En l’an 2000, le CEDAT de St-Germain en Laye, soucieux de développer et de diversifier l’accès aux traitements de substitution, a souhaité mieux définir les modalités de l’accès à ces traitements.
Nous avons alors dégagé deux priorités :
- développer le relais vers les médecins généralistes
- permettre l’accès de la méthadone dans une approche ‘bas seuil’ à des usagers de drogue sans ‘véritable’ demande de soins.
Ce sont ces deux priorités que nous avons souhaité présenter dans cet article. Nous développerons plus particulièrement la seconde. En effet, la pratique de relais des patients traités par la méthadone vers les médecins généralistes de ville ne semble plus nécessiter de présentation, tant celle-ci s’est maintenant généralisée. Pour preuve, les quelques 7 000 patients qui font aujourd’hui l’objet d’un suivi en médecine de ville et pharmacie d’officine, et qui sont supérieurs en nombre à ceux suivis en CSST (depuis quelques mois, le ratio du nombre de patients en CSST et en ville s’est inversé). Cette pratique de relais apparaît aujourd’hui plus comme une évidence pour les équipes et pour les patients, que comme un mode de fonctionnement des CSST, même s’il est clair que pour certains patients, le suivi institutionnel devra être long.
Développer le relais vers les médecins généralistes.
Cette priorité est d’abord un choix, afin d’éviter la chronicisation des patients dans notre CSST. Par ailleurs, celle-ci nous a été imposée par l’impossibilité de pouvoir prolonger, pour la majorité des patients, un suivi du traitement de substitution dans le CSST. La raison principale étant qu’après plusieurs mois, cette majorité de patient est stabilisée, et qu’il ne nous paraît pas envisageable ni souhaitable pour les patients dont le projet est l’insertion en milieu ordinaire, de maintenir les prescriptions de méthadone en CSST, et par là une fréquentation assidue du même CSST. Nous avons donc réalisé en l’an 2000, 73 relais vers des confrères médecins généralistes, soit 43 % des patients reçus pour un traitement de substitution en l’an 2000.
Concernant plus particulièrement la méthadone, parmi les 51 patients inclus en l’an 2000, 18 ont été orientés vers un médecin de ville. Les patients dont nous assurons la continuité du suivi sont majoritairement ceux qui présentent des troubles graves de la personnalité, notamment états limites, voir des psychoses actives, en rupture de prise en charge de leur pathologie psychiatrique. Pour ceux que nous avons orientés vers la ville, leurs médecins et pharmaciens nous positionnent toujours comme ‘pôle ressource’ après le relais, et une intervention de notre part est toujours envisageable.
Permettre l’accès de la méthadone dans une approche ‘bas seuil’.
La politique de réduction des risques, appliquée à la substitution opiacée, a montré qu’il existait un besoin réel d’accès à des produits de substitution, y compris pour des usagers de drogues actifs, non (encore) demandeurs de soins. Il nous a semblé qu’il était possible d’adhérer à cette pratique dite de bas seuil, en dehors de dispositifs d’exception comme les ‘bus méthadone’ qui circulent à Paris ou Marseille. Nous avons donc organisé un mode d’accès spécifique pour ces usagers de drogues actifs, non demandeurs de soins. Cette absence de demande de soins ne signifie pas, dans la majorité des cas, l’absence de demande d’aide. Il s’agit de patients souhaitant gérer leur consommation, sans l’interrompre, utilisant le substitut, en l’occurrence la méthadone, comme volant de régulation. Nous faisons le pari qu’au travers de cette expérience de régulation, ils entrent progressivement dans une phase de traitement, à laquelle ils ne seraient pas parvenus avec une offre classique et son corollaire d’exigences immédiates, même lorsqu’elles sont à-minima. Et tout ceci au contact constant d’une structure d’aide, par opposition à l’auto-substitution par la codéine, ou bien sûr, pire encore, dans le cas de la fourniture de l’opiacé par des revendeurs peu préoccupés par la santé de l’usager (!), quel que soit l’opiacé qu’ils lui fourniront (héroïne, buprénorphine,méthadone, …).
En pratique
Nous proposons à tout patient demandeur d’un traitement par la méthadone, 2 modes d’admission :
- Soit un mode bas seuil, inspiré par une démarche de réduction des risques et d’accès plus facile aux soins Dans ce cas, nous lui délivrons 50 mg de méthadone par jour pour une semaine. Cette prescription délivrance est quasiment immédiate, après avoir vérifié la présence d’opiacés dans les urines (c’est un protocole équivalent à celui des Bus méthadone). Les usagers associant de manière massive l’alcool ou les benzodiazépines sont exclus de cette modalité de traitement. Il n’y aura aucune adaptation de la posologie qui ne dépassera jamais 50 mg/jour. Aucune prescription de chevauchement ne sera faite. Chaque mois, une évaluation de toutes les consommations des patients est réalisée sur la base d’entretiens, sans vérification par des analyses urinaires, et l’évolution de ces consommations est appréciée. Au cours de ces entretiens, nous avons la possibilité de diffuser des messages de prévention efficaces et de mettre en garde les patients sur les co-consommations préjudiciables à leur santé. La possibilité de ‘glisser’ vers un cadre plus thérapeutique (nous considérons que celui-ci l’est déjà) est offerte au patient à tout moment.
