Résumé
La RTU, ou Recommandation Temporaire d’Utilisation, est un cadre réglementaire dérogatoire qui permet de prescrire dans certaines conditions un médicament hors du cadre de son autorisation de mise sur le marché. Une RTU a été octroyée en mars 2014 pour le baclofène dans le traitement de l’alcoolo-dépendance. Un an plus tard, une étude montre que les ventes de baclofène chutent depuis début juillet 2014 (alors qu’elles étaient en constante augmentation depuis 2008). Cet article s’interroge sur les raisons qui pourraient expliquer cette coïncidence entre la promulgation de la RTU et la chute des ventes. Après une analyse des termes de la RTU, les auteurs relèvent que beaucoup d’éléments de la RTU sont susceptibles de détourner les prescripteurs du baclofène dans le traitement de l’alcoolo-dépendance.
Les auteurs constatent que d’un côté, les contraintes de la RTU restreignent considérablement les possibilités de prescrire du baclofène ; et que d’un autre côté, l’ANSM déconseille très formellement de prescrire du baclofène hors du cadre de la RTU, ce qui met les prescripteurs dans une situation de double contrainte très difficile à tenir. Les auteurs considèrent qu’une telle situation soulève une véritable question éthique. Les auteurs concluent que la RTU a un impact très négatif sur la prise en charge des patients alcoolo-dépendants en France, et ils pensent que la RTU devrait être améliorée dans le sens d’un allègement de ses contraintes et de ses contre-indications.
Introduction
La RTU, ou Recommandation Temporaire d’Utilisation, est un cadre réglementaire dérogatoire et exceptionnel (loi du 29 décembre 2011) qui permet de prescrire un médicament hors du cadre de son autorisation de mise sur le marché (AMM), dans certaines conditions. Les conditions sont en premier lieu, qu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique appropriée dans l’indication concernée, ou que les alternatives thérapeutiques existantes aient été précédemment utilisées et qu’elles aient été des échecs, et ensuite que le rapport bénéfices/risques soit présumé favorable au médicament selon les données actuelles de la science concernant son efficacité et sa tolérance.
L’objectif de la RTU est double. Il est donc d’avoir un cadre réglementaire pour faire bénéficier des patients d’un traitement qui existe déjà mais qui est dépourvu d’AMM pour sa nouvelle utilisation, et il est aussi de mettre en place un suivi de pharmacovigilance des patients. Ce suivi est organisé par les laboratoires commercialisant le médicament, pendant toute la durée de la RTU, et il est associé à une supervision par l’ANSM. La durée d’une RTU est de 3 ans renouvelables, et l’objectif à long terme de la procédure est, en fonction des résultats du suivi, d’éventuellement déposer une demande d’AMM pour le médicament.
La RTU pour l’utilisation du baclofène dans l’alcoolo-dépendance est la première RTU qui existe (depuis, d’autres RTU ont été accordées pour d’autres médicaments). Depuis la mise en place de cette RTU en mars 2014, les ventes de baclofène ont chuté (source Celtipharm-OpenHealth, Figure-1). Dans cet article, les auteurs, en reprenant un par un les termes de la RTU, s’interrogent sur les causes de ce phénomène inattendu et regrettable. Le phénomène est en effet inattendu parce que les chiffres de ventes du baclofène croissaient d’une façon très régulière depuis 2008 (date de publication du livre d’Olivier Ameisen, « Le dernier verre », qui a déclenché le mouvement).
Il est difficile de ne pas voir un lien direct entre la RTU et la chute des ventes de baclofène, parce que l’inflexion de la courbe de croissance des ventes se situe dans les trois mois qui ont suivi la promulgation de la RTU (en juin-juillet). La mise sur le marché du Selincro, médicament présenté comme un concurrent du baclofène, et promu avec les moyens ‘habituels’ d’une firme multinationale, a probablement aussi eu un rôle dans le recul des ventes du baclofène, mais ce rôle est bien postérieur à l’inflexion de la courbe, puisque le Selincro n’a été disponible dans les pharmacies qu’à partir de l’automne 2014.
De plus, selon l’analyse intermédiaire faite à un an par l’ANSM (en mars 2015), la RTU n’a pas connu le succès escompté. On souligne que le principal succès de la RTU a été d’exister. Son existence constitue une reconnaissance officielle du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme, ce qui est un point essentiel, certainement le plus important. Mais ce que l’on appellera son demi-échec, associé à une chute des ventes, est véritablement problématique.
Les auteurs considèrent que ces faits sont très dommageables pour les patients dépendants à l’alcool. L’alcool tue près de 50 000 personnes en France chaque année. On espérait que le baclofène, que les auteurs considèrent comme seul traitement véritablement efficace de la dépendance à l’alcool, allait progressivement permettre une réduction significative de cette surmortalité, et s’il apparaissait que la RTU soit responsable d’une désaffectation pour le baclofène, les auteurs pensent que l’on aurait quelques raisons de s’alarmer.
Une pratique soutenue de la RTU par les auteurs depuis sa mise en place, associée à une très grande habitude de prescription du baclofène depuis de nombreuses années (Ameisen et de Beaurepaire 2010 ; Rigal et al, 2012 ; 2015 ; de Beaurepaire 2012 ; 2014 ; Gache et al, 2014 ; de Beaurepaire et al, 2015), les a conduit à acquérir une véritable expertise dans l’utilisation du baclofène, leur permettant d’analyser en connaissance de cause les qualités et défauts potentiels de la RTU.
