Les Centres d’Injections Supervisées (CIS) sont des structures développées à partir des années 1980 dans les zones urbaines marquées par un usage important de drogues injectables. Les principaux enjeux justifiant l’ouverture des CIS étaient d’améliorer les règles d’asepsie lors des injections, en particulier chez les usagers les plus marginalisés, de réduire le nombre d’overdoses et de faciliter l’intervention des services d’urgences en cas d’overdose.
D’une manière plus globale, les CIS avaient également pour objectifs initiaux de faciliter la rencontre des usagers de drogues avec les services sociaux ou avec des services de prise en charge addictologique pour les usagers qui le souhaitaient.
Enfin, d’un point de vue social, les CIS étaient censés permettre la réduction des nuisances urbaines en lien avec la consommation de drogues (déchets, violences, crime). Toutefois, le fonctionnement des différents CIS est également basé sur des règles strictes. La plupart des CIS sont par exemple interdits aux mineurs ou aux femmes enceintes, et leur accès est réservé à des utilisateurs réguliers et bien identifiés. La violence, l’échange ou la vente de drogues, et l’aide à l’injection d’autres usagers de drogues y sont interdits.
Très rapidement après leur développement initial, les CIS ont suscité de très violentes critiques. En 1999, le très influent Conseil International de Contrôle des Narcotiques avait par exemple estimé que « tout état ou autorité locale qui autorise la mise en place et le fonctionnement de salles d’injection ou de toute autre structure facilitant l’abus de drogues […] promeut ainsi le trafic de drogues illicites ». Les opposants aux CIS y ont vu en effet une incitation tacite à l’usage et à la vente de substances illicites, en contradiction selon eux avec les différentes lois nationales et internationales luttant contre le trafic de drogues.
Cette controverse a mené à de très nombreuses études scientifiques évaluant les éventuels bénéfices ou conséquences des CIS. Ces dernières années, des travaux de synthèse rassemblant et analysant l’ensemble de ces études ont été réalisés en particulier en Europe, par l’INSERM ou bien par l’Observatoire Européen des Drogues et Toxicomanies (EMCDDA, 2008 ; INSERM, 2010).
En dépit de leur grande qualité, ces travaux n’ont pas l’objet d’une méthodologie de transparence pour la réalisation d’une synthèse de littérature. De plus, ils n’ont pas été publiés dans des revues à comité de lecture externe.
Il était donc nécessaire qu’une véritable revue systématique de la littérature scientifique disponible sur les CIS soit réalisée selon les règles de la publication internationale. C’est ce que vient pour la première fois de réaliser l’équipe du service d’addictologie du CHRU de Lille, en collaboration avec le service d’addictologie de Nancy, et le département de santé publique de Lausanne, où fut ouvert l’un des tous premiers CIS.
Les auteurs ont suivi pour ce travail les recommandations PRISMA, qui sont les recommandations de références pour la réalisation d’une revue systématique de littérature. Les bases de données utilisées étaient Medline, Web of Science, et ScienceDirect. Tous les articles sélectionnés ont fait l’objet d’une synthèse rigoureuse et d’une évaluation du niveau de preuve selon des outils internationaux de gradation.
75 articles pertinents
Au final, 75 articles pertinents ont été retenus. Ces études retrouvaient de manière uniforme que le public des CIS était bien celui visé initialement, c’est-à-dire des usagers de drogues les plus marginalisés, majoritairement des sujets jeunes et de sexe masculin, poly-usagers de drogues, et dont le taux de séropositivité au VIH pouvait atteindre 30%.
L’ensemble des études concluaient à une absence de mort par overdose au sein des différents CIS, et par une diminution du nombre et de la gravité des overdoses dans les quartiers environnants.
