Résumé
Objectif
L’influence de la comorbidité psychiatrique de patients toxicomanes sur l’efficacité de leur traitement est une question importante et encore non résolue. Nous avons étudié les liens entre les types de comorbidité psychiatrique et de détresse psychologique, et les variables évaluant l’efficacité du traitement.
Méthode
151 patients traités par la méthadone ont été évalués lors d’un entretien clinique structuré, par des analyses d’urine bihebdomadaires, ainsi que par des questionnaires relatifs aux comportements à risques et à la détresse psychologique pendant une période de 3 ans. La rétention en traitement, les données démographiques et le statut d’hépatite C ont été enregistrés.
Résultats
Les taux élevés de comorbidité psychiatrique Axe I sur la vie entière (82,8%) et actuellement (66,2%) correspondaient principalement à des troubles anxieux et affectifs, dont beaucoup étaient induits par la prise de drogues. Les patients atteints d’une comorbidité psychiatrique actuelle présentaient davantage de troubles liés aux drogues, bien qu’ils n’aient pas consommé plus de drogue ni ne soient restés moins longtemps en traitement que les patients ne présentant pas de comorbidité psychiatrique.
Conclusions
La sévérité de la détresse psychologique, mais pas les troubles psychiatriques comorbides, a une influence négative majeure sur l’évolution de la prise en charge de patients traités par la méthadone. Etonnamment, les patients atteints d’une maladie mentale comorbide semblent rester sous traitement plus longtemps que les autres. Les efforts thérapeutiques doivent également se concentrer sur le traitement du sentiment subjectif de détresse et sur son influence potentielle sur les comportements vis-à-vis de l’usage de drogue.
L’ARTICLE
Introduction
L’abus et la dépendance aux drogues ont des conséquences sociales, médicales, psychologiques et économiques majeures. Leur prise en charge est complexe, longue et coûteuse et requiert des interventions multidisciplinaires. Les troubles psychiatriques concomitants et les profonds sentiments de détresse psychologique identifiés chez de nombreux toxicomanes constituent un défi thérapeutique majeur (1).
Le lien entre les différents types de comorbidité et le statut médical (2,3), psychologique (4) et comportemental (3) (notamment les comportements à risque) et les variables au cours du traitement telles que la persistance d’un abus de drogues (5,6), la posologie de méthadone (7) et la rétention en traitement (8) doivent encore être clarifiés.
Les questions auxquelles nous souhaitions pouvoir répondre étaient les suivantes :
Quelle est :
- 1) La prévalence des troubles psychiatriques de l’Axe I liés ou non à une substance parmi des patients israéliens substitués par la méthadone ?
- 2) L’association entre l’âge, le sexe, l’appartenance ethnique, la situation de famille, le niveau éducatif, le passé carcéral et une éventuelle comorbidité psychiatrique ?
- 3) Le lien entre l’âge de début de l’abus de drogue ou d’héroïne et la chronologie de prise en charge du trouble psychiatrique comorbide ?
- 4) L’influence de l’association d’un diagnostic de comorbidité psychiatrique à celui de trouble lié aux drogues sur les résultats du traitement ?
- 5) L’influence de l’existence d’une détresse psychologique sur la rétention en traitement, la persistance d’un abus de substance, la posologie de méthadone, l’hépatite C et les comportements à risque vis-à-vis du VIH/VHC ?
Nous avons étudié la prévalence de la comorbidité psychiatrique sur l’Axe I et de la détresse psychologique chez des patients substitués par méthadone. Les données relatives aux antécédents d’usage de drogues, d’usage de drogues au cours du traitement, à la rétention en traitement, à la détresse psychologique, au statut de l’hépatite C et au comportement à risque vis-à-vis du VIH/VHC ont été enregistrées.
Méthodes
Population et programme thérapeutique
L’échantillon comprenait 151 hommes et femmes dépendants aux opiacés admis au cours d’une période de trois ans dans notre clinique méthadone ambulatoire affiliée à l’hôpital universitaire de Tel Aviv (Israël). Le traitement par méthadone était administré conjointement à tout autre traitement médical requis (9,10). Tous les patients assistaient à des séances hebdomadaires d’aide psychologique. Un psychiatre rencontrait les patients de manière programmée ou à la demande de l’équipe. Le programme de la clinique et les modalités d’admission des patients étaient conformes aux recommandations du Centre (11).
