Les traitements de substitution opiacés (TSO) ont été mis en œuvre dans de nombreux pays il y a plusieurs décennies pour diminuer les risques de contaminations virale chez les usagers de drogues, mais aussi pour le reste de la population qui, au contact des usagers, se trouvait de fait exposée.
Très vite, l’accès aux TSO a entrainé une chute spectaculaire des décès liés au VIH mais également de ceux par overdose et tous les pays ayant mis à disposition des usagers les médicaments de substitution, méthadone ou buprénorphine, ont constaté leur impact positif sur la baisse de la mortalité globale des usagers de drogue, en particulier par overdose. La méthadone est le traitement le plus étudié dans le monde car prescrit depuis les années 60. De nombreuses études sur la baisse de la mortalité ont été conduites uniquement avec la méthadone (Gilhooly Heroin Add – Brugal et al. Addiction – Dolan and al. Addiction, …) et cette publication a l’intérêt de comparer les deux médicaments et leur impact respectif sur la mortalité des usagers de drogue (même si ce n’est pas la première).
L’étude
Il s’agit d’une étude rétrospective de cohorte sur plus de 32 000 patients, réalisée en Australie de 2001 à 2010 et publiée dans le Lancet Psychiatry. Environ 60% des patients étaient sous méthadone et 40% sous buprénorphine. Les auteurs ont voulu évaluer l’efficacité des MSO sur la mortalité des usagers de drogues. Ils ont ainsi mesuré les taux de mortalité sous traitement buprénorphine ou méthadone, en différenciant deux groupes : les décès sous TSO dû à une consommation d’opiacés, et ceux dus à d’autres causes.
Ils ont réparti les patients décédés en fonction de trois périodes du traitement :
- Décès survenus le premier mois suivant l’initiation du TSO
- Décès survenus pendant le traitement
- Décès survenus dans le mois qui a suivi l’arrêt du TSO.
Leur conclusion
Les auteurs soulignent que 1/4 de ces patients ont déclaré avoir déjà fait au moins une overdose. D’autre part, comme dans toute étude sur cette population, ils ont mesuré le taux de rétention (nombre de patients qui reste en suivi jusqu’à la fin du traitement) : ils observent que le taux rétention est supérieur pour le groupe méthadone que pour le groupe buprénorphine. Les auteurs constatent que ce résultat est conforté par les nombreuses données bibliographiques faisant état de moins d’abandons de traitement pour les patients sous méthadone que pour les patients sous buprénorphine (Mattick RP, Kimber J, Davoli M. Buprenorphine maintenance versus placebo or methadone maintenance for opioid dependence (Review). Cochrane Database of Systematic Reviews (2) :CD002207, 2008).
Concernant les taux de mortalité sous traitement selon les périodes :
- Dans le premier mois d’initiation du MSO : les auteurs concluent que les 2 traitements font baisser la mortalité. Par contre, ils observent un nombre de décès sous méthadone plus important durant cette période d’initiation que sous buprénorphine
- Pendant toute la durée de traitement, il n’y a pas de différence significative en termes de mortalité entre la buprénorphine et la méthadone
- Enfin, pendant le mois qui suit l’arrêt du TSO, il y a plus de décès liés à la consommation de drogues (opiacés et autres substances) dans le groupe buprénorphine que méthadone.
Commentaire de la rédaction
Une telle étude de cohorte est représentative par le nombre par le nombre de patients qu’elle permet de suivre, plus de 30 000 en l’occurrence, même si elle est rétrospective. Sa publication dans une revue comme le Lancet Psychiatrie mérite également que l’on s’y intéresse, ainsi que la qualité des auteurs. Mais, au final, elle n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport aux études déjà publiées et rapportées dans Le Flyer.
L’efficacité des traitements de substitution opiacés en termes de réduction de la morbi-mortalié ne porte plus à discussion depuis longtemps, sauf peut-être en France, à l’Académie de Médecine (!).
De très nombreuses études dans le monde, portant notamment sur la méthadone, témoignent de son efficacité sur la baisse de la mortalité globale des usagers de drogue et, en particulier, par overdose opiacée.
Néanmoins, sa lecture nous suggère quelques réflexions :
- Le choix d’un traitement devrait porter d’abord sur le désir d’en bénéficier (c’est particulièrement vrai en addictologie), sachant que, dans la plupart des cas, les usagers ont déjà essayé les différents médicaments. Un accès inégal aux différents MSO, comme c’est le cas dans beaucoup de pays, France y compris, fausse la donne. Le respect de ce choix conditionnera l’adhésion au traitement et donc son efficacité (maintien dans le soin, réduction du risque d’arrêt prématuré, rechute…).
- Lors de l’initiation d’un MSO, il faut respecter les règles de titration (comme pour la prescription de tout morphinique dans la douleur) pour éviter le risque de surdosage lors des premières semaines. C’est un peu plus vrai pour la méthadone – agoniste puissant que pour la buprénorphine – agoniste partiel et antagoniste des récepteurs opiacés. De ce fait, de nombreuses recommandations ont déjà été produites depuis plusieurs années, en Australie notamment, où a été réalisée cette étude. Nous pouvons les résumer ici par « commencer bas et augmenter doucement ». Cette stratégie permet d’éviter le risque d’overdose en phase d’initiation.
Et surtout, réduire la mortalité des usagers de drogues consiste à adopter une stratégie globale que nous défendons depuis longtemps : La Réduction des Risques, non pas comme stratégie accessoire, mais comme principe guidant nos pratiques addictologiques.
Pour les MSO, elle consiste à donner le meilleur accès aux traitements de substitution :
- en ne retardant pas inutilement la mise en place du médicament de substitution opiacée, sous prétexte d’analyser la demande, d’évaluer la motivation ou de mettre en place un suivi global (tout ceci pouvant être fait une fois le médicament prescrit, sans dommages pour le patient)
- en ayant pour les traitements de substitution et la prescription des médicaments des exigences de qualité que l’on applique généralement dans d’autres domaines thérapeutiques (cardiologie, neurologie…) :
- avoir les connaissances pharmacologiques nécessaires
- maitriser les interactions médicamenteuses
- rechercher une posologie strictement individualisée aux besoins des patients et non aux croyances des soignants ou à leurs craintes infondées, comme c’est parfois le cas
- prendre en charge les comorbidités somatiques, psychiatriques ou sociales qui ont un impact considérable sur le traitement
- éviter toute approche dogmatique influencée là-aussi par des croyances quand il s’agit de durée et d’arrêt de traitement (cette étude nous rappelant le risque de surmortalité lors de l’arrêt des traitements de substitution opiacée)
- distiller des conseils à tous les moments du traitement en matière de réduction des risques liés à l’usage de substances psychoactives, qu’elles soient licites (tabac, alcool, médicaments antalgiques, benzodiazépines) ou illicites
- remettre en cause ses pratiques quand elles échouent ou ne rencontrent pas l’adhésion, plutôt que d’en attribuer systématiquement les échecs aux patients (pas prêts, pas motivés…).
Comme le disaient déjà certains intervenants dans les années 90, « l’intérêt des traitements de substitution est que les patients restent en vie, ce qui nous donne l’opportunité de les soigner… ».
La réduction de la mortalité des usagers, si elle est une étape indispensable ne peut constituer une fin en soi. Il faut prendre en soins nos patients !
En gériatrie, on utilise un ‘slogan’ qui mériterait qu’on l’applique ici : « donner plus d’années à la vie, mais surtout donner plus de vie aux années ».