Préambule
Depuis plus de 10 ans maintenant, les cliniciens français, comme ceux d’autres pays, utilisent le baclofène pour traiter certains de leurs patients ayant un Trouble Lié à l’Usage d’Alcool (TUA). Près de 100 000 patients auraient bénéficié d’une prescription de baclofène, pas toujours dans les conditions optimales d’efficacité, et dans un brouhaha médico-médiatique, peu propice à des prises en soin sereines.
Une poignée de médecins d’abord, souvent généralistes, peu à peu rejoints par la majorité des alcoologues, addictologues et psychiatres ont initié des traitements avec cette molécule. Aujourd’hui, peu de voix s’élèvent contre l’utilisation de baclofène. Seuls certains, avec des expériences peu documentées ou des prescriptions loin des bonnes pratiques.
Si globalement le sentiment est que ce médicament parait au moins aussi efficace que les autres médicaments de l’alcoolo-dépendance, certaines questions restent ouvertes et notamment celle de la posologie.
La mise sur le marché de Baclocur© avec une posologie limitée à 80 mg/jour relance le débat sur ce sujet, presque aussi ancien que l’utilisation de cette molécule dans les TUA et, plus généralement celle des agonistes (méthadone, buprénorphine, substitut nicotiniques) dans le traitement des addictions.
D’autres questions se posent au regard de l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) et nombreux sont ceux qui se demandent si cette AMM ne va pas conduire à discréditer ce traitement auprès de nombreux patients.
A. La posologie limitée à 80 mg/jour
L’annonce de l’octroi d’une AMM pour Baclocur©, à une posologie plafonnée à 80 mg/jour, sur la base de l’étude CNAM-Inserm-ANSM, a jeté un froid, notamment auprès des cliniciens utilisateurs. Ils constatent que, pour une majorité de leurs patients, le recours à une posologie supérieure à ce seuil, fixé arbitrairement, est souvent nécessaire. Même si d’autres peuvent répondre à une posologie quotidienne inférieure ou égale à 80 mg.
Fixé arbitrairement, car l’étude CNAM-Inserm-ANSM a collecté des données de remboursement, couvrant une période où la pratique du baclofène était balbutiante, 2009 à 2015, surtout en début de période.
Référence : ANSM. Résultats de l’étude sur les usages et la sécurité du baclofène en France entre 2009 et 2015
Par ailleurs, s’agissant de données de remboursement sans aucune information clinique, il ne peut y avoir de réelle imputabilité avec les évènements mesurés (hospitalisations, décès, intoxications, etc.). Au mieux une co-occurrence…
Et on sait qu’en matière de comorbidités psychiatriques, sociales, somatiques pouvant justifier une hospitalisation ou entrainer un décès, les patients en difficulté avec l’alcool sont particulièrement exposés. Ceux avec les plus fortes posologies sont aussi potentiellement ceux qui ont une addiction la plus sévère, avec donc des comorbidités plus fréquentes.
B. Posologie fixe, plafonnée ou adaptée ?
Cela a déjà été largement exprimé. Une AMM de baclofène avec une posologie plafonnée à 80 mg/jour, c’est un peu comme si on plafonnait la posologie de méthadone à 30 mg/jour.
Cela suffira pour certains, mais sera très insuffisant pour la majorité. Et aucun médecin avec une pratique en addictologie, n’acceptera cette restriction.
Le point commun entre les MSO (méthadone et buprénorphine) et le baclofène est qu’ils sont des agonistes des récepteurs (respectivement opioïdes et Gaba), et que contrairement aux antagonistes (naltrexone ou nalméfène), leur efficacité est souvent corrélée avec la posologie, variable pour chacun. Tous les cliniciens addictologues le perçoivent au quotidien.
Référence : Juliette Pinot, Laurent Rigal, Bernard Granger, Stéphanie Sidorkiewicz and Philippe Jaury, Tailored-Dose Baclofen in the Management of Alcoholism: A Retrospective Study of 144 Outpatients Followed for 3 Years in a French General Practice, Front Psychiatry. 2018; 9: 486.
C. Prescription hors-AMM
L’utilisation de baclofène hors-AMM va se poser donc assez rapidement.
