Introduction
Lors de la demande d’AMM des spécialités Méthadone AP-HP, gélule, il a été convenu avec l’Afssaps de mettre en œuvre une étude observationnelle prospective dans le cadre du PGR (Plan de Gestion des Risques) qui accompagne la mise sur le marché de cette nouvelle forme.
Cette mise sur le marché est survenue en avril 2008. Cette étude a pour but de vérifier en pratique clinique l’équivalence thérapeutique des deux formes de méthadone (sirop et gélule), dans le cadre du passage du sirop à la gélule. Il avait été convenu également qu’une analyse intermédiaire des 100 premiers cas serait transmise aux services de l’Afssaps en charge du suivi du PGR. Cette analyse a été réalisée en fin d’année 2008. Les données de cette analyse intermédiaire sont présentées ici.
Rappel du protocole de l’étude
Objectif principal
Décrire l’évolution du score d’Handelsman lors du passage de la forme sirop à la forme gélule en comparant pour chaque patient, les deux premières semaines sous gélule par rapport à la période de référence des 14 jours sous sirop (J0 à J14), chaque patient étant ici son propre témoin.
Objectifs secondaires
- Comparer la stabilité des posologies des patients traités par les deux formes de méthadone sirop ou gélule.
- Comparer la fréquence et la quantité des consommations de médicaments psychotropes associés aux deux formes de méthadone.
- Comparer la fréquence et la quantité des consommations de substances psychoactives associées aux deux formes de méthadone.
- Comparer la fréquence des patients ayant nécessité un complément de prescription par anticipation pour chacune des deux formes de méthadone.
- Comparer la fréquence de survenue d’éventuels effets indésirables des deux formes de méthadone.
Les patients doivent être âgés de plus de 18 ans et répondre aux critères requis pour pouvoir bénéficier du passage de la méthadone sirop à la méthadone gélule conformément aux conditions de l’AMM à savoir :
- suivre depuis au moins un an un traitement avec la méthadone sirop,
- être stabilisés sur un plan médical, psychologique et social, de même que sur celui des conduites addictives,
- avoir un avis favorable pour le passage à la forme gélule et une primo-prescription sous la forme d’une ordonnance de délégation de prescription par le médecin généraliste, délivrée par un médecin de CSST, de CSAPA ou d’un service hospitalier spécialisé dans les soins aux patients consommateurs de méthadone.
Schéma de l’étude
Population étudiée
Pour cette analyse intermédiaire, 101 dossiers exploitables ont été étudiés. Cette première analyse donne un aperçu de cette population de patients actuellement suivie en médecine de ville, recevant un traitement par sirop de méthadone et éligible à un traitement par gélule de méthadone.
Graph. 1 : Âge
82 % des patients ont plus de 30 ans (graph. 1) et 65% ont un poids normal (28 % présentent un surpoids) (graph. 2). Par ailleurs 34% sont sans emploi (graph. 3), ce qui témoigne d’un bon niveau d’insertion de cette cohorte, principalement suivis en médecine de ville et stabilisés (pour répondre aux critères de l’AMM).
Graph. 2 : IMC (Indice de Masse Corporelle)
Graph. 3 : Situation professionnelle
Analyse à À J-0
Pour les 101 patients étudiés, on note :
- Un âge moyen de début de consommation régulière d’opiacés de 20,8 ans (min : 14 ans, maxi : 38 ans)
- Un âge moyen de début de la mise en place d’un traitement de substitution aux opiacés de 28,7 ans (mini : 18 ans, maxi : 47 ans)
- Un âge moyen de début de la mise en place d’un traitement par la méthadone de 31,7 ans (mini : 18 ans, maxi : 49 ans)
- Le nombre moyen de mois depuis que la stabilisation a été obtenue est de 38,5 mois (mini : 3, maxi : 144)
On peut en conclure, sur cet échantillon, qu’il faut 8 ans en moyenne pour accéder à un TSO à partir du moment où la consommation d’opiacés est régulière et 3 ans de plus pour accéder à un traitement par la méthadone. Sur ces 101 patients, la durée moyenne de stabilisation est supérieure à 3 ans.
D’autres informations ont été recueillies :
- Antécédent d’overdose : 20,2 %
- Problèmes judiciaires actuels : 6 %
- Emploi régulier rémunéré : 65,7 %
Concernant les prestations sociales, elles se répartissent de la façon suivante :
- La posologie moyenne de méthadone au moment de l’inclusion est de 55,9 ± 41,1 mg/jour (médiane : 47,5, min : 4,0 ; max : 180,0), un peu en deçà de celle relevée auprès d’usagers suivis en milieu spécialisé (OPPIDUM 2007 : 62,2 ± 32,7mg/jour).
