Points Forts :
- Le cannabis demeure la première substance illicite utilisée en France mais aussi au niveau mondial.
- Le syndrome de sevrage du cannabis est reconnu par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) et la Classification Internationale des Maladies (CIM-11).
- Une proportion substantielle de fumeur·se·s fréquent·e·s de cannabis souffre d’un syndrome de sevrage, qui inclut des symptômes émotionnels, comportementaux et physiques.
- Nervosité, anxiété, hostilité, troubles du sommeil et humeur dépressive sont les symptômes les plus souvent constatés dans le syndrome de sevrage.
- Le baclofène est un médicament qui pourrait avoir un intérêt dans la prise en charge du syndrome de sevrage du cannabis et le maintien de l’abstinence, chez certain·e·s patient·e·s présentant des consommations importantes, un fort craving pour le cannabis et n’ayant pas réussi à réduire ou arrêter leur consommation en raison de syndromes de sevrage.
Introduction
Le baclofène et son utilisation dans le traitement des patient·e·s présentant des troubles de dépendance à l’alcool a fait les gros titres de la presse médicale depuis plus d’une quinzaine d’années. Depuis la publication en décembre 2004 du cas clinique d’Olivier Ameisen où celui-ci décrivait sa propre expérience d’auto-administration de baclofène à hautes doses(1), puis de la presse grand-public après la publication en octobre 2008 de son livre “Le dernier verre”(2), le baclofène est un médicament qui n’a cessé de déchaîner les passions.
Cette saga médicale du baclofène dans la réduction de la consommation chez les patient·e·s présentant une dépendance à l’alcool a fait qu’après avoir longtemps été prescrit (souvent avec succès) par de nombreu·se·x médecins en dehors du cadre de l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) et avoir fait l’objet de nombreuses études cliniques plus ou moins bien menées et avec des résultats plus ou moins contradictoires, le baclofène a tout d’abord bénéficié en mars 2014, d’une Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) pour des doses jusqu’à 300 mg par jour, suivie en octobre 2018 de l’obtention d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) octroyée par l’ANSM a BACLOCUR avec restriction de la dose quotidienne maximale à 80 mg, suivie en novembre 2019 d’un avis initial favorable à son remboursement rendu par la Haute Autorité de Santé (HAS) pour toujours cette même dose maximale quotidienne de 80 mg par jour.
BACLOCUR a finalement vu son AMM suspendue le 17 juin 2020 soit trois jours après le début de sa commercialisation sur le sol français (pour les dosages à 10 mg, 20 mg et 40 mg mais pas pour Baclocur 30 mg – mais toute la gamme a été retirée du marché par la firme) alors que dans le même temps la RTU pour Liorésal 10 mg et Baclofène Zentiva 10 mg était maintenue jusqu’au 15 février 2021 et le remboursement assuré jusqu’au 27 juin 2021.
Voilà où nous en sommes en ce qui concerne l’indication du Baclofène dans la dépendance à l’alcool. Son efficacité dans la prise en charge des troubles de l’usage du cannabis a été évoquée, mais qu’en est-il vraiment de son efficacité dans la prise en charge de ces patient·e·s ? Existe-t-il un véritable syndrome de sevrage du cannabis et si oui, le baclofène peut-il jouer un rôle dans ce syndrome de sevrage ?
Contexte
Le cannabis sous forme de « marijuana » ou « herbe » (fleurs séchées) ou « haschich » (résine pure issue du chanvre femelle) reste, et de loin, la drogue la plus couramment consommée en France et dans le monde. En 2018, il y avait environ 192 millions d’utilisateurs de cannabis selon les données de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC)(3) ce qui correspond à 3,9 % de la population mondiale âgée de 15 à 64 ans. Au cours de cette dernière décennie, l’usage de cannabis est resté de façon générale stable en Europe de l’Ouest alors qu’il a augmenté de façon très considérable en Amérique du Nord(3,4).
