En novembre 2000, le Conseil Supérieur d’Hygiène de Belgique a rédigé un rapport très complet du suivi de la Conférence de Consensus sur la méthadone, produit en 1994. Le groupe d’experts, après les auditions d’intervenants institutionnels et de praticiens spécialisés propose quelques modifications des recommandations de 1994 et des commentaires additionnels.
Conclusions des auditions des intervenants institutionnels et des praticiens par le groupe d’experts « Suivi de la Conférence de consensus »
L’évaluation faite en 1998 des recommandations de la Conférence de Consensus sur la Méthadone (1994) indique que :
- 1. Dans l’ensemble, les recommandations ont été suivies.
- 2. Certaines recommandations se sont avérées cependant inapplicables.
- 3. L’accès est plus aisé au traitement de substitution et l’implication des médecins individuels dans la prise en charge de patients toxicomane est facilitée.
Proposition de modifications du texte de la Conférence de Consensus lors du suivi réalisé au Conseil Supérieur d’Hygiène
Sur la base de l’ensemble des auditions des parties en présence, des analyses complémentaires effectuées sur des données recueillies, d’enquêtes ponctuelles présentées par des participants, d’éléments bibliographiques belges et internationaux, il a été proposé les adaptations suivantes au » Rapport du Jury » daté du 12 octobre 1994, constituant les conclusions ou recommandations de la Conférence de Consensus du 8 octobre 1994 sur le Traitement de Substitution à la Méthadone.
On trouvera dans les tableaux suivants, dans la colonne de gauche, l’énoncé des questions, des sections et sous-sections, du texte de Consensus octobre 1994 et, en-dessous, les réponses.
On trouvera dans la colonne de droite les énoncés des questions, des sections et sous-sections, telles qu’analysées par le groupe d’experts 1998 (ces questions sont les mêmes que celles de 1994, à une exception près : la question 1 qui devient » La méthadone constitue-t-elle un traitement efficace de la dépendance à l’héroïne et aux autres opiacés ? Sur quels paramètres agit-elle ? « ) ainsi que les modifications des réponses. Si aucune modification n’a été apportée, il a été noté » idem « .
Le nombre réduit de modifications apportées au texte de la Conférence de Consensus souligne sa très large acceptation par l’ensemble des intervenants dans le champ de la toxico-thérapie. Les participants au suivi ont cependant émis une série d’autres commentaires additionnels qui précisent certaines dimensions du Consensus.
Commentaires additionnels au texte de la Conférence de consensus de 1994
Le texte suivant fournit un ensemble de recommandations générales qui ont été émises par le Groupe de Travail et jugées essentielles. Certaines recommandations reprennent, en les distinguant, des éléments déjà énoncés dans le texte de la Conférence de Consensus, car jugés fondamentaux étant donné le suivi réalisé. D’autres recommandations sont nouvelles et destinées aux praticiens comme aux Autorités Publiques. Ce texte constitue donc des commentaires additionnels synthétiques et concerne la pratique individuelle, les relations entre praticiens et les systèmes d’enregistrement.
A. Pratique individuelle
- 1. Ne pas prescrire plus de 30 mg en début de traitement comme dose initiale. En effet, tout praticien doit évaluer le risque de ne pas prescrire immédiatement, par rapport à celui de prescrire dans l’urgence, à un usager de drogues, non dépendant. La résolution de ce dilemme, proposée par le groupe d’experts, consiste, de façon pratique, à ne prescrire pour le premier jour qu’une dose faible de 30 mg et de vérifier son effet chez le patient. De fait, si le patient déclare avoir dormi plusieurs heures ou ressenti une grande somnolence, on peut être assuré qu’il n’y a pas de sévère dépendance. Quitte alors au médecin de modifier son approche pharmacologique. Il y a aussi, dans cette situation spécifique, une alternative : une indication de prescription de buprénorphine, ce psychotrope combinant des effets agonistes et antagonistes aux opiacés.
- 2. Revoir le patient en consultation si possible encore le jour même de la première consultation où la méthadone fut prescrite ou, au plus tard, 48 heures après, pour évaluer la réaction du patient et l’adaptation des doses.
- 3. Éviter de prescrire des doses, à emporter par le patient, en début de traitement. Rédiger la prescription de façon claire en ce sens. La notion de début de traitement est délicate à préciser ainsi que celle de stabilisation. Cependant, un délai minimal de 6 semaines paraît raisonnable pour définir la notion de période de » début de traitement « . Des exceptions, notamment dans le cas du maintien de l’insertion sociale, à la prise en charge, sont envisageables. Ainsi, un toxicomane fortement dépendant mais exerçant une activité professionnelle qui l’astreint à un rythme régulier de présence sur le lieu de travail, pourrait être pénalisé par une visite quotidienne en pharmacie. Il bénéficierait dès lors d’une mesure lui permettant d’emporter des doses (p.ex. pour la semaine) à domicile.
- 4. La prescription de psychotropes autres que la méthadone ou la buprénorphine dans un traitement de substitution est à éviter (hormis le cas de double dépendance nécessitant un traitement par psychotropes spécifiques). Certains sont dangereux dans l’immédiat et sont susceptibles de produire des dépendances. Il fut confirmé que le flunitrazepam (Rohypnolã®) ou le Vesparaxã® qui ont des effets inhabituels, paradoxaux, surtout de stimulation excessive chez les toxicomanes, sont à proscrire. Par ailleurs, la prescription de ces substances ne constitue en rien un traitement de substitution.
