Propos liminaire
La revue Le Flyer s’est largement fait l’écho de la mise à disposition des kits naloxone depuis plusieurs années. Nalscue – kit nasal en premier lieu, puis Prenoxad – kit IM dans un second temps, dont la chronologie a été parfaitement rappelée dans un article récent (1).
Cependant, cette communication, comme celle des Autorités de Santé, a été plutôt orientée vers les usagers de drogues à risque d’overdose et leur entourage que vers les patients algiques sous antalgiques opioïdes.
La promotion par les firmes, Indivior comme Ethypharm, a été elle-aussi axée principalement sur la population des usagers de drogue comme le montrent les documents qu’elles mettent à la disposition des professionnels de santé. Concernant le kit Nalscue, le choix de la firme de le vendre à prix libre et élevé auprès des centres de soins spécialisés, CSAPA et CAARUD et hôpitaux, est une expression manifeste de cette orientation.
Ceux qui se sont mobilisés, à l’instar du collectif interassociatif (Aides, Fédération Addiction, Médecins du monde…), appartiennent pour la quasi-totalité d’entre eux au milieu de l’addiction et de la Réduction des Risques. On peut toutefois citer la participation du Pr Frédéric Aubrun, président en exercice de la SFETD au moment des faits, à la signature d’un plaidoyer publié en 2019 (2). Mais pas de communication officielle des Sociétés Savantes comme la SFETD (Société Française d’Etude et de Traitement de la douleur) avant avril 2020, date à laquelle elle relaie la campagne du Ministère de la Santé (3).
Si les données annuelles du dispositif Drames (Décès en relation avec l’Abus de Médicaments Et de Substances) nous rappellent que chaque année des centaines de décès sont liés à des overdoses chez des usagers de drogues, d’autres données, comme celle du dispositif DTA (Décès Toxiques par Antalgiques) soulignent les risques d’overdose pour des patients sous antalgiques opioïdes.
Cette population de patients sous antalgiques se chiffrant en plusieurs millions d’individus. Il ne s’agit pas bien sûr de les doter tous d’un kit naloxone mais probablement de cibler la mise à disposition d’un kit vers ceux chez lesquels le risque d’overdose, même minime, est présent.
Qu’en est-il aujourd’hui de la diffusion des kits naloxone, antidote des overdoses aux opioïdes ?
La diffusion des kits naloxone en France est, pour plus des 2 tiers, assurée par les structures spécialisées (Caarud et CSAPA) qui accueillent un public d’usagers de drogues opioides, bénéficiant ou non d’un médicament de substitution opiacée par buprénorphine ou méthadone. Certains hôpitaux, sous l’impulsion d’une note DGS en juillet 2019, se sont fournis en kit naloxone pour pouvoir les mettre à disposition des patients dans des conditions décrites dans cette même note (4).
Parmi ces hôpitaux, on notera ceux, trop peu nombreux, qui fournissent des kits aux équipes soignantes en milieu pénitentiaire afin qu’elles les délivrent à des sortants d’incarcération, dont on sait qu’ils ont un risque majeur d’overdoses en cas de reconsommation.
D’autres, aussi peu nombreux, les mettent à disposition des services d’addictologie pour que là-aussi, les équipes puissent en doter les patients à risque, dans le meilleur des cas, sur le lieu de soins.
Quoi qu’il en soit, on constate à la lecture de la note DGS une orientation marquée vers un public d’usagers de drogues :
Cette note précisait que les ARS vérifieraient que les pharmacies des hôpitaux inscrivent au livret thérapeutique au moins un kit naloxone et les mettent à disposition des équipes soignantes concernées. Nous ne savons si elles ont procédé à cette vérification. Cela dit, il y a beaucoup de témoignages de praticiens hospitaliers qui rapportent la non-disponibilté des kits naloxone dans leur établissement, parfois pour des raisons budgétaires.
