Au cours des traitements de substitution, on observe parfois des prises de poids importantes et rapides, souvent déclarées comme un effet secondaire du médicament de substitution. C’est le cas en particulier avec la méthadone. La littérature scientifique, notamment au niveau de la clinique, nous renseigne très insuffisamment sur ces prises de poids.
Quelques idées reçues
Il est courant dans une population de patients usagers de drogue d’attribuer toute perturbation ou ‘effet indésirable’ au ‘produit’, plus qu’à leurs comportements alimentaires. Concernant la prise de poids excessive, les patients substitués imputent assez facilement celle-ci à la méthadone, plus qu’à leur alimentation ou à leur sédentarité. Les équipes soignantes habituées depuis de longues années aux échanges avec les usagers de drogue, où le produit est rendu responsable de tous les maux, savent faire la part des choses.
Ils suscitent alors un questionnement chez l’usager pour établir la part qui revient à leurs habitudes alimentaires, leurs consommations annexes et, globalement, leur hygiène de vie. La présentation sirop de la méthadone incite elle aussi à penser que le médicament peut être responsable des prises de poids. Or, la ration calorique de chaque flacon unidose qui varie de 11 kcal à 45 kcal, ne peut suffire à expliquer les prises de poids que l’on relate sous méthadone.
Concernant le comportement alimentaire des patients sous méthadone, il existe une enquête australienne (1) menée auprès d’un groupe de 86 femmes suivant un traitement de substitution par la méthadone. Elle établit que celles-ci ont un apport calorique peu élevé, provenant principalement de sucres rapides, consommés plusieurs fois dans la journée (environ 6 repas par jour). A l’inverse, l’apport calorique provenant de sucres lents, ainsi que l’apport de fibres est insuffisant, ce qui conduit en réalité à un déséquilibre nutritionnel préjudiciable. Mais leur indice de masse corporelle est normal.
Alors, y a-t-il vraiment une prise de poids avec la méthadone ?
Ou s’agit-il d’une idée reçue ?
Et si elle existe, à quoi est-elle imputable ?
Prises de poids et amélioration du statut nutritionnel
En premier lieu, il faut définir ce que l’on peut qualifier de ‘prise de poids’. On peut distinguer schématiquement (ou superposer) :
- 1. Les prises de poids qui relèvent d’une amélioration du statut nutritionnel profitable à la santé du patient : celles-ci ont fait l’objet d’une étude tchèque (2) qui objective une augmentation du poids, mais surtout du statut nutritionnel, par l’amélioration significative du taux de pré-albumine, marqueur spécifique de l’amélioration du statut protéique. Ce résultat s’inscrit dans le sens des observations de tous les soignants qui assurent la prise en charge des usagers de drogue. Lorsque ceux-ci passent du statut d’héroïnomanes, marginalisés, et ‘nourris’ principalement de ‘produits’ illicites, à celui de patients suivis médicalement, entourés de soins psycho-sociaux, il n’est pas rare d’assister à des prises de poids, souhaitées par le patient et ses soignants. Mais il est intéressant de noter que cette étude ne va pas dans le sens de l’étude australienne qui objectivait un déséquilibre nutritionnel. Il s’agit donc de données contradictoires qui méritent d’être soulignées et approfondies…
- 2. Les prises de poids qui pourraient relever de la ‘récupération’ de la courbe de poids théorique : peu d’individus font le même poids à 17 et 30 ans. De ce fait, l’entrée en toxicomanie à l’adolescence et pour une dizaine d’années ou plus, a souvent pour conséquence un maintien du poids stable jusqu’au moment de la sortie de la période d’usage actif. En quelques mois, le patient va prendre les quelques kilos qu’il aurait pris en plusieurs années.
Dans le cas (théorique) ci-dessous, un patient substitué à l’âge de 29 ans, et qui est resté à son poids d’adolescent pendant sa période d’héroïnomanie, peut potentiellement récupérer une partie du poids qu’il aurait ‘normalement’ pris dans un mode de vie moins marginalisé.
- 3. Les prises de poids explicables par des facteurs associés : c’est le cas notamment lors des co-morbidités psychiatriques, traitées par des médicaments psychotropes comme les neuroleptiques et les anti-dépresseurs, dont on sait qu’ils peuvent avoir un impact sur l’appétit ou la prise de poids. Par ailleurs, la dépression non traitée, et plus généralement l’ennui, sont des situations classiques de compensation alimentaire.
Les consommations annexes, comme le cannabis, puissant orexigène, pour lequel ses utilisateurs décrivent un effet vide-frigo. Les consommations d’alcool, souvent importantes, et à ce titre représentant un apport calorique considérable. Il est à cet égard assez singulier d’entendre un patient qui boit plus d’une dizaine de bières par jour dire que c’est la méthadone qui le fait grossir ( ! ). Certains cliniciens observent ce qui pourrait ressembler à un transfert d’addiction, d’une pratique compulsive des opiacés vers une alimentation sucrée tout aussi compulsive (barres chocolatées, bonbons, boissons très sucrées), ce que confirmerait les observations de l’étude australienne (Zador) précédemment citée.