- Soit un mode haut seuil, caractérisé par la mise en place d’un cadre thérapeutique. Si le patient est à la recherche d’une abstinence à l’héroïne et d’une palette de soins plus large, il adhère alors à cette modalité de traitement. Ce cadre de traitement, dont on sait qu’il est favorable à la réussite des soins médico-psycho-sociaux, consistera à une délivrance quotidienne (qui pourra bien sûr évoluer vers un espacement), des analyses urinaires régulières, et une adaptation de la posologie quotidienne au plus près des besoins du patient.
Dans la pratique
Actuellement, la plupart des ‘candidats’ à la méthadone sont souvent dans une situation d’échec à la buprénorphine, et la gestion de la consommation, ils connaissent déjà. C’est exprimé clairement par :“ ça, j’ai déjà donné”, lorsqu’on leur propose la modalité ‘bas seuil’. Ils sont alors d’emblée demandeur du cadre thérapeutique, pour lequel ils ont poussé la porte de notre CSST, sachant comme pour tout usager dans tous les départements de France, ce qui se passe à l’intérieur du CSST du coin.
Pour les autres, ceux les moins nombreux qui accèdent à la méthadone par le bas seuil, dans leur majorité, ils vont rapidement être demandeur du cadre thérapeutique. La frustration liée à l’absence d’un cadre thérapeutique et le fait de percevoir rapidement la nécessité d’adapter la posologie quotidienne, les précipitent assez vite d’une ‘modalité d’entrée’ vers une modalité de soins. Les autres, qui continueront à bénéficier du ‘bas seuil’, sont souvent des usagers qui sortent de prison ou présentant des conduites anti-sociales, et pour lesquels, à court terme, une perspective de soins n’est pas envisageable.
Conclusion
Ce choix entre les deux modalités d’accès à la méthadone permet de lever bien des ambivalences et de clarifier la relation du centre avec le patient. L’absence de culpabilisation du recours à la méthadone, comme gestion d’un usage de drogue, crée le plus souvent une relation de confiance. Nous n’avons pour l’heure enregistré aucun débordement du cadre proposé.
Il n’y a pas d’exclusions du centre, pour des raisons de non-respect du cadre fixé, puisque celui-ci est librement choisi, puis consenti par l’usager. Nous ne renvoyons pas de patients non admis chez nous vers nos confrères généralistes, sous prétexte que leurs demandes ne correspondent pas à notre offre de soin. Cette attitude de renvoi de patients non conformes a pour principal inconvénient d’orienter vers la ville des patients difficiles que les médecins généralistes auront du mal à gérer. Et surtout, le choix par le patient du cadre auquel il va adhérer, permet, quel que soit son choix, de conclure un première alliance thérapeutique non conflictualisée.
Le seul écueil que nous percevons dans cette pratique, se situe dans la revente ou le partage de méthadone non utilisée pouvant mettre en danger des usagers non informés. Cependant, en limitant la délivrance à 50 mg/jour pour une semaine, nous limitons ce risque. Le bénéficiaire de cette délivrance aura vite la sensation qu’il n’en aura jamais trop (plutôt pas assez), et s’il se prive de sa méthadone, il sait qu’il ne bénéficiera d’aucune prescription/délivrance de chevauchement. Par ailleurs, nous savons aussi que ce risque est le même pour les prescriptions dans un cadre thérapeutique où l’adaptation de la posologie conduit les patients à disposer de plusieurs flacons par jour. Il est alors plus aisé de se séparer d’un ou deux de ces flacons. Et enfin, quel que soit le cadre, nous savons la fréquence des ‘économies’ faites par les patients stabilisés, thésaurisant de la méthadone, « au cas où ».
Le CEDAT de St-Germain en Laye ne délivre pas de méthadone dans ses murs. A l’instar d’autres structures (cf. FLYER 6 – Le trait d’union à Boulogne), toutes les délivrances sont effectuées par des pharmaciens d’officine, quel que soit le cadre choisi par les usagers de drogue substitué, sans que cela ne pose de problème. Pas plus aux pharmaciens d’officine qu’aux usagers eux-même. Il nous semble par ailleurs que le cadre que nous proposons est applicable partout en France. Nous sommes à la fois une ville d’Ile-de-France de près de 40 000 âmes, mais plutôt éloignée de Paris, et dans un cadre de vie et d’espace sanitaire plus provincial que parisien.