Enfin, du côté de la médecine de ville, très peu de mobilisation pour l’heure, quel que soit le type de patient. Le risque d’overdose semble peu abordé par de nombreux médecins généralistes. Il faut reconnaitre que les débuts de la mise sur le marché des kits naloxone, exclusivement réservés aux structures spécialisées, a été un élément favorisant de ce manque d’engouement.
Au total, seulement quelques milliers de kits naloxone distribués en France chaque année depuis 3 ans, autour de 10 000, loin par exemple des 100 000 kits diffusés annuellement au Royaume-Uni.
Quels sont les kits naloxone actuellement disponible et comment se les procurer ?
A la date de la rédaction de cet article (novembre 2020), il existe 2 kits disponibles.
Le premier, le kit nasal Nalscue vit apparemment ces dernières heures, puisque les kits disponibles arrivent à péremption fin novembre 2020 et ne devraient déjà plus être délivrés. Faute d’entente avec les Pouvoirs Publics et malgré un soutien interassociatif important, la firme Indivior n’a pas obtenu le remboursement de son médicament et sa distribution a été réservée ces trois dernières années au milieu spécialisé, pour un coût d’acquisition de 35,00 euros par kit. On annonce pour fin 2021 un autre kit nasal, Nyxoid, qui lui devrait être remboursé autour de 30 euros et devrait donc être disponible en pharmacie comme en milieu hospitalier et spécialisé.
Le second, le kit IM Prenoxad, est disponible depuis juin 2019. Il a été d’emblée disponible en milieu hospitalier et spécialisé à un coût raisonnable de 19,00 euros mais aussi en pharmacie d’officine, pour un coût remboursé de 23,00 euros. En pratique, il peut être prescrit à tout patient ambulatoire et par tout médecin. Il est délisté et peut donc être également acheté sans ordonnance.
Dans les faits, jusqu’à ce-jour, la part délivrée en pharmacie d’officine est minoritaire, près de 20% du total des kits Prenoxad diffusés en 2020 selon les données de la firme.
En résumé, en 2021, le kit Prenoxad devrait être le seul kit naloxone disponible pour les patients sous antalgiques opioides et usagers de drogue à risque d’overdose.
Nous ne reviendrons pas sur les débats stériles autour de la ‘préférence’ des usagers pour une forme plutôt qu’une autre, alimentés par les promoteurs du nasal à tout prix (firme et affidés) et qui a eu un effet de démobilisation des acteurs sur la diffusion des kits naloxone.
Débats d’autant plus stériles que ce n’est pas un médicament à s’auto-administrer régulièrement, mais bel et bien un antidote qui ne devrait être utilisé que dans un nombre infime de cas. Comme beaucoup d’antidotes, le fait qu’ils soient injectables ne posent généralement pas de problèmes (adrénaline, atropine, glucagon…) aux patients qui en bénéficient ni aux proches susceptibles de les administrer.
Pourquoi en délivrer aux patients sous antalgiques opioïdes ?
Parce que les données dont on dispose chaque année montrent une tendance persistante d’un risque d’overdose pour les patients sous antalgique opioides. Le nombre de patients hospitalisés ainsi que le nombre de décès par overdose sont préoccupants et, même si on est très loin de la situation nord-américaine (5), on estime qu’il y a quelques centaines de patients qui décèdent chaque année d’une overdose en lien avec un antalgique opioïde. Si le dispositif DTA (Décès Toxiques par Antalgiques) n’en dénombre qu’une centaine, on sait que ce chiffre est très largement sous-estimé (6).
Le médicament le plus représenté dans ces décès est le tramadol. D’abord parce qu’il est le plus diffusé mais aussi et sûrement parce qu’il encore à tort perçu comme un opioïde faible (dit faible, tout est question de dose), passe-partout et sans danger, dont patients et médecins se méfient moins. Une prescription de morphine à faible dose est largement préférable à des prescriptions de tramadol à doses élevées quand la prescription d’un morphinique est indispensable (7). Plus efficace, mieux tolérée et moins banalisée.
Quel est le profil de patients qui pourraient en bénéficier ?