- 5. Toujours informer le patient sur les risques encourus par son entourage (lui rappeler de ne pas laisser traîner le médicament, de le mettre hors de portée des enfants, ne pas le mettre au réfrigérateur…). Il est recommandé de délivrer la substance dans un conditionnement susceptible de résister à l’ouverture par un enfant.
- 6. Le nombre de patients pris en charge en même temps par un praticien ne peut être fixé d’autorité, aucune évaluation ne démontrant d’ailleurs une relation entre la qualité des soins et l’étendue de la patientèle. Un nombre anormalement élevé (quelques dizaines) entraîne généralement un épuisement du praticien dommageable aussi pour ses patients.
- 7. Tout traitement de patients toxicomanes ne donne des résultats qu’à moyen ou long terme, les abandons prématurés étant le signe d’une défaillance du processus thérapeutique. Le praticien doit favoriser cette rétention en traitement. Le fait de ne réaliser que très rarement une prise en charge d’un patient toxicomane, n’empêche pas d’éviter tout abandon de traitement prématuré.
- 8. Il est souhaité que le praticien participe à un système d’enregistrement. Il veillera ainsi à recueillir de son patient des éléments d’information qui permettent une évaluation de l’évolution de la cure. Une anamnèse classique est à compléter utilement par des modèles d’enregistrement clinique plus standardisés.
- 9. L’éparpillement de la patientèle implique qu’un grand nombre de praticiens auront très peu de patients toxicomanes dans leur clientèle. Si cette évolution favorise la liberté de choix du praticien et du toxicomane, elle pose des problèmes d’organisation du » système de soins « , notamment dans la formation continue. Une réflexion des instances concernées devrait dégager des pistes raisonnables pour améliorer les échanges d’information de et vers ces nouveaux praticiens qui prennent en charge un très petit nombre de toxicomanes. Par exemple, la mise en œuvre d’un processus de formation » allégée » selon une méthodologie à élaborer (Bulletin d’information, cassettes audio/vidéo…)
B. Relations entre praticiens
- 10. L’intervision est un processus à stimuler mais elle n’est réaliste pratiquement seulement que pour des praticiens qui ont un nombre suffisant de patients en cure de substitution. Pour ceux qui n’ont que peu de cas, la charge de travail d’une intervision n’est pas réaliste.
- 11. Même sans fonctionner de façon organique dans un » Réseau » pluridisciplinaire, tout praticien prescripteur de méthadone tire avantage pour lui et son patient de la concertation avec des confrères expérimentés. La présentation de cas et de problèmes spécifiques et leur discussion avec d’autres praticiens font partie intégrante du bon déroulement du processus thérapeutique dans lequel s’engage le médecin qui prend en charge des toxicomanes.
- 12. Le développement de » réseaux » de praticiens existant et la promotion de nouveaux dans toutes les régions du pays doit permettre d’améliorer la qualité des soins. En réduisant les abandons de cure et en favorisant l’adaptation individuelle du traitement, la pratique en réseau mérite l’attention et le soutien matériel des pouvoirs publics.
- 13. Une concertation locale des pharmaciens d’officine et des praticiens doit être promue par les instances et les groupements professionnels concernés.
- 14. Le rôle du pharmacien d’officine en tant qu’acteur de Santé Publique à part entière dans la prise en charge des toxicomanes, doit être soutenu par toutes les instances concernées. Il constitue, en effet, un maillon essentiel du processus thérapeutique actuel dans son contact répété privilégié avec le patient toxicomane. Son implication dans des programmes de réduction des risques liés à l’usage de drogues doit se poursuivre et être promue. Il apparaît aussi comme élément clé des systèmes d’enregistrement de données épidémiologiques de la toxicomanie en Belgique.
- 15. Il faut encourager les relations entre praticiens et médecins pénitentiaires. Il s’agit notamment de faciliter la poursuite des contacts entre le médecin traitant et le patient incarcéré. Il y a lieu de prévoir avant la sortie de prison une couverture sociale appropriée.
- 16. Le développement de centres pluridisciplinaires doit être soutenu et ne doit pas être oblitéré par l’extension de la prise en charge en cabinet privé. Le maintien de la diversité des choix de prises en charge constitue une garantie de la qualité des soins.
- 17. Un processus d’autorégulation du corps médical avec, en particulier, un développement de forums, de séminaires ou de colloques, ainsi que la promotion de recherches et d’évaluations dans le domaine, à la fois de façon locale et plus élargie, constituera une garantie d’une amélioration des traitements de la toxicomanie, en général, et des prises en charge substitutives, en particulier.
- 18. Les praticiens considèrent que les instances concernées doivent avoir les moyens ad hoc pour intervenir lors du constat d’écarts notables aux normes du consensus.
- 19. La formation continuée des praticiens doit être soutenue dans des programmes » ad hoc » (p.ex. inter-universitaires ou des sociétés scientifiques de médecine générale), sans oublier l’amélioration de l’information en Santé Publique. Un inventaire des possibilités actuelles existe et est diffusé par les Mouvements de Coordination. Les changements qui interviennent dans la délivrance en officine, les procédures de remboursement des types de conditionnement et toute pratique des officines relative à la délivrance de méthadone ou de buprénorphine doivent faire l’objet, par les instances concernées, d’une information organisée régulièrement à destination des praticiens.
Une troisième partie de ces commentaires additionnels est consacrée au système d’enregistrement qui a cours en Belgique et qui est très spécifique du pays concerné. Sa reproduction perd ici de son intérêt.
Cet article est constitué d’extraits strictement reproduits de l’intégralité du rapport. Le responsable de la publication de ce rapport est le Pr PELC, qui en autorise ici une reproduction partielle.