Selon une récente étude menée en Belgique, les patients sévèrement dépendants aux opiacés pourraient répondre efficacement à un traitement par héroïne médicalisée.
L’essai réalisé en ouvert, contrôlé, randomisé, sur 74 patients a montré une efficacité supérieure de la DiAcétylMorphine (DAM) à celle de la méthadone. Le traitement était reçu en centre spécialisé, sous surveillance infirmière stricte avec des évaluations à 3, 6 et 9 mois.
Selon le Dr Marc Ansseau, professeur à l’université de Liège et auteur principal de l’étude : « Il existe de nombreuses études similaires un peu partout, et nous avons cherché à savoir si cela était envisageable en Belgique […] Nous avons voulu déterminer si les patients pouvaient s’adapter à ce nouveau traitement – et les résultats ont été excellents ».
Ces résultats ont été présentés lors du congrès de l’American Psychiatric Association qui s’est tenu en mai 2014.
Une diminution des consommations d’héroïne illicite
Les auteurs rappellent « [qu’] en Suisse, le nouveau traitement à base de diacétylmorphine (héroïne médicalisée) a été développé pour aider… les patients dépendants à l’héroïne et réfractaires à la méthadone, pour diminuer leur consommation d’héroïne illicite ». Le traitement par héroïne médicalisée est administré jusqu’à 3 fois par jour dans un environnement contrôlé.
Jusqu’à présent, 6 études contrôlées randomisées ont été menées en Suisse, aux Pays-Bas, Espagne, Allemagne, Canada et Royaume-Uni montrant une efficacité supérieure de l’héroïne médicalisée par rapport à la méthadone. Les investigateurs rapportent que « les patients ont consommé moins d’héroïne de rue, amélioré leur santé et réduit leur comportement délictueux ».
L’étude actuelle cherchait à évaluer la faisabilité en Belgique d’un programme de Traitement Assisté par DiAcétylMorphine (TADAM). Au total, 74 personnes adultes ont participé, toutes dépendantes à l’héroïne depuis au moins 5 ans. Leurs consommations étaient quotidiennes et elles avaient essayé précédemment au moins une fois un traitement par méthadone. Le Dr Ansseau note que « La plupart d’entre elles sont dépendantes depuis 10, 20 ans – Une dépendance de très longue durée ».
Les participants ont reçu, au hasard, pendant les 12 mois de l’étude :
- Un traitement par diacétylmorphine (posologie moyenne = 574 mg/j), en voie intraveineuse ou nasale selon la préférence du patient et dans un centre dédié (n = 36).
- Ou un traitement par méthadone (posologie moyenne = 77 mg/j) (n = 38).
Après 12 mois, le projet TADAM a été arrêté et les patients étaient orientés vers le meilleur traitement possible (le traitement par diacétylmorphine n’était pas poursuivi). Les patients ayant cependant été assignés au traitement par méthadone avaient la possibilité de le poursuivre.
L’évaluation des patients a été réalisée au démarrage de l’étude puis après une période de 3 mois avec différents scores :
- L’European Addiction Severity Index (EuropASI) ;
- Le Maudsley Addiction Profile-Health Symptom Scale
- Le Symptom Checklist-90-Revised Questionnaire (SCL-90-R)
Les patients étaient aussi interrogés sur leur activité délictueuse. Les examens biologiques (analyses sanguines et urinaires) ainsi que les plaintes enregistrées par la police étaient pris en compte.
L’objectif principal de l’étude était la réponse au traitement.
Une proportion plus importante de répondeurs
Les résultats ont montré davantage de répondeurs dans le groupe TADAM par comparaison au groupe méthadone à 3 mois (P < 0,05), 6 mois (P < 0,05) et 9 mois (P < 0,01). Pour chacune de ces évaluations, il y a eu au moins 30% de répondeurs de plus pour le groupe TADAM.
A 12 mois, bien qu’il y ait eu 11% de répondeurs de plus, les résultats n’étaient plus significatifs.
La situation des patients du groupe TADAM s’était même détériorée depuis leur évaluation à 9 mois.
