NDLR : Le Flyer s’est déjà fait l’écho de l’arrivée prochaine de nouvelles formes de buprénorphine, dites « dépôt » ou implant. La rédaction du Flyer a demandé aux auteurs d’une publication récente dans la revue Thérapies un résumé de celle-ci pour nos lecteurs. Voici donc un résumé de cet article paru dans Thérapies en français et en anglais (1,2) qui traite de la place de ces nouvelles formes.
L’article en version française disponible :
Mathieu Chappuy, Benoit Trojak, Philippe Nubukpo, Jérôme Bachellier, Patrick Bendimerad, Georges Brousse, Benjamin Rolland, Buprénorphine d’action prolongée : quelles perspectives pour la pratique clinique ? Prolonged-release buprenorphine formulations: Perspectives for clinical practice, 19 May 2020
La buprénorphine et la méthadone sont les deux traitements agonistes opioïdes indiqués en France pour le traitement du trouble de l’usage d’opioïdes. La buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs opioïdes mu, jusqu’à présent disponible principalement en administration sublinguale et, depuis quelques mois, sur la langue – lyophilisat oral. En pratique, la buprénorphine est plus sûre que la méthadone car elle induit un faible risque de surdosage. Cependant, la buprénorphine expose également à des risques différents de ceux de la méthadone, notamment des syndromes de sevrage ou des pratiques d’usages détournés, notamment en injection ou par sniff (3,4). L’usage sublingual expose aussi à des contraintes parfois peu appréciées de certains patients, notamment le fait de devoir prendre le traitement quotidiennement, et aussi le temps de dissolution sublinguale, qui est parfois long (5), même si des formulations de dissolution plus rapide sont apparues récemment (lyophilisat).
Dans ce contexte, des formes de buprénorphine d’action prolongée (BAP) sont en train de faire leur apparition, à l’étranger, et désormais en France. Plus précisément, trois nouvelles formulations de BAP sont en cours de commercialisation et devraient permettre d’améliorer le confort et la sécurité des patients qui le souhaitent. Nous reviendrons en fin d’articles sur les bénéfices et les réticences potentielles liées à ces nouvelles galéniques. En pratique, les BAP existent sous deux formes galéniques : l’implant sous-cutané et le dépôt sous-cutané. Trois spécialités différentes sont disponibles au niveau international : un implant (Probuphine® / Sixmo®, commercialisé aux USA par Titan Pharmaceuticals® et deux formes dépôts : Sublocade®, commercialisé par Indivior®, et Brixadi® / Buvidal®, commercialisé par la firme suédoise Camurus®.
Concernant l’implant Sixmo®, il dispose d’une AMM européenne, mais il n’est pas commercialisé en France. A noter qu’en réalité il s’agit de 4 implants délivrant 296,8 mg de buprénorphine sur six mois. L’implantation et l’explantation nécessitent un petit geste chirurgical, pouvant être, dans les études, une source de douleur, le plus souvent modérée. Sixmo® est autorisé chez le patient cliniquement stable consommant maximum 8 mg de buprénorphine par jour. De plus, pour l’instant, l’AMM est limitée à un traitement de 12 mois et nécessite de revenir ensuite à la forme sublinguale. Ces contraintes, en particulier la dernière, nous font penser que sa place dans l’arsenal thérapeutique sera limitée, et par ailleurs, nous ignorons à ce jour si ce produit sera commercialisé en France.
Concernant le dépôt sous-cutané de la firme Indivior (Sublocade® dans les pays anglophones, nom européen inconnu), nous n’avons pas à faire ici à un implant, mais plutôt à un gel « dépôt » qui s’administre en sous-cutané et qui se résorbe spontanément. L’administration est donc beaucoup plus simple que l’implant. Ce médicament a une durée d’action d’un mois. Deux dosages existent, 100 mg contenu dans 0,5 mL et 300 mg dans 1,5 mL. Les injections doivent être séparées de 26 jours minimum. La conservation de Sublocade® nécessite un réfrigérateur (+ 2 à + 8°C), et n’est stable que 7 jours entre 15 et 30°C. Les kits se présentent sous la forme d’une seringue pré-remplie où il ne reste qu’à fixer l’aiguille sécurisée. L’injection se fait dans la région abdominale, à distance du nombril.
Aux États-Unis, Sublocade® est indiqué chez les patients « stabilisés » (= arrêt de l’héroïne ou autres opioïdes sources d’une addiction) depuis au moins 7 jours, avec une forme sublinguale de buprénorphine à une dose comprise entre 8 et 24 mg par jour. A noter que l’AMM pourrait être différente en Europe. Le schéma posologique est de 300 mg les deux premiers mois, suivi d’une phase de maintenance à 100 mg les mois suivants. L’AMM américaine précise qu’il est possible de maintenir la dose de maintenance à 300 mg chez les patients qui ne présenteraient pas une réponse clinique satisfaisante à 100 mg tout en précisant que les études n’ont pas montré de différence sur la consommation d’opioïdes illicites auto-déclarée, ou bien sur les résultats des tests urinaires de dépistage de drogues entre ces deux posologies.
