Depuis quelques années, les membres de l’équipe médicale de l’Intersecteur Régional de Soins en Addictologie (IRSA), dirigée par le Dr Pierre VILLÉGER, réfléchit aux problèmes posés par les comorbidités associées aux pratiques addictives, en particulier les hépatites virales.
C’est en effet de leur responsabilité de soignants, d’autant plus que c’est par leur intermédiaire que de nombreux usagers de drogues (usagers) s’engagent dans un processus de soin. La prise en charge sera alors globale, médicale, psychiatrique et sociale.
Plusieurs constats ont alimenté cette réflexion
En premier lieu, les données épidémiologiques : la population des usagers est estimée en France à 160 000 à 300 000 personnes dépendantes (dont environ 60 % par injection) et 130 000 à 240 000 usagers occasionnels. Le taux de contamination de ces usagers par le VHC est de 50 à 70 % selon les études, avec environ 4 000 nouveaux cas par an.
En second lieu, l’impact du plan de réduction des risques : l’accès facilité des usagers aux seringues stériles et aux traitements de substitution a permis de limiter la transmission du VIH mais n’a pas procuré les mêmes résultats à l’égard du VHC. La connaissance des modes de contamination est insuffisante tant chez les usagers que chez certains professionnels. Le dépistage s’en trouve retardé.
Enfin, l’existence de freins au recours au soin de la part des usagers : toutes les équipes reconnaissent les réticences des usagers face aux investigations comme au traitement.
Répéter l’information
Une démarche de prévention, d’information, de dépistage, de soins plus adaptée est alors apparue nécessaire.
Afin d’évaluer avec précision l’importance du problème au sein de la file active de patients du secteur, un questionnaire reproductible a été établi, prévu pour être présenté par tout intervenant de l’équipe, médecin, psychologue, infirmier… Ce questionnaire explore les conduites à risque, les antécédents médicaux et chirurgicaux, les vaccinations, la consommation d’alcool… Il est facilement transposable en pratique de ville (cf. annexe 1).
Une information sur les modes de transmission du VHC est rapidement dispensée, avec remise au patient d’une documentation s’il le désire.
Quand un facteur de risque est détecté, un dépistage est proposé au patient. Il s’accompagne d’une information brève mais plus précise, sur les modalités de ce dépistage, sur la possibilité de guérison de l’hépatite, avec présentation des résultats des traitements. Des documents ici encore sont disponibles, en particulier le Livre de Max, fruit d’une précédente initiative limousine.
L’entretien prend au total 5 à 10 minutes.
L’évaluation et les messages d’information ont été répétés à plusieurs reprises, à M1, M3, M6 et après 1 an.
La démarche de l’équipe a été pragmatique, évolutive, ajustée aux besoins mis à jour progressivement. Ainsi, assez rapidement, le défaut de connaissance des usagers sur le sujet des hépatites est apparu évident. La passation du questionnaire s’est alors accompagnée d’information et de conseils de prévention et de dépistage. Par ailleurs, si le fond du questionnaire et des conseils est « standardisé », chaque intervenant les présente à ses patients selon son empathie, non comme un examen informatisé ! Mais le support reste reproductible dans le temps.
L’évaluation des usagers
L’enquête s’est déroulée sur une année. Une évaluation a été réalisée par les patients euxmêmes à M12 (cf. annexe 2). Les résultats obtenus ont montré combien certaines croyances étaient ancrées dans la mémoire collective. Un travail a dû s’attaquer, en petits groupes, aux idées fausses des patients concernant les modes de transmission du VHC et à leur réticence à l’égard de la vaccination contre le VHB. Malgré l’information brève répétée et la remise de documents, elles étaient encore présentes chez plus de 50 % des usagers après 1 an.
En ce qui concerne le dépistage, le travail motivationnel a été essentiel pour augmenter le nombre de patients connaissant leur statut sérologique. La difficulté d’accès aux soins, le mauvais état veineux, l’absence de régularité aux rendez-vous fixés, les problèmes judiciaires et l’incarcération qui vient interrompre le suivi, la crainte d’un résultat positif sont autant d’éléments qui retardent le dépistage. L’enquête a montré que le dépistage était effectivement réalisé pour la majorité des patients au bout de 3 à 6 mois, soit après 3 à 4 sollicitations en moyenne. L’équipe considère que la répétition de l’évaluation et l’incitation au dépistage ont été « rentables ». Mais l’enquête constitue un temps et une charge de travail supplémentaires. C’est le soutien des laboratoires Roche qui a rendu possible en particulier le traitement informatisé des questionnaires et l’activité de secrétariat qu’il représente.
