« Tolérance zéro »
Le troisième rapport de La Global Commission on Drug Policy a été publié en mai 2013 (1). Il revient sur la question de la guerre à la drogue et sur sa responsabilité dans l’actuelle pandémie d’hépatite C.
Popularisée par le président Nixon il y a 40 ans, la guerre à la drogue se caractérise par une politique punitive, répressive et selon une approche de « tolérance zéro » dans l’objectif d’atteindre un monde sans drogue.
Les personnes qui consomment des drogues se placent sous le coup de la criminalité, et non dans un cadre de santé publique.
La guerre contre la drogue a eu des conséquences délétères intensifiant l’épidémie de VIH et de VHC :
- Incarcération de masse des usagers, souvent sans traitement ou sans accès à des mesures de réduction des dommages ;
- Ignorance politique des épidémies de VIH / VHC ne recevant pas l’attention, les ressources et l’implication suffisantes ;
- Profits de plusieurs milliards de $ tirés par les grands trafiquants qui restent hors d’atteinte de la loi ;
- Persistance de certains gouvernement continuant à prioriser cette politique et refusant d’adopter une stratégie de réduction des dommages : 70 pays n’offrent pas d’accès à des PES ;
- la fédération de Russie quant à elle refuse l’accès à un TSO à plus de 1,8 millions de personnes.
Créée à l’origine en 2009 par les anciens présidents du Brésil (Fernando Henrique Cardoso), de la Colombie (César Gaviria) et du Mexique (Ernesto Zedillo), la Global Commission rassemble de nombreuses personnalités de premier plan : Kofi Annan, ; Sir Richard Branson (fondateur notamment du groupe Virgin) ; George Shultz (ancien secrétaire d’état Américain) ; Paul Volcker (ancien président de la réserve fédérale américaine) ; Michel Kazatchkine (ancien directeur exécutif du fond mondial de la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme)…
Selon leurs propres termes : « la guerre contre la drogue a échoué, avec des conséquences sanitaires dévastatrices pour les personnes et les communautés à travers le monde ».
Des publications pour amorcer le débat
Deux premiers rapports ont déjà été publiés, portant chacun sur une thématique différente mais selon un même objectif : amorcer le débat dans le domaine de la réduction des dommages liés aux drogues, dommages causés aussi bien aux personnes qu’à la société.
La première publication, en juin 2011 (2), dresse un bilan de l’échec de la politique actuelle de lutte contre la drogue : absence de diminution de la consommation de drogues, développement du marché noir, multiplication du nombre de substances disponibles, marginalisation et stigmatisation des toxicomanes… Les auteurs en appellent à en finir avec la criminalisation des consommateurs et à repenser les politiques actuelles.
Le deuxième rapport, intitulé « La guerre aux drogues face au VIH/sida » (3), a été rendu public en juin 2012. Il décrit les mécanismes par lesquels la criminalisation de l’usage aggrave la pandémie mondiale. L’application de politiques purement répressives empêche l’accès des usagers au système de soin en les maintenant dans des conditions de vies marginales et avec des risques d’infection par le VIH très élevés.
Dans la même ligne, la dernière publication en date (mai 2013), s’intéresse à l’épidémie d’hépatite C. Nous en faisons ici le résumé.
« L’impact négatif de la guerre aux drogues sur la santé publique : L’épidémie cachée d’hépatite C »
16 millions de personnes dans le monde consomment des drogues par voie injectable – 10 millions seraient atteinte par l’hépatite C. Du fait d’une politique purement répressive et inefficace, l’épidémie s’étend rapidement à travers le globe, posant des menaces économiques et sociales majeures. Les taux d’infections sont particulièrement élevés dans les pays où l’accès au matériel d’injection stérile est limité.
Comparativement au VIH, le virus de l’hépatite C présente une très grande infectiosité. Lors du partage de matériel d’injection, le risque de contamination est particulièrement élevé. Pour cette raison, malgré l’adoption d’une politique de RdR dans certains pays, l’épidémie ne régresse pas aussi vite qu’escompté.
Le niveau de couverture des programmes de RdR doit être étendu afin de faire face efficacement aux risques de transmission du VHC : même si un usager utilise la plupart du temps du matériel stérile, la persistance de quelques injections à risque dans l’année suffit à entretenir le risque de contamination et l’épidémie. Dans les pays les plus riches, la voie injectable a été pendant plusieurs décennies le principal mode de consommation – entraînant jusqu’à 80% des nouvelles contaminations au VHC.
