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G. Remarques finales et recommandations
Nos recommandations principales portent sur un recrutement plus important de participants, une augmentation de l’observance au traitement des utilisateurs d’héroïne, ainsi que sur la nécessité d’adopter une approche globale de la maladie. Il est essentiel de réussir rapidement à maîtriser totalement les phases aiguës. Cela peut être possible si le patient arrive à être désintoxiqué ou si on peut commencer le traitement à la méthadone de façon compatible avec la tolérance aux opiacés du patient. Après cette phase, il est nécessaire de stabiliser les symptômes résiduels (dans la phase sub-aiguë) et de maintenir de bons résultats à long terme (prise en charge).
Il est généralement possible d’arriver à désintoxiquer les utilisateurs de psychostimulants, de substances hallucinogènes, ou de cannabis avant de commencer un traitement psychiatrique, mais s’il existe une addiction à l’héroïne concomitante, les patients doivent être orientés vers un traitement à la méthadone. La prescription de psychotropes susceptibles d’entraîner des abus, comme les benzodiazépines, doit être soigneusementévaluée. Pour les héroïnomanes qui utilisent de multiples substances psychoactives, il est raisonnable d’entreprendre une désintoxication substance après substance, pendant le traitement à la méthadone.
Des idées erronées circulent parmi les responsables médicaux qui sont souvent appelés à traiter des patients DD. La première est que les héroïnomanes DD ne répondent pas au traitement de référence pour l’addiction à l’héroïne. La deuxième est que ces dépendants sont, pour la plupart, non observants. La troisième est que l’on s’attend à ce que leurs résultats soient moins satisfaisants.
Pendant nos nombreuses années d’expérience clinique, nous avons observé que le taux de poursuite du traitement est significativement plus élevé chez les patients DD sous méthadone, que chez les héroïnomanes sans troubles associés. Le taux plus bas d’abandon observé chez les patients DD ne peut pas être interprété comme une différence dans le taux de succès en termes d’achèvement du programme, puisqu’il est le même avec ou sans DD. Nous dirions plutôt que le taux d’abandon plus faible s’accompagne des bénéfices d’un taux de rétention plus élevé dans le traitement. Les sujets DD montrent une meilleure compliance au traitement par la méthadone, ce qui leur permet de contrôler à la fois leur addiction et leur psychopathologie. Ceci est confirmé par les bons résultats enregistrés en termes d’indice d’adaptation sociale (DSM-IV GAF) et par l’absence d’épisodes d’hospitalisation durant la période du traitement chez les patients qui avaient été hospitalisés de nombreuses fois.
En conclusion, nous pouvons dire que les dépendants DD doivent être, dans tous le cas, traités pour leur maladie addictive en utilisant des posologies de méthadone adéquates.
On doit s’attendre à ce qu’elles soient plus élevées que pour le traitement de dépendants non compliqués, tout en considérant la stabilisation comme un objectif à moyen terme. Certains patients DD peuvent tirer profit du traitement qui cible leur problème d’addiction, grâce aussi à ses effets sur les troubles mentaux. Les agonistes opiacés doivent être ré-évalués : ils n’ont pas seulement une activité anti-craving mais ils sont aussi capables d’être des instruments psychotropes dans le traitement des maladies mentales, en ce qui concerne surtout l’humeur, l’anxiété et les syndromes psychotiques.
Enfin, des dépendants DD devraient bénéficier des mêmes dispositifs de traitement dans les programmes intégrés que les simples dépendants, du moment que ces programmes reposent sur des posologies appropriées, administrées sur une période suffisamment longue.
ANNEXE. Traitement par la méthadone chez les patients DD. Le programme PISA-MMTP
Dans cette partie, nous rapportons les résultats cliniques du traitement par la méthadone chez les patients DD, sur la base de notre expérience personnelle dans le groupe PISA-SIA.