L’accès au traitement
L’IRSA se préoccupe également de l’accès au traitement de l’hépatite C pour ces patients dont le résultat du dépistage est positif. Le retard à ce traitement dépend de plusieurs causes.
Le traitement du VHC n’est pas toujours l’objectif le plus pressant de la prise en charge. La priorité du patient peut être l’accès aux programmes de substitution, la disparition des syndromes de manque, la mise en place du traitement d’autres dépendances…
Les pathologies psychiatriques qui ne manquent pas de survenir sur un terrain addict peuvent être une voie d’entrée dans le soin que les patients n’associent pas prioritairement à une pathologie infectieuse.
Les priorités sociales sont souvent au premier plan des éléments justifiant le soin ou l’obligation de soin. La prise en charge des pathologies somatiques comme l’infection par le
VHC apparaît alors comme un objectif à moyen terme.
Un second frein qu’il ne faut pas négliger non plus est la peur du traitement associée à des croyances erronées sur l’inefficacité des traitements et les effets secondaires insupportables des médicaments contre le VHC, croyances dont la pérennité a été confirmée par l’enquête.
La gestion « standardisée » du problème est synonyme de déshumanisation de la relation et génère de grandes craintes et frustrations chez les patients.
En ce qui concerne la population fréquentant l’IRSA, il faut de plus prendre en considération les troubles psychologiques ou psychiatriques éventuellement graves qu’il faut évaluer et stabiliser avant la mise en route du traitement anti-VHC. Ce traitement lui-même n’est pas dénué de complications psychiatriques qui peuvent justifier un suivi prolongé. C’est avec prudence que doit être évaluée la situation sur le plan de l’addiction et sur le plan psychiatrique. Le doute peut retarder l’acceptation ou le début du traitement de l’hépatite chronique C.
La tenue d’une consultation avancée d’hépatologie au sein du centre, dans le cadre d’un échange de temps médical avec le CHU, facilitera cette prise de décision. Hépatologues et psychiatres conviennent que la prise en charge de l’hépatite C est plus volontiers acceptée lorsqu’elle est proposée et suivie par les équipes de réseau de l’intersecteur. Les patients qui vont au soin bénéficient d’un accompagnement que les équipes d’hépatologie ne peuvent réaliser de façon aussi rapprochée.
Annexe 1 : QUESTIONNAIRE (modifié pour adaptation à exercice MG)
A J0
- Evaluation des facteurs de risque
o Utilisation de produits Oui/Non
o Si Oui, quelles voies :
– IV Oui/Non
– Pernasale Oui/Non
– Autre
o Si IV :
– Echanges de seringue Oui/Non
– Echange du matériel Oui/Non
o Tatouage : Oui/Non
o Piercing : Oui/Non - ATCD médicaux et chirurgicaux
- Consommation d’alcool
o actuelle Oui/Non (combien : )
o antérieure Oui/Non (combien : ) - poids, taille
- vaccins : hépatite Oui/Non, tétanos Oui/Non
Examen clinique
Conseils standardisés : échange de seringue, paille, petit matériel, conduites à risque et remise de documentation
Proposer sérologies VHC, VHB, VIH
RV consultation systématique à 1 mois
Consultations suivantes :
- Evaluation des risques (idem)
- Modification du comportement Oui/Non (si non, pourquoi ? si oui, comment ?)
- Renforcement sur le dépistage et les conseils standardisés
- Vérifier si sérologies faites Oui/Non
o Si non : proposer de nouveau le dépistage
o Si oui :
– Négative : renforcement des conseils
– Positive : évaluer la motivation à être traité ; mise en place d’une éducation pré-thérapeutique, avec préparation aux explorations complémentaires.
Annexe 2 : FICHE D’ÉVALUATION PAR LE PATIENT
- L’information reçue a-t-elle été claire ? Oui/Non
- L’information a-t-elle été suffisante ? Oui/Non
- Vous a-t-elle parue utile dans votre vie actuelle ? Oui/Non
- Si oui, pour vous-même ou votre entourage ?
- Quand le dépistage s’est avéré positif, l’accompagnement proposé a-t-il été suffisant ? Oui/Non
- Pour le VHC, existe-t-il une contamination sexuelle ? Oui/Non
- Pour le VHC, peut-on se contaminer si on sniffe ? Oui/Non
- Est-ce une maladie grave ? Oui/Non
- Existe-t-il des traitements ? Oui/Non
- Les traitements sont-ils efficaces ? Oui/Non
- Le traitement pour les toxicomanes est-il plus difficile ? Oui/Non
- Peut-on se re-contaminer avec le VHC ? Oui/Non
- Est-ce que je peux continuer à boire de l’alcool ? Oui/Non
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