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A. Aspects cliniques et thérapeutiques des troubles de la personnalité chez les patients dépendants
A.1. Dépendance et symptômes psychopathologiques
Les symptômes psychopathologiques liés aux substances psychoactives ont été étudiés à l’aide de diverses échelles psychométriques. Avec le MAACL (Multiple Affect Adjective Check List) les sujets dépendants à l’héroïne présentent un niveau élevé d’anxiété, de dépression, d’hostilité, d’anhédonie (incapacité à ressentir du plaisir en réponse à une stimulation physique ou relationnelle) (135,184,266). Un des résultats obtenus avec l’échelle TSCS (Tennessee Self Concept Scale) qui évalue l’estime de soi, est que les héroïnomanes ont une auto-évaluation principalement dépressive (289).
Au contraire, quand le même paramètre est évalué par la California Psychological Inventory (CPI) et le Eysenck Personality Questionnaire (EPQ), il n’apparaît aucune différence pour les symptômes dépressifs en général et la faible estime de soi en particulier, entre les sujets témoins et les sujets dépendants (48,196,227,306). En outre, la symptomatologie dépressive n’est pas habituelle chez les héroïnomanes. Les données recueillies avec le Beck Depression Inventory (BDI) montrent la présence de symptômes dépressifs chez moins de la moitié des sujets dépendants à l’héroïne examinés. Ces symptômes sont généralement réversibles par le traitement à la méthadone (93,241). Les caractéristiques de dépression définies en utilisant le questionnaire Profile of Mood State incluent la somnolence et la fatigue tant que persiste la dépendance, alors que les patients débutant un traitement par la méthadone présentent des niveaux élevés d’agressivité et d’extériorisation (353).
Concernant l’activité sexuelle, plusieurs études rapportent l’absence de différence sur l’identité sexuelle et l’orientation, à l’exception d’une tendance plus marquée pour les rapports hétérosexuels chez les héroïnomanes (70).
Les symptômes anxieux sont modérément marqués sous traitement de maintenance par la méthadone, et ils bénéficient d’interventions environnementales et de réinsertion (77-80,135).
Selon les résultats obtenus dans l’étude PISA-SIA (Study and Intervention on Addictions, étude et intervention dans les dépendances) (Figure 1), le groupe d’héroïnomanes sous traitement par la méthadone, évalué par le SCL90 (Symptom Distress Check List 90) présente principalement des symptômes de dépression, des troubles somatiques et des troubles obsessionnel-compulsifs (154). Les symptômes psychopathologiques semblent être moins sévères au cours des autres types d’interventions (communauté thérapeutique, psychopharmacothérapie, psychothérapie, sevrage à la méthadone et traitements de maintenance à la méthadone ou à la naltrexone). Si des troubles psychopathologiques apparaissent, ils témoignent en réalité d’un mauvais choix thérapeutique ou d’un traitement mal conduit (215).
A.2. Dépendance et dimensions psychopathologiques
Mis à part l’utilisation d’items psychopathologiques uniques, la personnalité des patients dépendants est aussi étudiée en termes de profil par le Minnesota Multiphasic Personnality Inventory (MMPI). Les symptômes d’anxiété ainsi que les autres traits anormaux de la personnalité sont mieux appréhendés que les symptômes psychotiques (48,96,277-279,308). Une personnalité de type psycho-pathologique se rencontre fréquemment (Psychopatic Deviance Scale), incluant une tendance à l’isolement et une difficulté à se prendre en charge (Depression Scale) (298) qui peuvent être une conséquence directe de la dépendance elle-même.
Les études utilisant le MMPI ne dégagent cependant pas un profil de personnalité constant, ni même des traits spécifiques de personnalité chez les dépendants. La déviance propre aux patients dépendants couvre toutes les dimensions de la personnalité à l’exception de la virilité/féminité et du repli social (70).
De façon générale, il est rare que les sujets dépendants s’avèrent hautement déviants (le score de déviance de ces patients reste dans la limite d’une déviation standard dans 8 échelles sur 9) et le score moyen dépasse le seuil de deux déviations standards uniquement sur l’échelle Psychopathic Deviance Scale. Une analyse plus fine montre qu’il est possible de distinguer deux sous-catégories selon le MMPI : le profil de type I caractérisé par une déviance faible sur les dysthymies, le malaise général et les troubles de la pensée, et à l’inverse, le profil de type II est caractérisé par une déviance importante uniquement sur l’échelle Psychopatic Deviance Scale (Pd). De plus, le MMPI permet de distinguer les héroïnomanes des alcooliques. Les premiers atteignent des scores élevés sur l’échelle Hysteria (Hy), alors que les derniers ont des scores élevés sur les échelles Pd, Mania (Ma), Hy, et Pschychoasthenia (Pt) (114). Les traits de personnalité varient suivant le sexe : les femmes dépendantes sont typiquement impulsives, alors que le profil de personnalité des hommes dépendants est centré sur les caractéristiques de la dépendance, de l’autocritique et de la timidité (70).
Concernant le mode de pensée et l’interprétation de la réalité, telle l’orientation interne ou externe du locus de contrôle (LOC), il a été suggéré que la dépendance se construisait sur le besoin d’un objet extérieur comme source de réconfort. Cette attitude semble refléter l’idée selon laquelle c’est l’environnement qui contrôle les événements de la vie, plutôt que la volonté propre. Selon la théorie du LOC, le fait d’avoir un LOC interne a comme conséquence une insensibilité au renforcement qu’il soit positif ou négatif, de façon à ce que l’orientation comportementale se développe sans tenir compte des conduites d’évitement de la douleur ou de recherche de récompense (« Harm avoidance » et « reward seeking », voir plus loin Cloninger 1987) et les événements de la vie sont assumés sans autres attentes. Sur la base de la définition donnée plus haut, les sujets ayant un LOC interne sont des individus qui pensent être capables de contrôler les événements alors que les sujets ayant un LOC externe assument les événements comme étant inévitables et ne dépendant pas de leur contrôle, refusant toute importance à l’expérience (199).
