé pour plus d’un quart et l’absence de démarche de consultation, il a été décidé d’expérimenter un nouveau dispositif.
Une consultation avancée du Trait d’Union, a été mise en place, directement sur le lieu du dépistage et pendant l’ouverture du CDAG. Une proposition d’orientation vers cette consultation est faite lors des entretiens de pré-dépistage et de rendus des sérologies, par les médecins, à toute personne présentant un usage problématique de substances psychoactives à l’ADOSPA.
L’objectif principal de cette consultation de proximité est de proposer un entretien clinique unique, qui permette au consultant d’engager une réflexion active sur ses consommations et un retour sur soi. La facilitation de l’accès au soin dans un relais avec le CSTT, pour les consultants qui le souhaitent et le nécessitent, reste l’un des objectifs mais n’est pas l’objectif premier.
Un dispositif d’intervention précoce
Le dispositif mis en place s’inscrit dans une stratégie d’intervention précoce (Morel A., 2006) [6] : il s’adresse à une population qui ne relève plus de la prévention classique, et ne relève pas encore (ne relèvera peut-être jamais) du soin, dans la mesure où elle tire encore d’importants bénéfices d’une consommation déjà à risque voire nocive. Articulé autour d’une première phase de repérage précoce et massif, utilisé pour augmenter la motivation au changement, le dispositif mis en place s’inscrit dans le protocole de dépistage et vise un ajustement toujours au plus près, de la population cible.
Quelques éléments d’évaluation du dispositif
Une première expérimentation sur 10 semaines
Les débuts de la mise en place du dispositif ont été difficiles : les 3 premières semaines d’expérimentation, aucun consultant du CDAG ne souhaitait être orienté vers la consultation de proximité.
Une réflexion s’est donc amorcée avec l’équipe du CDAG et a mis en évidence la nécessité de repréciser les objectifs de l’expérimentation en termes d’intervention brève, et non en termes de « soins », et de travailler la question de l’orientation, tournant du dispositif, moment où l’on passe d’une action de prévention collective à une rencontre individuelle.
Une réflexion s’est alors ouverte sur le positionnement du soignant lors de l’orientation, et la manière d’effectuer un rendu du questionnaire ADOSPA qui ne fige pas le patient dans une situation dont la seule issue serait le soin, mais lui laisse la possibilité d’une réflexion et d’être acteur de sa prévention.
Le bilan final de ses dix premières semaines d’expérimentation s’est par la suite révélé encourageant puisque 27% des personnes présentant un usage nocif de substances psychoactives ont souhaité être orientées sur la consultation, le taux d’orientation augmentant avec la nocivité de l’usage (jusqu’à 66,7% pour les patients ayant le score maximal à l’ADOSPA).
Poursuite de l’expérimentation sur 10 mois
L’expérimentation du dispositif s’est ensuite poursuivie pendant 10 mois. Pendant cette seconde phase d’expérimentation, plus d’une centaine de consultants ont été reçus sur la consultation (à raison d’une plage de 3h30 d’ouverture hebdomadaire du CDAG).
Zoom sur les enjeux de l’entretien clinique proposé sur la consultation de proximité
Dans le dispositif mis en place sur le CDAG A. Paré, la permanence du CSST Trait d’Union est assurée par un intervenant psychologue de formation.
Si certains des entretiens réalisés font uniquement l’objet d’une évaluation de la consommation dans une perspective motivationnelle, nombreux sont les entretiens qui se décentrent très vite de la seule consommation et vont s’étendre au contexte de vie du consultant, à son mode de relation au monde.
La rencontre avec le clinicien proposée sur la consultation de proximité, s’avère être pour la majorité des consultants, la première occasion de parler de leur monde interne, de leurs affects, de leurs pensées, sans être jugés selon des critères moraux ou éthiques. Cette relation nouvelle peut entraîner une mobilisation psychique rapide et mettre en avant la nécessité pour le consultant de clarifier ses difficultés, de les énoncer, de les délimiter et parfois d’entrevoir leur origine psychique.
D’une façon générale, les patients se saisissent de l’espace proposé sur la consultation de proximité. Le sujet qui arrive à l’entretien et se place, par habitude, dans la situation de recevoir passivement un avis expert ou des mises en garde sur sa consommation, se trouve surpris, responsabilisé, abandonne progressivement son attitude défensive et amène son expérience. L’échange devient possible et un questionnement peut s’ouvrir.
Conclusion : le CDAG, un lieu propice à l’intervention précoce
Les différents résultats évoqués témoignent de la possibilité de créer une rencontre avec les usagers, sur le CDAG.
Au-delà des chiffres, il est intéressant de considérer la spécificité du lieu CDAG, qui fait écho avec la philosophie de l’intervention précoce :
Les consultants qui décident d’engager une démarche de dépistage dans un CDAG sont dans une démarche vers la santé, ils font le choix de venir dans un centre hospitalier – mais sans trop s’engager : « AG : Anonyme et Gratuit ».
L’atmosphère particulière du CDAG, souvent calme sur un fond musical discret, donne l’impression que quelque chose vient se symboliser (certains viennent en couple sceller une nouvelle étape de leur vie à deux, d’autres prendre un nouveau départ ou mettre une histoire dans le passé …).
Le protocole de dépistage dans une certaine ritualisation, rythmé par plusieurs passages en salle d’attente, permet que la démarche s’inscrive dans une temporalité propice à l’autoréflexion. Le consultant est, lors de sa démarche de dépistage, en mouvement physique et psychique. Un mouvement psychique qui peut se déployer d’autant plus dans l’entretien clinique, unique, proposé sur la consultation de proximité.
Pour conclure, le « succès » de cette consultation de proximité légitime d’une part, le développement de réseaux intracommunautaires (Morel, 2006) [6] menant des actions de proximité coordonnées et souples et témoigne d’autre part, de l’importance, dans une perspective de prévention globale, d’inscrire la démarche de dépistage dans une temporalité propice à la création d’une véritable rencontre avec le consultant.
Bibliographie
- [1] Karila L., Legleye S., Beck F., Corruble E., Falissard M., Reynaud M.Validation d’un questionnaire de repérage de l’usage nocif d’alcool et de cannabis dans la population générale : le CRAFFT-ADOSPA. La presse médicale 2007 ; 36 (4) : 582-590.
- [2] Dupont C., Daneluzzi V., Maitre E., Olivier C., Leporier J., Peime V., Stheneur C., Morel A, Rouveix E. Repérage des conduites addictives chez les adolescents et les adultes jeunes : expérience pilote auprès des consultants du Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit (CDAG) d’un CHU parisien. Alcoologie Addictologie 2007 ; 29 (3) : 217-300
- [3] Goutte S., Morel A., Dupont C. et al. Usagers de substances psychoactives. Expérience d’intervention précoce dans un Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit. Alcoologie Addictologie 2008 ; 30 (4) : 371-377
- [4] Malet L., Llorca P.M., Reynaud M. Intérêt de l’utilisation systématique à l’hôpital d’un questionnaire de dépistage en alcoologie : le questionnaire DETA (diminuer, entourage, trop, alcool). La Presse médicale 2005; 34 (7) : 502-505
- [5] OFDT. Drogues, chiffres clés. 2007.
- [6] Morel A. Adolescents et usage de cannabis : plaidoyer pour une intervention précoce. La santé de l’homme 2006 ; 386 : 32-34
Annexes
ADOSPA

DETA
