Selon les dernières estimations de l’OFDT, il y aurait en France 500 000 expérimentateurs d’héroïne. Une proportion importante de ces personnes ne fera pas d’usage problématique de l’héroïne et l’arrêtera sans difficulté.
D’autres pourront se retrouver en situation de dépendance et, ne pouvant arrêter par eux-mêmes, seront pris en soin avec un Traitement de Substitution Opiacée (TSO).
Dans le contexte du soin, il n’est pas rare que les usagers ressentent l’arrêt de la méthadone comme plus éprouvant que celui de l’héroïne. Cette ‘idée reçue’ dans la communauté des usagers peut être à l’origine parfois de refus de traitement : ayant peur de ne jamais pouvoir l’arrêter, certains usagers préféreront ne pas commencer un traitement par la méthadone (ou par la buprénorphine).
La différence de ressenti lors du sevrage de l’héroïne ou de la méthadone peut en partie être expliquée par des notions pharmacologiques et de pureté du ‘produit’ (tableau 1).
Tableau 1 : Facteurs liés au ressenti du sevrage de l’héroïne ou du traitement de substitution opiacé

De l’expérience des patients suivis en milieu spécialisé ou libéral, le sevrage de la méthadone parait plus difficile que celui de l’héroïne. En effet, certains usagers peuvent avoir des expériences de sevrage plutôt bien toléré, d’une héroïne de piètre qualité, et mettre cette expérience en parallèle avec une difficulté plus grande de se séparer d’un traitement qu’ils prennent depuis longtemps.
D’autant que ce traitement est une substitution et maintient (on parle bien de traitement de maintenance) l’usager dans une dépendance choisie dont il tire les bénéfices (mortalité, qualité de vie, séroconversions, insertion sociale…).
Une question à se poser : « A qui se destine un traitement par la méthadone ? »
Lors des premières expérimentations au début des années 60, Les Drs Dole, Nyswander et Kreek constatent que le sevrage, comme seule modalité de soin, conduit à des rechutes fréquentes.
Chaque tentative échouée rend la tentative suivante plus difficile encore, avec en prime une dégradation de l’état de santé de la personne.
C’est à partir de ces constats qu’ils expérimentent la méthadone, dans l’objectif de prendre en soin les usagers et d’éviter la spirale infernale des reconsommations et des rechutes. Dans son utilisation pionnière, la méthadone se destine donc aux personnes n’ayant pu arrêter l’héroïne par euxmêmes. En situation de rechute à répétition, le TSO trouve sa place.
Pour autant, l’arrêt du TSO reste une question qui ne doit pas être occultée. Elle se pose à différents moments selon l’usager, ses aspirations et ses possibilités.
Pour les TSO (méthadone ou BHD), il est recommandé de diminuer les posologies progressivement pour minimiser le syndrome de manque et diminuer le risque de rechutes (voir à ce propos l’article du Flyer 41 sur le manuel canadien du client en traitement de maintien par la méthadone).
L’arrêt du TSO doit être envisagé sous l’angle de la réduction des risques
Lorsque le sevrage de l’héroïne ou de la méthadone est choisi par l’usager, il est toujours bon de se souvenir des résultats de l’étude de Strang (1) (voir Flyer 16) menée sur 137 patients participant à un programme de sevrage (héroïne et méthadone).
Sur les 137 patients, 37 patients sont parvenus à une abstinence totale. Cinq sont décédés d’une overdose faisant suite à une reconsommation, portant à 13,5% le taux de mortalité dans ce sousgroupe (largement supérieur à celui observé chez les usagers d’héroïne avant toute démarche de soin). Ces overdoses sont liées à la perte de tolérance consécutive de l’abstinence.
En d’autres termes, les patients considérés comme ‘guéris’ car devenus abstinents, sont ceux qui ont le risque de mortalité par overdose le plus élevé, en cas de reconsommation d’opiacés (licites ou illicites).
Ces données doivent sans cesse nous rappeler, qu’indépendamment du choix effectué (sevrage ou TSO), l’arrêt de l’opiacé doit s’envisager au moment où le risque de rechute, et donc de mortalité, est le plus faible. Tout comme l’instauration de la méthadone, son arrêt doit s’inscrire dans une démarche globale de réduction des dommages.
En conclusion
En conclusion
Sur la difficulté d’arrêter la méthadone (supposée plus difficile que d’arrêter l’héroïne), il faut se rappeler que ceux qui bénéficient du traitement aujourd’hui, n’ont pas pu hier arrêter l’héroïne sans substitution opiacée. S’ils avaient pu le faire, comme d’autres l’ont fait, la question de l’arrêt de cette substitution opiacée ne se poserait pas. Pour la plupart des usagers, devenus dépendants des opiacés et bénéficiant par la suite d’un traitement de substitution, de nombreuses tentatives de sevrage, plus ou moins efficaces dans la durée, ont généralement précédé la mise en place d’un traitement de maintenance opiacé.
Pour autant, l’arrêt des traitements de substitution opiacée est une réalité pour des patients souvent traités depuis de longues années et en ayant tiré les bénéfices. Lorsque les conditions semblent réunies (resocialisation, résolution de problèmes addictifs, infectieux…), l’arrêt du TSO est une étape envisageable du traitement lui-même, sans en être l’objectif absolu.
Conflits d’intérêt : Les auteurs n’ont perçu aucune rémunération des firmes qui commercialisent les spécialités concernées (à base de buprénorphine ou de méthadone) pour la rédaction de cet article.
Note
- (1) Loss of tolerance and overdose mortality after inpatient opiate detoxification: follow up study. John Strang, professor and director, Jim McCambridge, senior research worker, David Best, senior lecturer, addictions, Tracy Beswick, research worker, Jenny Bearn, consultant psychiatrist, addictions, Sian Rees, research worker, and Michael Gossop, professor