Enfin, l’excès de sédentarité, manifeste chez beaucoup d’usagers de drogue, qui après des années d’agitation et de courses effrénées, à la recherche d’héroïne et de moyens de pourvoir à leurs besoins, entrent dans une période de ‘calme’ et d’inactivité, propice à une prise de poids importante. Dans la pratique, il pourrait s’agir, pour beaucoup de patients, d’une superposition de différents facteurs associés, qui pourraient expliquer des prises de poids, parfois spectaculaires, pour les patients eux-mêmes, comme pour les équipes soignantes.
- 4. Les prises de poids qui pourraient être liées à la méthadone : une étude américaine (3) a exploré les modifications de fonctions neuro-hormonales. Nul doute que la méthadone modifie certaines de ces fonctions, sans pour autant qu’il soit aisé de faire une relation étroite avec des prises de poids. Pour autant, on ne peut éliminer l’idée que certains patients réagissent particulièrement à la molécule. Après avoir éliminé la présence de facteurs associés précédemment décrits, on pourrait alors parler d’effet indésirable imputable au seul médicament. Et enfin, on sait par ailleurs que les opiacés, et ceci a été démontré chez l’animal avec la morphine, peuvent induire des comportements de craving alimentaire, même si chez l’homme, en milieu ‘naturel’ de celui d’un héroïnomane, on ne note pas forcément la même chose. Et les récepteurs mu sur lesquels la méthadone agit exclusivement semblent particulièrement impliqués. Les antagonistes opiacés comme la naltrexone ont fait l’objet d’explorations pour établir leurs capacités à inhiber l’appétence aux sucres. Ces deux données approuvent la piste de l’action des opio?des sur le comportement alimentaire et incitent à poursuivre les recherches dans ce sens.
L’enquête ‘MEPRISE’
Ces questions, et le manque de réponses à une partie de celles-ci, nous a conduit à élaborer un projet d’enquête prospective, baptisé MEPRISE (MEthadone et PRISE de poids). Il s’agit de suivre une cohorte de patients qui démarrent un traitement de substitution par la méthadone pendant 1 an. A 4 reprises, M0, M1, M6, M12, les patients feront l’objet de mesures anthropométriques (Poids, Pli cutané tricipital), d’un questionnaire sur leurs situations sociales, et d’un questionnaire médical et alimentaire. En même temps que ce questionnaire, chaque patient remplira un auto-questionnaire pour évaluer ses consommations d’alcool et illicites. L’objet de cette enquête est d’établir le pourcentage de patients qui perdent du poids, qui ont un poids stable ou peu changeant, et de ceux qui prennent du poids. Elle tentera également d’établir quels sont les facteurs associés à des prises de poids importantes, et de quantifier ce qui relève de l’imputabilité de la méthadone. Dans un second temps, elle pourra conduire à émettre des recommandations à des sous-populations de patients, pour lesquels on aura identifié des facteurs associés fréquemment à des prises de poids importantes.
Notes :
- Addiction 1996 Jul; 91(7):1053-61, High sugar intake in a group of women on methadone maintenance in south western Sydney, Australia, Zador D, Lyons Wall PM, Webster I
- Cas Lek Cesk 1999 Nov 15;138(22):693-5, Nutritional status of drug addicts in a methadone program, Kabrt J, Wilczek, Svobodova J, Haluzik M, Kotrlikova E
- Psychoneuroendocrinology 1989;14(5):371-91, sychoneuroendocrine effects of methadone maintenance, Willenbring ML, Morley JE,Krahn DD,arlson GA, Levine AS,shafer RB
Remerciements : Voici les centres qui participent à cette enquête, et que nous remercions pour leur participation, le temps et l’énergie qu’ils y consacrent, sont : FST à AIX en PROVENCE, Le MAIL à AMIENS, CSST St-Roch à NICE, GAINVILLE à AULNAY S/BOIS, CSST à AUXERRE , SOLEA à BESANCON, CEID à BORDEAUX, CADI à BREST, CMA à CHARLEVILLE MEZIERES, SATO à CREIL, USID à DOUAI, LE SQUARE à LENS, B. VIAN à LILLE, CEDRE BLEU à LILLE, CITD à LILLE, ETAPES à MAUBEUGE, BAUDELAIRE à METZ, La MOSAIQUE à MONTREUIL, ALTERNATIVE à MULHOUSE, UFATT à NANCY, La FRATRIE à NANTERRE, CSST à ANTIBES, NOVA DONA à PARIS , CSPT à RENNES, La FRATERNITE à NANTERRE, RIVAGE à SARCELLES, CEDAT à VERSAILLES.