C’est avec l’idée que la RTU pourrait être améliorée, et que, sans savoir si cela est possible, des améliorations seraient bienvenues, que les auteurs ont écrit cet article.
La RTU
L’analyse des auteurs est pratique. Pour écrire ce qui suit, ils ont suivi les opérations successives que le prescripteur doit effectuer à partir du portail Internet « RTU baclofène ». Ne sont retenus et commentés dans cet article que les éléments qui leur sont apparus problématiques, et dont ils pensent qu’ils pourraient être modifiés.
I. Objectifs du patient
Le prescripteur s’inscrit sur le site, il écrit un mot de passe qui lui permet d’être le seul à accéder à ses dossiers, et s’affiche une page de fiche d’entrée d’un patient dans la RTU. Si on clique sur le premier item proposé, « Initiation du traitement », deux possibilités apparaissent sous l’intitulé « Objectifs du patient » : la première est « Patient ayant bénéficié d’un sevrage récent (moins d’un mois) et ayant pour objectif une abstinence totale », et la seconde « Patient non sevré désirant une réduction de la consommation d’alcool ». Le prescripteur doit choisir.
Pour les auteurs, ces questions sont une curieuse façon de définir les objectifs des patients, et témoignent d’un manque de connaissance de ce qu’est le baclofène dans le traitement de la dépendance à l’alcool. Les objectifs des patients sont d’abord mal compris parce que les deux formules ne sont pas cohérentes, et même contradictoires : pourquoi un patient qui aurait bénéficié d’un sevrage récent devrait-il avoir pour objectif une abstinence totale, alors que celui qui est non sevré ne désirerait qu’une réduction de sa consommation d’alcool ? Ça n’a pas de sens.
La proposition : « Patient ayant bénéficié d’un sevrage récent (moins d’un mois) et ayant pour objectif une abstinence totale » n’est pas la façon de s’exprimer des prescripteurs de baclofène, pour lesquels il ne peut jamais être question d’abstinence.
Le baclofène produit une indifférence à l’alcool, c’est-à-dire une diminution ou une disparition du craving, sans effort, ce qui est tout le contraire d’une abstinence, qui implique un effort pour ne pas boire quand le craving pour l’alcool est bien là. Toute la littérature sur le baclofène est fondée sur cette notion d’indifférence, qui est fondamentalement différente et même opposée à l’abstinence (voir Ameisen, 2005 ; 2008).
L’autre proposition : « Patient non sevré désirant une réduction de la consommation d’alcool » est une proposition surprenante parce que les patients n’ont pas pour objectif une réduction de la consommation, ils demandent qu’on les aide à arrêter l’alcool, éventuellement de pouvoir boire à l’occasion comme tout le monde. Ils veulent ne plus être intéressés par l’alcool (indifférents), tout en pouvant continuer à boire un verre si le contexte social les y oblige, sans que la consommation de ce verre ne réenclenche une rechute (comme on voit chez les patients abstinents du fait de leur seule volonté), ça n’a rien à voir avec une réduction de la consommation. Les patients se sont d’ailleurs souvent renseignés sur le baclofène, ils savent que le baclofène n’est pas un traitement qui produit une réduction de la consommation d’alcool, mais un médicament qui rend indifférent à l’alcool.
À cela il faut ajouter que l’expression « réduction de la consommation » n’est pas une expression innocente. C’est, tout le monde le sait, une expression qui fait référence à un slogan publicitaire utilisé pour la promotion d’un médicament soi-disant concurrent. Il est donc très étrange que l’on retrouve ce slogan dans la RTU et que l’on demande aux médecins qui utilisent la RTU de cliquer sur l’item « Patient non sevré désirant une réduction de la consommation d’alcool », alors que ce n’est pas ce que le patient demande.
II. Critères de la RTU
Le prescripteur doit ensuite cliquer sur l’item : « Le patient répond-il aux critères de la RTU (notamment le respect des critères de prescription et l’absence de contre-indications) ? ». Quels sont les critères de prescription de la RTU ? Ces critères ne figurent pas sur la page de fiche d’entrée, et pour les trouver il faut aller sur le document « Protocole de suivi des patients » auquel on accède en cliquant sur les lettres « ANSM » qui figurent sur la première page du portail Internet (document daté de février 2014 et signé par l’ANSM et les laboratoires concernés). Il y beaucoup de critères et de contre-indications, beaucoup sont très discutables (on en verra certains dans le paragraphe « Autres remarques »), mais les auteurs pensent qu’il y en a surtout deux (un critère et une contre-indication) qui sont particulièrement critiquables.
1. « Critères de prescription »
« Après échec de tentatives de maintien de l’abstinence ou de la réduction de la consommation d’alcool avec des traitements ayant l’AMM pour ces indications ». Autrement dit, pour inclure un patient dans la RTU, il faut que ce patient ait déjà été traité par un des médicaments approuvés pour le traitement de la dépendance à l’alcool (disulfirame, acamprosate, naltrexone, nalméfène).
Les auteurs peuvent témoigner que ce critère n’aurait pas soulevé de problème au cours des premières années d’utilisation du baclofène (2008-2011), parce qu’à cette époque la quasi totalité des patients qui demandaient du baclofène étaient en échec avec les autres traitements. Mais les choses ont beaucoup évolué depuis, et ce critère est de moins en moins applicable.