Les patient pouvaient être exclus du programme s’ils présentaient des comportements violents dans l’enceinte de la clinique mais pas en cas de mauvaise compliance au traitement ou d’abus de drogues.
Les 151 admissions correspondent à 85,8 % (151/176) de l’ensemble des patients admis au sein de la clinique. Sur les 25 patients exclus de l’étude, 18 ont interrompu le traitement avant la fin de l’évaluation initiale, cinq étaient indisponibles pour cause d’hospitalisation et deux d’entre eux étaient analphabètes. Les statuts sérologiques pour l’hépatite C, le VIH et pour la tuberculose sont déterminés, chez respectivement 139, 145 et 151 patients. Les données relatives à l’abus de drogues au cours du traitement ont été collectées après une, deux et trois années (pour 120, 105 et 94 patients, respectivement). La case 1 présente le nombre de sujets pour chacune des variables mesurées et le tableau 1 – les données démographiques et médicales.
Tous les sujets ayant participé ont signé un consentement éclairé relatif à leur participation, après une explication complète des procédures de l’étude. Ils n’ont pas été rémunérés ni rétribués de quelque manière que ce soit. L’étude a été approuvée par le Comité Consultatif Institutionnel.

Méthodologie
L’étude consistait en une évaluation prospective des résultats du traitement sur les plans psychologiques, du statut médical et de l’usage de drogues. Les données ont été collectées à l’aide de questionnaires appropriés.
Les données de l’évaluation ont été collectées un ou deux mois après l’admission dans l’étude et après stabilisation de la posologie de méthadone (de 20 à 180 mg). Avant l’entretien et la remise des questionnaires, les patients ont été examinés afin de déterminer s’ils présentaient des signes d’intoxication ou de manque.
Afin de garantir une représentativité exploitable de l’échantillon et d’éviter que l’évaluation ne se limite qu’à ceux restant en traitement, nous avons analysé l’intégralité de la série de données, malgré le nombre important d’abandons avant la fin de la période de trois ans.
Les taux de rétention à un ou deux ans au sein de notre échantillon étaient respectivement de 79,5 % et de 69,5 %. Nos conclusions ne reflètent que ce qui relève du cadre du programme de substitution par la méthadone, pour des patients en primo-admission, ceux ayant quitté le programme ne pouvant être réadmis dans l’étude. Les différences entre les patients qui ont interrompu le traitement et ceux qui l’ont poursuivi ont été évaluées séparément, à l’aide d’analyses de régression distinctes. Le taux d’abandon du traitement été considéré comme une variante majeure.
Evaluations
Les diagnostics ont été réalisés à l’aide de l’échelle SCID d’Entretien Clinique Structuré pour DSM-IV (SCID (Structural Clinical Interview for DSM-IV) 1 ; 12 ;13).
La sévérité de la détresse psychologique a été évaluée à l’aide du questionnaire SCL 90-R (Symptom Checklist 90-Revised). Le SCL 90-R est un questionnaire présentant 90 items permettant d’évaluer la détresse psychologique selon neuf dimensions : dépression, anxiété, anxiété phobique, sensibilité interpersonnelle, psychose, idéation paranoïde, hostilité, somatisation et comportement obsessif-compulsif. On a demandé aux patients d’évaluer leurs symptômes sur une échelle de Likert à 5 niveaux, graduée de 0 « absolument pas » à 4 « extrêmement ». Le coefficient alpha se situe entre 0,77 et 0,90 et les valeurs test re-test – de 0 ,78 à 0,90.
L’usage de stupéfiants lors du traitement a été évalué à l’aide d’analyses urinaires. Les patients ont été soumis à deux tests urinaires randomisés (par ordinateur) et sous observation (afin de s’assurer que les échantillons remis étaient bien « de réels » échantillons). Ces échantillons ont été analysés afin d’y déceler l’éventuelle présence de morphine/codéine, benzodiazépine (BZD), cannabis, amphétamines et de cocaïne, à l’aide de la méthode EMIT (15) dans un laboratoire extérieur.