Aux États-Unis, pays pour lequel le plus de données sont disponibles, la consommation de cannabis est en augmentation constante depuis 2007, en particulier chez les jeunes adultes (âgés de 18 à 25 ans) mais aussi les adultes plus âgés (26 ans et plus)(5). La plus forte augmentation est observée chez les utilisateur·rice·s régulier·ère·s de cannabis avec une prévalence de la consommation quotidienne ou quasi-quotidienne de cannabis qui a presque doublé au cours de la période 2009-2019(5).
En Europe, on retrouve une opposition Europe du Nord, peu consommatrice, et Europe de l’Ouest et du Sud. La France devance clairement les autres membres de l’Union européenne avec une prévalence d’usage dans l’année nettement supérieure à celles observées dans la plupart des autres pays(4). En 2017, la proportion d’usager·ère·s régulier·ère·s de cannabis (10 usages ou plus durant le dernier mois) atteint 3,6 % des 18-64 ans. Cet usage a presque doublé depuis 2000 il était de 1,9 % (2000). L’usage quotidien (au moins un usage par jour au cours des 30 jours précédant l’enquête) a lui aussi progressé, passant de de 1,7 % en 2014 à 2,2 % en 2017.
Usage problématique et dépendance
Le cannabis a longtemps été considéré comme étant une drogue hallucinogène ne provoquant pas de dépendance car il n’y avait pas de syndrome de sevrage identifié. Cela a changé avec l’augmentation progressive de la concentration en delta-9-tetrahydrocannabinol (?9-THC) et il existe aujourd’hui un syndrome de sevrage reconnu(6). Une étude menée en 2015 au Royaume-Uni a révélé que la consommation de cannabis à forte teneur en THC était associée à une augmentation de la gravité de la dépendance, en particulier chez les jeunes(7). En Amérique du Nord, avant 1990, la concentration en THC était le plus souvent inférieure à 2 %. Dans les années 1990 elle a atteint 4 %, et a augmenté exponentiellement entre 1995 et 2015. Aujourd’hui en 2020, il très fréquent de retrouver des concentrations entre 15 et 29 % de THC(8).
En Europe, la concentration en THC a elle aussi fortement augmenté au cours de ces 10 dernières années. De 2009 à 2018, et selon le dispositif SINTES et les saisies policières, la teneur moyenne en THC de la résine de cannabis est passée de moins de 10 % en 2009 à 26,5 % en 2018, tandis que celle de l’herbe a augmenté de 40 %, pour atteindre plus de 11 % en 2018(9,10).


Il existe une corrélation entre l’augmentation de la concentration en THC et l’augmentation des usages problématiques depuis plus d’une dizaine d’années. Entre 2014 et 2017 et selon le Cannabis Abuse Screening Test (CAST)(11), outil de repérage des usages problématiques de cannabis, la part des usager·ère·s dans l’année ayant un risque élevé d’usage problématique ou de dépendance a fortement augmenté, passant de 21 % à 25 %. Ces usagers à risque représentent près de 3 % de l’ensemble des 18-64 ans en 2017 (soit un peu plus d’un million de personnes). La fréquence de l’usage problématique a 17 ans a aussi augmenté entre 2014 et 2017, passant de 22 % à 25 % des usager·ère·s actuel·le·s (29 % pour les garçons et 20 % pour les filles), soit une proportion de 7 % sur l’ensemble des jeunes de 17 ans (correspondant à environ 60 000 jeunes de cet âge) (Enquêtes ESCAPAD – OFDT)(9, 11).