Depuis quelques années, l’essentiel des demandes de baclofène vient de patients qui n’ont jamais été pris en charge précédemment pour leur dépendance à l’alcool. Actuellement, les patients ou leur entourage se sont en général renseignés, et ils viennent en disant qu’ils savent que les traitements classiques de la dépendance à l’alcool sont inefficaces, qu’ils n’ont jamais cherché à se soigner auparavant parce qu’ils savaient cela, et ils viennent pour un traitement par le baclofène, parce qu’ils pensent que, à la différence des autres médicaments, ce médicament-là est efficace.
Qu’est ce que le médecin va faire pour les entrer dans la RTU ? Les forcer à commencer par prendre un médicament classique ? Les études montrent que l’acamprosate, la naltrexone et le nalméfène ont une efficacité minimale à 3 et 6 mois (de l’ordre de 10 à 15 % de mieux que le placebo), et quasiment nulle à un an. Et même l’efficacité minimale de ces molécules est sujette à contestation – voir par exemple la polémique récente sur l’efficacité du nalméfène (Spence, 2014). On devrait donner ces médicaments (pendant combien de temps ?) aux patients avant de les entrer dans la RTU ? Mais ils n’en veulent pas. Ils vont aller voir un autre prescripteur qui fera moins de manières, ils sont perdus pour la RTU.
Les auteurs du présent article savent bien que l’échec des autres traitements est un fondement de la RTU, que ce sont les termes de la loi, et que ce critère est pratiquement incontournable. Mais la conséquence est qu’étant donné qu’il est peu envisageable de commencer par attendre l’échec d’un traitement dont le patient ne veut en général pas (et le médecin non plus), il s’ensuit que la majorité des patients dépendants à l’alcool qui demandent du baclofène ne peut pas être entrée dans la RTU. On peut imaginer alors que des médecins qui n’acceptent de prescrire du baclofène que si cette prescription est faite dans le cadre de la RTU, refusent de prescrire du baclofène, alors qu’ils l’auraient peut-être fait si la RTU n’existait pas. Les auteurs veulent simplement souligner qu’une application à la lettre de ce principe peut faire perdre un nombre considérable de patients pour la RTU.
2. « Contre-indication à l’initiation d’un traitement par le baclofène »
« Co-morbidité psychiatrique (psychose, notamment schizophrénie, psychose maniaco-dépressive, et dépression d’intensité sévère) ; les symptômes dépressifs et les symptômes anxieux jugés d’intensité modérée ne constituent pas un critère de non prescription mais nécessitent une consultation psychiatrique avant et pendant le traitement ». La littérature montre qu’environ 50 % des patients dépendants à l’alcool souffrent de dépression (modérée ou grave) (Swendsen et Merikangasn, 2000).
Il n’existe pas à notre connaissance, d’étude spécifiquement consacrée à la prévalence de l’anxiété modérée dans l’alcoolisme, mais on peut supposer, étant donné que l’anxiété est beaucoup plus fréquente que la dépression dans la population générale, qu’il y a largement plus que 50 % de sujets anxieux chez les personnes dépendantes à l’alcool. Le nombre d’anxieux et de déprimés chez les buveurs est donc bien supérieur à 50 %. L’alcool est un anxiolytique et les buveurs ne l’utilisent pas par hasard, ils l’utilisent même comme antidépresseur. On peut d’ailleurs se demander pourquoi les concepteurs de la RTU se sont sentis obligés d’agiter le chiffon rouge dans le cas de « l’anxiété modérée », alors que l’anxiété est un symptôme plus que banal, qui ne peut pas être considéré comme suffisamment préoccupant pour que l’on ait à prendre de grandes précautions, d’autant que le baclofène est plutôt un anxiolytique.
On est donc en face de patients qui, dans leur grande majorité, ont des troubles de type anxieux et dépressif. Que doit-on faire ? Selon les termes de la RTU, il faut demander une consultation psychiatrique avant et pendant le traitement. Qu’est-ce que cela implique, par exemple pour un médecin généraliste (la majorité des prescripteurs de baclofène) ? Que ce médecin contacte un psychiatre, que le psychiatre accepte de voir le patient avant l’entrée dans la RTU et de l’évaluer itérativement pendant le suivi RTU. On lui demande de prendre la responsabilité de répondre à la question « l’état d’anxiété modérée de ce patient est-il compatible avec un traitement par le baclofène ? », alors que pour un psychiatre c’est une question proche de l’absurde.
Quand on sait sur quoi se fonde l’acceptation de suivre un patient pour un psychiatre (une demande, une problématique suffisamment grave, un objectif de résolution de conflit, etc.), on voit mal comment un médecin généraliste va obtenir de telles évaluations par un psychiatre pour un patient alcoolique qui, il faut le dire aussi, ne demande rien et n’a en général pas du tout envie de voir un psychiatre. Sans oublier les difficultés actuelles pour avoir un rendez vous avec un psychiatre (la durée d’attente pour un rendez-vous dans un CMP est en général de plusieurs mois). À moins que les concepteurs de la RTU n’aient imaginé que les psychiatres sont des instruments auxiliaires au service des autres catégories de médecins, corvéables à volonté pour des évaluations ponctuelles quand l’air du temps le demande. Ils devront alors réviser leurs idées sur les psychiatres.
