Article du Pr Claude Lejeune
Mercredi 19 mai 2010, l’APM (Agence Presse Médicale) publiait une dépêche au titre explicite et incisif : Dépendance aux opiacés pendant la grossesse : la buprénorphine plus sûre que la méthadone pour les nouveau-nés. Dans cette dépêche, le journaliste évoque une étude présentée à San Francisco, au congrès de l’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) qui s’est tenu en mai 2010.
Selon cette étude, la buprénorphine semble une option plus sûre et meilleure que la méthadone pour le traitement de substitution de la dépendance aux opiacés pendant la grossesse, en termes d’évolution immédiate du nouveau-né. C’est une communication du Dr Czerkes du Maine Medical Center à Portland (Oregon) qui, avec ses collègues, a comparé rétrospectivement 101 patientes sous méthadone et 68 sous buprénorphine pendant leur grossesse.
Voilà en substance ce qui est rapporté dans la dépêche concernant cette communication :
« Concernant les caractéristiques maternelles, il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes. En revanche, le score d’abstinence néonatale était significativement moins élevé dans le groupe buprénorphine (10,69) que dans le groupe méthadone (12,5). La durée d’hospitalisation du nouveau-né était également significativement inférieure avec la buprénorphine qu’avec la méthadone (8,4 jours contre 15,7 jours), tout comme le nombre de nouveau-nés nécessitant un traitement (48,5% contre 73,3%). Le poids de naissance, le pH au cordon et le score d’Apgar n’étaient pas différents entre les deux groupes. Malgré les limites de cette étude, qui est rétrospective et ne dispose pas de données à long terme, et étant donné « les différences très significatives détectées, nous concluons que l’utilisation de la buprénorphine pour la dépendance aux opiacés est probablement une option plus sûre et meilleure que la méthadone ».
Toujours selon la dépêche :
« Ils (les auteurs) soulignent que les différences relevées sont cliniquement pertinentes, notamment la réduction de la durée d’hospitalisation, qui peut améliorer l’établissement des liens avec le nouveau-né mais aussi réduire les coûts d’hospitalisation, et la réduction du recours au traitement, permettant d’éviter à de nombreux nouveau-nés d’être exposés à un traitement prolongé par le phénobarbital ou la teinture d’opium diluée ».
Nous avons proposé à l’APM de répondre à cette dépêche dont le titre parait excessif au regard des résultats évoqués. Elle n’a pas jugé opportun de le faire, nous choisissons donc LE FLYER pour cette mise au point.
Limites de l’étude
Cette étude « rétrospective » sur 169 patientes n’apporte pas les mêmes conclusions que l’étude ‘prospective’ multicentrique française que j’ai coordonnée il y a 5 ans ( Lejeune C., Simmat- Durand L., Gourarier L., Aubuisson S. and the Groupe d’Etudes Grossesse et Addictions. Prospective multicenter observationnal study of 260 infants born to 259 opiate-dependant mothers on methadone or high-dose buprenorphine substitution. Drug Alcohol Depend Mercredi 19 mai 2010, l’APM (Agence Presse Médicale) publiait une dépêche au titre explicite et incisif : Dépendance aux opiacés pendant la grossesse : la buprénorphine plus sûre que la méthadone pour les nouveau-nés.
Dans cette dépêche, le journaliste évoque une étude présentée à San Francisco, au congrès de l’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) qui s’est tenu en mai 2010. 14 2006 ; 82: 250-7.). Celle-ci portait sur 100 femmes enceintes sous méthadone et 159 sous buprénorphine, et elle n’a retrouvé aucune différence significative concernant la sévérité du syndrome de sevrage néonatal entre les 2 groupes.
La dépêche du 19 mai à propos de l’étude américaine ne détaille pas les caractéristiques des 2 populations comparées. La différence la plus nette concerne la durée d’hospitalisation des nouveau-nés mais de nombreux autres facteurs peuvent l’influencer, dont les raisons pour lesquelles ces femmes ont été mises sous méthadone ou buprénorphine. Les résultats présentés ne nous semblent pas permettre de conclure que « l’utilisation de la buprénorphine pour la dépendance aux opiacés est probablement une option plus sûre et meilleure que la méthadone », comme l’indique les auteurs.