Les études épidémiologiques s’accordent pour estimer que 8 à 12 % des consommateur·rice·s régulier·ère·s de cannabis développeront un trouble de l’usage de cannabis modéré à sévère au fil du temps(12,13). En 2019, aux États-Unis, 45 millions de personnes âgées de 18 ans ou plus déclaraient avoir utilisé du cannabis au cours de l’année précédente (18 % de la population), 29,7 millions reportaient en avoir consommé au cours du dernier mois (11,9 % de la population) et 9,8 millions de personnes (3,9 % de la population) reportaient une consommation quotidienne ou quasi-quotidienne(5). Toujours en 2019, 4,1 millions de personnes âgées de 18 ans ou plus ont été diagnostiquées avec un trouble de l’usage du cannabis (1,7 % de la population)(5) mais seulement 737 000 personnes (18,4 %) ont indiqué avoir reçu un traitement pour cette indication au cours de l’année(5). Il a été montré qu’en moyenne, les adultes qui recherchent un traitement pour des troubles liés à l’usage du cannabis ont consommé du cannabis quasi-quotidiennement pendant plus de 10 ans et ont tenté d’arrêter plus de six fois sans succès(14). Ces chiffres sont très élevés même à l’échelle de la population des États-Unis et montrent bien qu’il existe un véritable problème.
Cette demande de traitement se retrouve également en Europe, et notamment en France, où elle est en progression constante. L’usage de cannabis conduit une partie des consommateur·rice·s à entrer en contact avec des structures ou des professionnel·le·s de santé et en France, le cannabis est la substance illicite la plus souvent mentionnée comme posant un problème parmi les personnes reçues dans les Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA)(15). La proportion de consommateur·rice·s quotidien·ne·s de cannabis prise en charge dans les CSAPA est en progression depuis 2007, passant de 55,7 % en 2007 à 68,7 % en 2018. La part des usager·ère·s de cannabis considéré·e·s comme dépendant·e·s augmente elle aussi, passant de 50,1 % en 2007 à 63,4 % en 2018.

Dépendance au cannabis et syndrome de sevrage du cannabis : mythe ou réalité ?
Le cannabis est-il addictif ? Existe-t-il un syndrome de dépendance ? Et si oui, une approche pharmacologique a-t-elle une place dans cette indication ?
Le syndrome de sevrage du cannabis a été inclus pour la première fois dans la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux publié en 2013 (DSM-5)(16,17) et adopté dans la Classification Internationale des Maladies, dixième révision (2015) (CIM-10)(18). On le retrouve aujourd’hui sous le code 6C41.4 dans la dernière version de la Classification Internationale des Maladies (CIM-11) publiée en 2019(19). L’expérience montre que la plupart des gros·se·s consommateur·rice·s de cannabis qui souhaitent réduire ou arrêter leur consommation de cannabis échouent lorsqu’il·elle·s sont livré·e·s à eux·elles-mêmes, ceci est aussi confirmé par Hughes et collègues(20). Le syndrome de sevrage du cannabis apparaît le plus souvent dans les 24 premières heures après l’arrêt et atteint un pic au cours des 7 premiers jours, il peut aussi se prolonger jusqu’à 1 mois après la dernière utilisation (6, 21, 22).

Ces symptômes sont cliniquement significatifs et suffisamment désagréables pour interférer avec le fonctionnement normal quotidien des patient·e·s ; pouvant même agir en tant que renforçateur négatif pouvant être à l’origine d’un maintien de la consommation de cannabis voire même d’une rechute(13,23).
La sévérité et la durée de ces symptômes de sevrage peuvent varier considérablement d’un·e patient·e à l’autre et fluctuent en fonction de 1) l’importance de la consommation antérieure de cannabis, 2) le contexte de l’arrêt (ambulatoire vs hospitalisé, volontaire vs involontaire), 3) les traits de personnalité, 4) la présence de comorbidité psychiatrique et/ou somatique, 5) les facteurs de stress, 6) les expériences de sevrage antérieures, 6) les attentes du·de la patient·e, 7) le réseau de soutien du·de la patient·e et 8) la gravité de la dépendance.
Il n’existe actuellement aucune pharmacothérapie approuvée par une agence de santé pour le traitement des troubles de l’usage de cannabis, la prise en charge du syndrome de sevrage ou la prévention de la rechute chez le·a patient·e sevré·e et abstinent·e.