Contre toute attente, les héroïnomanes se révèlent avoir un LOC interne. Le LOC des patients dépendants peut varier en fonction des changements d’environnement mais reste, en général, stable. Les patients dépendants non traités ont tendance à avoir un LOC externe, alors qu’un glissement vers un LOC interne est observé lors de l’instauration d’une substitution par la méthadone. Ainsi le traitement à la méthadone a tendance à restaurer la structure de personnalité antérieure selon l’orientation du LOC.
En conclusion, on peut dire qu’il existe chez les patients dépendants des caractéristiques de personnalité qui constituent une norme et les classent dans une catégorie particulière. Ils sont agressifs, dépressifs, dysphoriques, irritables, hypercritiques envers les autres, et ont des conduites socialement difficiles. Cependant, cela a peu de sens d’évaluer le comportement des dépendants non traités comme antisocial ; il faut plutôt y voir la manifestation de problèmes financiers et d’une délinquance récurrente, en relation avec l’approvisionnement en substances. Bien que les données de la littérature soient complexes et contradictoires, il apparaît un consensus sur les points suivants : 1) les manifestations dépressives sont fréquentes et sont généralement sensibles à la substitution par la méthadone, ce qui rend les patients dépendants non différents des témoins, par exemple en termes d’estime de soi et en termes d’introversion / extraversion ; 2) les troubles anxieux sont fréquents aussi bien avant que pendant un traitement à la méthadone ; 3) les troubles psychotiques sont plutôt rares.
Figure 1 : Psychopatholigal symptoms in 326 heroin addict during various kinds (from Maremmani & Diani, 2000).
A.3. Dépendance et troubles de la personnalité
La question de l’existence d’une relation entre l’utilisation de substances psychoactives et la personnalité a été longuement débattue. Cette hypothèse repose probablement sur le fait que la plupart des sujets dépendants ont des relations instables et présentent une personnalité déséquilibrée, ou bien ont des comportements asociaux qui les conduisent à la délinquance. A ce jour, les conduites addictives ne sont pas encore classées dans les troubles de la personnalité (102) mais sont souvent liées à certains troubles de la personnalité. Les comportements de dépendance doivent être pris en compte dans le diagnostic, comme c’est le cas pour les troubles de la personnalité antisociale ou de type limite (51,122,166,182,298).
Avant l’usage du DSM (1), les critères diagnostiques n’étaient disponibles que pour la personnalité antisociale. Ceci laissait penser que la personnalité antisociale était le seul trouble de personnalité lié à l’usage de substances psychoactives. Comme certains traits de caractères typiques décrits dans la personnalité antisociale, telle l’impulsivité, sont aussi retrouvés dans d’autres profils de personnalité, il était logique de s’attendre à ce que le chevauchement des troubles de la personnalité et celui de l’usage de substances, soit plus important qu’on ne le pensait initialement.
Des études cliniques ont été réalisées récemment en utilisant des questionnaires semistandardisés et semi-quantitatifs afin de pouvoir évaluer le profil de comorbidité (axe II) dans les troubles liés à la consommation de substances. Les résultats montrent qu’un pourcentage significatif de patients dépendants ont au moins un trouble de la personnalité et que la personnalité antisociale n’est pas la seule personnalité qui domine; d’autres, comme la personnalité limite, sont également fréquentes.
Selon les études, entre 25% et 91% des patients dépendants présentent au moins un trouble de la personnalité (13,60,244,349). Les personnalités limites et histrioniques sont celles le plus souvent retrouvées avec un taux de 5-65% 13,171 et 12-64% respectivement 13, puis suivent les personnalités antisociales (3-55%) 187,263, puis les personnalités passives agressives (13,179,189). La catégorie C du DSM est aussi fréquente avec un taux de 28%, principalement dû à des profils dépendants (35%) (13,263,409) ou à une prédominance de l’évitement. Bien que la catégorie A apparaisse généralement comme la moins fréquente, la prévalence des personnalités schizotypiques n’est pas négligeable (jusqu’à 41%) (13).
La plupart des études cliniques – hormis quelques exceptions (349) – rapportent les cas de sujets dépendants à l’héroïne qui font spontanément la démarche d’être hospitalisés, suite à un problème lié à la substance ; ainsi les troubles de la personnalité sont analysés en prenant systématiquement en compte l’usage de substances.
En règle générale, quand on revoit le diagnostic de personnalité limite, en excluant le critère portant sur l’usage de substances psychoactives, une grande proportion de patients ne peuvent plus être étiquetés comme ayant une personnalité limite (95). Cette discordance peut être évitée en diagnostiquant les patients seulement après avoir établi un bilan préalable des troubles de la personnalité, sans connaître leur statut sur l’abus de substances (349). En dépit de cet inconvénient, l’incidence à vie des troubles de la personnalité est similaire à celle des troubles actuels : cette réalité suggère que la présence de troubles de la personnalité chez les patients dépendants n’est en réalité pas surestimée puisque l’effet de l’abus de substances est lui-même utilisé comme critère (349).
