Le centre « 110 Les Halles » se situe à la convergence des 4 premiers arrondissements parisiens, au 110 de la rue Saint-Denis. Il est locataire de 450 m2 dans un immeuble que rien ne singularise, dans une rue passante. Le centre se fond dans la rue, aucun signe extérieur n’indique qu’il existe ici un centre de soins pour usagers de drogues (UD). Il a pris place dans les locaux réaménagés d’une ancienne école de danse. Les 4 étages supérieurs du bâtiment appartiennent à des particuliers.
Un centre d’accueil plutôt que la rue
Le Docteur Aline Lupuyau est la plus ancienne des 19 salariés, présente depuis l’ouverture du Centre en janvier 2004. En fait, elle a participé au projet bien auparavant, dès sa conception.
Le Centre 110 Les Halles est né de la volonté du Groupe Associatif SOS, de la Mairie de Paris, des différentes tutelles et financeurs, DASS, Assurance-Maladie. La nécessité d’un tel centre était clairement apparue à l’issue d’une étude sociologique menée par la Préfecture de Paris dans les quartiers Beaubourg-Montorgueil-Saint-Denis. En effet, les UD, aux opiacés comme aux médicaments détournés, sont nombreux dans le centre de Paris. Leur présence dans le métro, les impasses, les cages d’escaliers… inquiétait les riverains.
C’est pourquoi la création d’un centre d’accueil a été décidée, centre d’accueil de jour.
Il s’agissait en quelque sorte d’un pari, car les UD eux-mêmes n’ayant pas été interrogés, nul ne savait comment ils recevraient cette offre de service.
Le 110 Les Halles devait en premier lieu remplacer le centre CSST classique de l’avenue Parmentier. Mais il a été conçu pour être beaucoup plus, un centre de soins de substitution enrichi d’un espace de repos..
C’était un pari que de vouloir faire cette offre globale. Mais les usagers ont bien répondu :
110 Les Halles pensait accueillir 50 à 55 personnes par jour, ce sont aujourd’hui plus de 85 qui viennent quotidiennement. La file active était de 55 au 15/09/2004, elle est passée à 601 UD fin 2006. Les objectifs ont été dépassés. Le pari a été gagné : le besoin existait.
D’autres associations opèrent dans le secteur, mais n’offrent pas de soins. Le centre s’est fait connaître après de toutes les structures partenaires de proximité. Un dépliant a été édité, présentant le plan d’accès et une photo de l’espace accueil-repos-hygiène ; il a été diffusé le plus largement possible.
L’accueil, de plain-pied, est assuré par 4 personnes, trois accueillants et une aide-soignante.
Ils gèrent l’accès à l’espace d’hygiène, en sous-sol, où il est possible de prendre une douche, faire une lessive, se reposer dans l’un des 10 lits de repos mis à disposition. L’espace collectif d’accueil offre matin et après-midi une collation et des boissons.
L’accueil des visiteurs est inconditionnel. Très vite, il a été nécessaire d’organiser un entretien de préadmission, au cours duquel on explique au visiteur la mission du Centre, dispenser des soins à des usagers de drogues. Ce premier entretien, réalisé par un infirmier et un accueillant, est déclaratif. Si l’intéressé ne se signale pas comme UD, il sera réorienté en fonction de sa demande vers l’hôpital, le centre d’aide sociale, un laboratoire d’analyses médicales …
Les soins aux usagers de drogues
Dès l’entretien initial, l’usager est informé de ses droits, conformément au Code de l’Action sociale et de la Famille. On lui propose l’accès à une consultation de médecine générale ou de psychiatrie, un entretien avec un travailleur social. L’usager peut prendre rendez-vous tout de suite. L’équipe médicale est nombreuse : 1,89 équivalent temps-plein de médecine générale, 0,7 ETP psychiatres. Le centre travaille avec les pharmaciens du quartier, les autres CSST, participe au groupe de travail sur le plan crack.
Les MG proposent systématiquement un dépistage VIH et VHC. Mais les prélèvements n’étant pas faits sur place, la démobilisation des usagers est fréquente.
Les résultats des sérologies sont évoqués lors de la réunion hebdomadaire de l’équipe. Si un sujet séropositif ne revient pas voir le MG, les autres membres tenteront de lui rappeler la nécessité d’une visite médicale lors de ses passages au centre pour du repos ou une collation.
L’équipe du centre ne se déplace pas vers les « campements », ce n’est pas une équipe de rue, ni une maraude. Le Centre réalise un programme d’accompagnement de soins médicaux, qui nécessite la volonté et l’adhésion de l’intéressé.
L’hépathologue vient vers l’usager
La nécessité d’une consultation hépatite C sur place vient du constat d’une grande déperdition des usagers entre le Centre et la consultation spécialisée externe. A l’hôpital, les usagers rencontrent un médecin inconnu, parfois un attaché qui n’est présent qu’une demi-journée par semaine. S’il survient des incidents, l’hépatologue n’est pas joignable. De plus, l’hépatologue n’est pas toujours très à l’aise avec les usagers de drogues, avec une réputation de patients difficiles, au profil particulier, intolérants à la frustration. Pour toutes ces raisons, les usagers n’aiment pas toujours aller à l’hôpital.