Le traitement à la méthadone a débuté dans les années soixante et elle continue à être le traitement le plus utilisé pour la dépendance aux opiacés. Le traitement commence avec une phase d’induction au cours de laquelle la posologie est graduellement augmentée jusqu’à la dose optimum. Puis c’est la phase de stabilisation par la méthadone qui consiste en l’administration d’une dose fixe de méthadone. En parallèle, un soutien médical, des interventions de réinsertion et le suivi par des éducateurs sont proposés. Quand ce traitement est correctement suivi, l’état général des sujets s’améliore au fur et à mesure que le traitement se déroule.
La posologie de départ de méthadone a pour but d’atténuer les symptômes de sevrage (induction précoce). Dès que le manque a été jugulé, l’induction proprement dite peut débuter dans le but de déterminer la posologie d’entretien qui varie d’un individu à l’autre. Pour les patients sans DD, la posologie initiale varie entre 20 et 40 mg/jour et la phase d’induction précoce ne dure pas plus de 24 heures. La phase d’induction qui permet d’atteindre la dose d’entretien ne se prolonge pas au-delà de 5-10 jours. La phase suivante de stabilisation, durant laquelle la posologie optimale est ajustée et après laquelle cette posologie est administrée régulièrement comme étant la posologie de maintenance, est en général terminée en un mois.
Durant la phase de maintenance qui suit, des réadaptations comportementales et psychosociales peuvent se développer, en fonction de ce qui s’est passé dans les phases précédentes. A ce stade les récepteurs aux opiacés sont totalement occupés par le médicament, supprimant ainsi les comportements de craving et d’addiction d’une part, et compensant le conditionnement lié à l’intoxication chronique par les opiacés, d’autre part. La maintenance devrait être poursuivie aussi longtemps que les patients en tirent bénéfice et qu’ils adhèrent au traitement. Le meilleur moyen d’évaluer les résultats est, en réalité, le taux de rétention.
Mis à part cet objectif essentiel, la maintenance par la méthadone, a un rôle important en santé publique. Elle peut avoir un rôle essentiel pour limiter la contamination par le VIH dans la population d’héroïnomanes, mais peut aussi améliorer la santé mentale chez les patients dépendants aux opiacés. En réalité les patients DD, qui sont maintenus avec succès sous méthadone, ont tendance à rester plus longtemps sous traitement que ceux qui n’ont pas de DD.
Dans cette annexe, nous établissons les recommandations pour les patients DD et dépendants à l’héroïne à partir des résultats de notre étude observationnelle de suivi sur 10 ans, PISA-SIA. Les données rapportées comprennent les posologies du premier jour, puis hebdomadaires au cours du premier mois, enfin la posologie moyenne des quatre premiers mois. Ces posologies sont comparées entre groupes de dépendants à l’héroïne DD et les dépendants non DD. De plus il a été pris en compte la posologie de stabilisation et le temps nécessaire pour l’obtenir : le terme posologie de stabilisation fait référence à la posologie minimale administrée pendant au moins quatre mois avec des résultats régulièrement satisfaisants. Le résultat est évalué comme positif ou négatif en fonction de deux paramètres : le niveau de réadaptation psychosociale et la prise récente d’héroïne dans les deux derniers mois.
Le tableau A1 montre la première posologie et les posologies hebdomadaires durant le premier mois de traitement. Les patients DD ont besoin en moyenne de 40 mg le premier jour, comme les patients non DD. Les posologies les plus fortes pour les patients DD, de 80 à 100 mg/jour sont légèrement inférieures à celles des patients non DD (jusqu’à 200 mg). Les posologies des premiers jours pour les patients DD ont tendance à être également inférieures. Au cours du premier mois de traitement, les posologies ont été augmentées de 40% la première semaine, puis de 20% la seconde semaine, de 10% la troisième et enfin de 5% dans la quatrième semaine. Là encore, les posologies des patients non DD sont légèrement plus importantes. Néanmoins, la posologie de stabilisation est plus forte pour les dépendants DD (140 mg/jour vs. 100 mg/jour).