La « consultation psychiatrique avant et pendant le traitement », telle qu’elle est exigée dans la RTU, est donc irréaliste, impossible en pratique courante, elle ne se fera jamais. Étant donné que la très grande majorité des patients dépendants à l’alcool souffre de troubles anxieux et dépressifs, et devant l’évidente impossibilité de mobiliser un psychiatre, que devra faire notre généraliste qui veut inclure un patient dans la RTU ? Il ne l’inclura pas. Ces patients sont perdus pour la RTU. Il reste de moins en moins de patients que l’on peut inclure dans la RTU.
III. Les paliers de 120 et 180 mg. C’est le défaut majeur de la RTU, celui qui peut la mettre le plus gravement en échec.
On se remet dans la peau du prescripteur. Il a vu son patient, il a rempli la page de fiche d’entrée, il a considéré que le patient répondait aux critères d’entrée dans la RTU, il lui a donné toutes les informations utiles, et il a rédigé une ordonnance. Le suivi commence. Le prescripteur voit son patient à intervalles réguliers (toutes les semaines, ou deux semaines, ou tous les mois, c’est lui qui choisit). On est dans la phase d’ascension des doses, le document « Protocole de suivi des patients » propose un schéma d’ascension des doses, qui consiste à augmenter la dose approximativement de 10 mg tous les deux ou trois jours. Quel que soit le schéma d’augmentation des doses, la phase d’augmentation est essentielle dans la conduite du traitement. On demande au patient d’être très attentif, c’est une phase où se met en place son apprentissage dans la gestion du traitement, il doit comprendre et appliquer le principe du traitement par le baclofène. Ce principe est qu’il faut augmenter les doses jusqu’à ce que survienne une indifférence à l’alcool. Cette indifférence peut apparaître à faible dose (de l’ordre de 20 à 30 mg par jour), mais plus souvent à des doses plus élevées, parfois très élevées. On dit au patient que la RTU autorise les doses jusqu’à 300 mg. On discute avec lui des connaissances actuelles sur le baclofène, on lui dit que selon les études publiées, la moyenne des doses pour obtenir une indifférence à l’alcool est de l’ordre de 130 mg/j (Rigal et al, 2012), ou 150 mg/j (de Beaurepaire, 2012) ou 180 mg/j (Müller et al, 2015). Cela signifie qu’environ la moitié des patients a besoin de doses inférieures à 130-180 mg/j et l’autre moitié à des doses supérieures.
On lui dit qu’on va augmenter progressivement les doses, qu’il doit être très attentif à suivre rigoureusement le protocole, que plus il sera rigoureux dans la progression des doses, moins il y aura d’effets secondaires. On sait que les patients dépendants à l’alcool ont des troubles cognitifs, des troubles de la mémoire et de l’attention, et pour qu’ils ne se trompent pas on leur donne souvent un support papier, une feuille format A4 où est inscrit, sous la forme d’un tableau, le schéma thérapeutique, avec les doses, les jours, les heures. Le patient inscrit les jours, coche les prises pour ne pas se tromper, écrit souvent à chaque ligne la quantité d’alcool qu’il a bue pendant la journée.
C’est un apprentissage progressif de la prise de traitement, cela concrétise une alliance thérapeutique, cela passe par une ritualisation de la prise du traitement. Le patient s’investit dans son traitement, il suit les consignes, à chaque augmentation de dose il attend de voir si cela modifie son craving, il est impliqué, il a de la marge jusqu’à 300 mg. Il a confiance en son médecin. Et le plus souvent, il connaît les forums Internet, il navigue dessus, il lit les commentaires et les expériences des autres, il voit que tout ce qui s’y raconte correspond bien à ce que lui a dit son médecin. Souvent il s’inscrit, expose son propre parcours, échange conseils et astuces, améliore son protocole et renforce son observance.
En suivant le protocole de la RTU, après environ 3 ou 4 semaines de traitement, le patient est à 110 mg. Et là, patatras. Son médecin lui dit « ici, on arrête l’augmentation ». Le médecin explique que selon les termes de la RTU, il doit téléphoner ou voir un autre médecin, un « médecin expérimenté dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance (un psychiatre, un addictologue ou un médecin exerçant dans un CSAPA) », pour « solliciter » son avis, il doit avoir l’accord de ce médecin pour continuer à augmenter les doses. C’est une situation assez absurde que le patient ne comprend pas très bien. On lui avait expliqué la progression des doses, il attendait l’indifférence, et il devrait s’arrêter ? Comme ça, au milieu de la progression des doses ? Est-ce que c’est acceptable sur le plan éthique ? Le médecin sait qu’il ne téléphonera jamais au fameux « médecin expérimenté ». Il n’en connaît aucun. Il sait seulement que la quasi-totalité des médecins des CSAPA sont hostiles au baclofène, il imagine qu’on le fera attendre, qu’il se fera rembarrer, que ce n’est même pas la peine de leur téléphoner. Il ne sait pas quoi faire. Il voit la déception du patient, et il lui ment : « le traitement ne marche pas chez vous ». Le malade proteste, il a vu sur les forums que l’on peut grimper jusqu’à 300 mg, il le dit au médecin. Celui-ci lui dit « vous pouvez aller voir un autre médecin, qui ne soigne pas ses patients dans le cadre de la RTU » (implicitement : vous prenez la responsabilité d’aller voir un médecin louche qui accepte de faire des choses illégales). Parce que c’est comme ça que les choses se passent. Les auteurs du présent article ont enquêté, ils connaissent beaucoup de monde, ils ont parlé à beaucoup de monde, la quasi totalité des médecins refuse de dépasser 120 mg. Ils ont peur. On leur a fait peur.