- La mono prise quotidienne concerne 86,3% des patients.
Les posologies quotidiennes antérieures sont les suivantes :
L’évolution de ces posologies moyennes sur les 12 mois précédents montre clairement une tendance à la diminution progressive de la posologie dans cet échantillon de patients.
- 64,4% des patients ont une délivrance pour 14 jours, et 31 % pour une semaine.
- 32,3% ont un suivi conjoint dans un service spécialisé.
- A J0, pour 74,5% des patients, un protocole de soins avec la CPAM a été mis en place. Ce protocole de soins étant obligatoire, on peut penser que la demande est faite pendant la période de J0 à J14 pour le quart restant.
- 66,3% des patients ne déclarent aucun effet indésirable avec le sirop de méthadone dans la période précédant l’inclusion.
Le statut sérologique pour l’hépatite C
La séroprévalence du VHC est de 34,7%, inférieure aux données de l’enquête Coquelicot par exemple (InVS-ANRS 2004) qui fait état d’une séroprévalence de 59,8%, avec làaussi une différence de recrutement (Coquelicot = recrutement plus varié : CAARUD, CSST, MG…).
9,4% de patients ont une séropositivité au VIH, proche du taux de l’étude Coquelicot (10,2%), avec 3,1% de patients qui ne connaissent pas leur statut sérologique pour le VIH.
Analyse à J-14
84,2% des patients ne présentent pas d’effets indésirables au cours des 14 derniers jours (traitement par le sirop de méthadone).
2% des patients ont nécessité un complément de prescription entre J0 et J14
La posologie moyenne de prescription de méthadone en gélule est de 56,6 mg/jour (± 40,0 mg), comparable à la posologie moyenne prescrite à J0 (sirop), soit 55,9 mg/jour.
La mono prise quotidienne concerne 88,8% des patients contre 86,3% à J0.
Analyse à J 28
Effets indésirables
Le pourcentage de patients ayant éprouvé un effet indésirable au cours des 14 derniers jours est de 18% sous sirop (J0-J14) versus 22,5% sous gélule (J14-J28), écart non significatif (p=0,3938).
Consommation de psychotropes
Celle-ci est stable entre les deux périodes. Il avait été considéré qu’un défaut de bioéquivalence entre les deux formes aurait pu se traduire par une augmentation de cette consommation de psychotropes pour pallier le manque.
Consommation de psychotropes
Consommation de benzodiazépines
Plus spécifiquement concernant les BZD, la consommation est retrouvée chez 33,7% des patients sous sirop (J0-J14) contre 30,7% sous gélule (J14-J28), écart non significatif (p=0,2528).
Autres produits
- Il en est de même pour la consommation d’antalgiques, d’autres psychotropes et d’autres médicaments, pas d’écart significatif.
- La consommation de cigarettes et d’alcool est stable dans la période J14-J28 par rapport à J0-J14, avec de faibles écarts non significatifs.
- Pour les consommations de cannabis, solvant, amphétamines, héroïne, cocaïne, il n’y pas d’augmentation de ces consommations ‘déclarées’ aux médecins au cours de la période gélule qui succède à la période sirop (à confirmer par les auto-questionnaires).
Sur le critère principal de l’étude (évolution du score de Handelsman)
Il n’y a pas d’évolution du score de Handelsman ce qui suggère une équivalence thérapeutique entre les deux formes.
82,9% des patients ont un score de Handelsman = 0 après 14 jours de gélule (absence totale de signes de manque) contre 80,7% après 14 jours de sirop. Cette évaluation est faite sur les 88 patients dont les dossiers sont correctement remplis (score de Handelsman à J0, J14 et J28).
Appréciation par les patients
- 98,9% des patients souhaitent rester sous la forme gélule ;
- Avantages décrits par les patients (sur proposition du médecin au cours de l’observation à J28) :
Inconvénients décrits par les patients (sur proposition du médecin au cours de l’observation à J28)
37,6 % décrivent un inconvénient et c’est parmi ces patients que se répartissent les inconvénients dans le graphique précédent.