Le taux de rétention a été calculé en nombre de jours pendant lesquels le patient a suivi le traitement. Les dossiers des patients, ayant interrompu celui-ci sans aucune justification depuis plus de 14 jours, étaient clos.
Les données démographiques et portant sur les antécédents d’usage de drogues ont été extraites de l’Addiction Severity Index (ASI, 16), généralement soumise au patient lors des deux ou trois premières semaines de traitement. Les scores de sévérité n’ont pas été pris en compte. L’ASI possède des normes psychométriques acceptables (17).
Les comportements à risque vis à vis du VIH/VHC ont été évalués après environ deux mois de traitement.
Les patients ont été interrogés à l’aide de notre questionnaire clinique standard, élaboré lors d’une étude préalable (18) :
- Vous êtes-vous injecté des drogues au cours des six derniers mois ?
- Avez-vous partagé des seringues au cours des six derniers mois ?
- Avez-vous eu des relations sexuelles dans le but d’obtenir de la drogue ou de l’argent pour en acheter au cours des six derniers mois ?
- Votre partenaire sexuel (ou l’un de vos partenaires sexuels) se drogue-t-il ?
- Avez-vous toujours des relations sexuelles protégées ?
- Avez-vous un partenaire sexuel régulier ?
L’intégralité des réponses a été enregistrée.
Les patients ont été testés pour d’éventuelles maladies infectieuses (hépatite B, hépatite C, VIH/SIDA et tuberculose) lors des deux premiers mois du traitement.

Entraînement des personnes réalisant les entretiens
Trois psychiatres formés à l’entretien clinique structuré (19) ont réalisé les entretiens des patients. Lorsque des interrogations ou des incertitudes ont surgi, les patients ont été à nouveau interviewés par un autre psychiatre et leur cas a été discuté jusqu’à obtention d’un consensus. Un psychologue expérimenté a administré le SCL-90-R. Les thérapeutes personnels des patients, qui avaient tous suivi une formation adaptée, se sont chargés de l’ASI. Le questionnaire HIV/VHC a été administré par un psychologue clinicien spécialisé dans le HIV/sida. Conscients de la difficulté à distinguer un diagnostic induit par la prise de drogue d’un diagnostic courant, un soin tout particulier a été apporté à s’assurer que les personnes chargées des entretiens analysent en détail l’éventuelle relation causale entre l’usage de drogues et l’apparition de symptômes liés au diagnostic.
Analyses statistiques
Les caractéristiques cliniques et démographiques des sujets atteints ou non de comorbidités psychiatriques ont été évaluées en répartissant les patients par groupes mutuellement exclusifs, en fonction de leur profil diagnostic psychiatrique. Les régressions logistiques (uni- ou multivariées) et les analyses de survie (Cox regression) ont été utilisées. L’entrée des variables dans les modèles se sont faites pas à pas ou de façon conditionnelle. Des tests-T pour les variables continues et des tests du Chi-2 pour les variables catégorielles ont également été utilisés lorsque nécessaire. Les résultats des analyses d’urine sont présentés en pourcentage de tests positifs pour chacune des substances toxiques recherchées pour le mois évalué. Le logiciel SPSS 11,5 pour PC a été utilisé pour toutes les analyses.
Résultats
Diagnostics autres que liés à un usage de substances psychoactives
Troubles vie entière
Plus de 4/5 des participants à cette étude présentaient un diagnostic psychiatrique vie entière autre qu’un trouble lié à l’usage de substances psychoactives (troubles de l’humeur 70,2 %, troubles anxieux 50,3 % et troubles psychotiques 26,5 %). Parmi ces troubles, 70,8 % des troubles de l’humeur, 60,5 % des troubles de l’anxiété et 77,5% des troubles psychotiques étaient secondaires à l’usage de substances psychoactives.
Troubles actuels
Les deux tiers de l’échantillon avaient un diagnostic psychiatrique actuel autre qu’un trouble lié à l’usage de substances psychoactives : troubles de l’humeur 37,8%, troubles de l’anxiété 33,8%, troubles psychotiques 8,6% et troubles de l’adaptation 17,2%. Parmi ces troubles, 63,2% du total des troubles de l’humeur, 45,1% des troubles anxieux et 30,8% des troubles psychotiques étaient secondaires à l’usage de substances psychoactives. Les taux de prévalence sont présentés dans le tableau 2.