Bien sûr, les résultats de cette étude sont intéressants mais il reste à analyser le texte de l’article dont la parution ne saurait tarder et il ne serait pas pertinent de faire un choix de MSO au cours de la grossesse (méthadone ou buprénorphine) à partir des seuls résultats de ce résumé.
A mon sens, une femme enceinte doit bénéficier du médicament le plus adapté à ses besoins, tantôt la méthadone, tantôt la buprénorphine haut dosage, sur des critères comparables à ceux retenus pour les autres patients (compulsion à l’injection, observance, comorbidités psychiatriques, poly-dépendances…). Elle ne doit pas bénéficier d’un médicament plutôt qu’un autre, seulement en fonction d’un hypothétique gain en journée d’hospitalisation néonatale ou d’une intensité moindre d’un SAN (Syndrome d’Abstinence Néonatale).
Par ailleurs, la prise en charge de ces SAN est aujourd’hui bien protocolisée et ne pose pas de problème à la plupart des équipes soignantes, grâce, en particulier, à la participation active de la mère aux soins de son enfant. En France, elle ne fait plus appel depuis longtemps au phénobarbital ou à la teinture d’opium (!), traitement du SAN évoqué par les auteurs de l’étude américaine.
Un médicament de substitution opiacée inadapté pendant la grossesse pourrait avoir des conséquences bien plus préjudiciables pour la mère comme pour l’enfant. C’est le cas des consommations d’opiacés et des co-consommations (alcool, benzodiazépines, cocaïne…) ou d’infections virales contractées lors d’injection (VIH, hépatite C).
Le médicament de substitution doit être choisi en fonction de son impact avéré ou présumé sur ces évènements addictologiques.
L’existence d’un traitement satisfaisant pour la femme enceinte ou sa demande vers l’un plutôt qu’un autre doit être également prise en compte dans le choix fait par le médecin s’occupant de sa dépendance et tout cela, bien en amont de l’espoir d’un gain de journées d’hospitalisation pour le nouveau-né, bien que ce bénéfice soit intéressant.
Ndlr : Suite à cette analyse du Pr Claude LEJEUNE, la rédaction du Flyer a souhaité également solliciter Loretta FINNEGAN, connue dans le monde entier pour ces travaux dans le domaine de la périnatalité au cours des addictions. Elle a elle-même soumis nos échanges au Dr Robert G. NEWMAN que ceux qui s’intéressent aux traitements de substitution opiacée depuis longtemps connaissent bien pour en avoir été l’un des plus ardents avocats. Il a souhaité également réagir en nous adressant un communiqué. Nous avons le plaisir de publier ici, à la suite du commentaire de Claude LEJEUNE, les réactions à la présentation de cette étude (Czerkes).
Commentaire du Docteur Loretta P. FINNEGAN
Ndlr : Le Docteur Loretta P FINNEGAN est Conseiller Médical auprès du Directeur au Bureau de Recherche sur la Santé des Femmes, National Institute of Health, Bethesda, dans le Maryland. Elle est également Professeur adjoint de pédiatrie et Professeur de psychiatrie au Jefferson Medical College of Thomas Jefferson University. En tant que professeur de pédiatrie et de psychiatrie, elle a dirigé des programmes de recherche sur les conséquences périnatales de l’addiction. Elle est membre de la Society for Pediatric Research, the American Pediatric Society, the College on Problems of Drug Dependence (CPDD) and the American College of Neuropsychopharmacology. Le Docteur FINNEGAN est auteur de plus de 150 publications scientifiques, et a animé de nombreuses conférences sur la santé des femmes et des enfants. Son nom est connu pour avoir développé le Score de Finnegan, test permettant de diagnostiquer, d’après des critères cliniques, un syndrome de sevrage chez les nouveau-nés de mère consommant des opiacées, des amphétamines, de la cocaïne ou des solvants et utilisé dans le monde entier.
