Résumé
Nous avons suivi pendant trois ans le parcours de soin de 150 patients (57 femmes et 93 hommes) en Hôpital de Jour (HDJ) en addictologie afin d’évaluer l’impact d’un projet de soin en HDJ sur le maintien de l’abstinence, l’aide à l’autonomisation des patients et à leur réinsertion socioprofessionnelle (travail, activités extérieures culturelles, associatives…).
La moyenne d’âge était de 47 ans. 115 patients ont bénéficié de cette modalité de soin après une hospitalisation et 35 après une prise en charge uniquement ambulatoire en consultation. Dans cette étude, plus les patients s’investissent longtemps dans le soin, plus ils arrivent à mener à bien un projet de vie organisé (travail ou autres activités).
Le projet de soin de consolidation d’abstinence de produits psycho actifs en HDJ est donc un soin complémentaire à l’hospitalisation ou au suivi ambulatoire, qui peut être proposé aux patients qui ont besoin de plus temps pour se reconstruire et consolider leur abstinence.
Description du service d’addictologie
Le service comporte une unité d’hospitalisation de 24 lits, des consultations et un hôpital de jour. L’hôpital de jour possède 8 lits d’hospitalisation, soit l’équivalent de 11 à 12 places par jour (du lundi au vendredi).
L’équipe de soins est pluridisciplinaire : médecins, psychologues, infirmières, aide soignants, assistants sociaux, ergothérapeutes et animateurs sportifs.
La souplesse du dispositif de soins permet à l’ HDJ de bénéficier d’une partie de l’équipe soignante de l’hospitalisation (ergothérapeutes, animateurs sportifs et assistants sociaux). La continuité dans la prise en charge est donc favorisée.
La réunion de synthèse est hebdomadaire en HDJ.
Elle rassemble un des membres de chaque catégorie de soignants, ce qui permet une coordination du travail autour des patients très cohérente.
Projets de soins en hôpital de jour en addictologie
L’HDJ est ouvert du lundi au vendredi de 8h30 à 17h, l’accueil est fait quotidiennement par les infirmières au poste de soins par un petit entretien individuel permettant de faire le point sur les jours précédents, les difficultés rencontrées par le patient, les envies de produit, les éventuelles reconsommations, l’avancée des projets en cours (travail, vie familiale, activités de loisirs…).
Cet entretien est suivi par un dosage à l’éthylomètre systématique, puis par un dosage des toxiques urinaires une à trois fois par semaine et éventuellement un bilan sanguin. A 10 heures, les patients commencent les activités du planning thérapeutique.
Le planning thérapeutique est individuel, personnalisé pour chaque patient. Sa fréquence est de 1 à 4 jours par semaine, évolutive au fil du temps en fonction des besoins du patient et lui laissant du temps libre pour faire ses démarches. Les patients participent à plusieurs activités et sauf contreindication médicale, ils font tous du sport (gymnastique, musculation en salle, sports collectif) deux fois par semaine et vont à plusieurs ateliers d’ergothérapie (poterie, bois, vannerie, dessin, mosaïque, peinture, expression, mémoire, marionnettes, informatique) ou théâtre, danse, spectacles devant les soignants ou leur famille, organisés par les patients avec les ergothérapeutes et les animateurs sportifs.
Nous leur conseillons vivement de participer au groupe de parole qui est hebdomadaire. En fonction de leurs difficultés, nous leur proposons d’intégrer un module de TCC (thérapie cognitivo comportementale) sur la prévention de la rechute, l’affirmation de soi ou la gestion des émotions négatives.
Les patients bénéficient d’un suivi psychologique qui s’organise en fonction de leurs besoins et un bilan mémoire en neuropsychologie peut être demandé. Un suivi social est très souvent indispensable pour les problèmes financiers, la régularisation des droits, l’aide au logement ou au retour à l’emploi, l’éventuelle demande de mise sous tutelle, curatelle…
Les entretiens médicaux sont hebdomadaires en début de prise en charge puis bimensuels avec une augmentation de fréquence si besoin.
Nous leur proposons un cadre étayant sur lequel ils peuvent s’appuyer afin d’arriver à mieux structurer leur temps. En effet, lors de sa consultation de pré admission en HDJ, le patient reçoit deux exemplaires de son engagement qu’il lit avec le médecin. Il en signe un et garde l’autre pour mémoire. Il signe aussi le planning de son programme thérapeutique et est responsable de sa ponctualité aux différents rendez-vous et aux activités. Une prise de disulfirame supervisée par le service peut être proposée ponctuellement en aide au maintien de l’abstinence de l’alcool.
