Nombre de nos patients présentant une addiction à l’alcool ont des antécédents d’usage ou de dépendance à l’héroïne. Or, parfois le passage de la consommation d’héroïne à la consommation d’alcool a pu être source de malentendus, certains pouvant considérer qu’il s’agissait d’une forme de rémission de la dépendance aux opiacés.
Les auteurs de cet article proposent que l’abus d’alcool chez des patients anciens héroïnomanes doive être considéré comme une forme masquée de dépendance à l’héroïne ou un signe de dysfonctionnement durable des récepteurs opiacés qui nécessite de reprendre un traitement de substitution opiacée.
Le cas clinique
Ils présentent le cas clinique d’un homme de 55 ans, ancien héroïnomane, abstinent de toute consommation d’héroïne et ne bénéficiant plus d’aucune substitution opiacée (méthadone 40 mg/j) depuis 5 ans, qui a présenté un usage nocif d’alcool (consommations massives sans précision des unités standards quotidiennes), résistant aux traitements standards de l’addiction à l’alcool tant psychothérapeutiques que pharmacothérapeutiques.
Il était dysphorique, irritable, impulsif et s’automutilait fréquemment malgré un traitement psychotrope important (flurazepam, triazolam, levopromazine, aripiprazole et gabapentine). Il est notable que ce patient ait toujours été faiblement substitué et continuait à consommer de l’héroïne tout en restant dans les soins.
Après l’introduction de la buprénorphine (induction de 4 jours débutée à 1 mg/j) associée à des benzodiazépines pour éviter le syndrome de sevrage à l’alcool, ils ont observé un arrêt de toute consommation d’alcool en sept jours et les troubles du comportement se sont rapidement amendés nécessitant une diminution puis un arrêt des psychotropes (hormis la gabapentine).
Le traitement de substitution opiacée par buprénorphine haut dosage était stabilisé à 4 mg/j avec un maintien d’abstinence toujours effectif après 60 jours.
Leur conclusion
Et de conclure, que pour pouvoir répondre à la difficulté d’identifier différents sous-groupes de patients présentant une addiction à l’alcool et de déterminer ceux qui peuvent bénéficier d’un traitement spécifique, ceux ayant des antécédents d’usage ou de dépendance à l’héroïne pourraient être considérés comme un sous-groupe particulier et que pour eux, le rééquilibrage du système des récepteurs opioïdes en reprenant un traitement de substitution avec des agonistes opiacés constituerait une bonne cible thérapeutique.
Commentaire
Nous avons en effet tous expérimentés ces patients polyconsommateurs (alcool, tabac, cannabis, avec antécédent de dépendance à l’héroïne) aujourd’hui substitué par la méthadone ou la buprénorphine. Ils semblent parfois compenser leur manque avec des consommations massives d’alcool ou sont dépendants à l’alcool, sans que l’on sache s’ils sont « seulement » des patients présentant une comorbidité addictive de plus, des patients qui cherchent encore la « défonce » (mais avec de l’alcool et non plus avec de l’héroïne) ou bien encore s’il s’agit de patients plus simplement insuffisamment substitués.
A vrai dire, lorsque intellectuellement le patient a décidé « d’en-finir-avec-l’héroïne », il rapporte souvent avoir des cravings, mais ne sait plus vraiment de quels cravings il s’agit, de quels cravings il ressent la souffrance. Souvent décidé à ne plus consommer d’héroïne, parce que se considérant bien substitué en opiacé (alors que cela peut être insuffisant), il peut reprendre de temps à autre une consommation d’héroïne, même si elle est souvent décevante, ou culpabilisée, et considérée comme une rechute. Mais il peut aussi, insidieusement, utiliser l’alcool comme compensateur de craving et devenir dépendant bien plus vite qu’il ne s’y attendait. Par ailleurs, pour certains de ces patients, les consommations massives d’alcool avaient précédé l’usage d’opiacés. Il s’agit alors plus d’un retour vers l’alcool que d’un ‘aller vers’.
Certains d’entre nous connaissent bien ces situations et, régulièrement, nous augmentons la posologie de leur substitution opiacée pour constater cliniquement un véritable effet anticraving pour l’alcool, alors même que les patients ne ressentaient pas de syndrome de manque (ou ne l’identifiait pas comme tel) au cours de la journée ou de la soirée.
Dans cet article, les auteurs vont plus loin et proposent de reprendre une substitution précédemment abandonnée chez ce patient également abstinent d’héroïne dans le but de l’aider à stopper ses consommations pathologiques d’alcool. Le seul point qui serait à éclaircir serait de comprendre pourquoi ils ont remplacé la méthadone stoppée depuis cinq ans par la buprénorphine. Leur argument était qu’il était intolérant aux opioïdes sans autre explication.
C’est une hypothèse cliniquement et neurobiologiquement très intéressante à laquelle nous ne pouvons que souscrire… à condition de laisser nos réticences à la substitution de côté (i.e. une substitution peut être prescrite à vie et ne doit pas obligatoirement être arrêtée) ; et de bien nous rappeler que l’addiction est aussi une maladie neurobiologique. Si certains patients pourront se séparer de la substitution progressivement et sans difficultés, reconnaissons que d’autres en seront incapables et que le meilleur est l’ennemi du bien. Nous ne sommes pas égaux devant les addictions et la chimie du cerveau a quelque chose à y voir.
Cette proposition thérapeutique maintenant publiée, doit être l’occasion pour les cliniciens de s’autoriser à expérimenter l’intérêt de proposer la reprise d’une substitution abandonnée pour de bonnes ou de mauvaises raisons. La bonne raison étant souvent le désir du patient d’arrêter (même à tort) et la mauvaise étant la décision unilatérale du médecin. Mais ceci ne pouvant se faire que sous couvert d’un suivi clinique très rapproché, chez des patients en rechute chronique d’addiction à l’alcool et résistants à tout traitement conventionnel.
Quant à savoir quelle substitution choisir ? Ceci est une autre question à laquelle ce cas clinique ne répond pas mais des études cliniques devraient être en mesure de nous aider à le déterminer. Le choix du patient a sa place en fonction de ses expériences passées avec les différents MSO.