NDLR d’Asud : Les traitements de substitution aux opiacés (TSO) ont une histoire. C’est une histoire politique au-delà de leur fonction thérapeutique longtemps contestée. C’est aussi une histoire d’argent, comme dans toute entreprise industrielle. Thierry Kin, ancien cadre de Schering-Plough (Subutex) Bouchara Recordati (méthadone) puis Ethypharm (Baclofène) nous dresse un tableau lucide de 30 années de substitution à la française.
Un peu d’histoire
Les traitements de substitution à la méthadone sont officiellement disponibles depuis mars 1995 en France. Les plus anciens d’entre nous se souviennent qu’il y avait quelques dizaines de « places » méthadone entre 1972 et le début des années 1990. Inutile de dire qu’en pleine épidémie de sida et de consommation d’héroïne en hausse, la méthadone était une denrée très rare ! Pour y avoir accès, il fallait habiter la capitale. Deux centres de soins pouvaient la délivrer : l’hôpital Fernand Widal dans le nord, Sainte-Anne plus au sud (1) . Il fallait par ailleurs faire preuve d’un bilan urinaire sans faute. Pas question de faire partie de la caste des privilégiés de la métha et de continuer à prendre de l’héroïne… Difficile d’avoir plus de 40 ou 60 mg par jour, la plupart du temps en délivrance supervisée. On parlait de « haut seuil », en fait un haut seuil d’exigence vis-à-vis des usagers, plus que d’un haut seuil de pratique médicale. Cette pratique a perduré et on la rencontre encore parfois de nos jours (contrôles urinaires répétés pouvant donner lieu à sanction, délai d’attente probatoire avant d’avoir accès au produit, sélection draconienne, excès de pluridisciplinarité pour accorder le traitement à un usager, posologie limitée…).
Cette véritable pénurie, qui a duré près de vingt ans, était la marque de ces temps, désormais révolus, de la logique anti-substitution prônée par le milieu spécialisé et ses leaders d’opinion, plus favorables à une approche psycho-socio-éducative, voire psychanalytique. Ces approches étaient axées sur la quête absolue de l’abstinence, véritable totem autour duquel s’articulaient les prises en soin (centres d’accueil la plupart du temps non médicalisés, lits de sevrage, centre de postcure…). Entre 1970 et 1990, en pleine période de sida, d’hépatites, d’overdoses et de dégâts sociaux subis en premier lieu par les usagers eux-mêmes, pas question de méthadone, ni même d’approches favorisant la réduction des risques, puisque celles-ci impliquaient une éventuelle poursuite de la consommation, incompatible avec l’abstinence tant convoitée, surtout par les soignants et, bien sûr, la société toute entière.
Peu importe si les stratégies exclusivement axées sur la quête de l’abstinence ne fonctionnaient pas !
En effet, les usagers sevrés rechutaient quasi systématiquement, mais surtout décédaient d’overdose par centaines chaque année. Mais l’honneur restait sauf et le dogme de l’abstinence vivace : un bon toxicomane était un toxicomane abstinent ! J’ai rencontré au milieu des années 1990 des équipes et médecins « spécialistes » farouchement opposés à l’idée de donner une substance opiacée à des usagers de drogues dépendants… des opiacés. Quelques années plus tard, j’ai vu les mêmes devenir des chantres de la substitution. Certains ont reconnu s’être trompés. Les autres, plus nombreux, disent avoir toujours été en faveur des traitements de substitution et feignent d’oublier leurs positions antérieures. Ce sont eux qui interviendront plus tard pour freiner l’élargissement de l’accès à la méthadone, en mettant en avant les risques du traitement, prenant en quelque sorte leur revanche sur l’histoire qui leur avait donné tort.
Pendant ce temps, ailleurs dans le monde
Alors que la quête de l’abstinence bat son plein dans l’Hexagone, au moins jusqu’au début des années 1990, nos voisins adoptent une approche plus pragmatique. À New York, dès 1962 un trio composé de deux psychiatres, Marie-Jeanne Kreek et Mary Nyswander, et d’un chercheur en biochimie, Vincent Dole, expérimentent la méthadone, connue comme antalgique à longue durée d’action et déjà testée par certains usagers. En effet, la Dolophine pouvait être prescrite par les médecins et les usagers en avaient déjà « apprécié » le potentiel. Les premières publications suivent rapidement. Leurs usagers rechutent moins, meurent moins, sont mieux suivis, leur état de santé s’améliore et ils se réinsèrent plus facilement. Le recours à la méthadone s’amplifie aux États-Unis, mais de façon très différente selon les États (dans certains, il est encore très difficile aujourd’hui d’avoir accès à un traitement par la méthadone).