La quasi totalité des médecins s’arrête à 120 mg. La RTU prévoit un autre palier, à 180 mg, encore plus contraignant, encore plus bloquant, il faut « un avis collégial au sein d’un CSAPA ou d’un service spécialisé en addictologie ». Un avis collégial ! Un groupe de médecins hostiles au baclofène que l’on va déranger en les obligeant à se réunir (combien de personnes ? dans quels délais ? sur quel dossier ? le médecin doit-il se déplacer pour défendre son cas ? le patient doit-il être présent ? pour s’exposer aux questions pas forcément agréables de personnes peu motivées sinon franchement hostiles ? attendre combien de temps une réponse ?). C’est probablement une des contraintes administratives les plus invraisemblables que l’on n’ait jamais inventées. Alors que le patient, à 170 mg, attend. Il va attendre combien de temps ? Mais c’est inutile de continuer. Ce n’est même pas la peine de parler de ce collège à 180 mg (que certains appellent « Le Conclave ») puisque pratiquement aucun médecin n’arrive à cette dose là, ils se sont arrêtés à 120 mg. Personne, à notre connaissance (nous avons enquêté), n’a jamais appelé un CSAPA pour demander l’autorisation d’aller au delà de 170 mg (mais nous n’avons pas interrogé tous les CSAPA, il y en a 1 000 en France).
Les conséquences sont graves. Les chiffres montrent qu’environ les 3/4 des patients ont besoin de plus de 120 mg, autrement dit les 3/4 des patients sont en échec à 120 mg. Ce que les auteurs ont entendu au cours de leur petite enquête auprès des CSAPA, ce sont des médecins qui disent « le baclofène, ça ne marche pas très bien », « moi, j’ai beaucoup d’échecs », « le baclofène ne tient pas toutes ses promesses ». Entretenant une atmosphère de suspicion et de dénigrement du baclofène. Simplement parce que ces médecins ont arrêté le traitement à la dose de 120 mg, souvent en expliquant au patient qu’il avait été induit en erreur, qu’on lui avait trop promis, qu’il ne faut pas croire ce qui est écrit dans les forums, etc. Donc, des médecins qui ne savent pas prescrire le baclofène, ou ne veulent pas, et qui entretiennent un discours opposé à son utilisation. Victimes des messages d’industriels de médicaments concurrents ?
Il est évident que ce seuil de 120 mg, dose maximale autorisée dans la spasticité, à nouveau au premier plan avec la RTU, est devenu une sorte de barrière symbolique, un mur invisible, qui sépare les médecins éthiquement responsables, qui acceptent de le franchir, des pusillanimes, qui refusent d’aller au delà, que leurs patients soient ou non inscrits dans la RTU. C’est dramatique pour les milliers ou les millions d’alcooliques qui pourraient bénéficier du baclofène, et n’en bénéficient pas. Il est heureusement de plus en plus fréquent que des médecins qui ont été confrontés à ce problème des paliers de doses choisissent de ne plus inclure leurs patients dans la RTU.
IV. Autres remarques
Il existe quelques autres éléments de la RTU qui nous paraissent mal conçus, ou ne nous semblent pas indispensables, même s’ils n’ont pas une très grande d’importance.
On en retient 5 :
- L’obligation d’associer le traitement à un suivi psychosocial,
- L’exclusion des schizophrènes et des bipolaires,
- La non prise en considération des arrêts transitoires de traitement,
- Des informations données au patient, fausses ou inutilement inquiétantes,
- Un manque d’information sur le circuit des données enregistrées dans l’étude.
1. Le suivi psychosocial
Dans les « Critères de prescription », il est écrit que « le traitement par le baclofène doit être associé au suivi psychosocial décidé par le médecin ». C’est une phrase ambiguë, on ne sait pas très bien s’il existe une obligation de suivi psychosocial, la phrase indiquant que c’est le médecin qui décide du type de suivi psychosocial, ce qui laisse penser que le médecin peut ne décider d’aucun suivi de cette sorte. En fait, quand on discute avec les uns et les autres, il apparaît que personne ne sait très bien ce qu’un suivi psychosocial vient faire dans le cas d’un traitement par le baclofène. Le suivi psychosocial s’applique classiquement à des populations démunies, en errance, traumatisées et souffrant de pathologies somatiques graves (HIV, hépatites), alors qu’actuellement, la plupart des personnes dépendantes à l’alcool qui demandent du baclofène sont des personnes insérées, qui travaillent et mènent une vie assez normale. Un certain nombre ont besoin d’un suivi psychologique, c’est évident, très peu d’un suivi social.
Pourquoi introduire cette mesure contraignante dans le cas du baclofène ? Aurait-t-on l’idée de dire, quand on prescrit un anxiolytique ou un antidépresseur, que cela doit nécessairement être associé à un suivi psychosocial ? Les médecins n’ont pas besoin de la RTU pour décider si un patient a besoin ou non d’un suivi, qu’il soit psychologique ou social, ils savent très bien le décider par eux-mêmes. On peut donc se demander pourquoi les concepteurs de la RTU se sont sentis obligés de faire figurer cette contrainte. Qu’est-ce qu’il faut entendre derrière elle ? Rien d’autre probablement que d’inquiéter et de fabriquer une contrainte supplémentaire pour encadrer la prescription de baclofène, signifiant implicitement que celle-ci est nécessairement associée à des dangers psychosociaux. On leur suggère d’ajouter « la prise en charge globale », pour que la tarte à la crème bien-pensante soit complète.