Le projet en HDJ est un projet de maintien et de consolidation de l’abstinence d’un ou plusieurs produits reconnus par le patient comme posant problème (à noter aussi la possibilité d’accompagner des patients lors de leur traitement du VHC pour une meilleure efficacité du traitement antiviral grâce à cette prévention de la rechute).
Le but du soin est de proposer une aide à l’insertion ou à la réinsertion sociale par un retour à la vie professionnelle, à la vie associative, à une vie structurée, organisée au domicile. Les patients arrivent progressivement à se reconstruire grâce au renforcement hédonique perçu en retrouvant ou en découvrant le plaisir de l’effort physique et intellectuel, la gratification personnelle ou la redécouverte de leurs performances intellectuelles, mnésiques, physiques.
Ceci se met progressivement en place grâce à l’ergothérapie productive, l’atelier mémoire, le sport individuel ou collectif, ainsi que par la régularité et la ponctualité de leur présence, le respect des horaires, des obligations : éthylomètre, dosages biologiques urinaires des produits.
La tolérance vis-à-vis des autres (toutes les activités sont en groupe) et l’expression des émotions permet aussi de pouvoir réintégrer une vie sociale.
Profil de 150 patients suivis en HDJ et ayant termine leur prise en charge entre novembre 2007 et novembre 2010
Ces données ont été collectées par le médecin responsable de l’HDJ à la fin de chaque prise en charge des patients et ont été enregistrées par les secrétaires lors de la dictée du courrier de la fin d’HDJ de chacun des patients.
Il y avait 57 femmes (38 %) et 93 hommes (62 %)
La moyenne d’âge était de 47 ans, (patients nés entre 1941 et 1982)
La majorité, soit 115 patients sont entrés en HDJ après la cure hospitalisée dans le service et 35 directement après le suivi en consultation.
Seulement 20 patients (13 %) étaient en soin pour arrêter simultanément plusieurs produits :
- 13 arrêtaient deux produits : toujours l’alcool, associé au cannabis pour 9 patients, associé aux opiacés pour 2 patients, et pour les deux autres, c’était pour l’un associé aux benzodiazépines et pour l’autre associé à la cocaïne.
- 5 arrêtaient trois produits : 1 patient (opiacés, cannabis, benzodiazépines), 2 patients (alcool, opiacés, cocaïne), 1 patient (alcool, opiacés, benzodiazépines) et 1 patient (alcool, opiacés, cannabis)
- 2 arrêtaient quatre produits : alcool, cannabis, cocaïne, opiacés.
La majorité, 130 patients (87 %) étaient en soins pour consolider l’abstinence d’un seul produit, essentiellement l’alcool, hormis quatre, dont deux qui venaient pour consolider l’arrêt du cannabis (l’un avait déjà arrêté l’alcool, l’autre était abuseur d’alcool sans dépendance au moment de la prise en charge en HDJ) et deux venaient pour arrêter les opiacés mais l’un était consommateur non dépendant de cannabis à cette époque.
Dans ce groupe un certain nombre étaient déjà abstinents pour d’autres produits.
La durée moyenne de la prise en charge de tous les patients était de 4 mois et demi.
Nombre de patients selon la durée de la prise en charge (en mois)
Nous avons classé en trois types les projets de sortie des patients : travail, autres activités (personnelles ou de soins médicaux non addictogiques), autres raisons (rechute ou problème psychiatrique prédominant). Nous avons noté qu’une majorité de patients (74), soit presque la moitié, avait repris une activité professionnelle. Plusieurs d’entre eux avaient repris sous forme d’un mi-temps thérapeutique dans un premier temps, avec continuation de l’HDJ.
Environ un quart des patients avait mis en place d’autres activités de type culturelles, associatives…
Mais 40 patients, soit 27 %, pouvaient être considérés comme des « évolutions difficiles en HDJ » (rechute, perdus de vue …)
Pour les projets de sortie (travail ou autres activités), 110 patients peuvent être considérés comme des « bonnes évolutions en HDJ ».
Corrélations
L’âge moyen des femmes était de 48 ans, celui des hommes était de 46 ans.
Quelque soit le mode d’entrée en HDJ (consultation ou hospitalisation), il n’y avait pas de différence d’âge entre les hommes et les femmes.
La moyenne d’âge des patients pour l’arrêt de l’alcool était de 47 ans et celle pour l’arrêt du cannabis ou pour l’arrêt des opiacés était de 42 ans.
28 % des femmes et 20 % des hommes sont entrés en soin directement après un suivi de consultation.
