L’accompagnement d’un traitement de substitution, s’il est souvent recommandé comme une nécessité, évoqué comme un élément de la prise en charge globale, est ensuite rarement précisé dans ses modalités, quand il n’est pas carrément oublié dans les recommandations pratiques et donc dans les moyens offerts à l’usager et aux services censés y contribuer. Cette courte vignette a donc pour seul objectif que d’en rappeler ce qui pourrait quand même en justifier l’intérêt et d’en soumettre à la discussion la plus ouverte ce qui pourrait en être les principes.
Une fausse évidence
La notion d’accompagnement est nouvelle, elle est fragile. Elle apparaît lors de la mise en place des traitements de substitution, et apporte avec elle une redéfinition des relations entre les différents acteurs de ces traitements. Etymologiquement, l’accompagnement rime avec les notions d’association, de libre adhésion. En terme médical, cela s’écrit parfois sous la forme d’une alliance thérapeutique. Mais l’accompagnement vient aussi prendre rang dans ce qu’Ehrenberg définit comme la recherche d’une qualité de vie, d’une autre idée de la guérison qui se développe dans nos sociétés. Enfin, en accompagnant quelqu’un, on est conduit à penser le processus comme évolutif, temporel. C’est la notion de temps qui apparaît alors.
Adhésion partagée, revendication d’une qualité de vie, possibilité d’une évolution dans le temps : voilà trois idées contenues dans l’accompagnement qui sont bien loin de ce qui est souvent proposé comme définissant « le toxicomane ». Peut-être est-ce là qu’il faut trouver les raisons du traitement particulier qui est fait à ce projet, au sein de ces prises en charge globales que l’on continue pourtant de promouvoir.
Articulation de quatre pôle
Elles reposent sur la capacité à articuler quatre pôles : la consultation médicale et la prescription, les modalités de délivrance des traitements, le soutien social et l’aide psychologique. Si chacun de ces pôles a son rôle propre, nécessitant des compétences professionnelles spécifiques, aucun de ces pôles ne peut être pensé sans réfléchir à l’impact qu’il aura sur le pôle voisin. C’est tout l’intérêt d’une évaluation partagée et construite avec l’usager, d’une définition des seuils d’accès différenciée.
Le pôle de la consultation médicale et de la prescription du traitement
Le pôle de la consultation médicale et de la prescription du traitement sera celui de la recherche d’un équilibre biologique. On y parlera de « stabilisation », d’apaisement, on s’y attachera à réduire les risques, à soigner un corps parfois mis à mal. Mais on y revendiquera aussi le droit au plaisir….
Les modalités de délivrance
Les conditions de délivrance du traitement seront des occasions de consolider un projet de soin. Bien sûr, le cadre de la délivrance peut-être vécu comme une contrainte, venir à la pharmacie ou au centre de soin n’est pas toujours facile, le rythme fait question, de même que le sentiment d’être « sous contrôle ». Mais là encore, il s’agit moins d’imposer que de proposer un cadre qui participe au trajet de reconstruction. Les limites qu’il impose sont autant de sujets d’échange, autant de protection face à des impulsions encore dangereuses.
Le pôle social
Le pôle social ouvre un domaine de réponses toutes aussi diversifiées : simple coup de pouce à ceux qui ont pu préserver une intégration sociale efficiente, aide plus poussée pour soutenir une remise en ordre de sa vie quotidienne, l’accompagnement peut prendre la forme d’une « pédagogie » du quotidien, intervenant dans l’ensemble des secteurs de la vie d’un usager : recherche d’un logement, aide aux déplacements, prise en compte des questions alimentaires, d’hygiène, de santé, etc…C’est encore dans son élaboration partagée que l’accompagnement trouvera sa meilleure justification.
En se plaçant au côté de l’usager, en s’adaptant à son rythme d’évolution, en renforçant la construction d’hétéro – contrôles, en soutenant la diversification des réseaux d’appartenance et des sources de satisfactions, il permettra que la question du plaisir, de la qualité de vie, se repose sur un angle différent.
Le pôle psychologique
En partant de premiers acquis apportés par le TSO, l’accompagnement mis en œuvre en commun avec l’usager va contribuer à en renforcer et en élargir les effets. Il s’agit bien d’une pratique multifactorielle, agissant dans différents domaines, et nécessitant un savoir-faire pluridisciplinaire.
Elle invite à parcourir en sens inverse les effets de repli sur soi, d’appauvrissement de son expérience d’être au monde qu’a pu susciter la centration provoquée par la dépendance et l’expérience toxicomaniaque. En choisissant d’accompagner l’usager, on choisit de cheminer à ses côtés dans une confrontation commune à la complexité de l’autre, du monde et de soi. Cela peut aller jusqu’ à prendre la forme d’une nouvelle initiation au « bon usage du monde ».