Vincent Dole, Mary Nyswander & Marie-Jeanne Kreek
D’autres pays emboitent le pas entre les années 1970 et 1980 : les pays scandinaves, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Australie, la Suisse et la Belgique, des pays plus latins comme l’Espagne ou l’Italie. De façon un peu caricaturale, tous les pays occidentaux basculent progressivement dans le recours – plus ou moins large, plus ou moins facile – au traitement par la méthadone. Elle s’inscrit parfaitement dans le concept de « réduction des risques », élaboré dans les années 1980 au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, parmi d’autres mesures, comme celle emblématique de la fourniture de seringues stériles, porte-drapeau de la RdR. Les associations d’usagers comme Asud participeront très activement à la promotion de la RdR, médicaments de substitution inclus.
Mais la France résiste
Dans les deux décennies qui ont précédé l’avènement des traitements de substitution, il était difficile de trouver un spécialiste de la toxicomanie enclin à dire du bien de la méthadone. Les psychanalystes théorisaient sur les conduites ordaliques des toxicomanes (qui se confrontaient ainsi au jugement divin !) et évoquaient le stade du miroir brisé. Chaque école de psychanalyse, pour celles qui s’intéressaient au phénomène, rivalisait à coup de théories parfois fumeuses, souvent incompréhensibles. Aucune place pour la réduction des risques et guère plus pour les médicaments de substitution, décrits avant tout comme dangereux, véritables camisoles chimiques, ou encore outils de contrôle social.
Les études produites ailleurs dès les années 1970 et qui établissent les bénéfices incontestables des traitements de substitution sont en anglais et peu lues en France. Elles viennent, pour les premières d’entre elles, des États-Unis, ce qui semble être un problème en soi pour nos experts nationaux. La France résiste à la substitution, comme un village gaulois aux Romains, mais à l’échelle du pays tout entier.
Et finit par s’y résoudre…
Dans ce milieu spécialisé et à cette époque hostile aux traitements de substitution (à la méthadone en particulier), quelques précurseurs se font entendre. Ils ne sont pas forcément spécialistes de la toxicomanie. Ils travaillent dans des services hospitaliers ou des ONG, comme Médecins du monde, au contact des patients atteints de sida ou autres affections graves, et ils sont plus réceptifs à ce qui se passe ailleurs. Certains, avant même l’Autorisation de mise sur le marché en 1995, obtiennent de l’AP-HP, en charge d’approvisionner Fernand Widal et Sainte-Anne, la fourniture de méthadone pour leurs patients. Mais la majorité des centres de soins reste sur ses positions pro-abstinence très tranchées…
La donne change avec l’arrivée de Subutex
C’est la déferlante Subutex, plus qu’un intérêt croissant pour la méthadone et ses bénéfices avérés, qui va changer la donne. En février 1996, les autorités de santé, conscientes depuis quelques années du problème de santé publique qu’est l’addiction à l’héroïne et de l’inertie du milieu spécialisé, permettent au Laboratoire Schering-Plough de mettre le Subutex sur le marché. Il est développé par Reckitt, un laboratoire anglais déjà producteur du Temgésic, anti-douleur à base de buprénorphine, la même molécule que le Subutex. Quasiment du jour au lendemain, des milliers d’usagers de drogues se rendent chez leur médecin (souvent généraliste) pour bénéficier d’une prescription de Subutex. Si certains étaient déjà prescripteurs de Temgésic aux usagers qu’ils accompagnaient, beaucoup vont découvrir comment prescrire un traitement de substitution, avec l’aide de leurs usagers déjà rompus à la technique.
Face à cette déferlante, beaucoup de centres de soins jusqu’alors réticents passent le cap idéologique, incités par les pouvoirs publics, qui financent les structures et le personnel. Certaines sociétés savantes et fédérations vont accompagner cette mutation. Des ‘centres méthadone’ se mettent en place, d’autres prescrivent uniquement du Subutex. D’autres encore délivreront les deux traitements, selon le profil et la demande de leurs patients. Ainsi, l’accès à la méthadone est encore non garanti au milieu des années 1990, selon l’endroit où se trouvent les usagers et les options retenues par les équipes soignantes. De façon caricaturale, entre 1995 et 1996, la France bascule du tout sevrage au tout substitution, malgré les réticences d’une grande partie du milieu spécialisé, notamment le milieu associatif jusqu’ici très peu médicalisé. Et les structures gérées par le milieu hospitalier, notamment psychiatrique, se convertissent aussi à la substitution de façon très hétérogène.
