Le mois de mars a été marqué par l’annonce de la prolongation de la RTU (Recommandation Temporaire d’Utilisation) de Baclofène pour les patients avec des troubles liés à l’usage d’alcool. Nous avions informé nos lecteurs abonnées à notre newsletter de cette prolongation dès son annonce par l’ANSM.
Quel que soit l’avis que chacun peut avoir sur cette modalité de traitement, pro-baclofène, baclo-sceptiques voire anti-baclofène, il faut se féliciter de cette prolongation, permettant à des patients demandeurs de ce traitement et à leurs médecins de rester dans un cadre légal, avant la mise sur le marché d’un médicament plus adapté (notamment en matière de dosage) et bénéficiant d’un statut plein et entier d’un médicament avec AMM.
Il faut également se féliciter du travail réalisé sous l’égide de l’ANSM (Philippe Vella, Nathalie Richard, Catherine Deguines…), empreint de pragmatisme, avec le concours de cliniciens-experts (Claude Magnin, Xavier Aknine, Nicolas Authier, Florence Vorspan, Bernard Granger…) visant à alléger les contraintes et autres restrictions de la RTU précédente.
On peut retenir, en résumé :
- Prescription possible en première intention (aide au maintien de l’abstinence après sevrage ou réduction de la consommation d’alcool).
- Prescription possible jusqu’à une dose max de 300mg/j par tous les médecins sans obligation de demander un avis à quiconque.
- Plus de contrindications psychiatriques strictes, mais un appel à la prudence au cas par cas.
- Possibilité de prescrire à des patients sous traitement de substitution opiacée.
Bacloville et Alpadir, présentées au congrès de la SFA (mars 2017)
Les 2 études (en vue d’obtenir l’AMM) déjà présentées à Berlin en 2016 ont fait l’objet d’une présentation plus complète et très attendue par les acteurs de l’alcoologie française. En voici un résumé succinct, tel qu’on a pu le lire dans un article sur Medscape France (Aude Lecrubier, 17 mars 2017).
Bacloville : réduction significative de la consommation dans un cas sur deux
Les résultats à un an de l’essai Bacloville montrent que le baclofène à forte dose permet de réduire significativement la consommation d’alcool dans un peu plus d’un cas sur deux. Ils confirment les résultats préliminaires dévoilés en septembre 2016 au congrès de l’ISBRA-ESBRA à Berlin. A un an, l’abstinence ou la réduction de la consommation jusqu’à un niveau médicalement acceptable était atteinte chez 56,8% des patients traités contre 36,5% chez ceux recevant un placebo. Sur le plan de la tolérance, des effets indésirables connus (insomnie, somnolence, dépression) ont été observés chez 44 % des patients qui recevaient le baclofène vs 31 % chez ceux qui recevaient le placebo. En outre, des décès ont été observés dans les deux bras.
Alpadir : un intérêt sur la baisse de la consommation mais pas sur l’abstinence
En ce qui concerne l’essai Alpadir, les chercheurs ne rapportent pas non plus de changements notables par rapport aux données présentées en septembre. L’étude n’a pas montré de supériorité du traitement versus le placebo sur le critère principal de jugement, à savoir l’abstinence. En revanche, la baisse de la consommation d’alcool était plus importante dans le groupe traité et d’autant plus marquée que les patients étaient des grands buveurs (> 4 verres par jour pour les femmes et > 6 verres par jour pour les hommes) (données non encore publiées).
Les effets secondaires observés dans cette population de patients sélectionnés (pas de comorbidités psychiatriques importantes, pas de traitements psychotropes, pas de cirrhose) étaient ceux habituellement observés (insomnies, fatigue, somnolence, nausées…).
« Le baclofène permet de réduire la consommation d’alcool, dans un cas sur deux, ce n’est déjà pas si mal », a indiqué à l’AFP le Pr Michel Reynaud, coordinateur de l’étude Alpadir et président du Fonds Actions Addictions (hôpital Paul Brousse, Villejuif) en commentaire de ces deux études.