La prescription de Baclocur© dans le cadre d’un protocole soins (ALD non exonérante) est inscrite de facto dans la loi (L 324-1). Elle pourrait permettre la prescription à une posologie réellement adaptée au besoin du patient plus qu’à l’AMM octroyée en 2018.
Le problème est que l’application de ce type de mesure est caisse-dépendante et la mise en œuvre des protocoles de soins dépend de l’avis du médecin-conseil. Il se pourrait donc bien que, selon son affiliation à telle ou telle CPAM, la prescription à une posologie efficace puisse se faire, ou non, créant une inégalité géographique dans l’accès à un traitement à dose efficace.
A la décharge des Autorités de Santé qui ont eu à examiner la demande d’AMM, les études cliniques incluses dans le dossier, faisant appel aux consommations auto-rapportées par les patients, n’étaient pas en mesure d’établir un quelconque bénéfice par rapport au placebo. Les études publiées utilisent des protocoles parfois éloignés de la pratique clinique.
Il est probablement urgent de mettre en place une évaluation de l’efficacité du baclofène, en sortant du seul recueil des consommations quotidiennes, rapportées par le patient lui-même, qui semble constituer l’alpha et l’oméga de l’étude clinique en alcoologie (1). Et ce, au profit de marqueurs biologiques de la consommation d’alcool, directs, comme le phosphatidyléthanol (PEth), ou indirects (2).
Référence : Adriana Angulo Aguilar, Laura Bamert, Frank Sporkert, Nicolas Bertholet, Nouveaux marqueurs biologiquesde la consommation d’alcool, MÉDECINE DES ADDICTIONS, 5 juin 2019
De façon très paradoxale, avec deux études cliniques peu concluantes en raison de leur méthodologie, des méta-analyses qui semblent aller vers l’intérêt de la molécule, un quasi-consensus des Sociétés Savantes, un laboratoire va mettre sur le marché un médicament à une posologie maximale autorisée inefficace pour la plupart des patients.
Il va falloir que les médecins qui prennent en soin les patients avec un TUA avec Baclocur©, le prescrivent souvent hors-AMM. La prescription hors-AMM est autorisée par la loi. Le médecin doit pouvoir la justifier, notamment par des consensus d’experts. A cet égard, le consensus dit de Cagliari (3), qui réunit les experts internationaux du baclofène, est sûrement la pièce à joindre à une demande de protocole de soin (ALD non exonérante), si elle est examinée de près par le médecin-conseil.
Référence : Roberta Agabio et al. Baclofen for the treatment of alcohol use disorder: the Cagliari Statement. Lancet Psychiatry. 2018 Dec;5(12):957-960
D. Pour qui, et comment ?
Dans un article publié en septembre 2017 (4), Masson et al. avaient décrit les patients qui selon eux (22 cliniciens) pouvaient bénéficier d’un traitement par le baclofène.
Sans reprendre le contenu intégral de l’article, on peut rappeler ici leurs propositions :
« Quels sont les patients qui peuvent bénéficier d’un traitement par baclofène, en dehors de ceux qui nous en font la demande expresse ?
Nous décrivons ici quelques situations cliniques où la prescription de baclofène nous parait judicieuse :
- Patients sous MSO (méthadone ou Subutex®) avec une co-addiction à l’alcool. Dans des cas précis de patients que nous suivons, nous avons noté une nette efficacité pour des patients pour lesquels des doses de 60 à 90 mg ont montré un réel impact sur la consommation d’alcool. Bien sûr, dans ces cas, il est important d’être vigilant sur le risque de dépression respiratoire, le baclofène potentialisant l’effet dépresseur respiratoire des opiacés.
- D’une façon générale, pour des patients avec des consommations de substances illicites, parmi lesquelles peuvent se trouver des opiacés, même occasionnelles (ex : speedball pour des usagers de cocaïne). Les antagonistes opiacés (nalméfène, naltrexone) étant contre-indiqués dans ce cas, c’est une bonne indication pour le baclofène.
