Douleur chez l’enfant: aux urgences, l’usage restreint de la codéine respecté mais une prise en charge à améliorer
La restriction d’utilisation de la codéine chez l’enfant de moins de 12 ans est bien connue et respectée par les médecins des urgences pédiatriques mais la prise en charge de la douleur dans cette population ne semble pas optimale, selon une enquête présentée au congrès de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), en novembre 2015 à Nantes. La codéine est utilisée en pédiatrie pour les douleurs modérées à sévères. Elle est métabolisée en morphine par le cytochrome P450 2D6 (CYP2D6) et l’activité de cet enzyme peut varier en fonction du patrimoine génétique des individus, avec une transformation plus rapide chez certains, rappellent Natacha Dillies et Justine Avez-Couturier du CHU de Lille dans leur poster. En 2012, une revue de la littérature a pointé 13 cas d’effets indésirables dont 10 décès associés à des doses appropriées de codéine, chez des enfants de 21 mois à 9 ans qui étaient des « métaboliseurs rapides ».
En avril 2013, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) appelait les prescripteurs à ne plus utiliser cet antalgique chez l’enfant de moins de 12 ans et en post-amygdalectomie et à y recourir en seconde intention chez les plus de 12 ans. Dans cette étude, les chercheurs ont voulu évaluer les pratiques de prescription des antalgiques aux urgences pédiatriques dans les centres hospitaliers français depuis l’alerte de l’ANSM.
Un questionnaire informatisé a été envoyé par e-mail, à trois reprises entre le 2 février et le 15 mars, aux médecins travaillant dans les 169 urgences pédiatriques françaises via l’annuaire du groupe francophone de réanimation et d’urgences pédiatriques de la Société de réanimation de langue française (SRLF). Sur les 276 médecins répondants, 98% connaissaient le communiqué de l’ANSM. Ils étaient 48% à prescrire de la codéine, une à trois fois par semaine, avant l’alerte. Après, les médecins ont arrêté de prescrire de la codéine chez les enfants de moins de 12 ans dans 56% des cas et pour tous les enfants dans 26% des cas. Les médecins étaient mis en difficulté régulièrement dans 62% des cas, essentiellement pour les douleurs de la gingivostomatite. Les prescriptions de recours étaient essentiellement le paracétamol, le tramadol et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). La morphine per os était prescrite « parfois » par 53%. Elle n’était jamais prescrite pour le retour à domicile par 54% des médecins.
Les trois quarts des médecins interrogés souhaitaient pouvoir réutiliser de la codéine.
Cette enquête montre que les consignes de l’ANSM de restreindre l’usage de la codéine chez l’enfant sont « majoritairement » connues et respectées par les médecins des urgences pédiatriques. Il apparaît également que « la prise en charge de la douleur chez l’enfant sans l’utilisation de la codéine ne paraît pas optimale ».
Les auteurs notent par ailleurs que la métabolisation de certains médicaments de recours, comme le tramadol, peut dépendre d’un polymorphisme génétique, ce qui risque de poser la même problématique que la codéine. « L’utilisation des AINS et de la morphine orale est à développer dans certaines indications en s’appuyant sur de nouvelles recommandations de prise en charge de la douleur de l’enfant », ajoutent-elles.
Des recommandations attendues en 2016
La SFETD a travaillé avec la Haute autorité de santé (HAS), à la demande de la direction générale de santé (DGS), sur des recommandations sur la prise en charge de la douleur persistante chez l’enfant, dans un contexte de restriction d’utilisation de la codéine, rappelle l’APM dans son communiqué de novembre 2015. Le groupe de relecture de la société savante s’est réuni lors du congrès et après validation par la HAS, le texte des recommandations devrait être diffusé au cours du premier semestre 2016, a indiqué mardi à l’APM le président de la SFETD, Didier Bouhassira. Parmi les situations les plus problématiques de douleurs aiguës depuis le retrait de la codéine figurent le post-opératoire en hôpital de jour notamment l’amygdalectomie, la cure de hernie inguinale, l’orchidopexie, les chirurgies urologiques et la chirurgie dentaire, les urgences, notamment la traumatologie, les tableaux d’abdomen chirurgical aigu et les brûlures, les douleurs ORL (otites moyenne et externe, sinusites aiguës) et les gingivostomatites, indiquent les membres du groupe de relecture dans leur poster. Les situations problématiques de douleurs chroniques ou récurrentes concernent les douleurs chroniques cancéreuses et non cancéreuses, les crises vaso-occlusives drépanocytotaires. Selon l’analyse de la littérature, peu de publications portent sur l’efficacité antalgique de la codéine chez l’enfant.
Il existe d’autres solutions à la codéine dans les différentes situations de douleur aiguë, qui reposent principalement sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2012 sur la prise en charge antalgique chez l’enfant en deux paliers, le paracétamol et l’ibuprofène de palier 1 et la morphine de palier 3. La codéine a en revanche peu ou pas de place dans le traitement de la douleur chronique, ajoutent les auteurs.