Concernant l’efficacité, les études utilisées pour l’AMM américaine ont testé le Sublocade® contre un placebo. Les résultats sont sans appels, mais on ignore à ce jour son efficacité comparée à la buprénorphine sublinguale. L’EMA (European Medicines Agency) a demandé à Indivior® des études contrôlées contre le traitement de référence, c.-à-d. une buprénorphine sublinguale. Ces études sont en cours. De même, des études pour permettre une initiation directe par cette spécialité sont en train d’être menées. Concernant la sécurité, on retrouve les effets indésirables habituels de la molécule (constipation, nausées, vomissements, céphalées, sédation, somnolence…), et ce dans les mêmes proportions. A ces effets indésirables, il faut rajouter ceux liés à l’administration, comme des rougeurs, ou des douleurs modérées. Ces effets « trophiques » surviennent un peu plus souvent avec la forme active (16,5% des patients) qu’avec la forme placebo (9%). Dans les études, les patients sont globalement satisfaits de cette galénique. En conclusion, Sublodade® est une spécialité uniquement mensuelle, avec un seul schéma thérapeutique. Pour des raisons d’exclusivité aux États-Unis et de réciprocité en Europe (exclusivité donnée au concurrent Buvidal®), son arrivée n’est pas prévue avant courant 2021. A ce jour la principale inconnue est son efficacité (non infériorité, supériorité ?) versus la forme sublinguale puisqu’il n’a été validé que contre placebo. On attend de voir également si la formule de dose très limitée sera plutôt un avantage (simplicité) ou un inconvénient (peu de souplesse adaptative dans les schémas de doses).
Concernant le dépôt sous-cutané de la firme Camurus® (Buvidal® en Europe), ici aussi, nous avons à faire à un gel résorbable naturellement. Ce dépôt est tellement faible (de 0,16 à 0,64 ml) qu’il n’est pas palpable. Buvidal® présente deux modalités de prises, l’une hebdomadaire avec quatre dosages (8, 16, 24 et 32 mg), et la seconde mensuelle avec trois dosages différents (64, 96 ou 128 mg). Le médicament se présente sous la forme d’une seringue sécurisée pré-remplie ne nécessitant aucune étape de reconstitution du médicament, seul le vissage du piston reste à faire. Contrairement à Sublocade®, ce traitement peut être administré dans plusieurs régions du corps : fesses, cuisses, abdomen, ou bras. Après injection et retrait de l’aiguille de la peau, le relâchement du piston entraine une mise en protection de l’aiguille afin d’éviter tout accident d’exposition aux virus pour le professionnel. Le stockage se fait à température ambiante et ne nécessite pas de conservation au réfrigérateur. La correspondance entre les dosages de la BHD sublinguale journalière comprimé et Buvidal® n’est pas équivalente et fait l’objet d’un tableau d’équivalence dans les résumés caractéristiques du produit. Contrairement à l’autre dépôt, celui-ci est indiqué chez tous les patients nécessitant une substitution aux opiacés (initiation et bien évidemment chez les patients substitués). Cette correspondance est donnée dans notre article (1,2).
Concernant l’efficacité, les études ont montré une non-infériorité à la forme sublinguale que ce soit en initiation ou après switch de la forme sublinguale. Les analyses post-hocs suggèrent même une relative supériorité, notamment sur certains constructs clinico-biologiques complexes associant la négativité des tests urinaires et l’auto-déclaration des patients. Concernant la sécurité, c’est la même chose que Sublocade®. Outre les effets habituels liés à la molécule, on retrouve ceux liés à l’injection comme des douleurs faibles à modérées (8,4 %), un prurit (6,1 %) et un érythème (5,6 %) au site d’injection.
En conclusion, cette spécialité qui devrait arriver courant 2020 possède, contrairement à son concurrent, une large gamme de dosages, ainsi qu’un choix entre forme hebdomadaire ou mensuelle. Enfin, elle peut être utilisée d’emblée en initiation ou en switch, ce n’est pas (encore) le cas pour Sublocade®. En revanche, la multiplicité des doses possibles devra nécessiter une certaine expertise, et les professionnels devront notamment être vigilants à la possible confusion entre les dosages hebdomadaires injectables (8, 16, 24 et 32 mg) et une posologie quotidienne sublinguale.
