Introduction
Présentation du CSAPA 37
Le Centre René Descartes de Loches est une composante du CSAPA 37 (Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie d’Indre et Loire).
Le CSAPA 37 est la structure médico-sociale de référence pour les prises en charge ambulatoires des addictions dans le département d’Indre et Loire.
Il a été créé en 2010 par le regroupement du CSST Port Bretagne et des CCAA de Tours et de Loches. Il s’agit d’un CSAPA hospitalier rattaché au CHRU de Tours.
Il se compose de 3 centres principaux : le Centre Port Bretagne, le Centre la Rotonde (ces deux centres se situant à Tours) et le Centre René Descartes à Loches (sous-préfecture) auxquels s’ajoutent deux antennes : celle d’Amboise créée en 2010 et celle de Chinon (souspréfecture) créée en 2012.
Le Centre René Descartes est un CSAPA généraliste, ouvert trois jours par semaine, permettant à la population de Loches et des environs une prise en charge des problématiques addictives qu’elles soient liées aux substances psychoactives licites ou illicites, mais également aux addictions sans substance. Le Centre René Descartes se compose d’une équipe pluridisciplinaire : médecins addictologues, psychologues cliniciennes, infirmière, travailleurs sociaux et adjoint administratif. Il s’agit d’un centre de primo-prescription des traitements de substitution aux opiacés particulièrement la Méthadone.
Cette accessibilité a permis d’améliorer l’offre de soins sur le territoire de santé, en cohérence avec l’objectif d’une meilleure démocratie sanitaire au service de la population. Les patients du Lochois n’ayant plus à se rendre à Tours (50 km de distance) pour bénéficier de l’induction d’un traitement de substitution par Méthadone.
Le Centre accueille une population variée, la file active de 2012 se compose de 260 patients. Le Centre René Descartes assure des prises en charge individuelles et développe des activités thérapeutiques collectives : groupe sophrologie/ relaxation, groupe socio-esthétique, groupe de gymnastique Pilates.
Le Centre René Descartes dispose d’une antenne CJC (Consultations Jeunes Consommateurs).
Objectifs de l’enquête
Depuis quelques années la réflexion sur la prise en charge des addictions sans substance (addictions aux jeux de hasard et d’argent (1), cyberdépendance, achats compulsifs…) évolue au sein des CSAPA (Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie).
Ces addictions peuvent entrainer des conséquences psychosociales néfastes, similaires aux addictions avec substance (alcool, tabac, cannabis, autres SPA…) : isolement, dépression, surendettement, perte d’emploi, perturbation des liens familiaux.
Le Centre René Descartes offre un accueil particulier aux patients souffrant d’addictions sans substance, notamment aux jeux de hasard et d’argent (JHA). C’est dans ce cadre que le centre s’est donné l’objectif d’évaluer la proportion de joueurs problématiques ou à risques, de connaître leur profil (type de jeux pratiqués, budget alloué au jeu) et de rechercher des coaddictions éventuelles (opiacés, alcool, cannabis, tabac…). Dans cet objectif, il a été proposé une comparaison avec des usagers d’un cabinet médical (assurant aussi des consultations de tabacologie) et des personnes adhérentes à une association sportive d’une même ville.
Méthodes
Sujets
L’enquête a ciblé trois groupes différents :
- (1) la file active du Centre René Descartes, antenne lochoise du CSAPA d’Indre et Loire (Loches est une sous-préfecture d’Indre et Loire et représente un bassin de 10 000 habitants) ;
- (2) la file active d’un médecin généraliste et tabacologue (recevant ainsi une patientèle générale et des personnes venant dans le cadre d’une addiction au tabac) ;
- (3) les adhérents d’une association sportive (pratiquant fitness, musculation, squash et danse) réunissant tous âges et tous statuts.
Matériel
Deux définitions médicales internationales permettent d’établir le diagnostic d’addiction aux jeux d’argent : le « jeu pathologique » mesuré par le SOGS (South Oaks Gambling Screen) (Lesieur & Blume, 1987), outil issu du DSM-III, de référence américaine et le « jeu excessif » mesuré par l’ICJE (Indice Canadien du Jeu Excessif) (Ferris & Wynne, 2001), élaboré par le Centre Canadien sur les Abus de Substances. L’ICJE existe en version longue (31 items) et en version courte (9 items) et permet de donner un diagnostic et d’évaluer un niveau de risque (absent, faible, modéré, excessif). Le SOGS tendant à surévaluer la population dite « pathologique », nous avons fait le choix de la version courte de l’ICJE, qui nous a paru également plus adaptée à la population testée et au mode de passation. Dans cette version, est défini joueur problématique toute personne ayant un score à l’ICJE supérieur ou égal à 3 (joueur à risque modéré à joueur identifié comme excessif).