- On peut y ajouter les patients traités pour des douleurs modérées à sévères avec des opioïdes analgésiques (tramadol, codéine, morphine, fentanyl, etc.). Pour eux également, la prescription de nalméfène ou de naltrexone est contre-indiquée. Celle du baclofène est possible.
- Des patients avec des troubles anxieux associés à l’addiction à l’alcool. De nombreux patients, au premier rang desquels Olivier Ameisen lui-même, ont décrit une amélioration de leurs troubles anxieux, avant même de ressentir une baisse de leur craving pour l’alcool.
- Patients en échec avec un premier traitement par nalméfène ou toute autre pharmacothérapie, désirant essayer un autre traitement. Comme il est possible qu’il y ait des patients qui ne répondent pas au baclofène mais répondront à d’autres traitements, l’inverse l’est également. »
Dans le dernier des cas évoqués par Masson et al., l’AMM de Baclocur© autorise la prescription.
La question se pose pour les patients primo-accédants à un traitement par baclofène, qu’ils aient une co-addiction ou non.
En pratique, on imagine mal comment un clinicien, engagé dans la prise en soins de patients en difficulté avec l’alcool, pourrait refuser un traitement à un patient motivé et demandeur d’un traitement par baclofène, sous un prétexte administratif, c’est-à-dire une AMM et un avis de la HAS, réservant l’utilisation de Baclocur© après échec des autres traitements !
En termes de Santé Publique et de santé pour les individus, ce serait un non-sens. Cela fait des décennies que nous contemplons avec une certaine forme de résignation le fossé abyssal entre le nombre de patients avec des troubles liés à l’usage d’alcool et le nombre de patients pris effectivement en soin.
Refuser un traitement à un patient qui souhaite tester le baclofène, c’est prendre le risque de le perdre pour longtemps.
La proposition « baclofène », on le sait, génère des demandes de prises en soin.
Ci-après, un résumé de l’étude lilloise (5) publiée dans Alcohol et Alcoholism et réalisé par Claire Lewandoski, publié dans le JIM, qui avait mis en avant cet aspect extrêmement intéressant.
Baclofène, ce sont surtout les patients qui choisissent
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a autorisé depuis mars 2014, l’utilisation du baclofène chez les patients alcoolo-dépendants en échec des traitements disponibles, par le biais d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU). Le but de cette étude française, menée par l’équipe du CHU de Lille, est de définir le profil des patients qui recherchent un traitement par baclofène en France pour traiter leur alcoolo-dépendance. Une comparaison rétrospective entre les patients demandeurs de baclofène et les patients non demandeurs, a été menée dans une cohorte de sujets suivis en ambulatoire et souffrant d’une dépendance à l’alcool. Tous ont assisté à un premier entretien pour leur traitement dans deux centres d’addictologie entre septembre 2012 et mars 2014. Les données concernant les caractéristiques sociodémographiques, les comorbidités psychiatriques, les dépendances, et l’alcoolo-dépendance ont été recueillies, ainsi que l’objectif initial de consommation et l’observance du traitement à 6 et 12 mois.
Parmi les 289 patients, 107 sont demandeurs de baclofène et 182 ne le sont pas. Les seuls paramètres associés à la demande de baclofène dans les analyses multivariées sont la consommation élevée d’alcool (ß = 15,4, intervalle de confiance, IC, à 95 % [0,18¬30,65], p = 0,05), l’objectif initial d’une consommation contrôlée (odds ratio OR = 14,9 ; IC à 95 % [7,7¬29], p < 0,0001), et l’orientation par le patient lui-¬même (OR = 6,6, IC 95 % [3,7¬12], P < 0,0001). Les demandeurs de baclofène ont huit fois plus de chance d’être auto-¬référés et naïfs de tout traitement (OR = 8,8 ; IC 95 % [4,1¬18,9], P < 0,0001).
De plus, ils sont plus susceptibles de prendre leur traitement à 6 mois (OR = 3,5, IC 95 % [1,8¬6,7], p < 0,0001) et à un an (OR = 1,9, IC 95 % [1,1¬3,2], p = 0,019).