De la même façon, les données étaient convergentes sur le constat que les CIS étaient efficaces pour favoriser des pratiques d’injection plus sûres chez les usagers, pour diminuer l’échange de seringues, pour augmenter le recours aux soins des usagers en cas de complication médicale, et pour faciliter l’accès des usagers aux services sociaux et aux prises en charge addictologiques.
Aucune des quatre études ayant étudié l’évolution de l’usage et du trafic de drogues, ainsi que la criminalité en périphérie du CIS n’a retrouvé d’augmentation de ces paramètres avec l’ouverture des CIS. Les quatre études médico-économiques menées sur les CIS ont retrouvé un impact médico-économique positif de ce type de structures. Les enquêtes menées parmi les habitants des environs des CIS retrouvaient des opinions contrastées sur ces dispositifs et leur impact dans le quartier.
Au final, cette revue de littérature montre que les études scientifiques publiées et référencées dans les principales bases de données médicales sont assez convergentes pour conclure que les CIS semblent remplir les missions pour lesquelles ils ont été développés.
Toutefois, ce travail de revue fait le constat que 85 % des études sur les CIS publiées dans les grandes bases de données internationales ont été réalisées au niveau des CIS de Sydney et de Vancouver, alors que la grande majorité des CIS existant dans le monde sont localisés en Europe.
Des études ont été réalisées dans les structures européennes, et leurs résultats sont disponibles dans les documents de synthèse publiés au niveau européen (EMCDDA, 2008 ; INSERM, 2010), mais ces résultats n’ont pour la plupart jamais été publiés dans des revues scientifiques internationales à comité de lecture, ce qui nuit gravement à leur visibilité par la discipline.
Ce que montre principalement cet article de revue, c’est que les controverses sur l’utilité médicale et sur le caractère possiblement pernicieux des CIS sont en contradiction avec la totalité des faits observés scientifiquement à ce jour.
Les opposants contemporains des CIS se positionnent d’ailleurs davantage aujourd’hui sur un plan éthique que scientifique. On citera par exemple le point de vue du Conseil National de l’Ordre des Médecins qui estimait en 2011 que la mise en place de CIS en France est « dangereux » car « on accepte l’injection d’un produit illicite et on brouille le message pour les jeunes générations » et que le médecin devient ainsi « complice (sic) d’un patient qui s’injecte devant ses yeux une drogue illicite » (CNOM, 2011).
On trouve toutefois encore aujourd’hui des critiques scientifiques sur les CIS. Par exemple l’Académie de Pharmacie a très récemment écrit que l’évaluation des CIS avait fait l’objet de « rares études» (sic), avec une « absence de rigueur méthodologique et de critères d’évaluation de l’expérimentation envisagée ». Gageons que la lecture de cet article de revue corrigera peut-être le point de vue étonnant de cette société savante.
Enfin, l’autre point majeur que souligne cet article, c’est l’absence de financement de recherche alloué aux CIS européens pour permettre de démontrer leur efficacité médicale et leur innocuité sociale. Contrairement à l’Australie ou au Canada, l’Europe semble avoir une culture moins marquée par l’évaluation, ce qui favorise la persistance de controverses sur le CIS. Ces controverses ne manqueront pas de revenir en France, comme en témoigne l’avis récent de l’Académie de Pharmacie, et il sera alors utile d’opposer les résultats de cette revue scientifique aux arguments qui ne manqueront pas de fleurir parmi les opposants aux CIS.
Références
- Académie de Pharmacie, 2014. Avis sur les salles d’injection contrôlée de drogues.
- CNOM, 2011. Centres d’Injections Supervisés. Avis.
- EMCDDA, 2008. 2008 Annual Report: The State of the Drugs Problem in the EuropeanUnion and Norway. European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction,Luxembourg.
- INCB, 1999. Reports Published by the International Narcotics Control Board in 1999 (No. E/INCB/1999/1). International Narcotics Control Board, Vienna.
- INSERM, 2010. Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues (rapport d’expertise collective). Institut National de la santé et de la recherche médicale, Paris.