Concernant les troubles de la personnalité associés, selon le type de substances utilisées – alcool ou cocaïne – il apparaît que ces troubles sont plus fréquents chez les patients dépendants à l’alcool et les dépendants à la cocaïne que chez les sujets témoins (405), et également plus fréquents chez les cocaïnomanes que chez les alcooliques. D’autres auteurs rapportent une prévalence identique de troubles de la personnalité chez les alcooliques et chez les dépendants sans consommation d’alcool (349).
Parmi les patients dépendants à la cocaïne, la catégorie B prédomine, suivie des catégories C et A. Parmi les alcooliques (en particulier ceux avec une personnalité limite) également, la catégorie B prédomine, suivie de C puis de A. Au contraire, la catégorie C est prédominante dans le groupe contrôle. Quand l’échelle MCMI (Million Clinical Multiaxial Inventory) est appliquée, le profil de personnalité narcissique devient très important chez les héroïnomanes, alors que les alcooliques ont plutôt des profils de types schizoïdes et/ou limites (349). L’alcool et les substances sédatives apparaissent comme étant les objets d’abus les plus fréquent chez les sujets présentant des troubles de la personnalité (95).
Chez les patients dépendants, certaines caractéristiques cliniques apparaissent liées aux troubles de la personnalité associés. La consommation de substances commence plus tôt et l’état général est plus faible. La relation entre les troubles de la personnalité et l’usage précoce peut être expliquée d’au moins deux façons : les sujets qui développent des troubles de la personnalité peuvent avoir des problèmes psychosociaux précoces, favorisant leur contact avec les substances ; autrement, l’usage précoce de substances conduit à des comportements chroniques qui sont par la suite désignés par troubles de la personnalité.
Quand des troubles de la personnalité sont concomitants, l’état général est affaibli, mais une consommation plus longue de substances n’a pas été mise en évidence. En d’autres termes, les sujets dépendants avec des troubles de la personnalité présentent un état plus dégradé à l’instauration du traitement mais en dépit de cela, on considère qu’ils ont autant de chance de rémission que les autres (349).
A.3.a Troubles de la personnalité antisociale
Plusieurs études épidémiologiques, cliniques et médico-légales, ont confirmé l’existence d’un lien important entre personnalité antisociale et troubles liés à la consommation de substances (129,167,297). Environ 20-40% des sujets avec des troubles liés à l’usage de substances psychoactives présentent une personnalité antisociale, et ce taux est encore plus élevé chez les sujets polydépendants (14,206,307). Aucun autre trouble de la personnalité n’a une telle prévalence chez les consommateurs de substances ou n’est aussi bien documenté que la personnalité antisociale (28). En outre, les troubles liés à l’usage de substances, quand ils sont diagnostiqués selon les critères du DSM-IV, sont corrélés plus fortement à la personnalité antisociale qu’aux autres troubles (axe I) (167). Il n’existe aucune autre caractéristique clinique qui soit aussi bien corrélée à la personnalité antisociale que les troubles liés à l’usage de substances, principalement les troubles liés à l’alcoolisme (28). En réalité, pour respectivement 90% et 93% des sujets ayant une personnalité antisociale et consommateurs de substances, l’alcool est la seule ou l’une des substances consommées abusivement (407).
La plus forte corrélation est observée entre la personnalité antisociale et l’alcool, les psychostimulants arrivant en second (389). Cependant il n’existe pas de relation apparente entre la consommation d’alcool et la personnalité antisociale. Certains auteurs rapportent que la personnalité antisociale est plus fréquente chez les sujets dépendants à la cocaïne que chez les sujets alcooliques (405). De façon générale, on peut dire que les sujets avec une personnalité antisociale sont bien représentés chez les alcooliques quoiqu’ils constituent une minorité parmi eux. En d’autres termes, l’abus d’alcool est fréquent parmi les personnalités antisociales plutôt que l’inverse.
Les alcooliques avec une personnalité antisociale ont une dépendance à l’alcool de type II, particulièrement les hommes. Ce type de dépendance est caractérisé par une initiation précoce à l’alcool, un passage rapide à l’usage régulier, un comportement antisocial, des antécédents familiaux et un faible discernement (10).
La dimension « recherche de nouveauté » (« Novelty seeking dimension », voir plus loin Cloninger 1987) qui, comme dans la personnalité antisociale, est couramment associée à des troubles liés à l’usage de substances est une caractéristique qui distingue les alcooliques antisociaux des alcooliques ne présentant pas ce trouble. De plus, chez les alcooliques, il existe un lien entre la recherche de nouveauté et les caractéristiques de type II, qui sont, comme mentionné plus haut, caractéristiques des alcooliques antisociaux. Ainsi il semble exister un recouvrement, au moins partiel, entre la personnalité antisociale et la recherche de nouveauté, avec une convergence vers la consommation de substances (145).
Le trait de personnalité antisociale, quand il est unique, est bien corrélé à l’abus d’alcool, même si un véritable trait de personnalité antisociale ne peut être diagnostiqué : une étude recherchant la relation entre la personnalité des alcooliques et les caractéristiques de la consommation d’alcool montre une corrélation entre une forte consommation, l’hypophorie et un faible niveau de docilité (242).
Les individus avec une personnalité antisociale sont aussi consommateurs de substances autres que l’alcool, y compris d’opiacés. La personnalité antisociale est un facteur de risque de consommation d’opiacés chez les alcooliques. En fait la personnalité antisociale est courante chez les anciens alcooliques purs qui ultérieurement deviennent des polyconsommateurs d’alcool et d’héroïne ou des sujets dépendants aux opiacés. Au contraire, les alcooliques sans personnalité antisociale semblent avoir un risque inférieur de devenir dépendants à l’héroïne. De plus, généralement (dans plus de 90% des cas), les héroïnomanes avec une personnalité antisociale ont des antécédents d’abus d’alcool précédant la consommation d’opiacés. On ne sait pas, cependant, si la personnalité antisociale est un facteur de risque pour la consommation d’opiacés chez les sujets qui n’ont pas d’antécédents d’alcoolisme ni de consommation actuelle d’alcool (206).