En France, la perspective d’une consommation contrôlée d’alcool par le baclofène semble attirer davantage de consultations spontanées que les autres options thérapeutiques, y compris pour les patients dont l’alcoolo-dépendance n’a jamais été prise en charge. Ces résultats soulèvent la question de savoir si les futures stratégies de santé publique sur l’alcool devraient favoriser de façon plus importante certains aspects du traitement de l’alcool, comme la préférence du patient et les options de traitement.
Là-aussi, comme dans les cas de posologies supérieures à 80 mg/jour, le médecin devra s’affranchir des conditions restrictives de l’AMM en permettant à des patients primo-accédants de bénéficier d’un traitement par le baclofène.
Concernant l’initiation du traitement
Une règle d’or s’impose : Commencer bas, augmenter doucement !
Démarrer un traitement à 60 mg de baclofène par jour n’a aucun sens (il s’agit en fait de la posologie moyenne dans l’indication neurologique et celle qui a été testée dans les premières études). Le risque est de provoquer des effets secondaires ayant pour conséquence de disqualifier le traitement aux yeux du patient. C’est une possibilité d’abandon du traitement, du soin et une perte de chance pour lui. De surcroît, les patients avec des troubles liés à l’usage d’alcool ne présentent pas (dans la majorité des cas) une urgence absolue de réduction à très court terme de leurs consommations ni d’abstinence immédiate et absolue. Un traitement par baclofène ne nécessite pas de trouver la ‘bonne’ posologie en quelques jours.
Donc, rien ne presse et le recul dont on dispose incite à démarrer à une posologie maximale de 10 à 20 mg par jour.
Ensuite, avec l’entière coopération du patient, celle-ci devra être augmentée très progressivement en évaluant en permanence les effets secondaires, dont l’apparition, nous le savons maintenant, peut nécessiter des pauses dans l’augmentation progressive de la posologie, voire un pas en arrière, avant de reprendre la ‘titration’.
Quel rythme de prise ?
« 1 fois par jour », « matin, midi et soir », « 1 heure ou deux avant les moments où le craving est le plus présent »… En fait, là-aussi, cela mérite d’être systématiquement adapté à chaque patient ! A lui, avec son médecin, de trouver la combinaison gagnante (doses et moments de prise). Le médecin doit au minimum savoir que le pic plasmatique se situe 1h30 à 2h00 après la prise et que la demi-vie est de 5 heures.
Sans prétendre qu’il s’agit de haute-couture, il est évident que ce n’est pas du prêt-à-porter. Nous dirons qu’il s’agit bel et bien de « sur-mesure » (‘tailored-dose’).
E. Focus sur les antécédents psychiatriques
Dans la rubrique des précautions d’emploi de l’AMM de Baclocur©, se trouve un très inquiétant paragraphe sur les troubles psychiatriques :
Troubles psychiatriques : Chez les patients présentant ou ayant présenté des troubles psychiatriques, et en particulier des idées et comportements suicidaires avec risque de passage à l’acte, un épisode dépressif caractérisé ou des antécédents de tentative de suicide, les bénéfices et les risques de la mise sous traitement par BACLOCUR ou de sa poursuite doivent être soigneusement évalués. Une consultation psychiatrique doit être prévue avant la mise sous traitement et pendant le traitement.
Un suivi attentif des patients, en particulier en début de traitement, doit être mis en place. Les patients (et leur entourage) doivent être informés de la nécessité de signaler immédiatement à leur médecin tout trouble du comportement, de l’humeur et toute idée suicidaire.
Il est recommandé d’arrêter le traitement par BACLOCUR en cas d’apparition ou d’aggravation de symptômes psychiatriques, d’idées ou de comportements suicidaires.
Ces précautions d’emploi, et notamment sur la partie « idées et comportements suicidaires » mises en exergue, si elles nous paraissent en partie fondées, méritent quelques commentaires :
- Le lien entre Addiction et Suicidalité est établi depuis des décennies. Avant le traitement, pendant le traitement et après le traitement, quelle que soit l’addiction et quel que soit le traitement mis en œuvre, pharmacologique ou non pharmacologique.
- Les patients souffrant d’addiction ont un risque suicidaire plus élevé qu’en population générale. Les patients avec une pathologie psychiatre aussi.
