Le 19 mai 2009, lors de la journée mondiale des Hépatites, une coalition d’associations (ASUD, ANITeA, Act up Paris, Safe, Gaïa Paris, SOS Hépatites et salledeconsommation.fr) ont ouvert une salle de consommation de drogues à moindre risque [a] – SCMR – rue Belleville à Paris (voir Le Flyer n° 37).
Cette SCMR fût réinstallée les 11 et 12 juin lors des journées de l’ANITeA. à la cité des sciences de La Villette à Paris, au colloque européen THS 9 à Biarritz en octobre et au Forum SOS Hépatites à Strasbourg à la mi-novembre.
Depuis, de nombreuses personnalités du monde médical (Dr Lowenstein William, Pr Reynaud Michel, Dr Lebeau Bertrand, Dr Lhomme Jean-Pierre, Dr Michel Laurent…), du monde politique (Les Verts, Mouvements des Jeunes Socialistes, Elus Locaux Contre le Sida…) et des associations (Association Française de Réduction des risques, SOS Drogues International, Solidarité Enfants Sida…) ont apporté leur soutien à cette initiative (cf. liste des signataires sur http://www.salledeconsommation.fr/associationsetpe/ ).
De plus, le 9 juin dernier, le conseil de Paris a voté un vœu déposé par le groupe communiste et des Elus du Parti de Gauche relatif à la politique de réduction des risques liés à l’usage de drogue. Ce vœu demande l’ouverture d’un débat sur les salles de consommation.
Mais d’autres réactions (très peu en réalité) fantasmagoriques, bien tranchées et assez simplistes, sur ce qu’il convient de faire ou pas faire pour les toxicomanes viennent de ceux qui font de la guerre à la drogue, une guerre aux drogués :
- Parents contre la drogue : « Donner à une personne les moyens de se droguer revient ni plus ni moins à précipiter sa déchéance, à l’enfoncer plus profondément dans le marécage de la consommation de drogues, le tout en se drapant d’une bonne conscience. »
- Auteur inconnu : « vous allez crevez avec votre drogue… mais proprement ! »
En premier lieu, dire que les SCMR entretiennent la consommation de drogues car c’est bien de cela dont il s’agit dans ces propos, c’est remettre en cause la politique de Réduction des Risques (RdR) alors que les résultats plus que positifs ne sont plus à démontrer.
Les SCMR font partie intégrante de cette politique, pragmatique qui vise à minimiser les dommages sanitaires et sociaux, alors même que les personnes sont encore dans une phase de consommation.
En d’autres termes, il s’agit de maintenir et de préserver l’état de santé et l’intégration sociale des personnes consommatrices. Aujourd’hui, ce sont 81 SCMR implantées dans 9 pays [b].
Et la France ?
En France et ailleurs dans le monde, il existe d’autres offres qui s’inscrivent dans ce cadre. On peut mentionner la possibilité de manger gratuitement, de se laver, de dormir pour une somme modique, etc.
Ces mesures s’adressent à toute personne – toxico-dépendante ou non – qui se trouve dans une situation de grande précarité. Ces offres font partie des mesures traditionnelles que propose un pays pour venir en aide aux plus démunis et ne sont pas contestées.
La question des SCMR est plus délicate, car elle s’adresse spécifiquement à des consommateurs de drogues et c‘est là que le bât blesse, car soutenir l’ouverture de SCMR demande l’acceptation, dans notre société (comme dans toutes les autres) de l’existence de personnes qui consomment des drogues.
Cela demande également d’accepter, dans l’immédiat, notre impuissance à aider et à guérir, ainsi que notre colère devant cette souffrance visible. La répression ne peut, à elle seule, répondre à cette problématique. Alors que faire ?
Nous, professionnels, soutenons qu’il faut être avant tout réaliste pour préserver la santé des consommateurs de drogues et leurs liens avec les dispositifs socio-sanitaires. Cette approche, qui repose sur le postulat que l’on ne peut contraindre une personne à entreprendre une sortie de sa dépendance, implique qu’il faut accepter les toxicomanes et les aider lorsqu’ils le demandent. Dès lors, pourquoi leur refuser des conditions décentes de consommation ?
Notre position individuelle ou collective sur la question des dépendances ne doit pas être liée à notre position vis-à-vis des personnes toxico-dépendantes. La question n’est pas tant d’être pour ou contre les drogues- sur cette question nous sommes majoritairement tous d’accord – mais plutôt de nous interroger sur notre capacité à tolérer des toxicomanes dans notre société.
Cette position est certes plus délicate et mérite d’être débattue, mais elle permet d’être contre la consommation de drogues sans pour autant être contre les toxicomanes. Il faut s’y faire, même si l’on souhaite l’abstinence et la réinsertion pour tous les consommateurs de drogues, ceci ne se fait pas en un claquement de doigts et cette démarche prend du temps. Pendant ce temps, autant que les pratiques de consommation soient le moins dommageables possible.
