Cet article est une revue de synthèse complète sur les points essentiels de la prise en charge de l’hépatite C chez les usagers de drogue (UD), selon l’analyse d’études récentes menées dans cette population.
En préambule, quelques rappels formulés par les auteurs.
Les récentes avancées des traitements ont montré qu’il était possible d’éradiquer le virus de l’hépatite C (VHC). La grande majorité des patients ayant obtenu une réponse virologique prolongée (RVP : ARN-VHC indétectable 24 semaines après l’arrêt du traitement) est considérée comme guérie. Ces données encourageantes ont permis d’étendre les recommandations de traitement aux UD jusqu’ici exclus.
En effet, les UD par injection représentent le groupe de patients atteints d’hépatite C le plus important, avec un taux élevé de nouvelles contaminations.
Aux Etats-Unis on estime que :
- 70 % à 90 % des personnes ayant injecté des drogues pendant au moins 10 ans sont infectées par le VHC.
- 10 % à 40 % des UD non infectés, sont contaminés chaque année.
Le contrôle de l’épidémie d’hépatite C doit donc passer par de nouvelles stratégies de prévention et de prise en charge de cette maladie chez les usagers de drogues.
Les freins au traitement de l’hépatite C chez les UD
Les obstacles à l’instauration d’un traitement de l’hépatite C se situent à différents niveaux :
- le patient (addiction, troubles psychiques, pauvreté, sans-abri…),
- le médecin (méconnaissance des addictions, manque d’expérience dans la prise en charge des UD, attitudes préjudiciables…),
- le système de santé (déficit des structures de prise en charge).
Les UD, comme les autres patients, peuvent ne pas suivre les conseils de leur médecin, ne pas respecter leurs rendez-vous par exemple… Mais les médecins et les équipes soignantes ne se sentent pas toujours à l’aise, en l’absence de formation adaptée à la spécificité de la prise en charge des ‘toxicomanes’. Ils préfèrent alors confier ces patients à un spécialiste des addictions ou à un service de toxicomanie. Les médecins auraient donc besoin d’une meilleure formation.
Afin de lever les freins au traitement de l’hépatite C chez les UD et d’améliorer leur prise en charge, les cliniciens impliqués peuvent s’appuyer sur une vingtaine de principes rappelés dans cet article et conçus pour faciliter les relations soignants – UD. Ceux-ci ont été établis selon les recherches et les expériences cliniques menées au cours de différentes maladies virales chroniques, notamment l’infection VIH.
La réussite du traitement de l’hépatite C chez les UD nécessite une collaboration médicale multidisciplinaire entre les spécialistes de l’hépatite C et les spécialistes de la prise en charge des UD. Ainsi pourront être développés des programmes de prise en charge adaptés.
Avoir des objectifs atteignables (pour éviter la frustration et le ressentiment), une bonne connaissance des conséquences morales et physiques de l’addiction, sans jugement moral sont les clefs de la réussite des programmes de prise en charge de l’hépatite C chez les UD.
Données existantes sur le traitement de l’hépatite C chez les UD
De nombreuses études menées ces sept dernières années nous montrent qu’un nombre important d’usagers de drogues peut obtenir une réponse virologique prolongée (RVP), même en présence de comorbidités psychiatriques et/ou d’une toxicomanie active.
L’expertise dans le traitement du VHC, l’expérience dans la prise en charge des UD, la gestion des effets secondaires (dépression) et la possibilité de prescrire un traitement de substitution adapté sont les points communs essentiels retrouvés dans ces études récentes.
Les taux de RVP obtenus varient de 28 à 75 % selon le traitement (interféron seul, interféronribavirine ou peginterféron-ribavirine) et sont comparables à ceux retrouvés dans une population non toxicomane.
Ces études montrent que de nombreux patients ‘toxicomanes’ actifs, consommateurs d’alcool et ayant des comorbidités psychiatriques peuvent être traités avec succès pour l’hépatite C.
L’approche thérapeutique chez les UD
Il est rappelé que les UD sont souvent traumatisés, peuvent aussi avoir une mauvaise expérience du système de santé et sont méfiants envers les soignants. Leur montrer de l’empathie, prendre soin d’eux permettra de créer un climat de confiance. Des explications claires et des échanges positifs renforceront les relations avec les soignants et responsabiliseront les patients.
Il est nécessaire d’évaluer les freins au traitement et de travailler avec le patient pour les lever.
Cette démarche renforcera les liens et l’observance du patient à son traitement.
Le passé de tous les patients atteints d’hépatite C doit être analysé pour avoir connaissance de l’usage de drogues ou de consommation d’alcool.
Les auteurs rapportent qu’aux Etats-Unis, selon une étude menée en 2005 par le « National Survey on Drug Use and Health » :
- 105 millions d’américains âgés de 18 ans ou plus ont consommé des drogues illicites, soit 48,2 % de la population ;
- parmi ces 105 millions :
- 67 millions ont consommé d’autres drogues illicites que la marijuana (33 millions ont consommé de la cocaïne et 3,5 millions de l’héroïne),
- 1 à 1,5 millions consomment régulièrement des drogues injectables.
Lorsque l’usage de drogue est révélé, il est important que le médecin collabore activement avec le patient pour l’aider à évaluer l’impact de sa toxicomanie sur sa santé, en abordant plusieurs points liés à la quantité de drogue consommée, la fréquence et le mode d’absorption, sa relation avec la drogue, son mode de vie, l’hygiène…
Cette approche permettra de consolider la relation médecin – patient.