Diagnostics d’usage de substances psychoactives
Outre la dépendance à l’héroïne, les patients présentaient en moyenne 0,49 (SD=0,84) dépendance actuelle, 1,83 (SD=1 ,42) dépendances vie entière, 0,70 (SD=0,76) abus actuel et 1,07 (SD=0,91) abus vie entière. Les patients présentaient un total de 1,19 (SD=1,27) diagnostics d’abus ou dépendance actuels et 2,90 (SD=1,59) diagnostics d’abus ou de dépendance vie entière. Outre la dépendance à l’héroïne, 69% (n=92) avaient au moins un diagnostic d’abus ou de dépendance actuels et 92,1% (n=139) au moins un diagnostic d’abus ou de dépendance vie entière. Les taux de prévalence sont présentés dans le tableau 3.
Le rapport de la comorbidité psychiatrique actuelle avec les données démographiques ainsi que les antécédents d’usage de substances psychoactives ont été analysés en comparant les patients atteints de comorbidité psychiatrique actuelle non-induite par les substances (n=100) avec ceux qui n’en étaient pas atteints (n=51).
Aucune différence démographique majeure n’a été décelée entre les groupes atteints et ceux non-atteints de comorbidités en termes d’âge (37,5 contre 38,5 ans, t=0,77 ; df : 149, P=44), de sexe (75% d’hommes contre 82,4% de femmes, X²=1,05, df=1, P=0,30), d’ethnie (33% contre 25,5% d’origine Ashkénaze, 53% contre 70% d’origine séfarade, 11% contre 2% d’origine mixte, 3% contre 2% d’origine arabe, X²=0,6, df=3, P=0,11), d’années d’études (9,7 contre 9,6, t=0,15, df= 149, P=0,88), de pourcentage de patients divorcés ou séparés (49% contre 54,9%, X²=0,47, df=1, P=0,50), de pourcentage de patients actifs (23% contre 19,6%,X²=0,22, df=1, P=0,63) et d’éventuelle incarcération préalable du patient (47% contre 60,8%,Xé=2,6, df=1,P=10).

Un diagnostic vie entière de l’Axe I était significativement corrélé à l’âge de début de l’usage d’une drogue quelle qu’elle soit (17,69 contre 21,79 ans, tt=-3,22, df=149,P=0,002) mais pas à celui de début d’usage d’opiacés (24,87 contre 23,92 ans, tt=57, df=149,P=0,57). Le nombre de mois de traitement par la méthadone était marginalement associé à la présence d’une comorbidité vie entière (6,1 contre 1,3, t=1,87, df=149,P=0 ,06).
L’usage actuel de substances psychoactives était significativement plus élevé chez les patients atteints de comorbidité psychiatrique que chez ceux qui n’en étaient pas atteints (1,39 contre 0,80, t=2,90, df=149, P=0,004). Ceci était associé au diagnostic d’abus de substance (0,62 contre 0,23, t=3,06, df=149, P=0,003) et pas à celui de dépendance à une substance (0,77 contre 0,57, t=1,56, P=0,12). Une analyse de régression a permis de démontrer que les troubles psychotiques actuels (T=1,95, P=0,05) et les troubles de l’humeur actuels (T=2,5, P=0,01) étaient significativement associés au nombre de diagnostics d’abus actuel de substances. Les troubles actuels induits par la prise de drogues étaient significativement liés aux diagnostics actuels d’usage de ceux-ci (1,83 contre 0,99 des diagnostics d’usage de substances psychoactives, P=0,000).
Adhésion au traitement
L’analyse de survie (Cox regression) pour la rétention en traitement suggérait que les patients présentant un trouble vie entière de l’Axe I restaient sous traitement environ deux fois plus longtemps que ceux n’en présentant pas. (B=-0,65, S.E.=0,32, Wald=4,3, P<0,04, Exp.(B)=0,52). Ni le diagnostic actuel de comorbidité psychiatrique ni une catégorie spécifique de diagnostic actuel ou vie entière ne se sont avérés associés avec la rétention en traitement. Bien qu’aucune association entre le score global de la SCL-90-R et la rétention en traitement n’ait été relevée, le facteur « dépression » de la SCL-90-R était prédictif d’une moins bonne rétention.