Le déséquilibre méthadone-Subutex
Globalement, la méthadone est prescrite dans les centres de soin spécialisés (alors appelés CSST), et le Subutex est prescrit par les médecins généralistes. De fait, les médecins généralistes ne peuvent prescrire que du Subutex. Car les pouvoirs publics, alertés par les spécialistes d’alors des dangers de la méthadone, ont restreint son accès aux CSST ; alors que le Subutex réputé moins à risque d’overdose est prescrit par les généralistes.
Ce choix gagnant aura pour conséquence qu’à l’aube des années 2000, près de 100 000 usagers bénéficient d’une prescription de Subutex, pour moins de 10 000 pour la méthadone. Ce qui n’est pas lié aux qualités intrinsèques des médicaments…
Au passage, la France rattrape son retard sur les pays voisins en affichant une des meilleures couvertures au monde en matière de traitement de substitution. La mise sur le marché d’un médicament de substitution à base de buprénorphine, que tout médecin peut prescrire, est une première mondiale qui servira de laboratoire grandeur nature, scruté attentivement ailleurs. Si en Belgique ou en Suisse, les médecins généralistes prescrivent déjà la méthadone à leurs patients depuis plusieurs années, ailleurs, elle est prescrite quasi exclusivement par le milieu spécialisé (Italie, Espagne, Allemagne, États-Unis…).
La Mission Kouchner
Bernard Kouchner, ministre de la Santé, confie une mission aux docteurs William Lowenstein, Alain Morel, Jean-François Bloch-Lainé et à Marie-Josée Augé-Caumon, pharmacienne : dresser un état des lieux de l’accès à la méthadone à la fin des années 1990. Le constat est accablant. Dans certains département, l’accès y est inexistant, soit en l’absence d’un centre de soin pouvant l’assurer, soit parce que les centres pratiquent une sélection tellement drastique qu’elle en devient rédhibitoire. Les usagers, faute de mieux, se tournent vers la médecine générale pour une prescription de Subutex, plus rarement de sulfate de morphine quand leurs prescripteurs prennent le risque. Dans de nombreuses structures, le « cadre » de prise en charge élaboré par des équipes toujours persuadées que le sevrage reste la meilleure option, éloigne les usagers. Jean-Pierre Jacques, médecin-psychanalyste à Bruxelles évoquera les ‘fétichistes du cadre’ et dénoncera des pratiques de sélection abusives dans un de ces ouvrages.
D’autres aberrations sont pointées, notamment le fait que les médecins hospitaliers accompagnant des usagers au quotidien ne peuvent pas prescrire de la méthadone, n’étant pas médecins en CSST… Les pratiques de relais de la prescription par un généraliste, après l’initiation en centre et déjà permise par la loi, sont marginales. Se pose déjà la question de la prescription par des généralistes. La présentation de la méthadone en sirop, forme désuète, peu compatible avec une bonne acceptabilité et un accès plus large, est également pointée du doigt.
La première ouverture, l’élargissement de la primo-prescription aux médecins hospitaliers
En 2002, dans la continuité du rapport Kouchner et sous l’impulsion de la DGS et du Dr Christine Barbier, le monopole de la primo-prescription réservée aux seuls médecins des CSST disparaît dans les limbes de l’histoire. Désormais, tout médecin hospitalier peut initier un traitement par la méthadone, puis le relayer vers un généraliste désigné par l’usager ou celui qui aura adressé son patient vers le médecin hospitalier. Cette décision va changer le destin de la méthadone : sa prescription va augmenter et les centres vont favoriser (enfin !) l’accès à la méthadone et le relais des patients-usagers vers la médecine générale. Parfois, la fin d’un monopole peut s’avérer efficace…
Mais la question du passage en médecine de ville ne sera pas réglée, le milieu spécialisé et certains garants de la sécurité sanitaire estimant que la méthadone a un risque d’overdose beaucoup plus élevé que Subutex.
Méthaville, mortalité de la méthadone initiée en ville ou en centre de soin
Fin de la décennie et parce que les conclusions de la mission Kouchner sont reprises par les plans gouvernementaux de lutte contre la drogue et la toxicomanie, une équipe Inserm de Marseille dirigée par Patrizia Carrieri se voit confier la conduite d’une étude – Méthaville, la bien-nommée – dont le but est d’établir si le risque d’overdose lié au traitement par la méthadone est plus élevé quand celui-ci est initié par un médecin généraliste ayant reçu a minima une formation à la prescription.