Le questionnaire de l’enquête comprenait :
- (a) des questions fermées sur les variables sexe, âge, emploi ;
- (b) des questions ouvertes sur le type de jeu habituel, le budget mensuel consacré au jeu ;
- (c ) des questions relatives aux types de dépendances associées éventuelles (tabac, alcool, médicaments, cannabis, héroïne et cocaïne…) dans le but de repérer d’éventuelles coaddictions et
- (d) la version courte de l’Indice Canadien du Jeu Excessif (ICJE), qui établit un score de risque et un diagnostic.
Procédure
Cinquante questionnaires étaient disposés en libre accès à destination des publics accueillis dans chacune des salles d’attente. Une urne de recueil permettait de respecter l’anonymat des réponses. L’enquête a été réalisée au cours de l’année 2011-2012.
Traitement
L’ensemble des statistiques a été réalisé avec des tests non-paramétriques : Test U de MannWhitney pour la comparaison de deux échantillons indépendants, ANOVA de Kruskal-Wallis pour la comparaison de trois échantillons indépendants et corrélations de Spearman pour les liens entre deux variables. Le logiciel utilisé était Statistica (version 11).
Résultats
Profil des répondants
Sur les 150 questionnaires déposés, 136 ont pu être recueillis et exploitables dont 45 au CSAPA-37 de Loches, 45 en cabinet médical et 46 dans l’association sportive. La moyenne d’âge du groupe total est de 40,0 ans (écart-type 13,9, étendue 16 à 76 ans) avec 50,7 % d’hommes (n = 69) ; celle des personnes consultant au CSAPA de 41,2 ans (Ecart-type 13,4, étendue 18 à 73 ans) avec 86,7 % d’hommes (n = 39) ; celle des personnes consultant au cabinet médical de 38,1 ans (écart-type 13,2, étendue 16 à 63 ans) avec 17,8 % d’hommes (n = 8) ; celle des personnes sollicitées dans l’association sportive de 40,5 ans (écart-type 15,1, étendue 19 à 76 ans) avec 47,8 % d’hommes (n = 22).
Les trois groupes sont significativement différents quant à la répartition selon le sexe (p < 0,05), mais pas selon l’âge. Concernant l’emploi, 46,7 % personnes du CSAPA déclarent être sans emploi contre 31,1 % personnes du cabinet médical et 20,5 % de l’association sportive (p < 0,05).
Jeu pathologique
Sur l’ensemble des répondants, les jeux les plus cités sont les jeux de grattage et le loto. Le PMU est uniquement cité au CSAPA. Il y a environ un joueur sur deux : 51,1 % dans l’ensemble, dont 71,1 % de joueurs au CSAPA, 64,4 % au cabinet médical et 32,6 % dans l’association sportive (p < 0,05). Ces joueurs citent 1 jeu en moyenne. Mais les non-joueurs citent quand même des jeux pour la moitié d’entre eux. Les hommes citent des jeux plus variés. Ils sont plus souvent joueurs excessifs que les femmes (scores ICJE de 1, 51 versus 0,83, p <0,05).
Le pourcentage de joueurs excessifs à l’ICJE est respectivement de 6,7 %, 4,4 % et 0 % pour les usagers du CSAPA-37, ceux du cabinet médical et les adhérents de l’association sportive. La répartition des niveaux de risque de jeu pathologique est présentée tableau 1 et figure 1 ci-après.
Tableau 1 : Répartition des niveaux de risque de jeu pathologique des usagers du CSAPA-37, du cabinet médical et des adhérents à l’association sportive

Figure 1 : Courbe des niveaux de risque de jeu pathologique des usagers du CSAPA-37, du cabinet médical et des adhérents à l’association sportive

La moyenne du budget consacré est de 47,8 € mensuel pour l’ensemble des joueurs et respectivement de 93,4 €/mois pour le CSAPA, de 53,9 €/mois pour les personnes fréquentant le cabinet médical et de 3,0 €/mois pour les adhérents de l’association sportive (p < 0,05).