Usage de drogues et posologie de méthadone
Les analyses de régression concernant l’ensemble des drogues prises en début de traitement et après une, deux et trois années de traitement n’ont pas permis de déceler la moindre relation entre la présence d’une maladie psychiatrique actuelle ou vie entière et l’usage de drogues ou la posologie de méthadone. Les résultats après une année de traitement sont présentés au sein du tableau 4.
Usage de drogues au cours du traitement
Bien que l’analyse de régression n’ait pas montré de relation significative entre l’usage de drogues au cours du traitement et la présence ou l’absence d’un trouble vie entière ou actuel, les analyses de régression prenant les principaux diagnostics comme variables dépendantes, et le pourcentage d’analyse d’urine positives pour l’héroïne, les benzodiazépines et la cocaïne après une année de traitement comme variables indépendantes, a permis de mettre en évidence une corrélation entre l’existence d’un trouble psychotique vie entière et l’abus de benzodiazépines après respectivement une, deux et trois années de traitement (analyse de régression, T=1,96, P=0,05 ; T=2,5, P=0,01 ; T=3,5, P=0,001). Cette corrélation n’est pas retrouvée pour les troubles psychotiques actuels.
L’état de détresse psychologique était significativement associé à un usage prolongé de benzodiazépine après un, deux et trois années de traitement, respectivement (analyse de régression avec toutes les drogues utilisées comme variables indépendantes ; T=3,8, P=0,000 ; T=2,0, P=0,05 ; T=3,7, P=0,000), mais pas avec l’usage d’autres drogues. L’analyse de régression a également permis de mettre en évidence un lien significatif entre l’état de détresse psychologique et la posologie de méthadone (T=4,13, P=0,001).
Détresse psychologique
La détresse psychologique était à la fois corrélée à la présence d’un diagnostic actuel non-lié aux drogues (T=2,1, P=0,36) et à des diagnostics liés à l’usage de drogues (T=5,4 ; P=0,2).
Comportement à risque vis-à-vis du VIH/VHC et hépatite C
Aucun cas de tuberculose et seuls trois cas de VIH ont été décelés ; ainsi aucune analyse statistique n’a pu être réalisée sur ces variables. Aucun lien n’a été mis en évidence entre la présence d’un diagnostic psychiatrique de l’Axe I vie entière ou actuel et la présence, ou l’absence d’une hépatite C ou de comportements à risque. Les patients atteints d’hépatite C présentaient des scores de détresse psychologique plus élevés que les autres patients (patients atteints d’hépatite : C=1,34, patients non atteints d’hépatite : C=0,95 ; T=-2,6, P=0,22)). L’existence d’une hépatite C était significativement corrélée aux comportements à risque vis à vis du VIH/VHC. Un modèle de régression multiple a montré un lien significatif entre détresse psychologique, comportement à risque vis-à-vis du VIH/VHC et hépatite C (F=3, 7, P=0.027). Une telle corrélation n’est pas retrouvée avec un diagnostic de l’Axe I.
Discussion
Comorbidité psychiatrique
La prévalence des troubles psychiatriques comorbides de l’Axe 1 chez les patients dans un programme méthadone varie considérablement selon les études. Les taux de prévalence actuels (66,2%) et vie entière (82,8%) de notre étude sont en accord avec ceux élevés retrouvés dans d’autres études (8,19,20). Comme dans la plupart des autres études, les troubles affectifs actuels (37,8%) et anxieux actuels (33,8%) sont ceux les plus fréquemment diagnostiqués (2,6).
Notre étude est unique en ce sens qu’elle différencie les troubles induits par la prise de drogues des autres troubles.
Nous avons mis en évidence que 63,2% des troubles affectifs actuels et 45,1% des troubles anxieux actuels ont été induits par la prise de drogues, suggérant que de nombreux symptômes psychiatriques relevés chez des toxicomanes sont, en réalité, induits par la prise de drogues et probablement de durée limitée.