Plusieurs études suggèrent que les troubles de conduite, l’équivalent chez les mineurs de la personnalité antisociale, seraient aussi impliqués dans le lien entre la personnalité antisociale et les troubles liés à la consommation de substances. La probabilité de consommation d’alcool chez les enfants avec des troubles de conduite est la même que celle des antisociaux, mais les enfants avec troubles de conduite présentent aussi un risque d’abus de tabac ou de cannabis. Les troubles de conduite sont prédictifs de la survenue ultérieure d’une personnalité antisociale et sont également un facteur de risque pour la consommation de substances (32,307,389).
Des études familiales ont montré que les alcooliques avec des antécédents familiaux d’abus d’alcool, ont plus de chance de présenter des traits de personnalité antisociale (10,14). Il n’existe aucun recoupement entre les antécédents familiaux de dépendance à l’alcool et les antécédents familiaux de personnalité antisociale. En d’autres termes, dans de nombreux cas, les sujets alcooliques ont dans leur entourage proche des personnes alcooliques mais n’ont pas de personnalité antisociale. Les enfants de sujets alcooliques présentent en général un profil comprenant : hyperactivité, troubles de l’attention, impulsivité, instabilité affective, instinct grégaire, déficit intellectuel, déficit de l’expression verbale avec de l’alexithymie, déficit des capacités d’abstraction et éventuellement des traits de personnalité antisociale (14).
A.4. Personnalité et éthiopathogénie de la dépendance
A.4.a Hypothèse de l’automédication pour les troubles addictifs
La psychopathologie de la dépendance est caractérisée par un désir irrépressible, mieux défini par le terme de compulsion (en anglais « craving », terme qui sera employé dans le présent document pour désigner cet état) qui comprend une composante positive, la recherche du plaisir, et une composante négative comprenant un malaise lié au manque ou la peur de la survenue de symptômes de sevrage. Même quand les patients ont entrepris une cure de désintoxication, la dépendance n’a pas disparu pour autant : en fait, une forme de manque persiste – désigné par « manque secondaire, prolongé ou psychique ». Cela caractérise seulement la composante positive du craving. Seule, cette composante disparaît après désintoxication alors que la composante négative persiste comme résultant du processus aigu de sevrage.
Au cours du sevrage secondaire, la recherche de substances est guidée par un craving positif, et non par un symptôme physique de manque qui correspond au craving négatif. Cette conduite positive devient très importante et persiste après le dernier épisode de prise de substance. On peut émettre l’hypothèse que ce craving résiduel n’est rien d’autre que l’expression de ce qui a précédé l’abus de substance et qu’il est le substrat sur lequel l’usage de substances s’est développé. D’après cette hypothèse, le sevrage secondaire n’est qu’une condition psychique qui a précédé l’usage de substances et qui réapparaît en l’absence de substance, durant la phase qui suit la désintoxication (228,230,242).
Le sevrage secondaire partage, avec certains troubles psychiatriques, le fait qu’il ne soit qu’accidentellement identifié dans une condition particulière, celle de la dépendance à une substance, et en étant différencié de cette dernière qu’une fois que la désintoxication est terminée. Dans ces circonstances, la dépendance apparaît comme étant une complication d’un utre trouble psychiatrique. Le craving, qui survient en l’absence de produit, existe déjà virtuellement parlant, avant que le dépendant potentiel n’ait essayé la substance. Quand le dépendant potentiel se trouve en présence de substances, sa prédisposition au craving, basée sur le soulagement de symptômes psychopathologiques, se transforme en réel craving et les comportements liés à la dépendance s’installent.
Khantzian a avancé l’hypothèse de l’automédication des troubles addictifs avec une référence particulière à l’héroïne et la cocaïne (170). Il a suggéré que les effets des substances psychoactives interagissent avec les symptômes psychiatriques, contraignant ainsi les individus à avoir recours eux- mêmes aux substances tant qu’une sorte de propension subsiste.
Les sujets choisissent eux-mêmes les substances à utiliser en fonction de la structure de leur personnalité et de ses problèmes. En accord avec cette théorie, les traitements par les antidépresseurs devraient réduire le craving pour l’héroïne chez les héroïnomanes 395.
Concernant les psychostimulants, les sédatifs et les opiacés, de nombreuses observations ont montré jusqu’à présent que l’abus de substances n’est rien d’autre qu’une tentative de traiter le malaise mental sous-jacent. Il subsiste cependant un désaccord sur le fait qu’un traitement efficace sur les troubles psychiatriques associés (tels que la phobie ou la dépression) devrait aussi contrôler la dépendance. Rounsaville et ses collègues ont été les premiers à annoncer que leurs résultats cliniques confirmaient l’hypothèse de Khantzian et Wurmser selon laquelle les sujets dépendants à l’héroïne ont recours aux opiacés pour soulager leur malaise mental (319).
Dans l’ensemble, ils soutiennent la thèse que l’usage de substances psychoactives n’est pas l’expression d’une attitude de recherche de nouveauté, ni de recherche d’euphorie ni un comportement autodestructeur. De leur point de vue, cela s’apparente à une attitude d’automédication contre des sensations désagréables et des émotions conduisant au malaise.
Cette stratégie est vouée à l’échec, entraînant des risques associés et des complications à long terme, mais les substances psychoactives peuvent être utiles pour contrôler ce qui par ailleurs pourrait être ressenti comme insupportable et dévastateur.