Alors OUI aux salles de consommation à moindre risque, à comprendre comme une mesure intelligente, pragmatique, un outil supplémentaire à apporter dans le dispositif français pour les toxico-dépendants qui vise à permettre aux plus vulnérables d’accéder à des structures d’aide, d’accompagnement et de soins.
* : Chercheur en science sociale, Membre de la coalition associative pour l’ouverture de salles de consommation de drogues à moindre risque.
[a] Les Salles de Consommation de drogues à Moindre Risque (SCMR) permettent de :
1 – Réduire les problèmes de Santé pouvant découler de la consommation de drogues
- Limiter l’incidence de la transmission des Hépatites virales (VHB et VHC), du VIH et autres virus transmissibles par le sang
- Réduire le développement d’abcès, d’endocardites et d’autres problèmes de santé pouvant résulter de la consommation de drogues lorsque celle-ci se déroule dans un cadre non hygiénique (Cages d’escalier, entrées d’immeuble, shooting galeries, piqueries, squats, toilettes publiques, squares…).
2 – Réduire les nuisances associées à l’usage de drogues dans les lieux publics et semipublics
- Réduction de la visibilité de l’usage
- Réduction de la criminalité
- Réduction du nombre de seringues usagées laissées à la traîne dans l’environnement (Réduction de l’incidence de la transmission de maladies virales et les accidents par piqûre accidentelle).
3 – Améliorer l’accès aux services socio-sanitaires et thérapeutiques chez les consommateurs de drogues les plus marginalisés
Il s’agit d’améliorer l’accès aux soins et de toucher les consommateurs qui n’utilisent pas les services socio-sanitaires et/ou thérapeutiques.
4 – Promouvoir l’éducation aux risques liés à l’usage de drogues
Les SCMR permettent une éducation et information sur les pratiques de consommation à moindre risque directement au moment de l’acte. Cette éducation et cette information sont adaptées aux risques observés contrairement aux programmes d’échange de seringues qui envoient un message sibyllin : nous savons que certaines personnes consomment des drogues et afin de diminuer les risques sanitaires, nous leur donnons des seringues et autres matériels stériles, mais en revanche, nous ne voulons pas les voir consommer devant nous et encore moins dans nos structures.
5 – Réduire les coûts des services de Santé liés à la consommation de drogues
Le rapport coût-efficacité avantageux de l’instauration de SCMR doit inciter les décideurs politiques à l’action. Outre la perte tragique et coûteuse de vies humaines, certains méfaits peuvent être évités ou atténués et entraîner des gains sur le plan économique en soins de la Santé (traitement pour maladies chroniques, services d’urgence…) à l’instar de la mise en place des programmes d’échange de seringues pour limiter la propagation du VIH.
Les coûts d’application de lois répressives de lutte contre la délinquance et de la toxicomanie peuvent également diminuer : ces ressources pourraient alors être consacrées à la prévention, au traitement et aux soins de Santé.
[b] Petit « bottin » des SCMR : il y a aujourd’hui 81 SCMR réparties sur 45 villes dans le monde
- ALLEMAGNE : 20 SCMR réparties dans les villes de Francfort (4), Hanovre (1), Hambourg (8) et Saarbrück (1), Münster (1), Wuppertal (1), Essen (1), Cologne (1), Dortmund (1) et Aix-la-Chapelle (1).
- PAYS-BAS : 31 SCMR réparties dans les villes d’Amsterdam (9), Apeldoorn (1), Arnhem (1), Den Bosch (1), Breda (1), Eindhoven (1), Groningen (1), Heerlen (1), Maastricht (1), Nijmegen (1), Rotterdam (7), Tilburg (1), Utrecht (3), Venlo (1) et Zwolle (1) et des structures non-officielles tolérés par l?État dans plusieurs autres villes.
- SUISSE : 17 SCMR réparties dans les villes de Bâle (3), Heerbrugg (1), Bern (1), Olten (2), Riehen (1), Schaffhausen (1), Solothum (1), Winterthur (1), Chur (1), Zurich (3), Bienne (1) et Genève (1).
- ESPAGNE : 6 SCMR réparties dans les villes de Madrid (1), Bilbao (1) et Barcelone (3 + 1 unité mobile).
- LUXEMBOURG : 1 SCMR à Bonnevoie et une deuxième est à l’étude.
- NORVEGE : 1 SCMR à Oslo.
- CANADA : 1 SCMR à Vancouver et peut-être 1 prochainement à Québec).
- AUSTRALIE : 1 SCMR à Sydney.
- AFGHANISTAN : 3 SCMR à Kaboul (non officielles).
- ANGLETERRE : À la fin des années 1960 et jusqu’au début des années 1970, plusieurs cliniques médicales et centres de jours londoniens étaient dotés de salles où les usagers de drogues illicites avaient la possibilité de s’injecter en toute quiétude mais sous contrôle médical. Il n’existe aucune SCMR officielle actuellement.
- D’autres pays comme la SLOVENIE, le PORTUGAL, la BELGIQUE et les Etats-Unis (Etat de Californie et la ville de New York) étudient la mise en place de SCMR.