Nous voyons ici, dans la réponse à cette dernière question, l’aspect subjectif de la bioéquivalence ressentie par les patients. A ce stade de l’étude, l’évolution du score de Handelsman laisse entrevoir l’absence d’apparition significative de signes de manque lors du passage du sirop à la gélule. Pour autant, quand on leur propose à titre d’inconvénient, d’éventuels choix laissant penser à des situations de manque, certains patients sont plus enclins à évoquer ces situations de manque.
Conclusion
Même s’il ne s’agit que de résultats intermédiaires, cette analyse semble confirmer l’équivalence thérapeutique des gélules de méthadone avec le sirop de méthadone qui avait été suggérée lors de l’étude de bioéquivalence qui avait précédé l’AMM de la Méthadone AP-HP, gélule. Cette bio-équivalence est de 99,6 % avec un intervalle de confiance de 90% (1).
Après le passage à la gélule, le score de Handelsman n’a pas évolué, ni les consommations annexes licites et illicites, dont on aurait pu penser qu’elles seraient augmentées en cas de défaut de bio-équivalence. Objectivement, il n’y a pas d’apparition significative de signes cliniques ou de modification de consommations pouvant évoquer un manque d’équivalence thérapeutique entre les deux formes.
Cette étude étant réalisée principalement par des médecins généralistes suivant déjà des patients sous méthadone sirop (qui leur ont été adressés bien avant l’étude après primoprescription en service spécialisé), elle montre également la faisabilité de ce passage du sirop vers la gélule en médecine de ville.
En effet, les médecins ayant participé cette étude ont initié le traitement par gélule de méthadone, depuis leur cabinet de médecine générale, en possession d’une délégation de prescription émanant d’un service spécialisé leur autorisant la prescription des gélules de méthadone.
Plusieurs études réalisées en CSST (2, 3) confirment cette notion d’équivalence thérapeutique entre les 2 formes. La mise à disposition des gélules de méthadone semble répondre à ce qu’on en attendait. Une amélioration très sensible pour les usagers sur des aspects pratiques (4).
Néanmoins, pour quelques patients, le changement de forme provoque un stress anxiogène qui peut se caractériser pas la sensation d’être en manque, voire même pour certains, de surdosage (1).
Au regard de la sensibilité des usagers de drogue à la problématique du ‘Manque’(5), un défaut de bio-équivalence ou même d’équivalence thérapeutique émergerait de façon très visible aux yeux des cliniciens et des systèmes de pharmacovigilance (6). Cela ne semble pas être le cas.
Bibliographie
- (1) A propos de la pharmacocinétique de la méthadone, des conditions du passage du sirop de méthadone aux gélules et de l’étude de bio-équivalence. Entretien avec le Dr Xavier LAQUEILLE, Paris. Flyer n° 34, décembre 2008.
- (2) PEYBERNARD C., Expérience de la méthadone gélule en CSST. Flyer n° 36, mai 2009.
- (3) DANG-VU PM., Suivi d’une cohorte de 56 patients traités par gélule de méthadone. Flyer n° 38, décembre 2009.
- (4) MICHEL L., Gélules de méthadone, quand les préoccupations de santé publique rejoignent les attentes des cliniciens et usagers. Alcoologie et Addictologie 2008 ; 30(1).
- (5) WILL A., La méthadone gélule un an après, Asud-journal 40 été 2009 ;
- (6) BENSLIMANE M., Bilan plutôt positif pour la gélule de méthadone, Swaps n° 56, 2009.
Commentaire de lecture adressé à la rédaction par le Dr Didier BRY (Médecin Psychiatre, Directeur Coordinateur RESAD VAUCLUSE CAMARGUE)
Publié dans le Flyer n° 41 (Déc. 2010)
Ce qui pose problème, c’est l’existence même d’un cadre réglementaire spécifique à une galénique.
On comprend bien qu’il puisse y avoir des différences, par exemple de durée de prescription comme il en existe pour la morphine entre la forme orale et l’injectable.
Mais la décision du passage d’une forme galénique à une autre obéit à des indications d’ordre médical et tout le monde verrait l’absurdité de demander, pour la morphine par exemple, un mois de traitement par voie orale avant de passer à l’injectable.
La forme gélule de la méthadone parait ainsi plus adaptée aux diabétiques, aux patients en surpoids, aux patients en sevrage alcoolique, à ceux qui travaillent et/ ou qui se déplacent beaucoup, qui vivent ou vont dans des pays chauds ou encore qui n’ont pas de réfrigérateur….et aussi, en effet, à ceux qui sont bien stabilisés.
La méthadone est un médicament, et comme tel, doit en suivre les règles : C’est au médecin, en accord avec le patient, de décider du traitement.