Le résultat tombe au début des années 2010 : il n’y a pas de surmortalité lorsque des généralistes formés initient depuis leur cabinet un traitement par la méthadone.
Patrizia Carrieri
La messe était dite, pensait-on, on allait se diriger tout droit vers un élargissement de la PPMV (primo-prescription de méthadone en ville). Les indications à cette prescription ne manquaient pas. La plus évidente, les injecteurs de Subutex pour lesquels une prescription de méthadone semblait plus appropriée. C’était sans compter sur la résistance du milieu spécialisé et quelques-uns de ses leaders d’opinion, inquiets de voir les usagers s’adresser prioritairement à la médecine de ville. C’était sans compter aussi sur les systèmes de vigilance qui allaient orchestrer, souvent, un véritable lobbying anti-PPMV.
DRAMES (Décès en relation avec l’abus de médicaments et de substances), une comptabilité macabre et aveugle…
Depuis 2002, parmi les nombreux systèmes de surveillance mis en place pour accompagner la mise sur le marché des traitements de substitution, le dispositif Drames fournit chaque année le nombre de morts suite à la prise de drogues, dont l’héroïne ou les médicaments de substitution. Et les autorités sanitaires vont découvrir ce que tout le monde sait depuis qu’elle existe : la méthadone peut tuer.
Peu importe si on ignore tout des conditions d’usage qui ont conduit au décès : s’agit-il d’un usager occasionnel ou d’un patient prenant tous les jours sa méthadone ? S’agit-il d’une overdose mortelle inattendue ou d’un comportement suicidaire ayant conduit au décès ? En cas d’associations (alcool, benzodiazépines, autres drogues dont l’héroïne), est-on capable de dire si c’est la méthadone qui est responsable du décès ou s’il aurait pu survenir sans elle, sachant que dans le doute on lui imputera le décès ?
Peu importe si l’augmentation de nombre de décès comptabilisés est clairement en lien avec l’augmentation du nombre de structures qui remontent les informations (les laboratoires de toxicologie et experts médico-légaux).
Peu importe si le nombre de patients traités par la méthadone a été multiplié par 5 en l’espace de 10 ans, entre 2000 et 2010, sans que le nombre de décès suive la même progression, fort heureusement.
C’est la progression du nombre « brut » de décès imputés à la méthadone chaque année qui fera mouche et sera reprise à l’envi par tous ceux qui, garants de la sécurité sanitaire, voient d’un mauvais œil la diffusion croissante de la méthadone et un éventuel élargissement de PPMV. Parmi ceux-ci, quelques experts au service de la firme qui commercialise le traitement de substitution concurrent, qui signaleront que la méthadone tue 7 fois plus que la buprénorphine… (2)
Ce n’est pas le dispositif DRAMES le problème, c’est l’interprétation erratique de données qui conduisent à tirer des conclusions peu pertinentes. Sans nul doute, si le projet de PPMV a aujourd’hui bénéficié d’un enterrement de première classe, c’est sous les coups de boutoirs répétés des données DRAMES. Pas une réunion dans les instances qui prennent les décisions d’élargir ou de restreindre l’accès à tel ou tel médicament, sans l’évocation des données DRAMES, s’imposant comme juge-arbitre des décisions à venir concernant la méthadone.
Et pourtant, les données sont claires…
On sait depuis des décennies que la méthadone est mortelle à la dose de 1 mg/kg. Autrement dit, un individu de 60 kilos présente un risque majeur de décès par dépression respiratoire en cas d’ingestion d’une dose unique de 60 mg. Mais, seulement s’il est dit naïf de toute consommation d’opiacés. En d’autres termes, si un usager est dépendant des opioïdes et tolérant à ses effets dépresseurs respiratoires, le risque est d’autant plus faible que son niveau de dépendance et de tolérance est élevé. Dans le cas d’un usager recevant quotidiennement un traitement par la méthadone à la dose de 60 mg, une prise de 60 mg n’a aucune chance d’entraîner son décès. Tous les médecins ont l’exemple de patients ayant pris 2 ou 3 jours de traitement en une seule fois, sans conséquence majeure. Être consommateur quotidien de méthadone protège du risque de décès, par méthadone ou par héroïne.
Les vastes études anglaises, américaines, espagnoles et australiennes nous apprennent depuis les années 1990 que les usagers de drogue sous méthadone meurent entre 4 et 10 fois moins que les usagers sans traitement de substitution ou que les usagers ayant arrêté leur traitement. Le résultat est identique avec les traitements à base de buprénorphine. Identique et non supérieur.
