L’annonce à Berlin des résultats des essais cliniques sur le baclofène début septembre 2016 a redonné à ce traitement un engouement médiatique qui semblait s’être tari, notamment depuis la publication de la Recommandation Temporaire d’Utilisation en mars 2014 (ANSM, 2014). Ces résultats – si longtemps attendus – feront l’objet de publications plus spécifiques dans d’autres articles du Flyer à venir. Toutefois, d’autres questions scientifiques, au moins aussi importantes et intéressantes, suscitent l’intérêt des cliniciens. Parmi ces questions, il y a celle de savoir chez quels patients la prescription de baclofène pourrait être la plus utile et la plus pertinente.
L’expérience clinique de nombreux prescripteurs suggère que cette molécule pourrait être particulièrement efficace chez les patients alcoolodépendants avec symptômes anxieux ou anxio-dépressifs. Olivier Ameisen lui-même, le pionnier de l’utilisation empirique du baclofène (sur sa propre personne), puis l’un des plus ardents prosélytes de ce traitement en France, se déclarait comme un « grand anxieux » que le baclofène avait notablement aidé, sur ce plan également (Ameisen, 2008). Le baclofène est un agoniste des récepteurs GABA-B et il a, par cette action, des effets sédatifs et anxiolytiques. Au cours du traitement, ces effets sont d’ailleurs parfois indésirables, et l’on sait aujourd’hui que le risque de présenter un état de forte sédation sous baclofène dépend directement de la dose utilisée, mais aussi et surtout des consommations associées d’alcool (Rolland et al., 2015).
L’effet sédatif du baclofène pourrait ne pas être uniquement « indésirable ». Une étude italo-australienne publiée en 2014 dans la revue Alcohol & Alcoholism a évalué l’effet du baclofène sur l’usage d’alcool, en fonction du niveau sous-jacent d’anxiété des patients traités (Morley et al., 2014). Elle révélait que les patients atteints de troubles anxieux caractérisés avaient une meilleure réponse au baclofène par comparaison au placebo, en tout cas à la dose de 30 mg/j. Ce résultat semble aller dans le sens des constatations cliniques empiriques évoquées plus haut.
Il faut toutefois rester très prudent à ce stade, car l’étude de Morley et al. a des limites scientifiques importantes. Dans leur étude, les auteurs avaient comparé 3 groupes de patients (un groupe traité par 30 mg/j de baclofène, un groupe traité par 60 mg/j, et un groupe contrôle). L’objectif thérapeutique de l’étude était le maintien d’abstinence. On sait tout d’abord que ce design est assez éloigné des pratiques françaises, dans lesquelles le baclofène est majoritairement utilisé pour réduire voire contrôler la consommation d’alcool, avec des doses parfois bien supérieures à celles utilisées dans l’étude (Rolland et al., 2014). Mais surtout, la limite principale de cette étude est le nombre extrêmement réduit de patients, puisque seulement 42 patients y ont participé au total. Vouloir trouver des différences significatives parmi 3 groupes dans ce contexte, ce serait un peu comme vouloir voir si un dé est pipé en le lançant 3 fois.
Les auteurs ne trouvent ainsi aucune différence significative sur les principaux critères addictologiques habituellement utilisés dans les études (taux de reprise de consommation d’alcool et nombre de jour de fortes consommation). Face à cette absence de résultats, ils se sont donc tournés vers des analyses complémentaires, différentes de leur objectif principal (ce qu’on appelle des analyses post-hoc). C’est souvent très mal considéré dans le milieu scientifique. A titre d’illustration, c’est un peu comme si quelqu’un avait été chargé d’une expédition pour découvrir un nouveau chemin vers les Indes, n’avait découvert qu’une ile au milieu de l’océan, et revenait en disant qu’il a trouvé les Indes comme prévu.
L’étude a en tous les cas le mérite de souligner les intéressantes propriétés pharmacologiques du baclofène. Au niveau de son effet anxiolytique, le baclofène a d’ailleurs fait l’objet d’études dans le syndrome de stress post-traumatique, et il semble réduire sensiblement la symptomatologie anxieuse dans ce trouble (Manteghi et al., 2014 ; Drake et al., 2003). Dans l’alcoolodépendance toutefois, l’action anxiolytique ne peut pas tout expliquer. Les benzodiazépines, agonistes GABA-A, ont un effet anxiolytique mais leur action au long cours sur la réduction de consommation ou le maintien d’arrêt d’usage de l’alcool n’a jamais été démontré (Chick et Nutt, 2012), alors que ce sont des médicaments très (trop ?) utilisées, même au long cours, chez les patients alcoolodépendants.