2. L’exclusion des schizophrènes et des bipolaires
Cela concerne une importante population, puisque la schizophrénie concerne environ 1 % de la population et la bipolarité autour de 5 % (encore que la RTU ne précise pas si tous les types de bipolaires sont concernés, le spectre de la bipolarité pouvant toucher jusqu’à 10 % de la population, ou même plus), et qu’il existe un très fort pourcentage de personnes dépendantes à l’alcool dans cette population (de l’ordre de 40 %, mais les chiffres sont variables d’une étude à l’autre). L’exclusion des bipolaires peut trouver une justification dans le sens où le baclofène peut déclencher des états maniaques.
Néanmoins, une bonne surveillance des patients, avec une augmentation du traitement thymorégulateur quand c’est possible, et une réduction rapide des doses dès que des symptômes annonciateurs d’une décompensation maniaque apparaissent, doivent permettre de prévenir les accidents maniaques chez les patients traités. Il faut évaluer le rapport bénéfices/risques, et notre avis est que ce rapport est largement en faveur du baclofène quand on met dans la balance d’un côté le risque très faible de déclencher un état maniaque, et de l’autre, les ravages de l’alcool chez les bipolaires.
L’exclusion des schizophrènes est encore plus incompréhensible. Chez eux aussi l’alcool fait des ravages, et rien ne permet de penser que le baclofène pourrait être mal toléré chez eux. Une étude a montré que le baclofène est aussi efficace chez les malades mentaux que chez les personnes dépourvues de ce type de troubles (de Beaurepaire, 2012). Sans omettre que l’exclusion de ces malades de la RTU réduit encore le nombre de patients que l’on peut inclure.
3. Les arrêts transitoires du traitement
Il y a sur chaque fiche « suivi du patient », une case demandant la quantité de baclofène prise par le patient – qui est la dose quotidienne prise la semaine précédant la visite. Il faut nécessairement que le chiffre soit 10 ou un multiple de 10 (milligrammes). Quand un patient arrête provisoirement de prendre du baclofène (chiffre 0), il est impossible de le notifier, le chiffre 0 est refusé. On ne peut pas expliquer que le patient a arrêté transitoirement son traitement. Il faut aller sur l’item « le patient est-il toujours sous traitement ? » et répondre « non », le patient est alors sorti de l’étude – ce que le médecin prescripteur ne souhaite pas, il sait que le patient est toujours sous traitement. Il arrive en effet que certains patients arrêtent provisoirement leur traitement, soit parce qu’ils se considèrent trop rapidement comme guéris (ils ne le sont pas), soit parce qu’ils veulent faire une pause au cours du traitement : certains partent en vacances et veulent boire librement pendant leurs vacances – ce n’est pas exceptionnel –, d’autres encore « oublient » quelques temps de prendre leur traitement – ce n’est pas exceptionnel non plus, ils évoquent toutes sortes de raisons, mais aucun d’entre eux n’a réellement l’intention d’arrêter son traitement, ils sont clairs là dessus, ils font seulement une pause. Ce cas-là n’est pas prévu dans la RTU. Un certain nombre de patients ont ainsi été perdus. Il est amusant aussi de noter que quand un patient a arrêté son traitement et est sorti de l’étude, il est quand même demandé au prescripteur s’il a bien remis au patient une attestation de suivi.
Il arrive aussi que des patients arrêtent leur traitement parce qu’ils sont guéris. Une étude montre qu’après 2 ans de traitement, 20 % des patients arrêtent leur traitement parce qu’ils sont guéris (de Beaurepaire, 2012). On dirait que les concepteurs de la RTU n’ont jamais imaginé que cela pouvait arriver, qu’un patient puisse guérir. Il y a bien un item « Souhait du patient d’interrompre le traitement », mais ce n’est pas la même chose qu’un item qui dirait « arrêt du traitement pour guérison » (où ce n’est généralement pas le patient, mais le médecin, qui propose l’arrêt du traitement).
Enfin, il y a le cas des demi-comprimés qui n’a pas été prévu. L’utilisation de demi-comprimés est très fréquente (elle est même prévue dans la croissance posologique de la RTU). Il faut nécessairement que le chiffre des prises soit 10 ou un multiple de 10. Quand un patient ne prend qu’un demi-comprimé (5 mg, cela arrive), ou encore un nombre de comprimés normal (c’est-à-dire un multiple de 10) auquel s’ajoute un demi comprimé (5), il est impossible de le notifier. Ce n’est pas grave, on arrondit, mais cela modifie certaines informations.
4. Informations erronées ou inutilement alarmantes
Hors AMM.
Il est obligatoire de dire au patient que la prescription est hors AMM. Or, la prescription entre dans un cadre autre que l’AMM, celui de la RTU. Pourquoi faut-il commencer par dire aux patients que la prescription est hors AMM, qui est en soi une information potentiellement alarmante, alors que la prescription se fait simplement dans un autre cadre que celui de l’AMM ?