Le Dr Ansseau note que ce résultat pourrait être expliqué en partie du fait que les patients savaient que leur traitement allait être arrêté au bout de 12 mois. L’appréhension de cet arrêt a pu entrainer la dégradation observée. Il ajoute que le traitement ne devrait pas avoir de limite fixée dans le temps : « Je pense que les patients devraient le poursuivre aussi longtemps que nécessaire. Imposer au programme d’héroïne médicalisée une durée maximale de façon arbitraire est contraire au caractère chronique et récidivant de cette maladie ».
Les autres résultats ont montré :
- Une diminution de la consommation d’héroïne de rue dans les 30 jours écoulés par rapport aux patients recevant de la méthadone (p = 0,001) ;
- Et une amélioration significative des scores de santé mentale du questionnaire SCL-90-R, « particulièrement concernant la dépression et les traits psychotiques » (p = 0,02 pour les deux dimensions).
Globalement « comme dans les autres pays, le traitement par diacétylmorphine est un traitement efficace chez les patients sévèrement dépendants, réfractaires à la méthadone ». Le Dr Ansseau et son équipe essayent actuellement de convaincre le gouvernement belge de mettre en place cette modalité de traitement sans limite de durée.
A la question « Recommanderiez-vous l’évaluation de ce traitement à d’autres pays, en particulier les Etats-Unis ? », il répond « totalement – et tout particulièrement pour cette population difficile à soigner. Ce traitement se destine aux patients très lourdement dépendants, il ne s’agit pas d’un traitement de première intention ».
Des questions restent en suspens
Le Dr Frances Levin, professeur de psychiatrie à l’université du centre médical Columbia – CUMC – New-York, a réagi à ces résultats dans la revue Medscape Medical News : « Tout cela est très intéressant, mais cette étude me laisse avec de nombreuses questions telles que, avec quelle intensité a été mené le précédent traitement ? […] je pense que [TADAM] est une solution de dernier recours. Il faut que rien d’autre n’ait fonctionné avant de considérer la prise de DAM trois fois par jour. Il n’y a pas de bon ou de mauvais médicament, la question porte surtout sur les modalités de dispensation. »
Le Dr Levin, qui n’a pas participé à l’étude, est présidente du groupe sur les addictions au sein de l’American Psychiatry Association. Elle est également l’ancienne présidente de l’American Academy of Addiction Psychiatrie.
Selon elle, ce type de traitement demande beaucoup de temps aux patients et peut grandement affecter leur liberté et leur vie sociale : « Ma préoccupation concernant cette étude est la manière dont le traitement doit être délivré et les conséquences pour le patient. Il voit sa vie bien plus circonscrite qu’avec un programme méthadone, pour lequel on prend son traitement et on part pour la journée ».
« Je ne dis jamais non à propos de quelque chose qui peut être utile. Et sur certains critères, ce programme a été utile. Ce traitement n’est pas déraisonnable pour une petite proportion de personnes pour lesquelles on a essayé de nombreuses autres approches ». Elle ajoute cependant qu’il est difficile d’envisager ce traitement aux Etats-Unis.
Le Dr Maria Sullivan, professeur associé de psychiatrie au CUMC, pense de même, ajoutant qu’il existe aux Etats-Unis de bien meilleures alternatives. « J’y penserai pour un patient pour lequel une première tentative avec de la méthadone aurait échoué, aurait essayé la buprénorphine ou de la naltrexone injectable. Il existe de nombreuses données venant soutenir l’efficacité de la buprénorphine et de la naltrexone dans la prévention des rechutes. Je ne sais pas si TADAM représente le moindre avantage par rapport aux traitements existants. Dans un cas d’échec, j’y songerais uniquement en dernier recours ».
Les deux femmes ont ajouté « qu’un soutien social adéquat » est également nécessaire chez ces patients. Selon le Dr Levin « même la méthadone ne marche pas si on se contente de donner une faible posologie. Les autres interventions qu’on y ajoute sont essentielles ».
En complément
L’université de Liège a publié en octobre 2013 l’intégralité des résultats du projet TADAM.
Le rapport disponible sur leur site internet reprend également le contexte, le protocole de l’étude et les recommandations pour la mise en place d’un programme d’héroïne médicalisée.
Pour retrouver le document, entrez dans votre moteur de recherche « TADAM Rapport Final ».