Les données du dispositif DTA nous indiquent clairement qui sont les patients qui décèdent d’une overdose. En majorité des femmes, d’un âge moyen de 50 ans, avec une forte prévalence de troubles psychiatriques (6). La principale erreur serait de cibler seulement les patients avec un opioïde fort (morphine, oxycodone, fentanyl) et laisser de côté les patients avec des opioïdes ‘dits’ faibles.
C’est plus le profil des patients qu’il faut cibler plus que le type d’opioïdes qu’ils reçoivent :
- Ceux qui ont des doses de morphine (ou équivalent morphine) supérieures à 100-120 mg par jour, sans trop se poser la question du niveau de risque d’abus car il est souvent imprévisible (erreur médicamenteuse [double prise par exemple], passage à vide pour des raisons liées à la maladie, etc…), qu’ils soient en HAD ou en ambulatoire.
- Ceux qui démarrent des traitements à la méthadone, conformément à la recommandation de l’ANSM, parce que la méthadone risque de s’accumuler dans l’organisme pendant les premiers jours de traitement et le risque d’overdose est majoré lors de la phase d’initiation.
- Et surtout, les patients qui arrivent en CETD, avec des prescriptions inappropriées de morphiniques dans des douleurs chroniques non cancéreuses (fibromyalgies, lombalgies chroniques, migraines..), avec une vraie addiction* au tramadol, à des fentanyl transmuqueux, à l’oxycodone… et chez lesquels, même en cas (surtout) de tentative de baisser ou d’arrêter les opioïdes, le risque de prise massive et d’overdose existe.
Il ne s’agit pas de délivrer un kit naloxone aux plusieurs millions de patients qui ont un traitement antalgique opioïde, mais d’en réserver la délivrance à :
- Ceux qui ont un profil psychologique ou des comorbidités psychiatriques, les mêmes que nous pouvons rencontrer chez les patients avec une addiction (impulsivité, anxio-dépressifs, bipolaires, borderline, troubles psychotiques, syndrome post-traumatique, hyperactivité, antécédents de suicide…)
- Ceux qui ont des antécédents familiaux ou personnels d’addiction (alcool, tabac…) pour lesquels on sait que ces addictions font plus facilement le lit d’une nouvelle addiction avec risque d’abus
Il est habituel de penser que le risque d’overdose, à l’instar du risque addictif, est plus faible pour les patients cancéreux, notamment par rapport au risque élevé d’overdose chez les patients douloureux chroniques, pour les raisons évoquées ci-avant. Il va de soi que dans cette seconde population, la prévalence de troubles psychologiques et/ou psychiatriques est plus élevée. Pour autant, c’est le profil patient plus que la maladie qui doit peser dans la balance.
La métaphore de l’extincteur
La prescription ou la délivrance d’un kit naloxone ne doit pas s’envisager comme celle d’un médicament qui répond habituellement au triptyque médecin-patient-pathologie ou symptôme. La naloxone est plus un antidote qu’un médicament. Personne ne souhaite qu’il soit utilisé par le patient ou, plus souvent, par quelqu’un de son entourage.
Comme un extincteur ou, pour rester dans le domaine médical, un défibrillateur, il doit être à disposition pour pouvoir être utiliser au cas où. Et s’il n’est pas utilisé, c’est tant mieux.
Il faut accepter l’idée, sans servir l’intérêt de telle ou telle firme, qu’il faille probablement diffuser des centaines de kits pour pouvoir sauver une seule vie.
La faible diffusion en France des kits naloxone auprès des usagers de drogue est en partie liée à la sous-estimation du risque d’overdose et parfois parce que le médecin n’a pas été confronté lui-même à une overdose. Attendre qu’un seul de ses patients décède d’une overdose pour délivrer des kits naloxone, c’est malheureusement trop tard pour celui-ci.