Lorsque le patient est consommateur d’alcool, le médecin doit informer le patient de l’effet de l’alcool sur la progression de l’hépatite. L’alcoolisme doit donc également donner lieu à un traitement spécifique.
De façon générale, le traitement de l’hépatite C devrait être envisagé dans un contexte général prenant en compte une éventuelle poursuite d’usage de drogue, un traitement de substitution et/ou un alcoolisme. Il est important d’instaurer un traitement antiviral tenant compte de l’état de santé du patient et de son mode de vie.
Le médecin et le patient doivent prendre ensemble la décision de débuter un traitement pour l’hépatite C en évaluant les bénéfices et les risques.
Le traitement le plus urgent à instaurer est chez les patients ayant une hépatite aiguë (car plus efficace) et chez les patients ayant une fibrose avancée avec un risque rapide de cirrhose.
Pour certains patients, débuter un traitement est l’élément déclencheur pour interrompre ou stopper définitivement la toxicomanie. Pour d’autres, se stabiliser ou rentrer dans un système de soins suffiront pour les décider à traiter leur hépatite C.
L’adhésion au traitement
Le moment idéal pour traiter un patient contre l’hépatite C est variable pour chaque patient selon ses conditions psychologiques et sa motivation. Les freins à l’observance doivent être anticipés et une stratégie discutée. Une fois la faisabilité du traitement évaluée, et le traitement débuté, le patient doit être suivi périodiquement pour évaluer et encourager l’observance.
Les troubles psychiatriques
Avant de traiter le patient, il est important d’évaluer l’impact des troubles psychiatriques potentielles car les patients atteints d’hépatite C peuvent être psychiatriques pour différentes raisons.
- L’hépatite C peut engendrer des troubles psychiques ou une dépression en réponse au diagnostic : incertitude sur l’avenir, incertitude quant à l’efficacité du traitement, isolement et discrimination.
- La maladie en elle-même pourrait aussi générer des troubles cognitifs (difficultés de concentration …).
- Le traitement de l’hépatite C par interférons peut provoquer des effets neuropsychiatriques (dépression..) et des perturbations cognitives.
- La co-infection VIH/VHC peut générer des troubles démentiels, quels que soient les stades de l’infection VIH ou VHC.
Etant donné ces multiples risques, l’état psychique des patients (dépression, fatigue, dysfonctionnements cognitifs, toxicomanie et autres troubles mentaux) doit être bien évalué avant et pendant le traitement de l’hépatite C.
La co-infection VIH/VHC
Les UD ont souvent contracté le VHC lors d’injections non stériles et peuvent donc avoir aussi été contaminés par le VIH. En cas de co-infection, la progression de la maladie VHC est plus rapide et le risque de mortalité accru. Le traitement anti-VHC doit être envisagé et décidé avec le patient et avec le médecin en charge du traitement anti-VIH.
L’hépatite aiguë C
Le taux de réponse virologique prolongée (RVP) est proche de 100 % si le traitement est instauré lors de la phase aiguë de l’hépatite. Le traitement devient donc une urgence lorsque le patient se trouve dans cette phase pour se donner toutes les chances de guérison. Les patients UD qui sont à haut risque (UDIV) doivent donc être dépistés régulièrement (tous les 3 mois).
Risque de surinfection
Un patient guéri de son hépatite C peut être réinfecté ultérieurement lors d’une injection non stérile. Plusieurs études ont suggéré qu’une éducation efficace et une mise au point sur les mesures d’hygiène lors de l’injection permettent de diminuer le risque.
Etude pilote d’un modèle de prise en charge collaborative multidisciplinaire
Les auteurs relatent une étude pilote chez neuf patients toxicomanes actifs traités par peginterféron et ribavirine. Cette étude utilise les ressources et l’expertise d’un programme sur le partage des seringues et celles d’un centre de soins pour l’hépatite C. Six patients ont négativés l’ARN VHC. Quatre ont obtenu une RVP, un est en fin de traitement et le dernier est toujours sous traitement. Cinq patients ont cessé l’utilisation de drogues. Chez ces six patients traités, le facteur motivant leur décision de débuter un traitement anti-hépatite C a été la perspective d’un test ARN-VHC négatif.
Cette étude a montré qu’une prise en charge collaborative multidisciplinaire permet d’optimiser l’efficacité du traitement, même si les patients continuent l’utilisation de drogues pendant le traitement.
Les besoins de recherche à venir
Des études de plus grande envergure devraient être menées afin de déterminer au mieux les éléments clefs de la réussite du traitement de l’hépatite C tant au niveau du profil des patients qu’à celui du programme de prise en charge. En effet, dans le cadre des études rapportées dans cet article, le recrutement des patients avait été réalisé selon des critères de sélection bien précis, et souvent chez des patients en cours de traitement de substitution (méthadone, buprénorphine). En réalité, peu de données sont disponibles sur les patients qui consomment des drogues régulièrement ou par intermittence. En ce qui concerne les nouveaux traitements anti-VHC en cours de développement, malheureusement, ces traitements ne sont pas évalués chez les patients ayants recours à la méthadone ou la buprénorphine.
Conclusion
Les UD sont au centre de l’épidémie d’hépatite C. Pour ce type de patient, un programme de traitement efficace doit être global et multidisciplinaire avec une approche spécifique des usagers de drogues, sans jugements moraux et une bonne compréhension du comportement addictif. Les chances de succès du traitement de l’hépatite C s’intègrent dans cette prise en charge optimisée.