Juin 2020 !
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a décidé mercredi 17 juin la suspension de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du traitement de l’alcoolisme Baclocur, mis sur le marché à grand bruit le 15 juin 2020.
Le journal Le Parisien avait notamment annoncé dès les premières heures cette commercialisation, ainsi que le Magazine La Croix, puis beaucoup d’autres dans la foulée.
Puis, dès le mercredi soir, l’annonce de la suspension de la commercialisation, par le Parisien.
Cette décision fait suite à un recours déposé contre l’AMM de Baclocur, par les associations Collectif Baclohelp et Aubes.
« Elles estiment que la limitation imposée par l’AMM, obtenue au niveau national en octobre 2018, d’une dose maximale de 80 mg/j de baclofène « porte atteinte au droit et à l’accès aux soins » et instaure une « rupture d’égalité en excluant de manière délibérée une catégorie de patients » bénéficiant dans le cadre de RTU de posologies supérieures et avec un remboursement » a-t-on pu lire dans une dépêche APM dès le 18 juin.
Remboursement qui allait être remis en cause dans le cadre de l’AMM de Baclocur et de sa commercialisation.
En juillet 2019, le Conseil d’Etat, devant lequel des associations avaient déposé un recours, s’était déclaré incompétent et avait renvoyé l’affaire devant un tribunal administratif.
Cette procédure n’est donc pas nouvelle. La nouveauté, c’est le référé auprès du tribunal administratif déposé début juin à l’annonce de la mise sur le marché prochaine de Baclocur, qui allait mettre de facto fin à la RTU pour l’utilisation de baclofène Zentiva et Liorésal.
Dans ces conditions, l’autorisation de mise sur le marché a été regardée comme portant atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à la situation des patients nécessitant un dosage supérieur à 80 mg, jusqu’alors (plus ou moins bien) remboursés dans le cadre de la RTU.
De nombreux professionnels avaient regretté l’octroi d’une AMM pour Baclocur en octobre 2018, avec une posologie limitée à 80 mg/jour.
Voir : E-dito du Flyer n°26, Décembre 2019, Baclofène, qui a obtenu l’AMM de Baclocur© ? Comment évaluer l’efficacité du médicament ?
Cette suspension de commercialisation de Baclocur entraîne donc la remise en vigueur automatique de la RTU du baclofène dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance.
L’ANSM a annoncé dès le jeudi 18 juin qu’elle allait saisir le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation contre cette décision. Elle a précisé que les lots de Baclocur 10 mg, 20 mg et 40 mg (disponibles dans le circuit pharmaceutique) allaient être rappelés, mais pas Baclocur 30 mg, et que le baclofène (10 mg) était toujours disponible dans le cadre de la RTU.
Le laboratoire Ethypharm n’a pas commenté cette décision de justice mais, contacté par nos soins, a souligné qu’il retirait provisoirement l’ensemble de la gamme Baclocur, 30 mg inclus, dans l’attente d’une nouvelle décision de justice.
Il est apparu très vite incompréhensible pour beaucoup de cliniciens que la firme ait retiré également le 30 mg qui n’était pas concerné par la décision de justice. La mise à disposition de ce dosage était très utile pour nos patients. Les comprimés étant sécables, nous pouvions disposer ainsi d’une gamme presque complète de 10 mg (Zentiva), 15 mg et 30 mg (Baclocur), toujours plus intéressant que de disposer des seuls comprimés de 10 mg. En outre l’annonce de la mise à disposition de Baclocur le 15 juin, largement relayée par la presse régionale et nationale, avait suscité des nouvelles demandes de soin qui auraient pu profiter à l’implantation et à la renommée du médicament et surtout à nos patients. Les explications de la firme sur le retrait de l’ensemble de la gamme, « pour des raisons de cohérence » et « dans l’attente d’une décision de justice » ne nous ont pas convaincus.
Pourquoi s’est-elle volontairement privée d’une telle fenêtre de tir ? Les firmes prennent parfois des décisions qu’il est très difficile de comprendre, éloignées des besoins des patients et, au final, de leur propres intérêts. Là-encore, si la firme devait aller en justice contre la décision de suspension de ses propres AMM, elle le ferait contre l’intérêt des patients et, à moyen terme, contre ses intérêts.
Par ailleurs, comme beaucoup, nous avions été étonnés par la mise sur le marché à la mi-juin 2020 d’un médicament, dont l’initiation et la recherche de la posologie la plus adéquate pouvait mettre plusieurs semaines, c’est-à-dire survenir en plein été.
Quant à la limitation à 80 mg/jour, elle nous paraît, depuis la décision prise au cours de la RTU, être une perte de chance pour de nombreux patients, comme cet article en fait état quelques semaines avant le lancement express de Baclocur qui n’aura duré que 3 jours.
Voir : Lançon et al. Baclofène, comment faire en pratique ? Eviter les pièges de l’AMM ! Pour qui, comment ?, le Flyer n° 78 (Sept. 2020)
Sans compter l’impact financier pour les patients dont le passage de baclofène à Baclocur à une posologie supérieure à 80 mg/jour devenait problématique (plus de remboursement au-delà de 80 mg sauf protocole de soins, alors qu’il était possible dans le cadre de la RTU), d’où la décision de suspension de l’AMM de Baclocur prise par le tribunal.
Il est aussi surprenant que certains aient pu naïvement penser que des patients traités avec succès avec le baclofène à 120 mg ou plus, allaient pouvoir en quelques semaines, redescendre à une posologie inférieure ou égale à 80 mg/jour !