Pour citer Silvestrini qui a discuté la question de la dépendance comme étant secondaire à un trouble psychiatrique : « ce qui est en réalité important n’est pas de savoir si les maladies psychiatriques sont les causes ou les conséquences d’abus de substances mais de témoigner que la dépendance elle-même compte souvent moins que le phénomène psychique sous-jacent » (344). Le substrat psychopathologique est plus important que ses complications en termes d’éthiopathogénie, prévention et traitement. En particulier, le risque de rechute résulte directement de la persistance du substrat.
A.4.b. Le rôle des effets subjectifs : l’hypothèse d’auto-sélection
En illustrant son hypothèse d’automédication, Khantzian met en avant l’idée de la spécificité des effets de l’auto-médication, qui varient en fonction de la personnalité du consommateur et des propriétés pharmacologiques de la substance.
Une des définitions du tempérament est : « une façon d’être, de penser, de réagir aux circonstances et envers les autres, une façon de répondre aux substances et aussi aux substances psychoactives » (344). Les effets d’une substance dépendent à la fois de ses propriétés intrinsèques et de la réactivité du consommateur. C’est l’association entre le sujet et la substance qui détermine les effets de la substance. Certains individus deviennent dépendants aux effets agréables des substances alors que d’autres ne le deviennent pas, dans la mesure où ils ne ressentent pas les mêmes effets. Les raisons de cette différence sont à interpréter comme des différences de structure de personnalité (170).
Pour ce qui est des psychostimulants, par exemple, certains avancent que ce sont leurs propriétés analeptiques qui génèrent véritablement la dépendance parce qu’elles permettent de surmonter la lassitude et la sensation de vide consécutif à un état dépressif. Il a également été avancé que l’utilisation des psychostimulants augmentait l’estime de soi et l’assurance et que certains avaient recours à la cocaïne pour supporter un mode de vie hyperactif, comme si cela leur garantissait une totale indépendance.
Khantzian souligne que le souvenir qu’ont les dépendants d’effets subjectifs de la cocaïne est un exemple de leur hypersensibilité à d’insupportables et intenses stimuli, ou à la conscience d’une dégradation de leur comportement. Ainsi, ils recourent à leur substance préférée pour se procurer par eux-même un soulagement rapide de leur malaise.
La cocaïne peut produire des effets différents selon les sujets. Les personnes qui développent une paranoïa après une prise de cocaïne ont des scores élevés sur les échelles de Perceptual Aberration Scale et de Magic Ideation Scale, deux indices de prédispositions psychotiques. Il en résulte que la paranoïa induite par la cocaïne n’est pas juste due à un surdosage de cocaïne mais reflète plutôt une prédisposition psychotique, en rapport avec des effets qui diffèrent suivant les sujets (326).
Des différences entre effets subjectifs de la marijuana ont été également étudiées, en termes de prédisposition génétique d’une part et de facteurs environnementaux d’autre part.
Deux tableaux de réactions aiguës à la marijuana ont été définis : le premier comporte des symptômes désagréables tels que la confusion, la suspicion et l’agitation ; le second comprend des effets plaisants de type euphorie, créativité, loquacité, extraversion, vitalité. Comme prévu, les typologies sont en accord avec les caractéristiques de la consommation de marijuana.
Ceux qui ressentent des effets plaisants après avoir essayé la marijuana seront probablement enclins à l’utiliser de nouveau (100,264). Ceux qui ont eu une mauvaise première expérience présenteront moins de probabilité de recommencer. Les effets subjectifs de la marijuana sont cohérents avec le renforcement lié à sa prise et cette dernière est corrélée avec le niveau d’utilisation. Les sujets qui ont essayé la marijuana et qui ultérieurement n’en reprennent pas, décrivent des effets aigus moins plaisants ou neutres (100). A l’inverse, les consommateurs réguliers décrivent les effets aigus comme très agréables. En conclusion, il existe un lien entre la qualité des effets subjectifs, le comportement de renforcement et le profil d’utilisation.
Des recherches identiques menées sur l’abus d’alcool montrent que les différents effets subjectifs induits par l’alcool sont liés aux différents profils d’utilisation. Dans un contexte expérimental, les sujets qui apprécient plus l’alcool que le placebo, rapportent une plus grande euphorie et vitalité induites par l’alcool que ceux qui aiment l’alcool autant que le placebo, qui rapportent des sensations émoussées du même type. Là encore, les effets subjectifs conditionnent l’usage de la substance (85).
A.4.c. Recherche de sensations et absence de satisfaction : qu’est-ce qui est trop peu ou trop ?
Les comportements de recherche de sensations et de recherche de nouveauté deviennent un phénomène fréquent chez les adolescents et les jeunes adultes. L’excitation doit sans doute être considérée comme un besoin basique de l’adolescence normale, mais un nombre croissant de jeunes semble rechercher des expériences extrêmes, dangereuses, souvent autodestructrices, au détriment de sources de stimulation et d’expériences liées à des satisfactions plus ordinaires. Des sensations désagréables comme l’ennui ou le vide peuvent conduire les jeunes à de nouvelles formes d’excitation passant par des conduites dangereuses telles que la transgression des règles, les rapport sexuels non protégés, ou autres conduites qui appellent des émotions plus fortes.
Les stimulations intenses sont considérées comme faisant disparaître la sensation de vide émotionnel. Selon Zuckermann, les individus à la recherche de sensations s’attachent à rechercher des émotions fortes, à tout prix et par tous les moyens, au point que les sensations fortes deviennent un besoin de base de leur personnalité (411). De façon similaire, Cloninger a identifié les attitudes de recherche de nouveauté comme étant un trait de tempérament (61,62).