Principale cause de pathologie hépatique, l’une des particularités de l’hépatite C est qu’elle peut être asymptomatique pendant plusieurs années – la majorité des personnes infectées n’étant pas conscientes de leur statut et contribuent à infecter leur entourage.
L’infection est une cause croissante de décès chez les personnes qui consomment des drogues par voie injectable. Entre 1999 et 2007, davantage de personnes sont mortes aux Etats-Unis de l’hépatite C que du VIH.
En 2012, les recommandations de l’OMS pour la prévention des hépatites virales B et C chez les personnes injectant des drogues reviennent sur les mesures de RdR qui doivent comprendre :
- les programmes d’échange de seringues,
- les traitements de substitution opiacée,
- l’information ciblée et la prévention,
- le diagnostic,
- et le traitement des hépatites virales.
En l’absence de vaccin contre le VHC, les PES et les TSO sont des mesures de premier plan pour prévenir le risque de transmission de l’hépatite C. Dans le cadre d’une stratégie globale, ces mesures doivent également s’articuler avec d’autres dispositifs tels que des salles de consommation supervisée, des interventions par des pairs, des interventions comportementales individuelles, le testing volontaire ou encore le counselling.
La mise en place de ces mesures a fait la preuve de son efficacité.
Mais tant que subsiste une politique de guerre à la drogue, il y aura des barrières majeures à ces modes d’interventions : stigmatisation et peur des usagers, risque accru de partage de matériel, nombre d’infections croissant et accès restreint au système de soin.
L’accès au traitement reste faible, et certains professionnels de santé continuent d’affirmer, à tort, que les personnes consommant des drogues ne sont pas capables de gérer les effets secondaires des traitements ou encore qu’elles se réinfecteront à l’issue du traitement. Accroître l’accès aux thérapeutiques peut avoir un impact majeur sur la prévalence de la maladie – soigner les personnes qui contribuent à répandre le virus est une mesure de santé publique coût-efficace.
Cependant le coût des médicaments a des conséquences dévastatrices sur leur accessibilité. Selon les pays, les niveaux de prix peuvent varier de 2 000 € à 20 000 €. Les états se doivent de négocier avec les firmes pharmaceutiques.
Le cas échéant, l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) permet, selon des procédures d’urgence pour la santé publique, d’importer des versions génériques / biosimiliaires des traitements, même s’ils sont toujours protégés par des brevets.
Des recommandations à adopter d’urgence
Tout comme dans ses deux précédentes publications, la Global Commission a émis plusieurs recommandations à l’intention des décideurs publics :
- Prendre en compte publiquement l’importance de l’épidémie d’hépatite C, de son coût humain, social et économique ;
- Remettre en question une politique dominée par la répression et perpétuant l’explosion du VHC ;
- Réformer la politique existante et mettre fin à la criminalisation et aux incarcérations de masse ;
- Rediriger les ressources allouées à la « guerre aux drogues » pour les investir dans une approche de santé publique ;
- Mesurer l’efficacité des politiques de lutte contre la drogue avec des indicateurs ayant des significations réelles pour les communautés : réduction des taux de VIH, de VHC, réduction de la violence, réduction des incarcérations…
- Retirer les limitations entourant la mise à disposition de matériel d’injection stérile et des autres mesures de réduction des dommages tels que les TSO ;
- S’assurer que les personnes qui consomment des drogues ne sont pas exclues des programmes de soin ;
- Améliorer la qualité et la disponibilité des donnés sur l’hépatite C ;
- Accroître les efforts pour réduire le coût des traitements actuels et futurs de l’hépatite C.
Dans son rapport, la Global Commission en appelle aux Nations Unies à démontrer leur leadership et leur engagement pour promouvoir de meilleures réponses au niveau national et faire adopter les recommandations énoncées. Selon les auteurs, il faut agir d’urgence : la guerre aux drogues a échoué et ses dommages considérables pour la santé publique peuvent être évités si les décisions sont prises maintenant.
Notes
- (1) L’impact négatif de la guerre contre la drogue sur la santé publique : l’épidémie cachée d’hépatite C, mai 2013
- (2) La guerre aux drogues. Rapport de la Commission mondiale pour la politique des drogues, Juin 2011
- (3) La guerre aux drogues face au VIH/sida: Comment la criminalisation de l’usage de drogues aggrave la pandémie mondiale. Rapport de la commission mondiale pour la politique des drogues, 2012