Le point fondamental de ces nouvelles galéniques sera l’acceptabilité par les usagers/patients et les professionnels, dans un paysage où les positions où les idéologies et les positions de principe sont encore fréquentes, parfois d’ailleurs en occultant totalement la littérature scientifique. Cette dernière est pourtant riche, notamment les enquêtes qualitatives et quantitatives menées en France et à l’étranger. Les enquêtes qualitatives (6-7) montrent que les positions des usagers sont assez clivées, certains voyant dans ces nouvelles formes un possible gain de confort et de sécurité, d’autres y voyant au contraire un risque de contrainte, et l’impossibilité de pouvoir jongler entre TSO et usage d’opiacés. On retrouve ce type de positions en France, notamment sur les forums d’usagers comme Psychoactif – pour des références plus précises, voir (1). La seule enquête quantitative publiée dans une revue internationale, et menée en Australie, retrouve qu’une majorité d’usagers est globalement intéressée à essayer ce type de traitement, bien qu’une minorité importante le rejette catégoriquement (8). Ce clivage se retrouve dans les résultats préliminaires de l’enquête AMBRE, menée en France chez des patients traités par TSO (9).
Un article d’opinion d’experts récent estimait que ces nouvelles formulations pourront particulièrement intéresser certains publics, notamment les patients qui souhaitent totalement arrêter l’usage d’héroïne, ceux qui sont gênés par la prise quotidienne de buprénorphine, ou encore ceux en difficulté pour trouver une officine de délivrance (10).
Quoi qu’il en soit, le choix final de tester ces galéniques doit impérativement revenir au patient, et ne pas être imposé ou « fortement suggéré » par une équipe médicale ou infirmière. Certains usagers ne voudront absolument pas de cette option, et leur choix devra être scrupuleusement respecté.
A quand la commercialisation ? Actuellement, le circuit de ces médicaments en France n’est pas connu ce qui freine leur mise sur le marché. En effet, l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) n’a pas encore statué. L’agence redoute un possible détournement par voie IV, si ces traitements étaient dispensés par les officines directement aux patients. Ce risque de détournement parait limité dans la mesure où il n’y a, à ce jour, aucun signal en ce sens dans les pays où ces produits sont déjà commercialisés. Quoi qu’il en soit, l’option proposée par l’agence est une mise à disposition exclusive des centres d’addictologie. Cette option qui éviterait fortement les éventuels risques de mésusage pourrait toutefois exclure de très nombreux patients, notamment ceux pris en charge par les médecins généralistes, et rajouterait une charge financière (achat du médicament essentiellement) que les structures d’addictologie ne pourront absorber à budget constant. Alors que ces nouvelles formulations semblent bien marcher dans les pays où elles sont déjà disponibles, la mise à disposition rigide qui est prévue en France va possiblement limiter la diffusion de ces nouvelles options.
Référence
- (1) Chappuy M, Trojak B, Nubukpo P, Bachellier J, Bendimerad P, Brousse G, Rolland B. Buprénorphine d’action prolongée: quelles perspectives pour la pratique clinique? Therapies 2020. https://doi.org/10.1016/j.therap.2020.05.008
- (2) Chappuy M, Trojak B, Nubukpo P, Bachellier J, Bendimerad P, Brousse G, Rolland B. Prolonged-release buprenorphine formulations: perspectives for clinical practice. Therapies 2020. https://doi.org/10.1016/j.therap.2020.05.007
- (3) Lofwall MR, Walsh SL. A review of buprenorphine diversion and misuse: the current evidence base and experiences from around the world. J Addict Med 2014;8(5):315-26.
- (4) OFDT. Traitements de Substitution aux Opiacés ; 2019.
- (5) Maremmani I, Rolland B, Somaini L, Roncero C, Reimer J, Wright N, et al. Buprenorphine dosing choices in specific populations: review of expert opinion. Expert Opin Pharmacother 2016;17(13):1727-31.
- (6) Neale J, Tompkins CNE, Strang J. Depot Buprenorphine Injections for Opioid Use Disorder: Patient Information Needs and Preferences. Drug Alcohol Rev. 2019; 38(5):510-518.
- (7) Neale J, Tompkins CNE, Strang J. Prolonged-release Opioid Agonist Therapy: Qualitative Study Exploring Patients’ Views of 1-week, 1-month, and 6-month Buprenorphine Formulations. Harm Reduct J. 2019 Apr 3;16(1):25.
- (8) Larance B, et al. Perceptions of Extended-Release Buprenorphine Injections for Opioid Use Disorder Among People Who Regularly Use Opioids in Australia. Addiction. 2019. doi: 10.1111/add.14941.
- (9) Bachellier J. A-t-on besoin de traitements de substitution «long acting» en France? SWAPS- Chemex. Santé, réduction des risques et usages de drogues. 2019.
- (10) Vorspan F, Hjelmström P, Simon N, Benyamina A, Dervaux A, Brousse G, et al. What place for prolonged-release buprenorphine depot-formulation Buvidal® in the treatment arsenal of opioid dependence? Insights from the French experience on buprenorphine. Expert Opin Drug Deliv 2019 Sep;16(9):907-14.