- Il est donc normal que cette précaution d’emploi figure dans l’AMM pour des patients avec un trouble lié à l’usage d’alcool et une pathologie psychiatrique sous-jacente.
- Il n’existe pas à ce-jour de lien établi entre la prise de baclofène et l’augmentation du risque suicidaire.
C’est naturellement au médecin qui va initier le traitement d’évaluer les antécédents psychiatriques, notamment sur les comportements suicidaires et, le cas échéant, mettre en œuvre un suivi conjoint. Le recours à un confrère psychiatre ou à l’équipe d’un service spécialisé à l’hôpital ou en CSAPA peut être utile.
En gardant à l’esprit que l’alcool, en tant que substance, est plus présente dans les décès après suicide que toute autre substance (6). La précaution d’emploi ne doit pas se substituer à l’enjeu, « réduire la consommation d’alcool », elle-même suicidogène, a fortiori dans un contexte d’addiction et de comorbidités psychiatriques.
Et, bien sûr, avec « un suivi attentif des patients, en particulier en début de traitement… ».
En plus de dix années d’utilisation de baclofène, hors-AMM puis dans le cadre de la RTU, auprès d’au moins 100 000 patients, aucun signal n’a pu mettre en évidence qu’une augmentation des passages à l’acte pouvait être liée à la prescription de baclofène, dans une population au départ très exposée à ce risque. C’est toute la différence entre co-occurrence et causalité.
Pour conclure
La mise sur le marché du médicament Baclocur© est l’aboutissement d’un long processus.
Celui-ci a commencé par une utilisation hors-AMM dès la parution du livre d’Olivier Ameisen (« Le Dernier Verre ») en 2008, suivi d’une utilisation encadrée par une RTU.
La mise à disposition effective de Baclocur© met fin de facto à la RTU qui concernait Liorésal© et son générique Zentiva. Ces médicaments, prescrits en dehors de leur indication d’origine, ne devraient plus être remboursés pour les patients en difficulté avec l’alcool.
Mais l’AMM octroyée par l’ANSM en octobre 2018, suivie d’un avis de la HAS fin 2019, relance un débat initié en 2018 par la publication de l’étude CNAMTS-Inserm-ANSM. Cette analyse de données de remboursement, à ce titre incapable d’établir la moindre imputabilité au baclofène sur les risques analysés, a fixé arbitrairement un seuil de 80 mg/jour (celui du Liorésal©, dans son indication d’anti-spastique), posologie à ne pas dépasser !
Alors que :
- les études versées au dossier faisaient appel à des posologies autour de 150 mg/jour,
- les consensus d’experts préconisent une posologie quotidienne adaptée au besoin de chaque patient (3),
- les témoignages de patients ‘contrôlant’ leur consommation d’alcool avec une posologie au-delà du seuil de 80 mg sont nombreux,
- la pratique des médecins ayant une expérience réelle du médicament vont dans le sens d’un recours à une posologie parfois sinon souvent supérieure à 80 mg/jour,
Baclocur© arrive sur le marché avec un cadre de prescription et une limitation de la posologie risquant de mettre en péril l’image même de ce traitement, pour cause d’inefficacité.
Cela pourrait être une perte de chance pour certains patients, sans doute les plus touchés par une addiction sévère, avec un niveau de dépendance élevé.
Les Autorités de Santé ont visiblement opté pour une mise sur le marché à risque zéro.
Elles ont occulté le fait que l’alcool tue plus de 40 000 personnes chaque année et qu’il est responsable de tant de drames humains.
La balance bénéfices/risques mérite d’être étudiée à l’aune des risques encourus par ceux qui ne sont pas en traitement et qui souffrent des conséquences de leur addiction à l’alcool et non par rapport aux autres traitements disponibles, comme cela a été fait dans l’étude CNAMTS-Inserm-ANSM. Les résultats de cette étude, à la méthodologie critiquable, ont plané tout au long du processus d’évaluation sur les têtes de ceux qui ont été chargés de faire avancer le dossier.
Elle a surtout nourri les propos des quelques derniers opposants au baclofène, affichant sur ce dossier des positions si excessives qu’ils ont aussi perdu leur crédibilité.