Ils n’aiment pas toujours, non plus, consulter un hépatogastro-entérologue libéral, ayant le sentiment parfois de n’être pas accueillis comme les autres patients. Les usagers actifs dans leurs consommations ont besoin d’un accompagnement particulier, d’autant plus qu’ils sont parfois en situation de grande précarité.
Le Centre a alors recherché un hépatologue qui n’aurait pas une représentation négative des usagers de drogue, qui accepterait de venir régulièrement pour voir uniquement des usagers présentant des problèmes hépatiques.
Le dossier a été présenté à Roche, qui a immédiatement souscrit au projet. Roche accorde ainsi au Centre une donation annuelle, qui a été affectée au financement de la consultation d’hépatologie.
Le Dr Landau a adhéré à cette approche du soin aux usagers de drogues. Le Dr Lupuyau et lui-même sont diplômés de la même faculté de médecine, à Necker, et le Dr Landau fait partie de l’équipe médicale du service d’hépatologie du Pr Stanislas Pol.
Il est maintenant totalement impliqué dans le fonctionnement du Centre : il participe aux réunions d’équipe, il est impliqué dans le projet d’établissement. Il peut assurer des consultations directes mais en général, il reçoit sur orientation des MG du Centre. Il assure la formation des équipes, afin que tous les accueillants soient sensibilisés à l’hépatite C, autant que les médecins généralistes ou les psychiatres.
Pour le Dr Landau, sa tâche est facilitée par la réunion au centre 110 Les Halles de tous les moyens utiles à la prise en charge globale des patients usagers de drogues. Il dispose d’une unité d’espace et de temps : les consultations avec le psychiatre, l’aide à l’observance des traitements pratiquée sur place, la proximité de l’assistante sociale… Tout ce travail coordonné assure une prise en charge au plus près des usagers infectés par le VHC. Lors de la consultation spécialisée d’hépatologie, une évaluation non invasive de la fibrose hépatique est réalisée, qui permet d’amener le patient à l’acceptation de sa prise en charge. Le Dr Landau se charge alors de la primo-prescription des traitements du VHC.
Par ailleurs, les relations étroites que le Dr Lupuyau et le Dr Landau entretiennent avec le Service d’hépatologie de l’Hôpital Cochin ont permis d’organiser un circuit de prise en charge des cas difficiles. Une évaluation plus approfondie est réalisée au moindre doute. Le suivi est alors assuré par le même praticien, toujours pour entretenir la relation de confiance à laquelle les patients, et les usagers tout particulièrement, sont attachés.
En pratique, le MG adresse les patients usagers à l’hépatologue et au médecin psychiatre lorsque le diagnostic de séropositivité au VHC est établi. Le Centre ne dispose pas de Fibroscan ; si une PBH est nécessaire, elle est réalisée à l’hôpital Cochin. Pour ce qui concerne les patients co-infectés VIH-VHC, ils ont un suivi VIH hospitalier ; la problématique du VHC est alors prise en charge par la même équipe.
Cependant, le traitement des patients co-infectés VIH/VHC peut également être réalisé au Centre, notamment lorsqu’ils sont en rupture de suivi. Plusieurs patients ont ainsi ré-initié ou débuté un traitement antirétroviral au Centre avant de mettre en route le traitement du VHC.
Les traitements sont administrés par les IDE du Centre, les MG gèrent les difficultés possibles, essentiellement les effets secondaires.
Le bilan de cette consultation d’hépatologie intégrée est le suivant : en 2006, la file active était de 25 patients usagers de drogues suivis pour VHC + ; 71 RV pris ont été honorés, 38 non honorés.
Le Centre effectue également un travail de réduction du risque, en fournissant notamment des jetons gratuits permettant de retirer des kits d’injection auprès des automates installés dans le quartier. L’équipe a un « bas seuil » d’exigence : elle permet un accès facilité aux traitements de substitution même s’il y a poursuite de la toxicomanie. Car si l’intéressé vient au Centre, la 1ère étape est franchie, le travail de fond de l’équipe permettra d’aider l’usager à franchir les suivantes s’il le souhaite.
L’approche du soin est globale et toutes les prises en charge sont menées de front, la substitution, la psychothérapie, le traitement des infections et le suivi social. D’ailleurs, l’observance aux traitements par les usagers de drogues est généralement bonne pour le traitement des hépatites.
Le soutien de l’équipe
L’équipe est composée de professionnels. Il est difficile de recruter du personnel médical et paramédical, déjà en pénurie globalement, qui accepte de ne s’occuper que d’usagers de drogues. Il faut savoir désamorcer des situations de crise. L’équipe bénéficie d’un soutien sous la forme d’une supervision mensuelle par un psychologue de l’institut psychanalytique de Paris.
Le 110 les Halles est ainsi à même d’assurer les missions qui lui sont confiées et d’apporter l’aide nécessaire aux patients usagers de drogues.