* Des outils d’utilisation simple comme l’échelle POMI (8) permettent de caractériser le mésusage des antalgiques opioïdes. Pour un diagnostic d’addiction, les critères du DSM-5 restent pertinents (9)
Quel message doit être diffusé aux patients qui vont bénéficier d’un kit naloxone ?
Il est primordial que celui qui s’est vu prescrire ou délivrer un kit en informe son entourage car c’est le plus souvent un tiers témoin qui administre la naloxone.
Il faut faire une véritable éducation thérapeutique aux patients qui auront un kit naloxone et que cette éducation soit relayée à l’entourage. On sait depuis longtemps que la sensibilisation au risque d’overdose lors de la remise ou la prescription d’un kit naloxone constitue, en elle-même, un facteur de réduction de ce risque.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que chez le patient algique, la prise de naloxone peut lever très
brutalement l’antalgie. Si le patient risque de mourir sans l’administration de naloxone, il faut, bien sûr, surtout ne pas hésiter. Mais, il ne s’agit pas d’administrer de la naloxone à un patient dès qu’il a un myosis bilatéral (simple signe de l’imprégnation d’opioïdes) ou une fréquence respiratoire basse.
C’est l’association troubles de la conscience et fréquence respiratoire inférieure à 8 cycles par minutes
qui signe la détresse respiratoire.
La présence d’un myosis bilatéral confirme la responsabilité morphinique du trouble. Il n’est pas utile de rechercher d’autres signes de gravité (pâleur, cyanose) qui peuvent être absents ou peu visibles pour
confirmer le diagnostic et l’intérêt de la naloxone.
Dans tous les cas, l’appel immédiat des secours (112 ou 15) est de rigueur pour une prise en charge médicalisée car la durée d’action de la naloxone est beaucoup plus courte que celle de tous les antalgiques opioïdes, notamment s’il s’agit de méthadone dont la demi-vie peut dépasser 24 heures.
Une raison supplémentaire pour appeler les secours.
Conclusion
La naloxone n’est pas un médicament nouveau !
Ce qui est nouveau, c’est le fait que sous la forme des kits commercialisés depuis peu, elle est prête à l’emploi et qu’elle puisse être administrée par des non professionnels de santé.
Elle sort ainsi de sa réserve hospitalière et permet aux proches de patients exposés au risque d’overdose d’intervenir le cas échéant.
Elle est d’un coup modique, un peu plus de 20 euros pour le kit Prenoxad actuellement seule forme disponible, et il serait opportun que les patients en difficulté avec des antalgiques opioides (perte de contrôle, risque d’abus, addiction) en soit dotés. Il en est de même pour ceux qui ont des doses élevées d’antalgiques opioïdes et chez lesquels une simple erreur médicamenteuse pourrait être fatale.
A défaut d’une campagne publique de sensibilisation à l’utilisation de la naloxone, comme on a pu en voir dans certains pays très touchés par la crise des opioides et son cortège d’overdoses, les médecins généralistes comme les médecins hospitaliers qui accompagnent des patients douloureux à risque doivent également diffuser cet outil de réduction des risques.
La naloxone sauve des vies !
Bibliographie
- (1) C. Jehanne et al. Chronique de la mise à disposition des kits naloxone, échec ou succès en demi-teinte ? Le Flyer, à paraître
- (2) A. Morel et al. La naloxone sauve des vies. Comment faire concrètement ? Le Flyer 77, février 2020
- (3) SFETD. Focus : Recommandations naloxone du Ministère. Avril 2020
- (5) A. Serrie et al. Opioïdes et risque addictif. Quelle est la situation en France ? Que faire pour limiter les risques ? Le Flyer 75, mai 2019
- (6) Mathilde Damgé. Antalgiques : les chiffres inquiétants de l’addiction aux opiacés en France. Le Monde. Février 2019.
- (7) Les antalgiques opioïdes dits faibles. Codéine, dihydrocodéine, tramadol : pas moins de risques qu’avec la morphine Rev Prescrire 2015 ; 35 (385) : 831-838
- (8) Echelle POMI.
- (9) Critères DSM-5. Addiction à une substance