Au-delà de ces 2 études contrôlées présentées fin mars 2017 au congrès de la SFA, on dispose aujourd’hui de données importantes et rassurantes, en vie réelle, sur le rapport bénéfices-risques du baclofène : suivis de pharmacovigilance, de toxicovigilance, suivis de cohorte, études ouvertes… C’est probablement aussi l’examen de ces données qui ont permis à la fois le renouvellement de la RTU et son allègement. Peu de médicaments font l’objet d’autant de recul avant même leur mise sur le marché officielle.
Hasard du calendrier (?), on a appris par une dépêche de l’APM, que le groupe Ethypharm avait déposé une demande d’AMM la semaine dernière pour le médicament baclofène (nom de marque ?) qu’il développe depuis près de 3 ans, dans une gamme de dosage plus adaptée aux patients ayant des troubles liés à l’usage d’alcool.
Une étude multicentrique
Il faut aussi noter la publication récente des résultats d’une étude multicentrique menée dans le nord de la France qui montre de façon très spectaculaire que le baclofène a une réelle capacité à faire entrer (pour la première fois) des patients dans le soin… et à être plus nombreux à y rester après 6 mois ou 1 an. Cela fait plusieurs décennies que l’on constate, avec une certaine forme de résignation, le fossé abyssal entre le nombre de patients au contact de professionnels du soin (un peu plus de 100 000) et les 2 millions d’individus ayant des problèmes en lien avec une dépendance à l’alcool. Le prolongement de la RTU, son allègement, la perspective d’avoir un médicament plus adapté dans les mois à venir, représentent des opportunités à saisir en matière de Santé Publique.
Voici le résumé de cet article, tel qu’il a été publié sur le site du JIM. Il est signé Claire Lewandoski.
Baclofène, ce sont surtout les patients qui choisissent
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a autorisé depuis mars 2014, l’utilisation du baclofène chez les patients alcoolo-dépendants en échec des traitements disponibles, par le biais d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU). Le but de cette étude française, menée par l’équipe du CHU de Lille, est de définir le profil des patients qui recherchent un traitement par baclofène en France pour traiter leur alcoolo-dépendance.
Une comparaison rétrospective entre les patients demandeurs de baclofène et les patients non demandeurs, a été menée dans une cohorte de sujets suivis en ambulatoire et souffrant d’une dépendance à l’alcool. Tous ont assisté à un premier entretien pour leur traitement dans deux centres d’addictologie entre septembre 2012 et mars 2014. Les données concernant les caractéristiques sociodémographiques, les comorbidités psychiatriques, les dépendances, et l’alcoolo-dépendance ont été recueillies, ainsi que l’objectif initial de consommation et l’observance du traitement à 6 et 12 mois.
Parmi les 289 patients, 107 sont demandeurs de baclofène et 182 ne le sont pas. Les seuls paramètres associés à la demande de baclofène dans les analyses multivariées sont la consommation élevée d’alcool (ß = 15,4, intervalle de confiance, IC, à 95 % [0,18¬30,65], p = 0,05), l’objectif initial d’une consommation contrôlée (odds ratio OR = 14,9;IC à 95 % [7,7¬29], p < 0,0001), et l’orientation par le patient lui-¬même (OR = 6,6, IC 95 % [3,7¬12], P < 0,0001). Les demandeurs de baclofène ont huit fois plus de chance d’être auto-¬référés et naïfs de tout traitement (OR = 8,8 ;IC 95 % [4,1¬18,9], P < 0,0001). De plus ils sont plus susceptibles de prendre leur traitement à 6 mois (OR = 3,5, IC 95 % [1,8¬6,7], p < 0,0001) et à un an (OR = 1,9, IC 95 % [1,1¬3,2], p = 0,019).
En France, la perspective d’une consommation contrôlée d’alcool par le baclofène semble attirer davantage de consultations spontanées que les autres options thérapeutiques, y compris pour les patients dont l’alcoolo-dépendance n’a jamais été prise en charge. Ces résultats soulèvent la question de savoir si les futures stratégies de santé publique sur l’alcool devraient favoriser de façon plus importante certains aspects du traitement de l’alcool, comme la préférence du patient et les options de traitement.
Les références de l’article :
- Simioni N, Preda C, Deken V, Bence C, Cottencin O, Rolland B. : Characteristics of Patients with Alcohol Dependence Seeking Baclofen Treatment in France: A Two¬ Centre Comparative Cohort Study. Alcohol Alcohol. 2016 ; 51 : 664¬669