Propos liminaire
La publication d’une récente méta-analyse d’Agabio et al. (1) a remis sur la table la question de l’efficacité du baclofène, qui a suscité de nombreux débats au cours des dernières années.
En effet, si l’étude allemande Baclad (2) et l’étude Bacloville (3) ont établi l’efficacité du baclofène (la première dans le maintien de l’abstinence, la seconde dans la réduction de la consommation), l’étude Alpadir (4) a manqué son rendez-vous.
Celle-ci, mal conçue dès le départ (posologie cible, maintien de l’abstinence) était trop éloignée de la pratique clinique pour établir l’efficacité d’une modalité de traitement dans la réduction de la consommation, indication finalement retenue par l’ANSM, dont le principe même repose sur un traitement sur mesure (« tailored-dose »), établi dans plusieurs publications.
Par ailleurs, il faut garder à l’esprit la difficulté d’établir l’efficacité d’un médicament dans les troubles liés à l’usage d’alcool versus un placebo, écueil auquel se sont heurtées toutes les études d’efficacité du baclofène ainsi que des autres traitements (5), en raison notamment de la fiabilité toute relative des relevés de consommation rapportés par les patients pour évaluer l’impact des traitements. On sait en pratique clinique que cette consommation auto-rapportée n’est pas toujours très fiable (nombre d’unités d’alcool consommées, quantité réelle par verre…).
D’autres facteurs comme les biais de désirabilité, la motivation, les attentes vis-à-vis du traitement contribuent à rendre difficile l’évaluation d’un traitement versus placebo dans des études souvent éloignées des pratiques en cours.
Dans le dossier baclofène, de nombreuses études (très faibles posologies, doses fixes, peu de recours aux marqueurs biologiques) ont contribué à laisser planer un doute sur l’efficacité de cette molécule, aux résultats pourtant parfois stupéfiants face aux patients.
Pour compléter le tableau, le débat sur la posologie maximum fixée à 80 mg/jour a conduit certains cliniciens à mener des traitements inefficaces pour des patients qui méritaient une posologie supérieure, ce qui a conduit à disqualifier dans certains cas le traitement, auprès du patient comme auprès du clinicien. Il ne viendrait pas à l’idée d’un médecin de s’imposer une limite de la posologie d’un traitement par buprénorphine haut dosage à 4 mg/jour ou d’un traitement par la méthadone à 30 mg/jour et cela avant même de commencer le traitement.
Baclofène pour les patients anxieux avec un trouble lié à l’usage d’alcool
Ce sujet avait déjà été évoqué dans un numéro de la revue Le Flyer (6) en 2016 par Benjamin Rolland. Celui-ci rappelait que Olivier Ameisen, lui-même, se définissait comme un grand anxieux et qu’il avait ressenti dès les premières prises de baclofène, un effet apaisant sinon anxiolytique. La pharmacologie du baclofène, agoniste des récepteurs gaba-B laisse en effet présager de la possibilité d’un effet anxiolytique. Mais, cet effet ne pourrait expliquer à lui-seul l’efficacité du baclofène, constatée aussi chez des patients non anxieux.
La question qui se pose alors est la suivante : « L’existence de troubles anxieux pourrait-elle constituer un facteur prédictif de bonne réponse au traitement par baclofène ? ». Secondairement, on pourrait s’interroger sur l’impact de l’effet potentiellement anxiolytique de cette molécule sur l’efficacité du traitement sur la consommation d’alcool.
C’est précisément à ces deux questions que répond la méta-analyse d’Agabio et al. (1), publiée dans « Neuroscience and Biobehavioral Reviews ».

Celle-ci a retenu 13 études comparatives publiées entre 2010 et 2020, comportant des données sur la consommation d’alcool et une évaluation de l’anxiété avant le traitement et 3 mois plus tard.
Dans cette méta-analyse, l’efficacité du traitement versus placebo apparait comme très significative (p=0.004)
Sur la population avec des hauts niveaux d’anxiété, le résultat apparait comme extrêmement significatif (p<0,00001), avec un taux de significativité que l’on voit rarement dans des études pour des traitements de l’alcoolo-dépendance. Alors qu’effectivement le résultat est moins probant (p=0,20) pour les patients avec de faibles niveaux d’anxiété.
L’autre élément qui apparait dans cette étude est que les niveaux d’anxiété des patients ne sont pas modifiés de façon significative par rapport au groupe placebo. Une des conclusions de cette métaanalyse serait que l’action du baclofène sur la réduction ne serait pas médiée par son effet anxiolytique, mais par d’autres mécanismes déjà décrit dans la littérature (7).
Pour les auteurs, l’existence de troubles anxieux pourrait effectivement apparaitre comme un facteur prédictif de bonne réponse à un traitement par baclofène, de surcroit bien conduit, à une posologie adaptée, ce qui est désormais possible, suite à la décision de justice de mars 2021 qui a conduit au déplafonnement de la posologie, limitée jusqu’alors à 80 mg/jour.
Bibliographie
- Agabio et al. The influence of anxiety symptoms on clinicla outcomes during baclofne traitement of alcohol use disorder : A systematic review and meta-analysis. Neuroscience and Biobehavioral Reviews 125 (2021) 296–313
- Muller et al. High-dose baclofen for the treatment of alcohol dependence (BACLAD study): a randomized, placebo-controlled trial. Eur Neuropsychopharmacol. 2015 Aug;25(8):1167-77
- RigaL et al. Titrated baclofen for high-risk alcohol consumption: a randomized placebocontrolled trial in out-patients with 1-year follow-up. Addiction, 115, 1265–1276
- Reynaud et al. A Randomized, Placebo-Controlled Study of High-Dose Baclofen in AlcoholDependent Patients—The ALPADIR Study. Alcohol and Alcoholism, 2017, 1–8
- Palpacuer et al. Pharmacologically controlled drinking in the treatment of alcohol dependence or alcohol use disorders: a systematic review with direct and network metaanalyses on nalmefene, naltrexone, acamprosate, baclofen and topiramate. Addiction sept 2017
- Rolland. B., Le baclofène : pour les anxieux ? Le Flyer 65, décembre 2016
- De Beaurepaire. A Review of the Potential Mechanisms of Action of Baclofen in Alcohol Use Disorder. Frontiers in Psychiatry. October 2018 ; Volume 9