Des études cliniques et épidémiologiques rétrospectives de grande taille(24,25) sur plusieurs milliers de patient·e·s ont démontré que l’arrêt de la consommation régulière de cannabis est fréquemment suivi d’une fluctuation de symptômes physiques et de troubles de l’humeur tels qu’une sensation de fatigue générale, transpiration, agitation, dysphorie, troubles du sommeil, anxiété et envie de fumer, qui sont fréquemment associés à une rechute de la consommation de cannabis.
L’existence de ce syndrome de sevrage a aussi été confirmée par des études prospectives chez des patient·e·s adultes suivi·e·s en ambulatoire et chez des adolescents et jeunes adultes (âgés de 13 à 19 ans) à la recherche d’un traitement pour leurs problèmes de dépendance au cannabis(6). Il a été montré que 35 % à 75 % des patient·e·s recherchant une désintoxication ambulatoire au cannabis développaient un syndrome de sevrage post-cessation, qui le plus souvent est de gravité légère à modérée(25,26). Environ 12 % des gros·se·s consommateur·rice·s de cannabis présenteraient un syndrome de sevrage, tel que défini par le DSM-5, associé à un handicap important ainsi qu’à des troubles de l’humeur et de la personnalité, et de l’anxiété(27) lors de l’arrêt de leur consommation de cannabis. Ces mêmes études ont montré que les adultes présentant une consommation ancienne et importante de cannabis présentaient, à l’arrêt de leur consommation, un syndrome de sevrage plus important(21, 23,27).
Baclofène et syndrome de sevrage du cannabis
Quelques études cliniques isolées se sont intéressées à l’intérêt du baclofène dans la prise en charge d’addictions autres que celle à l’alcool comme par exemple la dépendance à la cocaïne(28,29), la dépendance aux opiacés(30) et celle a la nicotine(31).
Pour la dépendance au cannabis, il a été suggéré que le traitement du sevrage du cannabis pouvait améliorer la probabilité d’une abstinence prolongée(32) mais à ce jour, il n’existe aucun traitement pharmacologique reconnu pour la prise en charge du syndrome de sevrage ou la prévention des rechutes chez les patient·e·s dépendant·e·s du cannabis. Il y a plus de 10 ans, en 2009, Vandrey et Haney, évoquaient déjà la possible efficacité des composés GABA-B dans le traitement de la dépendance au cannabis(33).
Étude de laboratoire chez l’humain, essai croisé, randomisé versus placebo
Le raisonnement selon lequel les propriétés sédatives du baclofène pourraient soulager le syndrome de sevrage du cannabis et de ce fait, diminuer la probabilité de rechute a été à l’origine des premières études conduites par Haney et collègues aux États-Unis. Leur étude a comparé le baclofène à un placebo chez des patient·e·s dépendant·e·s à la marijuana(34). Il est important de noter que les conditions de cette étude étaient particulièrement éloignées des conditions cliniques classiques. Il s’agissait d’une étude de laboratoire, incluant seulement 10 participants âgés de 23 à 35 ans, tous de sexe masculin et en majorité afro-américains (6 sur 10) et dont l’objectif principal était d’évaluer l’intoxication, le sevrage et la rechute chez des participants présentant des troubles de l’usage du cannabis avec des consommations supérieures à 3 joints de marijuana par jour, au moins 4 fois par semaine, mais n’étant pas en recherche de traitement. Les participants, recevaient un placebo ou le baclofène dans des conditions identiques à celles dans lesquelles ils fumaient du cannabis (intoxication), puis subissaient plusieurs jours d’abstinence forcée (sevrage) puis ensuite avait la possibilité de recommencer à fumer du cannabis, mais à un coût financier (rechute).
Cette étude étant ce qu’on appelle une “étude de laboratoire”, les participants étaient hébergés sur le lieu de l’étude (au New-York State Psychiatric Institute) et recevaient quotidiennement une quantité prédéterminée de cannabis, dont la concentration en Tetrahydrocannabinol (THC) était particulièrement faible (3,3 %) si on la compare à la concentration en THC que l’on peut actuellement retrouver dans des joints de cannabis et qui est supérieure à 11 %.