Autres addictions
Pourquoi interdire l’entrée dans la RTU aux patients qui souffrent d’une autre addiction, par exemple au cannabis ? En quoi cela est-il gênant ? D’autant qu’un très grand nombre de buveurs ont aussi une dépendance au cannabis et que des publications suggèrent que le baclofène pourrait être utile dans ce type de dépendance. C’est une façon inutile d’éliminer encore plus de patients (il n’en reste pourtant plus beaucoup). Est-ce que la nourriture est considérée comme une substance addictive (plusieurs publications montrent l’efficacité du baclofène dans la boulimie et hyperphagie) ?
Porphyrie
Pourquoi interdire le baclofène aux patients souffrant d’une porphyrie ? Le baclofène ne fait pas partie de la liste des médicaments interdits chez les porphyriques (voir la liste du Centre Français des Porphyries). Ce n’est pas très important, la porphyrie est une maladie très rare, mais pourquoi inquiéter inutilement les prescripteurs et les malades (il existe des formes mineures non diagnostiquées de porphyrie).
Suicide
Les patients doivent être informés oralement des risques qu’ils encourent en prenant du baclofène, et une attestation doit leur être remise pour les mettre en garde. Il est mentionné que parmi « les effets indésirables plus particulièrement rapportés avec le baclofène », il y a des « comportements suicidaires ». C’est faux.
D’abord, il y a peu de cas rapportés de patients alcooliques prenant du baclofène qui se sont suicidés, c’est plus qu’exceptionnel. Mais surtout, il est bien connu que c’est l’alcool qui cause le suicide, il existe toute une littérature à ce sujet (alcool = événements de vie négatifs + faible estime de soi + désinhibition + impulsivité = risque suicidaire élevé), et s’il est arrivé que des alcooliques qui prennent du baclofène se suicident, rien n’a jamais permis d’incriminer le baclofène plutôt que l’alcool.
Il est exact que des symptômes dépressifs apparaissent parfois chez les patients dépendants à l’alcool traités par le baclofène, mais ce sont des symptômes à type de ralentissement moteur, d’apathie, d’inhibition, pas des symptômes suicidaires (tout le contraire d’une impulsivité). Une publication récente rapporte qu’une patiente s’est suicidée en absorbant une dose massive de baclofène (Kintz et al, 2015). Oui, elle s’est suicidée avec du baclofène. Si elle s’était suicidée avec de l’Anafranil® ou de l’aspirine, ou encore, ce qui est beaucoup plus fréquent et dangereux, avec du paracétamol, est-ce qu’on en aurait fait une telle histoire ? La précipitation avec laquelle les éditeurs publient des accidents survenus chez les personnes prenant du baclofène est plus que suspecte.
Triglycérides
Y a-t-il une publication dans la littérature qui ait rapporté sans contestation possible que le baclofène produit des « augmentations des triglycérides dans le sang » ? Non, il n’y en a aucune qui démontre que le baclofène soit directement en cause.
Les patients (et même parfois les médecins prescripteurs) expriment souvent des inquiétudes sur le devenir des informations collectées par l’étude.
Où vont elles, qui va les analyser, que va-t-on faire des résultats, les initiales et la date de naissance des patients peut-elle permettre de les identifier, des fichiers de patients vont-ils être constitués, les médecins sont-ils nominativement suivis, leurs prescriptions individuellement analysées, la CNIL a-t-elle été saisie, quel retour les patients et les médecins peuvent-ils attendre ? Ce sont des inquiétudes, il existe un manque d’information sur la dimension éthique du suivi (le protocole n’est pas passé devant un comité d’éthique).
Rien de bien grave dans les erreurs, précautions et interdictions de ce dernier paragraphe, mais l’ensemble contribue à créer une inutile atmosphère de danger autour du baclofène, alors qu’à l’exception de quelques précautions ou mises en gardes simples et claires (épilepsie, manie, insuffisance respiratoire, endormissement dans une situation potentiellement dangereuse), qui concerne une petite minorité de situations ou de patients, c’est une molécule sans danger. Le baclofène est en tout cas beaucoup moins dangereux que l’alcool, et que d’autres molécules souvent utilisées par les alcoologues comme le topiramate ou la prébagaline. On a l’impression que les concepteurs de la RTU ont délibérément (sous quelles sombres influences ?) multiplié les précautions et anticipé de graves dangers, créant une atmosphère de peur et de suspicion autour du baclofène, alors que c’est un traitement en général parfaitement anodin.
Conclusion
Un point d’information a été publié par l’ANSM le 20 mars 2015, dressant un bilan des six premiers mois d’utilisation de la RTU, et constatant qu’un an après sa mise en place, seulement un peu plus de 5 000 patients étaient enregistrés sur le portail, un chiffre qualifié de « très faible ». On rappelle que selon les données de la CNAM, plus de 200 000 patients ont été traités par du baclofène pour une alcoolo-dépendance au cours de ces dernières années (Weil et al, 2015). Tous ne continuent probablement pas à prendre du baclofène, mais le nombre de patients sous baclofène est plus de l’ordre de la centaine de milliers que de quelques milliers, ce qui signifie que certainement plus de 95 % des patients sous baclofène en France le sont en dehors de la RTU.
Les auteurs du présent article ne pensent pas que le chiffre de 5 000 patients soit très faible, mais au contraire pensent qu’il est d’une importance inespérée. Sur les bases de l’analyse qui a été faite dans les paragraphes précédents, les auteurs considèrent que les contraintes de l’étude – critères d’entrée : traitement antérieur indispensable par les autres médicaments autorisés, exclusion des patients ayant une anxiété modérée ou une dépression modérée qui n’auraient été autorisés à être traités par un psychiatre ; les contraintes de suivi : avis d’autres praticiens à divers paliers ; et l’atmosphère générale de peur suscitée par diverses formes de dramatisation des effets indésirables potentiels – ne pouvaient pas permettre d’inclure autant de patients dans la RTU. Et ils pensent que beaucoup de patients ont été inclus dans la RTU alors qu’ils ne répondaient pas aux critères exigés.