Le jeu excessif ou pathologique est lié à l’âge, mais uniquement pour les usagers du CSAPA37 (corrélation de – 0,33, p < 0,05). C’est-à-dire que les plus jeunes d’entre eux sont les joueurs les plus excessifs. Pour l’ensemble des répondants, le jeu excessif est lié au budget qui y est consacré (corrélation de 0,55, p < 0,05). Ceci est vrai pour les hommes comme pour les femmes (respectivement corrélations de 0,50 et 0,59, p < 0,05) et pour chaque lieu de recueil.
Concernant le type de jeu, on constate que les joueurs actifs qui jouent aux jeux de loterie ou grattage sont plus enclins à jouer à d’autres jeux mais leur score à l’ICJE reste dans les normes d’un joueur modéré (de 0,97 à 1,86), ce type de jeu n’apparaît pas le plus addictogène.
Ceux qui jouent au casino sont également plus enclins à jouer à d’autres jeux et leur score à l’ICJE est problématique (moyenne de 5). Les joueurs ayant déclaré jouer sur « internet » consacrent un gros budget au jeu et ont également un score moyen plus élevé à l’ICJE (5,8), autrement dit sont des joueurs excessifs.
Les co-addictions les plus citées par les répondants sont par ordre de fréquence l’alcool, le tabac, le cannabis puis l’héroïne et la cocaïne. Le pourcentage de personnes ne mentionnant pas d’autres addictions est très faible. Les co-addictions concernent essentiellement les usagers du CSAPA-37 et les personnes présentant une co-addiction tabagique, cannabique ou à l’héroïne et à la cocaïne ont un score moyen plus important à l’ICJE que les autres (p < 0,05). Tous ceux qui déclarent des co-addictions (tabac, alcool, cannabis, et héroïne et cocaïne) déclarent un plus grand nombre de jeux pratiqués.
Tableau 2 : Répartition des co-addictions chez les usagers du CSAPA-37, ceux du cabinet médical et des adhérents à l’association sportive

Discussion
Synthèse des résultats
Les trois groupes de répondants sont équivalents quant à l’effectif et à l’âge moyen, mais pas quant à la répartition selon le sexe. On relève plus de personnes sans emploi parmi les usagers du CSAPA-37 que les deux autres groupes (patients du cabinet médical et personnes adhérentes à l’association sportive). Concernant le jeu excessif ou pathologique, on constate que les trois-quarts des usagers du CSAPA-37 jouent aux jeux de hasard et d’argent et ils sont 20 % à risque modéré ou élevé (13 % de joueurs à risque modéré et 7 % de joueurs excessifs) contre 11 % pour ceux du cabinet médical (7 % de joueurs à risque modéré et 4 % de joueurs excessifs) et 4 % pour les adhérents à l’association sportive (aucun joueur excessif).
Les hommes sont plus exposés que les femmes et les jeunes plus que les autres (uniquement pour le CSAPA-37).
Enfin, le jeu excessif ou pathologique est clairement lié au budget mensuel qui y est consacré.
Les co-addictions sont nombreuses parmi les répondants du CSAPA-37 et ceux qui déclarent avoir une co-addiction tabagique, cannabique ou à l’héroïne et à la cocaïne sont davantage des joueurs excessifs.
Commentaires
Les addictions ont un impact sur la vie professionnelle et sociale des usagers du CSAPA. Ils sont aussi plus exposés que les autres aux jeux de hasard et d’argent et y consacrent plus d’argent, ce qui pourrait être paradoxal avec la situation de précarité sociale que plusieurs d’entre eux connaissent. Il existe une grande variabilité des mesures dans les différentes études internationales, mais le taux de prévalence du jeu problématique est estimé entre 0,4 et 11 % dans la population générale.
La France, ainsi que d’autres pays européens, se situerait parmi les taux les plus bas tandis que les taux les plus élevés se trouvent en Asie, Australie et Afrique du Sud. On peut évoquer l’étude de l’INPES/OFDT qui retrouvait un taux moyen de prévalence de jeu problématique (jeux excessif ou pathologique, évalué par l’ICJE) de 1,1 % sur une population de 18-75 ans (dont 0,9 % de joueurs à risque modéré et 0,4 % de joueurs excessifs) (Costes et al., 2011).
Au regard de ce taux, ceux de cette étude peuvent paraître extrêmement importants (13% de joueurs à risque modéré et 7% de joueurs excessifs pour les usagers du CSAPA ou encore 4% de risque modéré pour les adhérents à l’association sportive). Il peut y avoir plusieurs explications. Notre enquête auprès des usagers du CSAPA-37 concerne une population à risque pour les addictions sans substance.