- Un peu comme s’il suffisait d’une décision administrative, prise sur la base d’une étude très contestable sur des données de remboursement, pour mettre tout le monde à la même posologie au mépris des évidences cliniques….
- Un peu comme si tous les patients à plus de 80 mg/jour étaient devenus abuseurs dépendants au fil du temps et qu’il fallait les ramener à la raison, sans aucune raison médicale pertinente…
- Un peu comme si les médecins qui, en collaboration étroite avec leurs patients, cherchaient à trouver la posologie adaptée à chacun, n’avaient rien compris à la notion de traitement sur mesure pour obtenir un contrôle de la consommation…
- Un peu comme si cette décision administrative (celle de limiter la posologie dans le cadre de la RTU puis dans l’AMM) s’était faite au mépris des connaissances en matière d’utilisation du baclofène et des concepts addictologiques basiques, notamment pour des traitements agonistes [buprénorphine, méthadone, nicotine].
À nouveau, le plus regrettable dans cette histoire est que nous avions vu revenir dans nos consultations des patients avec des problèmes en lien avec l’alcool dès le jour de l’annonce de la commercialisation de Baclocur…
Que des médecins nous avaient contactés pour leur fournir nos fiches patients, disant que désormais, avec une AMM, ils allaient utiliser le baclofène, ce dont ils s’étaient privés auparavant dans le cadre de la RTU…
Que d’occasions ratées pour faire entrer dans le soin des patients en difficulté avec l’alcool !
La responsabilité ne repose plus sur les épaules des anti-baclofène de service, devenus une espèce en voie de disparition. Elle repose sur la firme et sur les Autorités de Santé.
- Pourquoi passe-t-on à côté d’une solution (il y en a peu d’autres) de faire entrer dans le soin des milliers de patients en difficulté avec l’alcool ?
- Pourquoi la solution d’une posologie limitée à 80 mg en médecine de ville avec possibilité de l’augmenter avec le concours d’un médecin de CSAPA ou d’un service spécialisé, n’a-t-elle pas été étudiée ? N’était-ce pas ce qu’aurait dû proposer la firme, au lieu d’accepter une AMM au rabais ? Ou, si elle l’a fait, ce qu’aurait dû accepter (ou proposer) l’ANSM ? Ce n’est certes pas la meilleure des solutions, mais peut-être une parmi d’autres pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons…
- Pourquoi le Ministre de la Santé est resté muet sur le sujet, laissant les administrations se refiler le bébé jusqu’à l’obtention d’un remboursement à 15 % pour une pathologie aussi lourde qui tue chaque année 41 000 de nos concitoyens ? Et ce, quel que soit le dossier ‘baclofène’ présenté, mal ficelé on l’a compris… (voir le Blog de J-Y Nau, 11/12/2019, Alcoolisme: Agnès Buzyn va-t-elle, royalement, rembourser le baclofène à hauteur de … 15% ?)
- Pour quelle raison la firme s’est privée de l’opportunité de mettre sur le marché le médicament Baclocur dosé à 30 mg (donc aussi 2 fois 15) ?
Que va-t-il désormais se passer ?
La suspension de l’AMM va-t-elle être elle-même suspendue avec un retour de Baclocur limité à 80 mg et tous les problèmes que cela pose pour des milliers de patients ? On imagine mal aucune juridiction trancher dans une telle direction au détriment des patients.
L’ANSM va-t-elle reconsidérer la posologie maximale à 80 mg en cherchant avec les experts une solution permettant la mise sur le marché de Baclocur avec un rapport bénéfices/risques acceptable et tenant compte du poids considérable de la maladie ? Le relais vers un médecin de CSAPA ou de service spécialisé pour des posologies efficaces supérieures à 80 mg par exemple. Solution certes imparfaite mais qui permettrait une utilisation du médicament dans les meilleures conditions d’efficacité et un remboursement pour le plus grand nombre. Auquel cas, il faudra encore des mois…
Y a-t-il quelqu’un au Ministère de la Santé susceptible d’avoir une vision holistique de ce sujet et de mettre un peu d’huile dans les rouages pour sortir de cet imbroglio juridico-médico-pharmaceutique, dont les premiers à souffrir sont les patients en difficulté avec l’alcool ?
Et enfin, où est l’intérêt des patients dans les décisions prises par les différents acteurs de ce dossier, de la firme aux Autorités de Santé, en passant par le collectif Baclohelp qui, tout en ayant eu gain de cause auprès du Tribunal Administratif, n’est pas assuré de remporter son combat, même s’il est légitime sur plusieurs aspects.
À la date de la publication de cet article, la seule chose que nous savons est qu’un recours a été déposé auprès du Conseil d’Etat, par l’ANSM et la firme. Aucune date ne nous a été communiquée…
Nous avons aussi appris que le laboratoire Zentiva avait lui-aussi intenté une action en justice pour pouvoir continuer à vendre leur baclofène générique 10 mg dans le cadre d’une RTU prolongée, en parallèle avec la commercialisation de Baclocur. Toujours au profit des patients, bien sûr !
Et que, par ailleurs, il avait demandé une AMM pour son générique, probablement pour garder la manne financière que représentent les ventes de son médicament qui auraient pu souffrir de la mise sur le marché de Baclocur.
Peut-être des nouvelles en fin d’année !
La saga baclofène continue.