Le Flyer : Dr Xavier LAQUEILLE, vous étiez le coordinateur scientifique de l’étude de bioéquivalence qui a précédé la demande d’AMM de la méthadone sous forme gélule. Que pouvez-vous nous dire sur cette étude ?
Dr Xavier LAQUEILLE : Cette étude de bio-équivalence a comparé dans le cadre d’un passage de méthadone sous forme de sirop à la forme gélule les taux sanguins de méthadone sur 24 heures. Les données pharmacocinétiques font apparaître sur l’ensemble des sujets une bio-équivalence à 99,6 %, avec un intervalle de confiance de 90 %. On peut parler de bio-équivalence stricte. Quelques patients ont ressenti des symptômes de manque, mais sans corrélation avec des méthadonémies résiduelles basses.
Le Flyer : Si les gélules de méthadone sont bio-équivalentes au sirop de méthadone, à quoi peuvent être liés ces quelques signes de manque ?
Dr Xavier LAQUEILLE : Selon moi, ces symptômes pourraient être liés aux conditions mêmes de l’étude : 24 heures d’observation et de prélèvements sanguins dans un centre d’investigation clinique de surcroît non-fumeur, apparition des symptômes lorsque les patients se retrouvent seuls à leurs domiciles, et à l’aspect ‘nouvelle forme’ pouvant entraîner une anxiété avec peur du manque, classique chez ces patients. C’est l’analyse que j’ai eu l’occasion de formuler en réponse aux questions de la Commission d’AMM en mai 2006. Par ailleurs, la pharmacocinétique de la méthadone montre, pour les patients traités par une prise quotidienne, une demi-vie d’environ 24 heures et des concentrations plasmatiques stabilisées (« steady-state ») en plusieurs jours, habituellement 5 demi-vies. Ainsi, lors des changements de posologie, si la bio-disponibilité des gélules de méthadone était de 90 % par rapport au sirop (ce qui est déjà peu probable au regard de l’étude menée), il faudrait plusieurs jours pour voir apparaître des symptômes de sevrage. Les rares observations faites à ce jour montrent plutôt des sensations de manque ou de surdosage survenant dès les premières heures, voire dès la prise et qui se résolvent presque toujours spontanément dès le lendemain. Pour les cas dont nous avons été informés de l’évolution, il n’y a pas eu d’adaptation des posologies. De ce fait, il est difficile de mettre ces manifestations en relation avec des modifications de la cinétique de la méthadone.
Le Flyer : comment appréhender, d’un point de vue clinique, ces changements de forme ?
Dr Xavier LAQUEILLE : Le changement de forme, notamment quand il s’agit de psychotropes, peuvent entraîner des effets nocebo. Cela arrive particulièrement dans le cas de changement de forme (sirop – gélule, comprimé – forme lyophilisée, comprimé – forme oro-dispersible…), mais aussi lors de changement de princeps à générique, voire entre génériques (par exemple les génériques de BHD entre eux, alors que dans ce cas, ils sortent de la même usine !). Chez les usagers de drogues, ces manifestations prennent préférentiellement l’allure de symptômes de manque ou de surdosage : « celui-ci monte plus vite », « j’ai l’impression d’être en manque », » je sens moins le produit », « il me fait plus d’effet ». Ces manifestations subjectives, sont à distinguer de ce qui relèverait d’une meilleure ou d’une moins bonne bio-disponibilité (nécessité d’adapter la posologie, chronologie). En ce qui nous concerne, nous avons mis, depuis le mois de mai 2008, 25 patients sous gélule de méthadone. Ils bénéficiaient précédemment d’un traitement par sirop. Deux se sont plaints de moins ressentir cette nouvelle forme dans un contexte plus global de revendication, en particulier de posologie élevée de méthadone. De fait, aucun d’entre eux n’a manifesté de signes pouvant nous faire penser objectivement à un défaut de bio-équivalence avec nécessité d’adaptation de la posologie quotidienne. Pour autant, tous les cas méritent d’être notifiés et d’être analysés à l’aune de ces considérations cliniques et pharmaco-cliniques.
Commentaires de lecture adressés à la rédaction par le Dr Jacques BENSIMON, CSST Le Corbillon, Hôpital CASANOVA – Saint-Denis (93)
Publié dans le Flyer n° 35 (Février 2009)
Suite à la lecture de l’article de Xavier LAQUEILLE, nous avons fait le point avec les infirmiers du centre ‘Le Corbillon’ à Saint-Denis.
A ce jour, nous avons mis 38 patients sous méthadone gélule dont 35 au CSST et 3 en ville.
Sans difficulté pour 36 patients, et notamment sans apparition de syndrome de manque.
Seul, un patient à qui j’ai prescrit le traitement début juin (40 mg par jour) et qui a demandé que je le vois fin juillet. Alors que tout s’était bien passé au début, il a présenté des maux de tête violents et des douleurs abdominales. Je ne suis pas certain que cela soit dû aux gélules, et je le lui ai dit. Mais pour lui, les gélules ne lui conviennent pas et nous l’avons repassé au sirop.
Pour un autre patient qui était à 10 mg par jour, dans un processus d’arrêt progressif de son traitement de substitution, nous avons fait un passage à 10 mg en gélule. Dès le lendemain, il nous a dit qu’il était un peu en manque. Signes plus subjectifs qu’objectifs. Je lui ai proposé une augmentation de posologie qu’il a refusée et au bout de trois semaines, il nous a dit que tout allait bien, sans modification de posologie. Ce sont les seules difficultés que nous avons rencontrées.
Les patients sont en général très contents du passage à la gélule.