Tableau A1. Posologie de méthadone du 1er jour et posologie hebdomadaire au cours du 1er mois de traitement chez les héroïnomanes DD dans l’étude PISA-SIA
En réalité, les posologies nécessaires pour les patients DD ont tendance à continuer à augmenter durant le second mois, mais restent stables tout au long de la période d’observation (Figure A1).
Figure A1. 36-month dosages in dually diagnosed patients in the experience of the PISA-SIA Group
De manière générale, on peut dire que les patients dépendants non compliqués ont besoin de plus fortes posologies d’induction mais se stabilisent avec des posologies plus faibles. Le temps nécessaire pour atteindre la phase de stabilisation pour les patients DD est plus élevé, en moyenne de sept mois vs. trois mois chez les patients non DD (Tableau A2).
Cette différence n’est pas entièrement expliquée par le fait que les posologies de stabilisation sont plus importantes, mais par le fait que les patients DD progressent plus lentement vers la phase de stabilisation. La phase de diminution progressive de méthadone en fin du traitement n’est pas différente entre les deux groupes mais elle s’installe plus lentement chez les dépendants DD. Comme pour le taux de rétention, il a été observé que les patients DD présentaient un taux précoce d’attrition plus élevé, mais qu’aucune différence ne subsistait après huit mois de traitement.
Tableau A2. Patients DD sous méthadone. Doses de stabilisation et temps pour atteindre la stabilisation
La posologie du premier jour de traitement est fondamentale pour la rétention du traitement: il est important d’arriver à une maîtrise totale des symptômes de sevrage, dans les 24 heures, en utilisant des posologies cumulées de 80 à 100 mg si nécessaire, et jusqu’à 200 mg dans de rares cas. Si les patients se retrouvent en sevrage partiel, il est tout à fait improbable qu’ils poursuivent leur traitement.
Ainsi, quelles sont les précautions à prendre quand la posologie dépasse 40 mg le premier jour ? En règle générale, quand les symptômes de manque apparaissent, 20 mg doivent être administrés et le manque reéévalué deux heures plus tard. Si les symptômes s’exacerbent ou persistent, une nouvelle administration de 20 mg doit être réalisée et les patients gardés en observation durant les deux heures suivantes. Ce schéma peut être répété jusqu’au sevrage total. Les éventuelles posologies cumulatives administrées le premier jour peuvent être répétées les jours suivants (phase d’induction) jusqu’à l’obtention d’un état d’équilibre (normalement atteint le troisième ou quatrième jour). Aucune différence n’est attendue à ce stade du traitement, entre les patients DD et les autres. En d’autres termes la présence d’un DD semble n’influencer que la prise en charge de la phase de maintenance.
Au plan clinique, l’admission dans un programme de maintenance à la méthadone ne devrait pas dépendre du DD. Cependant, avec les critères couramment appliqués, il est probable que les patients DD ne soient pas maintenus sous traitement, car la tendance est d’administrer des posologies plus faibles, plutôt que des posologies plus fortes de méthadone. On doit rappeler que les patients DD ont besoin de doses plus importantes pendant la phase de stabilisation. Si les patients DD sont résistants au traitement, ils seront probablement considérés comme non répondeurs, alors que tout simplement ils ne reçoivent pas la posologie adéquate. Le temps nécessaire pour atteindre la stabilisation est plus long pour les patients DD, aussi est-il important de surveiller ces patients pendant une période relativement longue avant qu’ils ne puissent espérer atteindre la stabilisation.
Si ces recommandations sont respectées, il est peu probable qu’un patient sous traitement soit considéré comme non répondeur. La diminution progressive de méthadone ne doit être envisagée qu’après au moins huit mois, étant donné qu’elle a été introduite très lentement chez les patients DD. Cependant si la diminution entraîne une dégradation psychosociale, ou une rechute dans la consommation de substances, la posologie antérieure doit être administrée quel que soit le niveau de posologie en cours et le niveau de réduction de méthadone.