Zuckermann suggère que le comportement de recherche de sensations peut s’expliquer par la variabilité des degrés d’excitation de base, en particulier son niveau d’activité et de réactivité. L’excitation optimale devrait correspondre à un niveau optimum de satisfaction; quand un individu se trouve en dessous de son seuil optimal, le comportement de recherche de sensations est un moyen de faire face à la perte de satisfaction. Zuckermann souligne à quel point l’intensité de la stimulation recherchée est essentielle à la dynamique de la recherche de sensations ; elle s’avère dépendre parallèlement de l’intensité du manque de satisfaction (410,411).
Au plan génétique, une relation a été établie entre la recherche de sensation et le gène du récepteur D4 de la dopamine (29). D’une part, ceci indique que le comportement de recherche de sensations est structurellement déterminé, d’autre part cela suggère qu’il est l’expression d’un fonctionnement dopaminergique qui est considéré comme la base anatomique de la satisfaction. La dimension « recherche de nouveauté » qui ressemble à la recherche de sensation, est elle-même liée au système dopaminergique. Les sujets avec des caractéristiques de recherche de nouveauté ont un niveau d’activité dopaminergique élevé comme en témoigne l’augmentation de la sécrétion de l’hormone de croissance ou l’augmentation de l’inhibition de la sécrétion de prolactine après l’administration de bromocriptine (117). Il a également été avancé que les conduites à risque représentent une forme non chimique de recours à une stimulation pour contrebalancer des épisodes dépressifs (99,375).
Le comportement de recherche de sensation est, au niveau de la personnalité, un des facteurs de risque d’abus de substances. La recherche de nouveauté, telle que définie par le questionnaire Tridimensional Personnality Questionnaire (TPQ), est aussi prédictive d’une consommation de substances ; ce questionnaire permet de distinguer les sujets dépendants des non-dépendants et se rattache à un abus précoce de substances (145). Les autres marqueurs sont la déviance sociale, la faible maîtrise de soi, la faible capacité d’évitement de la douleur, la forte indépendance et l’intolérance à la frustration (35). Mis à part ces caractéristiques, le comportement de recherche de sensations doit être envisagé comme un signe d’hyperthymie ou de cyclothymie.
La recherche de sensations semble, en réalité, compatible avec l’exaltation de l’humeur et il se peut que le besoin de stimulation chez les sujets bipolaires pendant les phases d’exaltation de l’humeur, résulte d’une très forte réactivité structurelle aux stimuli agréables. Une autre hypothèse est que durant les états dépressifs, les mêmes sujets sont conduits à renouveler le même type de stimulation en raison d’un souvenir fortement mémorisé d’expériences agréables. D’après cette interprétation, la recherche de sensations est un moyen de compenser l’absence de satisfaction.
A.5. La psychologie de la dépendance : évolution des modèles théoriques
A.5.a. Théories psychodynamiques
Les premières observations sur la dynamique de la dépendance aux substances s’appuient sur un trait narcissique défini comme étant une orientation comportementale tournée vers soi-même comme principale source de satisfaction. Le narcissisme est considéré comme favorisant un développement pathologique de l’Ego, et caractérisé par une régression vers le stade oral auquel les sujets semblent rester attachés. Glover (123) fait référence à un modèle dynamique d’auto-adaptation aux conflits, centré sur la régression, alors que Rado 295 formule le nouveau concept de pharmacothymie.
Glover reconnaît que la dépendance à l’alcool est au cœur d’une dynamique régressive dans laquelle les sujets cherchent à se réfugier dans un monde imaginaire. La voie vers la dégradation psychosociale débute avec une frustration, si bien que le recours à l’Ego est la source la plus simple de satisfaction. La persistance de la consommation d’alcool contribue à attacher les sujets à cette méthode narcissique d’évasion. Un cercle vicieux allant de l’auto-punition par la consommation d’alcool à la réponse négative de l’entourage conduit à un nouveau comportement d’autopréjudice et donc à un nouvel épisode de consommation d’alcool.
Rado pensait que la dépendance aux substances psychoactives était un trouble spécifique et l’a baptisé « pharmacothymie » ; un point important de la pharmacothymie est ce qu’il appelle la « tolérance à l’euphorie ». La pathogénie de la pharmacothymie débute au moment où les substances psychoactives sont utilisées pour contrôler certains malaises psychiques sous-jacents de type dépressif (anti-euphoriques). Dans l’étape suivante, un cercle vicieux s’établit, au cours duquel un rétrocontrôle négatif de l’environnement conduit à nouveau à la prise de substances. Pour ce qui concerne la nature de la pharmacothymie, Rado convient que le narcissisme en est un élément fondamental .
Tiebout a revu plus tard le concept de pharmacothymie en utilisant une approche descriptive différente (365). Il se concentre sur ce qu’il a appelé « la barrière », un instrument de défense inconscient contre le malaise psychique, la sensation de vide, la vulnérabilité et l’anxiété-panique. Chez les sujets non dépendants à l’alcool, les barrières sont incomplètes et souples alors que chez les dépendants à l’alcool potentiels, elles sont plus fermes en raison de troubles psychiques sous-jacents et elles sont sources de malaise (en rapport avec une autoprotection insuffisante). La consommation d’alcool génère des sentiments de force, d’accomplissement, de vitalité en remplaçant l’anxiété et l’impuissance.