72 % des femmes et 80 % des hommes ont intégré l’HDJ après une hospitalisation.
La durée de la prise en charge pour le projet « travail » était en moyenne de 5,4 mois, celle pour le projet « autres activités » de 5,3 mois et pour le reste qui correspond souvent à des rechutes, la durée moyenne était plus courte (un peu moins de deux mois).
Nous avons aussi remarqué que la durée de la prise en charge tend à augmenter avec l’âge des patients et qu’elle était plus longue pour les femmes (5,2 mois) que pour les hommes (4 mois), peut être parce que les femmes en soin étaient en moyenne plus âgées que les hommes et que ces derniers semblaient avoir essayé de reprendre le travail plus rapidement pour diverses raisons (économiques, pression familiale, moindre perception de l’intérêt du soin… ?)
La moyenne d’âge était de 51 ans pour le projet « autres activités » et de 45 ans pour le projet « travail ». Celle pour le projet « autres raisons » qui correspond souvent à des rechutes, était plus jeune 44 ans.
Seulement 23 % des patients étant entrés directement par la consultation en HDJ et 28 % des patients ayant démarré l’ HDJ après une hospitalisation n’ont pas réussi à mettre en place un projet de sortie adapté. On peut émettre l’hypothèse que ceux qui arrivaient à se sevrer en ambulatoire étaient peut-être un peu moins fragiles ou moins ambivalents.
Comparaison avec une étude plus courte antérieure…
…publiée sous forme de poster au congrès de la SFA (Société Française d’Alcoologie et d’Addictologie) en Octobre 2009. Celle-ci portait sur les 67 premiers patients suivis de cette étude. Dans l’étude actuelle, on note que le ratio hommes femmes est similaire à la première étude mais qu’il y a un peu plus de patients venant directement de la consultation sans avoir été hospitalisés et que plus de patients viennent pour arrêter plusieurs produits (de 4,5 % passage à 13,5 % ) au fil des années.
Conclusions et perspectives
Suivre des patients en HDJ permet une consolidation de l’abstinence, une reconstruction personnelle (travail, famille…) dans la durée.
C’est un suivi au long cours avec un étayage cadrant, soutenant (dans sa fréquence et son importance), ce que ne permet pas toujours le seul suivi en consultation.
Ce soin en HDJ peut être proposé aux patients paraissant les plus fragiles (première démarche hospitalisée après un long parcours de soins, rechutes à répétition après sorties de cures antérieures, dégradation physique liée au produit…), ou à ceux qui ont le plus de projets à reconstruire :
- vie professionnelle avec beaucoup d’interruptions : arrêts maladie, licenciements…
- rôle parental : difficultés avec leurs enfants ou perte de leur garde…
- difficultés sociales : pécuniaires, de logement…
Aucun planning thérapeutique n’occupe les cinq jours de la semaine afin de permettre au patient de faire ses démarches et de consolider son abstinence en se confrontant à la réalité extérieure tout en s’appuyant sur des soins soutenus.
La souplesse du dispositif de soins permet aux patients de mener à leur terme leurs projets personnels en leur permettant de trouver une grande diversité d’aides (sociale, psychologique, entretien familial ou de couple, soutien, renforcement par les activités variées…).
Le retour à l’emploi en deux temps en passant par un mi temps thérapeutique couplé aux soins en HDJ en alternance dans la semaine, permet la reprise du travail avec plus de confiance et, de meilleures conditions de reprise à temps plein dans un second temps. Cela a concerné environ un tiers des patients ayant mené le projet d’une reprise d’activité professionnelle.
La personnalisation du programme thérapeutique avec son adaptation et sa diminution au fil du temps, permet aussi la préparation de l’arrêt de l’ HDJ qui est une étape importante souvent génératrice d’angoisse et qui doit se préparer très en amont.
Favoriser les prises en charge en HDJ permet souvent de réduire la durée de l’hospitalisation de 24 heures, de faire des entrées directes après le suivi ambulatoire quand le patient s’est sevré et d’essayer d’avoir une meilleure compliance au traitement de l’hépatite C chez les patients nécessitant une aide au maintien d’abstinence des produits.
Développer cette approche de soins est probablement un des projets d’avenir des soins en addictologie.
Mettre en place un hôpital de jour en addictologie peut nécessiter de s’appuyer sur une structure d’hospitalisation afin de bénéficier d’une équipe pluridisciplinaire et de moyens matériels ou d’avoir une équipe indépendante rattachée à l’hôpital de jour, l’organisation du soin en HDJ devant permettre de s’adapter le plus possible aux besoins de chaque patient.