Je partage l’avis des professionnels de santé français pour qui, chez la femme enceinte, le traitement de substitution vise la limitation de la consommation d’autres substances. C’est indispensable pour obtenir une meilleure observance aux différents soins et suivis médicaux (comme les soins prénatals, le suivi et les évaluations psychiatriques). Les chances d’avoir un enfant en bonne santé et d’être un bon parent seraient également maximisées. Toutefois, la sévérité du syndrome d’abstinence néonatal (SAN) qui conduit à traiter médicalement l’enfant et entraine une hospitalisation prolongée, est tout aussi importante. Cela suscite d’ailleurs un grand émoi chez les parents, les professionnels de santé et le grand public en général. Aux États-Unis, le surcoût lié à l’hospitalisation conduit à des préoccupations budgétaires. On ne retrouve pas cette problématique en Europe, car la plupart des pays proposent des soins médicaux gratuits pour tous leurs citoyens.
À mon avis, le point essentiel c’est que ‘TOUS’ les médicaments présentent des bénéfices et des risques. Avec la méthadone et la buprénorphine, nous pouvons stabiliser la femme enceinte dépendante aux opiacées et diminuer la morbidité de la patiente et de son nouveau-né.
En contrepartie, nous devons accepter, qu’un SAN survienne chez un nombre considérable d’enfants. En tant que néonatologiste, je préfère un nouveau-né en bonne santé comme on peut le voir chez les mères bénéficiant d’une pharmacothérapie et de soins adaptés. Il est plus facile de traiter l’abstinence néonatale qu’un enfant prématuré malade, situation que l’on retrouve quand la mère consomme toujours de l’héroïne et qu’elle ne reçoit pas de soins prénataux. Toutefois, les responsables et les administrateurs des hôpitaux aux Etats-Unis, vont évaluer l’augmentation de la morbidité liée au NAS et le coût comme un facteur négatif et ils souhaiteront utiliser le médicament qui diminuera plus spécifiquement les coûts engendrés. C’est ce qui influencera le choix dans les médicaments pouvant entrainer un SAN chez le nouveau-né, et par conséquent la buprénorphine pourrait être le médicament privilégié dans la grossesse des femmes dépendantes aux opiacées.
Pourtant ce qui est le plus important, c’est l’observance au traitement et, ce que j’appelle la vision d’ensemble c’est-à-dire la réinsertion réussie de la mère dont la santé et celle du nouveau-né se sont améliorées. Même s’il y a un risque de SAN, ce que l’on doit retenir c’est que les bénéfices du médicament de substitution sont plus importants.
Commentaire du Dr Robert G. NEWMAN
Ndlr : Le Dr Robert G. NEWMAN est actuellement le directeur du « Baron Edmond de Rothschild Chemical Dependency Institute of Beth Israel Medical Center ». Au cours des 35 dernières années, le Dr Newman a joué un rôle majeur dans l’organisation et la mise en place d’un grand nombre de programmes incluant les médicaments de substitution opiacée (New York City Methadone Maintenance et Ambulatory Detoxification Programs, qui ont permis de traiter plus de 33 000 patients/an au milieu des années 70). Il a été également l’ardent défenseur de l’instauration des traitements de substitution opiacée en Europe, en Australie et en Asie. Tout au long de sa carrière, il a défendu le droit des usagers de drogue à obtenir une prise en charge médicale équivalente à celle des patients souffrant d’affections chroniques. Le Dr NEWMAN est aussi professeur d’épidémiologie et de psychiatrie à Albert Einstein College of Medicine de New York.
Lors de la réunion annuelle de l’American Congress of OBGYN en mai 2010, une étude, qui n’est pas encore publiée, intitulée « Traitement de l’addiction aux opiacés, buprénorphine versus méthadone dans la grossesse : évaluation des résultats néonatals », a remporté un prix spécial. Cet article porte sur l’analyse de dossiers de nourrissons nés dans une seule institution à Portland (Maine) entre 2004 et 2008, de mères bénéficiant pendant la grossesse d’un traitement soit par la méthadone (n = 101) soit par la buprénorphine (n = 68).
Les auteurs y concluent que : « La buprénorphine, en comparaison à la méthadone, est un traitement de la dépendance aux opiacés plus sûr « . Je ne peux pas croire à cette conclusion ou à toute autre qui s’appuierait sur ce genre d’informations. Un grand nombre de données qui pourraient être cruciales pour évaluer la significativité de ces conclusions et ce qu’elles pourraient impliquer sont manquantes.