L’alcool devient alors un moyen de défier les barrières et témoigne d’un malaise souterrain en accord avec la théorie de Rado. Au plan thérapeutique, c’est seulement quand les barrières ont été neutralisées que l’usage de l’alcool peut être considéré comme nocif. C’est au thérapeute de guider le patient vers la neutralisation des barrières par la reconnaissance de leur rôle défensif et du malaise sous-jacent, ainsi que du rôle secondaire de la consommation d’alcool. Plus tard, Krystal et Raskin ont prétendu que les sujets dépendants n’étaient pas capables de se prendre en charge et de contrôler leurs sentiments envers eux-mêmes et les autres, en raison de structures défensives importantes et rigides qui s’expriment par des comportements comme le déni et le détachement (195).
Au même moment, d’autres auteurs défendent l’idée que le narcissisme et les autres troubles psychiques sont des causes d’anxiété au moment du passage à l’âge adulte (54,115).
Contrairement à la théorie précédente, la priorité est donnée à l’Ego plutôt qu’à l’objet de la dépendance (Ego-psychology vs. Id-psychology). De plus, l’attention des chercheurs se déplace des concepts de conduite et de conflit vers un concept plus large et plus complexe, celui de la structure de l’Ego, du contrôle des affects, du comportement et des relations avec le monde extérieur. La suggestion que l’abus de substances provient de la psychopathologie sous-jacente a été confirmée par Wurmser et Khantzian durant l’ère d’épidémie d’addiction qui a débuté dans les années 1970 (169,402). Parallèlement aux théories de Glover et Rado sur la dépendance à l’alcool, Wurmser considère la dépendance en général comme une sorte de trouble narcissique.
La dépendance se développe en plusieurs étapes, débutant par des échecs relationnels qui évoluent vers une conduite de sur-affectivité en réponse à une sensation de vide. La recherche de satisfaction se tourne alors vers l’Ego et l’usage de substances psychoactives est un des moyens permettant d’accomplir la régression affective. En accord avec ce qu’avait déjà proposé Tiebout, l’utilisation de la substance, d’après Wurmser, doit être interprétée comme une dynamique régressive. La nouveauté concernant la dépendance, proposée par Wurmser et Khantzian est que les substances psychoactives doivent être considérées comme des outils pour progresser c’est-à-dire pour s’opposer à la régression. En d’autres termes, les substances psychoactives compensent le malaise psychique qui a conduit à la régression.
Khantzian a par la suite formulé convenablement l’hypothèse d’automédication, partiellement avancée auparavant par Kohut (181). Khantzian met en avant le rôle compensateur de l’usage de substances. La dépendance est considérée comme étant due à une insuffisance d’attention envers soi-même et l’abus compense les déficits structurels de personnalité. En termes psychodynamiques, de tels déficits de personnalité sont considérés comme provenant d’un trouble narcissique dans les relations avec les autres.
Khantzian souligne l’importance des récidives dans l’interprétation de la pathogénie de la dépendance et ultérieurement dans la définition de l’objectif thérapeutique. En réalité, aussi longtemps qu’une thérapeutique peut être conduite en cohérence avec la nature des troubles à traiter, le but du traitement de la dépendance devrait être de s’opposer à la récidive de consommation de substances, ce qui est une caractéristique différente de la dépendance elle-même (170). Une des conséquences de l’hypothèse de l’automédication de Khantzian est le concept d’auto-sélection (comme Wieder et Kaplan l’ont en réalité anticipé en l’appelant « phénomène du choix de la substance » et Milkmann et Frosch qui ont utilisé l’appellation d’« abus préférentiel »). En termes de psychodynamie, on peut dire que le choix de la substance reflète une préférence dans le mode d’auto-défense (162,246,385).
A.5.b. Au-delà de la psychodynamie
Dans les années 1970, les théories psychanalytiques ont été revues à la lumière du développement de la connaissance sur la pharmacologie des substances psychoactives. Les auteurs de cette période posaient l’hypothèse selon laquelle la dépendance résultait d’une combinaison entre les troubles affectifs liés à l’environnement, le déficit de personnalité et la puissance addictive de certaines substances. D’un autre côté, les comportementalistes mettaient en avant une interprétation sur la dépendance à l’alcool, différente mais non contradictoire : la consommation de substances est le résultat de l’incapacité à affronter des situations embarrassantes.
L’issue thérapeutique pour rompre le cercle vicieux de la dépendance est d’apprendre aux individus comment appliquer des stratégies adéquates pour faire face. La méthode consiste à simuler une exposition aux stimuli déclenchants qui généralement entraînent une réaction pathologique, ce qui permet aux thérapeutes et aux patients de travailler ensemble pour résoudre le problème. Le patient apprend comment avoir recours à différentes stratégies de prise en charge et le thérapeute l’aide à les mettre en pratique (25).
Les récentes découvertes dans la neurobiologie du renforcement, de la dépendance et de la tolérance ont remis en question la validité de la théorie de l’automédication. Quoiqu’il en soit, Khantzian avait déjà révisé sa théorie en la resituant dans le contexte plus large du modèle psychosocial selon lequel les substances ont un rôle d’instruments d’automédication, seulement jusqu’à un stade ultime où il devient impossible de les gérer. En réalité, les propriétés addictives de certaines substances n’apparaissent pas nécessairement centrées sur une dynamique d’automédication selon laquelle les substances contrebalancent le malaise psychique, ni sur l’obtention d’effets subjectifs agréables. La caractéristique essentielle de la dépendance devrait plutôt être reconnue comme étant son pouvoir de renforcement des comportements appétitifs. Par exemple, l’effet anxiolytique du diazépam chez les sujets anxieux ne veut pas nécessairement dire que le diazépam sera consommé de façon compulsive à des doses de plus en plus fortes.