Nous avons trouvé plus de troubles psychotiques actuels que Brooner et al (2) (8,5 % et 0,1 % respectivement). Ceci peut être lié à la disponibilité d’une prise en charge psychiatrique à la clinique et à l’accueil de patients atteints de troubles psychiatriques graves. Bien que 26,5 % des participants à notre étude aient été diagnostiqués comme présentant un trouble psychotique vie entière, il apparait que 20,5 % d’entre eux étaient induits par la prise de drogues.
Notre expérience clinique suggère que seul un nombre limité de patients présentent une crise psychotique au cours du traitement par méthadone et que celles-ci semblent être dues à la persistance d’un usage de drogues, principalement de la cocaïne et des amphétamines ou un mélange de « uppers » et de « downers ».
Contrairement aux attentes, nous n’avons trouvé « que » 11 patients (7,3 %) présentant un stress post traumatique (PTSD). Etant donné que parmi nos patients, nombreux sont ceux qui ont vécu des expériences extrêmement pénibles, particulièrement dangereuses, et doivent souvent faire face à des situations stressantes, ce constat permet de supposer qu’un processus de désensibilisation intervient, au cours duquel les traumatismes et symptômes qui y sont associés deviennent des évènements « de routine » entraînant une réduction du nombre de diagnostics de PTSD. De même, étant donné que les combattants israéliens présentant un PTSD sont diagnostiqués précocement et pris en charge par les services de santé mentale des armées, ils auraient moins tendance à être admis dans notre clinique.
Nous avons également mis en évidence un trouble de l’adaptation chez environ 17% de nos patients. Cette fréquence relativement élevée reflète l’intense génération de stress du mode de vie de ces patients. La rareté de ce diagnostic dans les études antérieures peut être liée à l’utilisation de versions précédentes du DSM qui n’incluent pas le diagnostic de trouble de l’adaptation.
Diagnostics liés aux drogues et usage de substances psychoactives
Outre leur dépendance à l’héroïne, la plupart des patients étaient atteints d’un trouble actuel lié aux drogues. L’abus/dépendance aux sédatifs était le diagnostic le plus fréquent, qu’il soit actuel (53%) ou vie entière (74,9%). L’une de nos études précédentes a montré que les BZD étaient le second produit le plus utilisé dans notre clinique, à l’image d’autres cliniques MMT en Israël.
Le niveau relativement bas d’abus/dépendance actuelle à l’alcool et la quasi-absence de dépendance actuelle aux hallucinogènes sont également intéressants. Ce schéma semble avoir changé depuis 1992 avec une vague massive d’immigrants Russes qui ont introduit des modes différents de consommation d’alcool et d’usage de drogues dans le pays.
La définition restrictive du diagnostic DSM-IV d’abus/dépendance à des drogues multiples explique une prévalence relativement basse dans cette catégorie. Nos résultats montrent que beaucoup de patients utilisent de nombreuses drogues différentes mais pas sans distinction, et que l’héroïne est habituellement la drogue d’abus/dépendance dominante.
L’existence d’un trouble psychiatrique actuel était associée à une prévalence plus élevée de dépendance aux substances psychoactives. Ceci peut sembler contradictoire avec nos résultats précédents qui n’indiquaient aucun lien entre comorbidité psychiatrique et usage actuel de drogues au cours du traitement (analyses d’urine).
La différence évidente entre relevé « objectif » et « subjectif » d’usage de drogue – comme l’indique la différence entre les résultats basés sur les analyses d’urine et ceux basés sur les entretiens – suggère que les deux mesures explorent différents aspects de l’usage de drogues et que, bien que les patients ayant un diagnostic psychiatrique associé ne consomment pas nécessairement davantage de drogues que les autres patients, ils se perçoivent comme abusant plus ou plus dépendants. Ceci se vérifie pour pratiquement tous les types de drogues et de tous les diagnostics psychiatriques.
Age de la première utilisation
L’âge de première utilisation d’une drogue était significativement corrélé à la présence d’un diagnostic psychiatrique vie entière, ce qui suggère que les patients présentant une psychopathologie expérimentent plus tôt et davantage de drogues, peut-être comme automédication d’une détresse psychologique. L’hypothèse selon laquelle un premier usage précoce d’héroïne favoriserait l’émergence d’une psychopathologie n’a pas été confirmée par nos données, aucun lien entre le diagnostic et le moment du début de l’usage de l’héroïne n’étant retrouvé.