Les résultats de cette étude ont montré que le baclofène réduisait de façon significative le craving en fonction de la dose, et que des doses de 60 et 90 mg par jour étaient bien tolérées et qu’à ces doses le baclofène permettait de réduire de façon significative la sensation de “high” ainsi que le craving pour la marijuana. Contrairement à l’hypothèse de départ, aucun effet sur les rechutes n’a été constaté. De plus, le baclofène n’aurait pas amélioré le sommeil des participants et aurait même eu un effet délétère sur les performances cognitives de certains participants(39). Il est à déplorer que cette étude préliminaire n’ait pas été suivie d’essais cliniques de plus grande ampleur.
Études de cas
En 2010, une série de cas a été publiée (35) évaluant les effets du baclofène au long cours sur 6 sujets, tous de sexe masculin, dépendants à la fois au cannabis et à la nicotine. Les consommations de cannabis étaient en moyenne de 7 joints de cannabis par jour (min 4 ; max 10). Les sujets ont reçu des doses quotidiennes de 40 mg/jour de baclofène et les évaluations pendant leur suivi étaient basées sur la passation régulière d’une échelle d’évaluation des symptômes de sevrage du cannabis (CWAS – Cannabis Withdrawal Assessment Scale) ainsi que des tests urinaires pour le cannabis effectués mensuellement.
Pour l’ensemble des patients, une diminution significative du craving avait été constatée, associée à une amélioration significative des symptômes de sevrage du cannabis. La durée moyenne de la période d’abstinence était d’environ 80 jours (min 1 mois, max 390 jours). Un allongement du délai précédant la rechute et une augmentation de la durée globale de la période d’abstinence (d’un mois à plus d’un an) avaient aussi été constatés.
En 2014, nous avions publié une étude de cas française (36) dans le journal Therapeutic Advances in Psychopharmacology, décrivant l’efficacité d’un traitement par baclofène chez un homme âgé de 40 ans, consommateur quotidien de quantités importantes de cannabis, 5 à 6 joints par jour en semaine et 8 à 10 joints par jour le week-end, depuis plus de 15 ans, sans période d’abstinence de plus de 2-3 jours en raison de symptômes de sevrage et d’un craving importants. Le traitement par baclofène a non seulement été efficace sur la diminution du craving et de l’intensité du syndrome de sevrage, mais aussi sur la réduction de consommation et le maintien de l’abstinence. Les posologies journalières de baclofène étaient progressivement augmentées de 15 mg/jour jusqu’à la dose maximale de 60 mg de baclofène par jour (et 70 mg le week-end).
Après 4 semaines de traitement à des posologies de 60 mg/jour (20 mg x 3/jour) la consommation de cannabis quotidienne avait été diminuée de moitié. Une abstinence totale a été obtenue, après 6 semaines de traitement et une augmentation des posologies du week-end à 70 mg (20/20/30 mg). Le patient a été suivi 16 semaines pendant lesquelles il a reçu une prescription de 60 à 70 mg/jour de baclofène, aucun effet indésirable lié au baclofène n’a été constaté, ni rapporté par le patient. A l’issue de ces 16 semaines, le traitement a été discontinué mais le patient n’a présenté aucune rechute. Ce cas clinique ne rapporte le cas que d’un unique patient, néanmoins ces résultats ont été constatés chez d’autres patients que nous avions inclus dans un protocole mis en place au sein de notre service d’addictologie au CHU de Marseille (Hôpital Sainte-Marguerite). D’excellents résultats avaient été obtenus, tant sur la diminution des symptômes de sevrage que sur le maintien de l’abstinence, pour des posologies toujours inférieures à 80 mg/jour en trois prises.
L’ensemble des patients traités présentaient des consommations importantes et anciennes de cannabis, et n’arrivaient pas à arrêter leur consommation du fait de symptômes de sevrage et d’un craving importants, attestés par l’échelle de sevrage du cannabis (Cannabis Withdrawal Scale – CWS) (26)
Échelle de sevrage du cannabis – Cannabis Withdrawal Scale (traduction française)
Les énoncés suivants décrivent comment vous vous êtes senti pendant les 24 dernières heures. S’il vous plaît entourez le numéro qui représente le mieux votre expérience personnelle pour chaque énoncé. Pour chaque énoncé, veuillez évaluer son impact négatif sur les activités de la vie quotidienne sur la même échelle (0= pas du tout, 10 = extrêmement), écrire le nombre sur la colonne de droite.