Le fait qu’elle ait été effectuée sur la base du volontariat peut introduire un biais de sélection des personnes particulièrement concernées. Mais les pratiques ont aussi pu évoluer avec l’ouverture du marché des jeux en ligne (2) depuis la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 avec par ailleurs, un accès aux jeux de plus en plus facile du fait des nouveaux supports numériques (smartphone, tablettes numériques…). Or, l’étude de l’INPES/OFDT a été réalisée avant l’ouverture en ligne des jeux et a pu aussi sous-estimer les joueurs « illégaux ».
Les résultats de ce travail sont encourageants et doivent être approfondies, particulièrement en ce qui concerne les co-addictions. Les personnes déclarant avoir une addiction à l’héroïne et à la cocaïne engagent plus d’argent dans les jeux en ligne, ce qui pourrait les rapprocher de joueurs pathologiques comme l’avaient montré Blaszczynski, Buhrich et McConaghy (1985) du fait probablement de facteurs communs comme la recherche de sensations, la difficulté à réguler les impulsions, les distorsions cognitives communes, etc.
Limites du travail
L’hétérogénéité des trois groupes quant à la répartition des hommes et des femmes (avec une surreprésentation masculine parmi les usagers du CSAPA-37 et surreprésentation féminine pour la clientèle du cabinet médical) ne permet pas une stricte comparaison entre eux et relativise les résultats. Les usagers du cabinet médical pouvaient s’y rendre pour des problèmes de médecine générale, mais aussi de dépendance tabagique puisque ce médecin avait une double pratique ce qui rend un peu plus complexe la comparaison entre les deux groupes.
Ces deux groupes ne peuvent pas être strictement représentatifs. Enfin, l’échantillon de chacun des groupes ou des sous-groupes lorsqu’on considère les co-addictions reste faible et rend toute généralisation des résultats délicate
Conclusion
Les addictions sans substance sont un concept récent et en pleine évolution qui inclue des comportements sans dépendance à une substance psychoactive (entre autres, la cyberaddiction et les jeux de hasard et d’argent). Ils peuvent favoriser la survenue d’autres addictions de nature comportementale ou rattachée à la consommation de substance (e.g. Welte, Barnes, Wieczorek, Tidwell, & Parker, 2004). Inversement, les usagers de CSAPA qui présentent des poly-addictions à des substances (tabac, alcool, cannabis, héroïne et cocaïne) sont plus à risque de devenir des joueurs excessifs.
Ces résultats, même s’ils sont relativisés, sont tout à fait encourageants et montrent l’intérêt d’investiguer systématiquement les addictions sans substance chez les usagers de CSAPA ; d’autant que ces usagers peuvent être plus en difficulté que d’autres pour pouvoir faire face aux pratiques commerciales de certains opérateurs indélicats qui par exemple peuvent relancer ceux qui ont décidé d’arrêter pour les inciter à réactiver leur compte.
Absence de conflit d’intérêt
Notes
- (1) Alors qu’il appartenait aux troubles du contrôle des impulsions dans le DSM IV, le jeu pathologique dans le DSM V est dorénavant clairement répertorié dans les troubles addictifs.
- (2) Régulation par l’Autorité de Régulation des Jeux en ligne – ARJEL
Références bibliographiques
- Blaszczynski, A. P., Buhrich, N., & McConaghy, N. (1985). Pathological Gamblers, Heroin Addicts and Controls Compared on the E.P.Q.‘Addiction Scale’. British Journal of Addiction, 80(3), 315-319.
- Costes J.-M., Pousset M., Eroukmanoff, V., le Nezet, O., Richard, J.-B., Guignard, R., Arwidson, P. (2011). Les niveaux et pratiques des jeux de hasard et d’argent en 2010.
- Baromètre santé 2010, module jeux de hasard et d’argent Inpes/OFDT. Tendances, 77
- Ferris, J., & Wynne, H. (2001). L’indice canadien du jeu excessif. Rapport final : Soumis au Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies. Retrieved December 2011, from Ottawa, US : CCSA-CCLAT
- Lesieur, H. R., & Blume, S. B. (1987). The South Oaks Gambling Screen (SOGS): A new instrument for the identification of pathological gamblers. American Journal of Psychiatry, 144(9), 1184-1188.