De son côté, le laboratoire pharmaceutique a présenté un dossier indigent, en finançant une étude (Alpadir) avec un protocole si éloigné de la pratique clinique qu’on pouvait prévoir à l’avance le résultat décevant. Le laboratoire a pu toutefois bénéficier des données de l’étude Bacloville, plus pragmatique, qui ont montré un résultat plus intéressant.
L’addictologie est un domaine où l’improvisation ne pardonne pas et le rejet de la demande d’AMM en mai 2018, heureusement récupéré par l’ANSM elle-même (cf. les Auditions Publiques en juillet 2018), aurait pu être préjudiciable à la firme qui portait le dossier.
Faute de s’intéresser de près aux pratiques en cours, mises en œuvre par les cliniciens de la première heure et de première ligne, elle s’est privée de la connaissance de terrain indispensable pour porter un développement clinique qui aurait pu déboucher sur une AMM plus utile.
Comme Lançon et al. l’ont très bien exprimé en décembre 2019 (1), ce n’est pas Ethypharm qui a obtenu l’AMM de Baclocur, mais les Sociétés Savantes, les Associations de Patients et l’ANSM elle-même, à la suite des Auditions Publiques de l’été 2018.
Référence : E-dito du Flyer n°26, Décembre 2019, Lançon et al., Baclofène, qui a obtenu l’AMM de Baclocur© ? Comment évaluer l’efficacité du médicament ?
Par ailleurs, la HAS, si elle accordé le remboursement de justesse, a donné un avis pour une prise en charge de ce remboursement à 15 % pour les patients qui n’ont pas d’ALD (7).
C’est-à-dire moins que le remboursement de Liorésal© et de son générique Zentiva, majoritairement prescrit dans le cadre de la RTU. Si on comprend bien que, comme l’ANSM, la HAS a manqué de preuves irréfutables de l’efficacité de Baclocur©, elle a toutefois reconnu, dans l’avis de la Commission de Transparence, un impact sur la Santé Publique (8).
Décider du remboursement d’un médicament susceptible d’avoir un impact sur la Santé Publique à hauteur de 15 % est surprenant. On peut se poser des questions sur la nature des réflexions qui ont conduit à cet avis. Celle d’une Santé Publique à moindre coût ?
Il reste au Ministre de la Santé (Olivier Véran (7)) de suivre cet avis ou d’accorder un remboursement plus adapté à la spécialité Baclocur©, plus en phase avec une préoccupation de Santé Publique.
Et enfin, cette mise sur le marché imposera le recours à une prescription hors-AMM pour une partie non négligeable des patients, notamment quand il s’agira de rechercher avec chaque patient une posologie efficace pour lui permettre de devenir abstinent, de réduire sa consommation ou encore contrôler sa consommation.
En cela, la mise sur le marché de Baclocur© présente un caractère inédit.
Bibliographie
- (1) Lançon et al., E-dito du Flyer n°26, Décembre 2019, Baclofène, qui a obtenu l’AMM de Baclocur© ? Comment évaluer l’efficacité du médicament ?
- (2) Angulo-Aguilar et al. Nouveaux marqueurs biologiques de la consommation d’alcool. Rev Med Suisse 2019; volume 15. 1173-1176
- (3) Baclofen for the treatment of alcohol use disorder : the Caligari Steatment.
- (4) Masson et al. Baclofène, pour qui et surtout comment ? Flyer 68, septembre 2017
- (5) Simioni N, Preda C, Deken V, Bence C, Cottencin O, Rolland B. : Characteristics of Patients with Alcohol Dependence Seeking Baclofen Treatment in France: A Two¬ Centre Comparative Cohort Study. Alcohol Alcoholism. 2016 ; 51 : 664¬669
- (6) Dorian et al. Alcohol Use and Suicidal Behaviors among Adults: A Synthesis and Theoretical Model. Suicidol Online. 2012 September 1; 3: 4–23.
- (7) J-Y Nau, Alcoolisme : Agnès Buzyn va-t-elle, royalement, rembourser le baclofène à hauteur de…15% ?
- (8) HAS. Avis de la Commission de Transparence Baclocur