Les traitements de substitution, dans leur bilan global, reconnu par l’OMS et en France par la conférence de consensus en 2004, permettent d’épargner des milliers de vies. Les décès par overdose, par méthadone ou héroïne, sont plus élevés dans les pays qui n’y donnent pas accès, ou qui en restreignent l’accès que dans les pays qui en facilitent l’accès.
Pour être efficace, cet accès doit être le moins conditionnel possible et les prises en soin doivent être empathiques. Les standards de qualité de la prescription doivent être partout appliqués (on en est parfois très loin). Pour la méthadone, la prescription doit se faire à posologie adaptée et discutée avec les usagers. L’usager, où qu’il soit, doit bénéficier du traitement le plus adapté pour lui. Parfois ce sera la buprénorphine, parfois ce sera la méthadone et pour d’autres le sulfate de morphine (Skenan) ou encore l’héroïne (autre débat). La participation de l’usager au choix du médicament est un des éléments majeurs qui conditionne l’efficacité du traitement (3). Dans les standards de qualité de la prescription, doivent figurer des mesures visant à limiter le risque que les traitements soient utilisés par des usagers naïfs pour lesquels le risque existe. Une instance regroupant des usagers, des médecins et pourquoi pas les laboratoires pourraient faire des recommandations sur des standards de qualité qui ne soient pas hors-sol, comme c’est souvent le cas.
En conclusion
Ne pas élargir la prescription de la méthadone par les médecins généralistes ou en restreindre l’accès sur la base de données aveugles de mortalité, en contradiction totale avec les données de la science acquises au fil des décennies, reste incompréhensible pour beaucoup.
Malheureusement, le projet de PPMV qui a désormais plus de 20 ans, ne suscite plus beaucoup d’intérêt dans le milieu. Les médecins généralistes, militants depuis les années 1990, sont soit à la retraite, soit lassés. D’autres ont trouvé des moyens d’obtenir des relais immédiats par un primo-prescripteur autorisé pour contourner la législation (mais est-ce souhaitable ?). D’autres encore nous ont quitté récemment et j’ai une pensée particulière pour le Dr Jean-François Aubertin, médecin généraliste de terrain, qui a milité des années durant pour la PPMV. Dans le milieu spécialisé, je pense aussi notamment au Dr Alain Morel. Ils ont vu les haies du 110 m s’élever à chaque fois un peu plus haut à chaque nouvelle parution des données Drames. Au niveau politique, la PPMV ne semble plus être une préoccupation pour la Mildeca ou le ministère de la Santé, comme ce fut le cas pendant plusieurs années.
On se dirige donc tout droit vers un statu quo en matière d’accès à la méthadone, dont la primo-prescription est toujours réservée à des médecins exerçant soit en centre de soins soit en milieu hospitalier. En se privant au passage de s’appuyer des médecins généralistes volontaires, formés, impliqués et au contact des usagers depuis parfois très longtemps. Ces derniers ont seulement le droit de renouveler la prescription de méthadone d’un « spécialiste. Mais, fort heureusement, nous ne sommes pas à un paradoxe près, ils gardent la possibilité de prescrire des morphiniques à des doses illimitées, incluant des médicaments aussi voire bien plus dangereux que la méthadone (fentanyl, oxycodone, tramadol…) ! Mais ce ne sont pas des ‘toxicos’ qui vont en bénéficier ou alors des ‘toxicos’ en devenir !
Notes :
- (1) Le centre Marmottan à Paris et un centre de soins marseillais avaient été pressentis pour participer à l’expérimentation mais n’avaient pas donné suite.
- (2) La méthadone est un agoniste complet qui comme toute molécule ayant les mêmes propriétés (morphine, oxycodone, fentanyl) est mortelle, notamment chez des sujets naïfs. Il n’en est rien pour la buprénorphine, agoniste partiel avec effet plafond, qui ne présente quasiment aucun risque d’overdose. Chiffrer à 7 fois plus élevée la létalité de la méthadone, sur la base du nombre de décès, n’a aucun sens. C’est en réalité beaucoup moins simple que cela. Sur un plan strictement pharmacologique, la létalité de la méthadone est bien plus que 7 fois plus élevé que celle de la buprénorphine.
- (3) Un usager de drogues qui n’a pas accès à la méthadone parce qu’il a été recalé d’une procédure d’admission, ou que celle-ci a été trop longue, et qui décède d’overdose avec de la méthadone achetée dans la rue et prise sans précaution d’usage, décède plus d’un défaut d’accès à la méthadone que du produit lui-même.