L’une des raisons pour lesquelles les jeunes atteints d’un trouble psychopathologique ne consomment pas plus d’héroïne, quel que soit leur tendance à l’automédication, peut être due à la relative faible disponibilité de cette dernière, et au fait que le cannabis et/ou les sédatifs sont plus facilement accessibles.
Rétention en traitement
Contrairement aux études qui ont suggéré que les patients en MMT atteints de comorbidité psychiatrique présentaient une évolution moins favorables sous traitement que les patients sans comorbidité, les patients atteints de comorbidités psychiatriques de notre étude ne présentaient pas une évolution plus défavorable.
De plus, les patients atteints de comorbidités psychiatriques vie entière avaient tendance à rester plus longtemps en traitement que les autres patients. Une explication possible de cette différence est que les patients de notre étude étaient traités selon des posologies de méthadone adaptées (102,3 mg) et ont bénéficié de soins psychiatriques et psychothérapeutiques suivis. Il est plausible que les personnes présentant des antécédents psychopathologiques aient pu bénéficier davantage que les autres du cadre thérapeutique, la composante addictive et les troubles psychiatriques étant pris en charge simultanément.
Une analyse post hoc du nombre moyen de séances mensuelles de psychothérapie au cours de la première année de traitement suggère que les patients possédant un diagnostic vie entière ont bénéficié de davantage de séances thérapeutiques mensuelles que les autres patients (patients présentant un diagnostic=3,78, SD=1,07, patients sans diagnostic=2,89, SD=1,26, T=3,74, P=0,000). Ceci supporte l’idée que les patients présentant un diagnostic Axe I ont demandé et bénéficié de davantage d’aide et de soutien que ceux n’en possédant pas. Ces résultats sont conformes à ceux de Maremmani et al.
Usage de drogues et posologie de méthadone
Aucun diagnostic actuel de l’Axe I n’était corrélé à un usage persistant de substances psychoactives (héroïne, BZD, cannabis, cocaïne, amphétamines). La seule exception correspondait au trouble psychotique vie entière, corrélé à un usage persistant de BZD.
Cependant, la sévérité de l’état de détresse psychologique, mesurée par l’échelle SCL-90-R, était corrélée à un mésusage persistant de BZD. Ces résultats sont conformes à ceux de McLellan et al et de Rounsaville et al, selon lesquels la sévérité du tableau psychiatrique évaluée par le nombre, l’intensité et la durée des symptômes recensés était davantage corrélée au caractère défavorable de l’évolution que le diagnostic psychiatrique en lui-même.
Nos données supportent l’hypothèse de l’automédication, l’état de détresse psychologique étant largement plus prédictif de la sévérité de l’addiction que la psychopathologie en ellemême, bien que la détresse psychologique soit clairement liée au trouble psychopathologique.
Contrairement aux données émanant d’autres études, nous n’avons pas mis en évidence de corrélation entre la posologie de méthadone et l’existence d’une comorbidité psychiatrique.
Nous avons cependant trouvé une relation significative entre la posologie de méthadone et l’état de détresse psychologique (mesuré par l’échelle SCL-90-R). Ceci soulève la question de l’éventuel effet psychotrope de la méthadone et du recours éventuel des patients à l’automédication afin de soulager leur détresse psychologique à l’aide de méthadone ou d’un mélange de drogues et de méthadone.
Le décalage majeur retrouvé entre le diagnostic psychiatrique établi par le SCID et le niveau de détresse psychologique mesuré par le SCL repose sur la différence de périodes d’évaluation de ces échelles. Le SCL-90-R se rapporte aux expériences des deux semaines précédentes, alors que le SCID se rapporte à des cadres temporels plus longs variables selon le diagnostic. Ainsi, le SCL-90-R paraît plus ciblé sur la mesure de la détresse actuelle. En outre, étant donné qu’il s’agit d’un instrument gradué, il peut s’avérer plus sensible que des instruments utilisant des critères oui/non.