Ainsi :
- Aucune information n’est fournie quant à la durée du traitement pendant la grossesse que ce soit avec l’un ou l’autre des médicaments ; vraisemblablement cela pourrait varier entre 1 jour à 9 mois.
- Le lecteur ne sait pas si les mères ont commencé leur traitement avant d’être enceintes ou au cours de quel trimestre après la conception.
- Aucune donnée n’est précisée concernant le statut socio-économique, le type d’assurance ou le prescripteur du traitement (milieu spécialisé, médecin de ville ou éventuellement, clinique obstétricale).
- L’étude ne mentionne pas les posologies des deux médicaments ou comment celles-ci ont pu être évaluées (basée sur l’observation clinique individuelle ou conformément à un standard).
- Les résultats qu’illustrent l’analyse des cas n’ont pas permis d’évaluer s’il y a eu des modifications de traitement au cours des 5 ans (l’utilisation de la buprénorphine n’ayant été autorisée que peu de temps avant le commencement de l’étude).
- Aucune information n’est mentionnée concernant les femmes qui ont commencé l’un des traitements et qui ont ensuite soit bénéficié d’un autre traitement soit arrêté les soins médicaux. Il n’existe également aucune donnée de l’impact de tels changements sur les nourrissons.
Il semble clair que le diagnostic de SAN (Syndrome d’Abstinence Néonatal) n’a pas été posé par des cliniciens « aveugles » au type de médication prescrite et l’article ne mentionne pas le biais que cela aurait pu engendrer sur le diagnostic et la gestion du SAN.
Aucun facteur non-pharmacologique, comme la durée du traitement ou la durée d’hospitalisation des nourrissons, n’a été pris en compte, alors qu’ils peuvent affecter considérablement la décision de traiter le SAN. À cet égard, un article publié en 2010 (Saiki T et al., Pediatr Eur J. 169:95-98) décrit deux cohortes de nouveau-nés diagnostiqués comme présentant un SAN. Initialement, c’est l’hôpital qui prend en charge dans l’unité de soins intensifs néonatals ces enfants.
Dans cette étude, la stratégie a été modifiée, les nourrissons étaient désormais régulièrement conduits avec leur mère dans l’unité post-partum.
Voici les résultats pour les 2 groupes: il s’est avéré nécessaire de traiter le SAN pour 45 % des nourrissons en unité de soins intensifs néonatales (NICU), et pour seulement 11 % de ceux qui était dans une unité de soins « normale ». La durée de traitement était de 13 jours pour le premier groupe et de 7 jours pour le 2ème. Indépendamment des facteurs pharmacologiques ou non-pharmacologiques, la différence dans la durée d’hospitalisation associée au traitement maternel soit par la buprénorphine soit par la méthadone, induit clairement des implications financières majeures.
Cependant, d’un point de vue médical, rien dans cette étude, ni dans aucune autre, ne peut suggérer un résultat clinique différent – à court ou à long terme – une fois que les nourrissons ont été autorisés à quitter l’hôpital.
De plus, dans cette étude, aucune précision n’a été rapportée concernant la nature du traitement du SAN prescrit. La crédibilité des auteurs de cette étude souffre toutefois considérablement du fait que leur référence dans le traitement du SAN soit « des médicaments injectables » et le phénobarbital.
Il est également affligeant de lire dans un article médical récent (Medscape Medical News, 21 mai) que le Dr Czerkes et son équipe « envisagent de réaliser une grande étude randomisée contrôlée sur la buprénorphine contre placebo pendant la grossesse ».
Comparer l’utilisation d’un placebo avec des décennies d’expériences extrêmement favorables avec un traitement d’entretien par la méthadone, pendant la grossesse, ou dans n’importe quel sous groupe d’une population de patients dépendants aux opiacés, pourrait violer la Déclaration d’Helsinki et le code de déontologie médicale et, inévitablement mettre en danger les vies des mères et de leurs enfants. Le papier, rendu disponible par les organisateurs du congrès, ne fait pas mention d’un possible conflit d’intérêt des auteurs mais la dépêche de Medscape précisent que 2 des 3 auteurs ne rapportent pas de conflits d’intérêt. Aucune précision n’est donnée concernant le 3ème.