Le score additionne la valeur de chaque énoncé pour un maximum de score de sevrage de 190 (vous pouvez déduire deux scores de l’échelle : un pour l’intensité du sevrage et un pour l’impact négatif du sevrage – chaque score séparé a un maximum théorique de 190).
Quel est le profil de sécurité du baclofène ?
Le baclofène étant principalement éliminé par voie rénale il est déconseillé de le prescrire chez le patient en insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine, 30 ml/min) afin d’éviter tout risque d’accumulation. En cas d’insuffisance rénale modérée, l’initiation du traitement ainsi que les ajustements posologiques doivent être effectués par paliers. Le seuil épileptogène peut être abaissé par le baclofène et des crises convulsives peuvent survenir chez les patients ayant des antécédents de crises convulsives.
Comme avant toute prescription médicamenteuse, il est essentiel de bien évaluer la sévérité du trouble traité et son impact sur la qualité de vie du patient, le rapport bénéfice/risque devant bien évidemment s’avérer favorable.
L’arrêt du traitement, notamment s’il est brutal, peut induire un syndrome de sevrage, et ce même pour des doses inferieures à 80 mg/jour. Les réactions de sevrage les plus fréquemment rapportées sont : troubles neuromusculaires (spasticité, dyskinésie, paresthésies, convulsions, voire état de mal épileptique), prurit, dysautonomie (hyperthermie, hypotension), troubles de la conscience et du comportement (état confusionnel, anxiété, état psychotique maniaque ou paranoïde) et coagulopathie. Des hallucinations, agitations, désorientations et insomnies ont aussi été décrites parmi les réactions de sevrage. Si l’arrêt du traitement est jugé nécessaire, il est donc important de diminuer la posologie de façon très progressive afin de minimiser le risque de survenue d’un tel syndrome de sevrage(40).
Pour Conclure
Actuellement, aucune pharmacothérapie n’est approuvée pour le traitement des troubles de l’usage de cannabis. Les résultats d’études précliniques chez l’animal, d’un essai clinique chez l’homme et de plusieurs rapports de cas, sont en faveur d’une efficacité du baclofène sur le craving et le syndrome de sevrage, chez le·a patient·e présentant des troubles de l’usage de cannabis modérés à sévères, une consommation de cannabis importante et ancienne, et pour des doses de baclofène inférieures à 80 mg/jour, posologies pour lesquelles le baclofène présente un profil de sécurité acceptable.
En France, le baclofène n’a d’autorisation de mise sur le marché (AMM) que dans son indication pour le traitement des contractures spastiques de certaines maladies neurologiques et le traitement de l’alcoolo-dépendance. Cependant, sur la base de notre expérience clinique, des données de la littérature, et compte tenu de l’absence de traitement médicamenteux spécifique efficace dans la prise en charge des troubles de l’usage du cannabis, un traitement par baclofène débuté à la posologie de 15 mg/jour puis progressivement augmenté, en fonction de la tolérance et de l’effet thérapeutique, sans dépasser une dose maximale de 80 mg/jour, en 3 prises quotidiennes, pourrait être un choix thérapeutique intéressant dans la prise en charge du syndrome de sevrage du cannabis et le maintien de l’abstinence, chez certain·e·s patient·e·s présentant des consommations importantes, un fort craving pour le cannabis et n’ayant pas réussi à réduire ou arrêter leur consommation en raison de syndrome de sevrage.
En l’absence de résultats d’un ou plusieurs essais cliniques randomisés, contrôlés et versus placebo, il est néanmoins impossible de pouvoir infirmer ou confirmer l’efficacité de ce traitement chez le·a patient·e présentant un syndrome de sevrage du cannabis.
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