Comportements à risque et hépatite
Nos résultats suggèrent que la détresse psychologique, mais pas un diagnostic psychiatrique, est associée à la présence de l’hépatite C. Les patients présentant une plus forte détresse psychologique ont tendance à prendre davantage de risques et, en conséquence, à contracter plus fréquemment l’hépatite C.
Ainsi, bien qu’un diagnostic psychiatrique soit lié à la détresse psychologique, ce n’est pas la présence de ce trouble qui est susceptible d’affecter le comportement à risque, mais davantage celle de la détresse psychologique. Ceci peut également permettre d’expliquer les résultats d’études précédentes, liant l’usage de BZD et la présence de l’hépatite C. L’usage de BZD peut résulter de la détresse psychologique et ne pas être nécessairement impliqué dans le comportement à risque.
Conclusions
La prévalence élevée de troubles psychiatriques concomitants dans notre étude suggère que les patients dépendant aux opiacés traités dans un programme méthadone requièrent fréquemment une prise en charge psychiatrique et psychologique, en plus de la pharmacothérapie.
Etant donné que les troubles psychiatriques, chez pratiquement la moitié des patients possédant un diagnostic Axe I, semblent avoir été induits par la prise de drogues, le traitement qui leur est destiné doit être différent de celui des patients présentant un diagnostic Axe I non induit par les drogues. Des recommandations claires permettant de différencier les prises en charges selon les patients concernés sont indispensables.
Bien que les traitements par méthadone ciblent la dépendance aux opiacés, la majorité des patients consomment au minimum une drogue supplémentaire.
Le programme thérapeutique doit prendre ceci en compte et proposer différentes approches médicales ou/et psychologiques adaptées aux différentes drogues. Les centres méthadone doivent pouvoir proposer différentes options thérapeutiques pour ces patients.
De plus, les patients atteints de comorbidité psychiatrique ne consomment pas nécessairement davantage de drogues que les autres patients, mais ont plutôt tendance à se considérer comme plus vulnérables vis à vis de l’abus/dépendance aux drogues, plus impulsifs, perdant plus facilement leur contrôle et percevant un impact plus important de l’usage des drogues sur leur vie.
Ainsi, même lorsque les consommations de ces patients paraissent modérées, leur fragilité doit être prise en compte.
Enfin, nos résultats apportent de solides arguments indiquant que la détresse psychologique peut être considérée comme un facteur de risque dans la contamination par les maladies infectieuses.
Limitations
- Nos conclusions sont exclusivement pertinentes dans le cadre de programmes méthadone, aucun programme de soutien n’ayant été mis en place et les patients ayant repris le traitement n’ayant pas été réincorporés dans l’étude.
- Afin de s’assurer de disposer d’un échantillon représentatif et d’éviter d’évaluer uniquement les patients restant en traitement, nous avons analysé l’intégralité de la série de données malgré le nombre important d’abandons avant la fin de la période de trois ans (les taux de rétention pour la première et la seconde année, dans notre échantillon, atteignaient 79,5% et 69,5% respectivement).
Implications cliniques
- La fréquence élevée de troubles psychiatriques concomitants dans la cohorte étudiée suggère que les patients dépendants aux opiacés traités par méthadone ont souvent besoin d’une prise en charge psychiatrique et psychologique en plus de la pharmacothérapie.
- Dans la mesure où chez pratiquement la moitié des patients ayant un diagnostic Axe I, les troubles psychiatriques semblent être induits par la prise de substances psychoactives, le traitement de ceux-ci devrait être différent de celui pour les patients présentant un diagnostic n’étant pas induit par les drogues.
- Bien que les traitements par méthadone ciblent la dépendance aux opiacés, la majorité des patients consomment au minimum une drogue supplémentaire. Le programme thérapeutique devrait prendre ceci en compte et proposer différentes approches médicales ou/et psychologiques adaptées aux différentes drogues
Remerciements
Nous tenons à remercier le Docteur Rachel Hamburger, responsable scientifique de l’Agence Anti-drogues israélienne, de nous avoir accordé une bourse en vue de cette étude. Nous remercions Helen Rappaport et Rachel Hayward pour leur aide lors des entretiens et la passation des questionnaires.
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