Le CEID de Bordeaux, dirigé par le Dr DELILE, comme toutes les structures prenant en charge des usagers de drogues, a bien identifié « l’ennemi actuel », les infections virales.
L’hépatite C est au premier rang de celles-ci, associant à une forte prévalence des difficultés de dépistage et d’accès aux soins. L’amélioration du dépistage est donc devenue une priorité, mais les solutions efficaces sont difficiles à mettre en œuvre.
La nécessité de cette amélioration est apparue d’autant plus évidente que les structures du CEID avaient été sites de recueil pour l’étude Coquelicot. Il avait été ainsi vérifié que les statistiques locales rejoignaient les statistiques nationales : 70 % des UD-IV sont contaminés par le VHC, dont 1/3 environ ignorant leur état. De plus, une proportion non négligeable de sujets avertis de leur séropositivité n’avaient pas eu recours à un traitement, malgré un stade parfois de fibrose avancée.
Ces usagers infectés, ignorant leur statut et non traités, présentent de plus un haut risque de contamination des autres usagers.
L’identification des obstacles
L’objectif du CEID est donc devenu d’améliorer le dépistage, en identifiant les obstacles qui s’interposaient entre les usagers et les ressources disponibles en matière de dépistage et de prise en charge de l’hépatite C.
L’équipe s’est appuyée sur des entretiens socio-anthropologiques qui avaient été menés parallèlement à l’étude Coquelicot. Elle a par ailleurs interrogé des usagers bien connus du Centre, avec lesquels la relation de confiance était telle qu’ils ont accepté de réfléchir à ce sujet.
Il est apparu qu’il s’agissait en partie d’un manque d’information. Cependant ce manque est relatif : en effet, si les nouveaux toxicomanes n’ont pas toujours conscience du risque de contamination par le VHC, il est en revanche bien connu des usagers de longue date.
Parmi les usagers avertis du risque, certains comportements sont ceux de tout être face à la maladie : le déni, « l’autruche », la peur des traitements…
Mais, plus spécifique à l’hépatite C, se surajoute la crainte de la ponction-biopsie hépatique, examen réputé pénible, douloureux, impressionnant : les usagers communiquent entre eux et se livrent leurs expériences. Par ailleurs, il s’agit d’un examen pratiqué dans un contexte institutionnel, avec une programmation, sur rendez-vous ; autant de contraintes pas toujours faciles à négocier pour un usager.
Enfin, les usagers redoutent la prise de sang pour dépistage biologique car ils ont un capital veineux périphérique très amoindri et les prélèvements sont souvent longs, difficiles, douloureux…
Réticence face au prélèvement sanguin, crainte à l’égard de la PBH, peur du diagnostic, tout concourt à un sous-dépistage de l’infection par le VHC chez les usagers.
Le fibroscan pour « montrer » son foie à l’usager
Forte également de l’expérience de l’étude Coquelicot, l’équipe du CEID de Bordeaux a donc recherché des solutions pour améliorer le rendement des campagnes de dépistage.
La réflexion s’est faite avec le service d’hépatogastro-entérologie du Pr Couzigou au CHU de Bordeaux, avec lequel le CSST et le CAARUD travaillent de longue date en collaboration étroite notamment avec le Dr Juliette Foucher.
La méthode par prélèvement au doigt ainsi que le dépistage dans la salive, non encore validés, n’ont pas été retenus. Restait le Fibroscan, examen non invasif, qui permettrait non pas le diagnostic de séropositivité au VHC mais de visualiser l’état du foie et d’inciter « sur preuve » à poursuivre les explorations. Mais se posait alors le problème de l’accès à l’examen : il devait pouvoir être réalisé dès que proposé, afin d’éviter la déperdition inévitable dès lors que les usagers doivent prendre rendez-vous ou se rendre dans un autre lieu.
Le site idéal était donc une structure de première ligne, comme le CAARUD. Les usagers s’y rendent plus facilement, attirés par la possibilité de prendre un café, une douche, de se reposer, de rencontrer un médecin ou une infirmière sans rendez-vous, de se procurer du matériel de réduction des risques… Cette structure permet même de proposer ce dépistage à des toxicomanes actifs, non encore demandeurs d’une substitution.
Après discussions avec ses partenaires hépatologues, le Centre a donc évoqué son projet auprès du Laboratoire Roche. Celui-ci a très rapidement signé un accord de partenariat et a financé la mise à disposition d’un Fibroscan pour le CAARUD qui dispose donc du seul
Fibroscan de Bordeaux intra muros !
Le Fibroscan est devenu opérationnel en janvier-février 2006. L’objectif initial était de suivre 300 usagers, et de valider l’acceptabilité de cette méthode de dépistage grâce à une étude d’évaluation.
Les premiers résultats ont été très encourageants : aucun refus à la proposition d’imagerie.
En plus de son caractère non invasif, l’aspect ultramoderne de l’exploration, ordinateur, écran, score en temps réel…, y est sans doute pour beaucoup !
L’explication et la mobilisation autour de la problématique hépatique demandent quelques minutes, 5 à 10 tout au plus. La découverte d’un score un peu élevé permet d’évoquer le dépistage classique « pour en savoir plus ». Il est alors bien accepté. Si le score est normal, on peut quand même proposer le bilan, toujours pour en avoir le cœur net. Le prélèvement est alors réalisé sur place.
Cette approche de séduction par l’imagerie accompagnée d’information a permis de nombreux primo-dépistages.
Un observatoire, TOXSCAN, a été mis en place pour évaluer avec rigueur l’opération.
Une consultation spécialisée décentralisée
Reste un dernier obstacle dans la prise en charge des usagers présentant une hépatite C : la mise en route du traitement. Une consultation d’hépatologie avancée hebdomadaire a donc pu être organisée, permettant l’initiation du traitement de l’hépatite C.
L’observance, dans ces conditions d’accompagnement, est bonne. Un constat analogue avait été fait dans le cadre de la prise en charge du VIH : le traitement de l’hépatite est un facteur de motivation supplémentaire, avec un impact très positif sur les consommations parasites, d’alcool notamment.
Comme cela a d’ailleurs été souligné dans le rapport du Groupe de travail sur l’amélioration de la prise en charge de l’hépatite C que coordonnait le Professeur Michel DOFFOEL (Comité stratégique du Programme national Hépatites virales du Ministère de la Santé), l’expérience du CEID de Bordeaux, CSST et CAARUD, illustre ainsi combien l’unité de lieu d’intervention des différents acteurs de la prise en charge des problèmes multiples liés à l’usager renforce l’efficacité des mesures mises en œuvre.