Des obstacles réels
Si cet accompagnement peut alors sembler couler de source, l’escamotage, dont il est souvent l’objet dans la réalité, doit nous amener à nous méfier de cette apparente évidence et à en reprendre les obstacles. L’accompagnement coule tellement de source, qu’il n’est (presque) plus nécessaire d’en parler, de le définir, et de le budgétiser. D’abord, cette fausse évidence cache une première difficulté : l’accompagnement est nécessaire, mais il ne saurait être obligatoire. Articulé sur quatre pôles, il peut n’en nécessiter qu’un, celui de la consultation médicale. Mais encore faut-il que cela soit le résultat d’une juste évaluation, permettant de faire le constat partagé de l’inutilité de déployer dans le cas concerné les autres pôles : autonomie sociale préservée, gestion du traitement maîtrisée, dynamique psychique assumée.
Or un tel diagnostic transdisciplinaire n’est pas aussi évident à poser, encore plus quand il doit se faire en co-élaboration avec l’usager. Chacun sait bien qu’une difficulté dans un secteur peut avoir des répercussions dans un autre domaine. Mais dans le rythme d’une journée de travail, chacun pour aussi l’oublier, privilégiant son propre point de vue, et pensant qu’une simple orientation « vers le service concerné » apportera la solution attendue. Le travail d’ASUD, l’enquête de l’association AIDES ont pu montrer que cela n’est pas aussi simple.
Puis, cette deuxième difficulté : si l’évaluation est correctement faite, elle doit aider à construire un accompagnement adapté, c’est-à-dire respectueux des attentes de l’usager et des offres des acteurs professionnels. Lors de cette construction vont se poser les questions de la diversification, celle de la différenciation et celle de l’adaptation de l’accompagnement.
Diversification : intérêt et inconvénient d’un interlocuteur unique ou d’interlocuteurs pluriels
Le médecin généraliste versus l’équipe pluridisciplinaire… l’hôpital versus le réseau, etc…
Mais au-delà de ces modèles et des risques de caricature que chacun en fait, ce sont des questions bien pratiques qui se posent pour l’usager : danger d’éparpillement, focalisation sur un seul interlocuteur placé en position de « sauveur », « manipulations » d’interlocuteurs différents.
Et si le principal intérêt de la diversification était de soutenir cette « pédagogie sociale du quotidien » déjà évoquée et qui répond à l’effet centration, cette polarisation de la vie que peut induire la dépendance. La variété, le remaillage social et relationnel qu’elle suscite participent pleinement au processus de restructuration qui peut être proposé.
La différenciation des acteurs, l’existence d’interlocuteurs différenciés vient ouvrir des espaces de médiation qui vont réduire les risques de rupture du lien thérapeutique. Là où l’un verra dans la constitution de « stocks » de traitement que l’usager gère une rupture du contrat, l’autre pourra reconnaître un besoin d’autonomie dans la gestion du traitement, besoin ressenti bien au-delà du strict cercle des usagers de psychostimulants. Face aux dérapages du week-end, à leurs répétitions lassantes, tandis que l’un pourra chercher une réponse dans une adaptation du traitement, dans un changement de molécule, l’autre pourra faire valoir l’intérêt de passer autrement son week-end, d’y laisser place à des activités.
Adaptation enfin, tant il est vrai que ces propositions sont susceptibles d’évoluer au fil du temps. De se redéfinir pour répondre à un changement. Cette capacité à ne pas se figer est complexe. Les pas en avant, les retours sur d’anciennes pratiques vont scander le trajet. Mais l’accompagnement est aussi la somme de périodes qui se succèdent : moment où l’usager est là quotidiennement, sollicitant une prise en charge massive ; période où il s’éloigne, se mettant en retrait, étant presque oublié… Laisser à l’usager la possibilité de doser sa distance et son implication, c’est aussi une des formes de ce que certains auteurs ont pu appeler « l’accompagnement au long cours ». Mais ce temps est parfois bien difficile à faire reconnaître et accepter, il est le temps d’une vie et non celui d’un simple « traitement ».
Enfin, troisième difficulté qui finit par transformer « l’évidence de l’accompagnement » en un travail plus complexe qu’il n’y parait : si chacun de ces domaines doit être évalué au regard des autres, les différents acteurs impliqués seront en situation de devoir rendre concret ce partage des informations. Comme pour l’évaluation du début, cette mise en commun des avancées, des tensions, des difficultés rencontrées dans chacun des domaines n’est pas sans peine. Il y a un risque réel à créer des tensions entre des attentes contradictoires, de susciter des espoirs inadaptés. Et c’est l’usager qui en sera le premier concerné, ressentant parfois douloureusement en lui ces incohérences, ces impossibilités, ces frustrations. Avancer trop vite dans un domaine peut se traduire par un déséquilibre douloureusement ressenti.
Les demandes de synthèses entre partenaires, les ruptures de la relation soignante vont émailler ces trajets souvent chaotiques. Comment faciliter ce travail : équipes pluridisciplinaire, inter-vision, micro-structures, des pistes existent pour continuer de réfléchir à ces questions dès lors que l’on accepte que ces questions se posent. Dès lors qu’il ne s’agit pas d’opposer les réussites des uns aux échecs des autres, le coût des uns aux économies des autres ! Dès lors enfin que l’on se souvienne qu’il s’agit d’accompagner quelqu’un au long d’un trajet de vie, que ce qui peut être adapté dans les premières étapes ne l’est plus dans celles qui suivent, et que dans ces histoires de psychostimulants comme dans celles de nos vie, la continuité n’est pas obligatoirement synonyme d’uniformité.