Le baclofène pourrait aussi avoir une action sur l’humeur. Pour mémoire, le baclofène peut être à l’origine d’états maniaques iatrogènes (Geoffroy et al., 2014). Cette propriété est habituellement réservée aux antidépresseurs, aux corticoïdes, ainsi qu’à quelques autres molécules comme certains antituberculeux ou anti-inflammatoires. Il a donc été proposé que le baclofène puisse avoir une action sur les symptômes dépressifs, très souvent présents chez les patients avec alcoolodépendance (Geoffroy et Rolland, 2016). Certaines données plus ou moins récentes laissent en effet suggérer un rôle des récepteurs GABA-B, mais pas des récepteurs GABA-A, dans la régulation de l’humeur (Esel et al., 2007 ; Davis et al., 1997).
D’une manière plus générale, l’action du baclofène sur les récepteurs GABA-B réhabilite l’intérêt du système GABAergique et son implication dans un certaines nombre de symptômes présentés par les patients avec alcoolodépendance. Si l’utilisation du baclofène dans l’alcoolodépendance a initialement été développée par nos amis italiens, les cliniciens français possèdent désormais une solide expérience sur cette utilisation, et plus particulièrement sur les hautes doses et dans une indication de réduction de consommation. Il est donc à espérer que la France restera un pays pionnier sur le sujet, pour les futures études cliniques destinées à mieux comprendre les particularités d’action du baclofène dans l’alcoolodépendance.
Bibliographie :
- Ameisen O (2008). Le Dernier Verre. Denoël Ed. Paris.
- ANSM (2014). Une Recommandation Temporaire d’Utilisation est accordée pour le baclofène – point d’information du 14/03/2014. http://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Une-recommandation-temporaire-d-utilisation-RTU-est-accordee-pour-le-baclofene-Point-d-information.
- Chick J, Nutt DJ (2012). Substitution therapy for alcoholism: time for a reappraisal? J Psychopharmacol 26(2):205-12.
- Davis LL, Trivedi M, Choate A, Kramer GL, Petty F (1997). Growth hormone response to the GABAB agonist baclofen in major depressive disorder. Psychoneuroendocrinology 22(3):129-40.
- Drake RG, Davis LL, Cates ME, Jewell ME, Ambrose SM, Lowe JS (2003). Baclofen treatment for chronic posttraumatic stress disorder. Ann Pharmacother 37(9):1177-81.
- Esel E, Kose K, Hacimusalar Y, Ozsoy S, Kula M, Candan Z, Turan T (2008). The effects of electroconvulsive therapy on GABAergic function in major depressive patients. J ECT 24(3):224-8.
- Geoffroy PA, Auffret M, Deheul S, Bordet R, Cottencin O, Rolland B (2014). Baclofen-induced manic symptoms: case report and systematic review. Psychosomatics 55(4):326-32.
- Geoffroy PA, Rolland B (2016). Does baclofen have antidepressant qualities? L’Encephale 42(4):384-5.
- Manteghi AA, Hebrani P, Mortezania M, Haghighi MB, Javanbakht A (2014). Baclofen add-on to citalopram in treatment of posttraumatic stress disorder. J Clin Psychopharmacol 34(2):240-3.
- Morley KC, Baillie A, Leung S, Addolorato G, Leggio L, Haber PS (2014). Baclofen for the Treatment of Alcohol Dependence and Possible Role of Comorbid Anxiety. Alcohol Alcohol 49(6):654-60.
- Rolland B, Paille F, Fleury B, Cottencin O, Benyamina A, Aubin HJ (2014). Off-label baclofen prescribing practices among French alcohol specialists: results of a national online survey. PLoS One 9(6):e98062.
- Rolland B, Labreuche J, Duhamel A, Deheul S, Gautier S, Auffret M, Pignon B, Valin T, Bordet R, Cottencin O (2015). Baclofen for alcohol dependence: Relationships between baclofen and alcohol dosing and the occurrence of major sedation. Eur Neuropsychopharmacol 25(10):1631-6.