On rappelle que la RTU n’a été envisagée par l’ANSM que comme un dispositif sécuritaire, et pas comme un dispositif qui permettrait de favoriser la prescription. Les auteurs pensent que beaucoup de médecins ont été pris dans un paradoxe qui est que d’un côté, ils voulaient utiliser la RTU parce qu’ils avaient le sentiment que c’était la seule façon légale de prescrire du baclofène, et que d’un autre côté, ils se trouvaient empêchés ou découragés de le faire par l’importance des contraintes et des contre-indications. Une situation qui n’a pas été facilitée par le point d’information du 20 mars 2015, où l’ANSM a réitéré d’une façon presque menaçante l’obligation de prescrire du baclofène dans le cadre de la RTU, avec la phrase suivante : « l’ANSM rappelle aux prescripteurs que toute utilisation du baclofène en dehors des situations cliniques couvertes par l’AMM ou la RTU est formellement déconseillée par l’ANSM et relève de l’entière et seule responsabilité des prescripteurs ».
C’est mettre les prescripteurs dans une intenable situation de double contrainte, qui peut être décourageante pour eux, alors que l’alcool tue près de 130 personnes par jour en France. Mettre délibérément les prescripteurs dans une telle situation soulève un véritable problème éthique. Il est évident pour les auteurs que cette dimension décourageante de la RTU pour les médecins a un impact très négatif sur la prise en charge des patients alcoolo-dépendants en France, et explique la décroissance des ventes de baclofène. Et ils pensent que la RTU devrait être améliorée dans le sens d’un allègement de ses contraintes et de ses contre-indications, que les demandes d’avis soient facultatives (ne s’adressant qu’à ceux qui pensent mal maitriser la prescription), et que sa présentation excessivement prudente et sécuritaire qui rebute les prescripteurs soit profondément modifiée.
Liens d’intérêt : les auteurs n’ont aucun lien d’intérêt à déclarer dans le cadre de cet article.
Références
- Ameisen O. Le dernier verre. Denoël, Paris, 2008.
- Ameisen O. Complete and prolonged suppression of symptoms and consequences of alcohol-dependence using high-dose baclofen: a self-case report of a physician. Alcohol Alcohol 2005;40:147-50.
- Ameisen O, de Beaurepaire R. Suppression de la dépendance à l’alcool et de la consommation d’alcool par le baclofène à haute dose: un essai en ouvert. Ann Méd-Psychol 2010;168:159-62.
- ANSM – ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/RTU-baclofene-Premieres-donnees-collectees-et-rappels-sur-les-modalites-de-prescription-Point-d-information.
- Celtipharm. http://www.openhealth.fr/fr-fr/Cartes-IAS/iasbaclofene.
- de Beaurepaire R, Joussaume B, Rapp A, Jaury P. Treatment of binge-eating disorder with high-dose baclofen: a case series. J Clin Psychopharmacology 2015;35:357-9.
- de Beaurepaire R. Suppression of alcohol dependence using baclofen: a 2-year observational study of 100 patients. Front Psychiatry 2012;3:103.
- de Beaurepaire R. The use of very high doses of baclofen in the treatment of alcohol dependence. Front Psychiatry 2014;5:143.
- Gache P, de Beaurepaire R, Jaury P, Joussaume B, Rapp A, de La Selle P. Prescribing guide for Baclofen in the treatment of alcoholism – For use by physicians. Br J Med Med Res 2014;4(5)
- Kintz P, Jamey C, Géraut A, Raul JS. Décès d’une alcoolique chronique par baclofène dans un cadre suicidaire chez un sujet naïf. Toxicol Anal Clin 2015, in press.
- Müller CA, Geisel O, Pelz P, Higl V, Krüger J, Stickel A, Beck A, Wernecke KD, Hellweg R, Heinz A. High-dose baclofen for the treatment of alcohol dependence (BACLAD study): a randomized, placebo-controlled trial. Eur Psychopharmacol 2015, in press.
- Rigal L, Alexandre-Dubroeucq C, de Beaurepaire R, Le Jeunne C, Jaury P. Abstinence and ‘‘low-risk’’ consumption 1 year after the Initiation of high-dose baclofen: A retrospective study among ‘‘high-risk’’ drinkers. Alcohol Alcohol 2012;47:439-42.
- Rigal L, Legay Huang L, Alexandre-Dubroeucq C, Pinot J, Le Jeunne C, Jaury P. Tolerability of high-dose baclofen in the treatment of patients with alcohol disorders: a retrospective study. Alcohol Alcohol 2015, in press.
- Spence D. Bad medicine: nalmefene in alcohol misuse. BMJ 2014;348:g1531.
- Swendsen JD, Merikangas KR. The comorbidity of depression and substance use disorders. Clin Psychol Rev 2000 Mar;20(2):173-89.
- Weil A, Chaignot C, Ricordeau P, Alla F. Évolution des prescriptions de baclofène en France. Journée ALDECA, Lons-le-Saunier, 15 janvier 2015.