Si l’hypothèse de l’automédication était correcte, le potentiel thérapeutique des anxiolytiques sur un substrat d’anxiété devrait prédire le développement d’une dépendance aux anxiolytiques. Les sujets qui, dans un protocole en double aveugle, ont la possibilité de choisir entre des doses subliminales de cocaïne ou de placebo, auront tendance à manifester une préférence (en aveugle) pour la cocaïne, bien qu’aucun effet euphorique subjectif ait jamais été rapporté (105). En d’autres termes, la relation entre le fonctionnement psychique et l’action des substances psychoactives n’est pas entièrement liée à des effets subjectifs. Une telle donnée contredit le raisonnement de Khantzian sur l’hypothèse de l’auto-sélection (25,170,372).
A.6. Dépendance et troubles bipolaires
Le groupe d’investigateurs PISA-SIA (Study and Intervention on Dépendances) du département de psychiatrie de l’université de Pise en Italie, a construit au cours des dernières années une théorie, de type « evidence-based », selon laquelle les troubles bipolaires sont un risque de dépendance à l’héroïne et plus généralement de dépendance aux substances psychoactives.
Les troubles psychiatriques associés influencent le début, l’évolution et le pronostic des troubles de la dépendance ainsi que l’observance aux traitements des patients dépendants (237-239,372). En règle générale, 50-60% des patients dépendants peuvent être étiquetés DD (troubles de l’humeur, troubles anxieux, psychoses chroniques, alcoolisme, syndromes agressifs, troubles de la personnalité, troubles à caractères somatiques) 142,276,321.
Le trouble associé le plus fréquemment retrouvé est le trouble de l’humeur. Un héroïnomane sur trois présente un trouble de l’humeur associé (93,200,304,324,332,352,383,386). Sur le versant de l’exaltation, les syndromes maniaques sont plutôt rares alors que l’hypomanie apparaît comme épisode dans 0,9% des cas, et comme diagnostic de trouble à vie dans 7% des cas (251,252,320)
On peut se demander si la dépendance aux opiacés peut être considérée comme une pratique perverse d’automédication. Les opiacés ne semblent pas induire de dépression ; à l’inverse, ils calment les sentiments dépressifs. Si cela s’avère exact, l’héroïne n’est pas consommée pour produire une sensation d’euphorie mais pour combattre la dysphorie. Avec le temps, la pratique de l’automédication va ressembler à l’état diabétique au cours duquel les patients ont des compulsions pour les aliments sucrés : de la même façon que les diabétiques qui surconsomment risquent le coma métabolique, les sujets dépendants perdent le contrôle de leur comportement quand la dépendance s’installe.
Comme mentionné plus haut, les investigateurs de l’étude PISA-SIA avancent un point de vue différent : les sujets qui sont le plus enclins à avoir des comportements à risque sont ceux qui ont le plus de chance de devenir dépendants. Chez les sujets avec des conduites à risque, il existe en général un tableau de troubles bipolaires.
L’évaluation des données collectées de 1993 à 2001, lors de l’étude PISA-Programme de Maintenance par la Méthadone, montre que la moitié des patients traités présentaient un trouble psychiatrique associé. Les formes les plus courantes étaient les troubles bipolaires I (55,6%), les troubles unipolaires dépressifs (13,4%) et les troubles psychotiques (11,2%). 20% de l’ensemble des sujets présentaient une dépendance à l’alcool ou aux benzodiazépines.
Ces deux dernières dépendances constituent un signe de DD, car elles sont considérées comme s’étant développées sur un terrain de troubles psychiatriques non traités ou mal traités (troubles bipolaires ou troubles de panique). La grande prévalence des troubles bipolaires peut être expliquée par le fait que la majorité des patients se trouvaient dans un contexte de soins psychiatriques (224). Il a été prouvé par ailleurs que les sujets présentant un trouble bipolaire appartenaient à une catégorie à risque important pour l’abus de substances (41,144,251,391).
Dans nos résultats, 28% des sujets bipolaires, 33% des psychotiques, et 11% des sujets anxieux avaient également un ou deux autres troubles psychiatriques (Figure 2). Entre 1988 et 1993, d’autres patients ont été inclus dans un programme de maintenance par la naltrexone et 65% d’entre eux ne présentaient aucun symptôme psychiatrique. Les troubles les plus fréquents étaient les troubles bipolaires (51,8%) et des épisodes uniques de dépression majeure (26,9%). La dépression majeure unipolaire et récidivante était rare et dans tous les cas, il s’agissait de troubles instables évoluant souvent dans le temps vers des troubles bipolaires II (214) (Figure 3).
Ainsi, le type de traitement dans lequel les sujets peuvent être inclus apparaît refléter la sévérité de la maladie addictive. Les patients avec des troubles bipolaires I présentent en général des troubles addictifs si sévères associés à des troubles de l’humeur, qu’ils ne peuvent recevoir qu’un traitement par la méthadone.
A l’inverse, les patients avec des troubles bipolaires II sont moins sévèrement atteints en ce qui concerne la dépendance et les troubles de l’humeur. C’est pourquoi ils peuvent recevoir avec succès un traitement par la naltrexone, qui, en règle générale, convient aux sujets qui ne sont pas sévèrement dépendants et principalement à ceux qui ne manifestent qu’un craving de faible intensité (231,301,342). A la lumière de ces résultats, nous concluons que la dépression majeure unipolaire récidivante n’est probablement pas le diagnostic le plus fréquemment posé chez les héroïnomanes. Il en résulte que la dépendance à l’héroïne ne peut plus être considérée comme une pratique perverse d’automédication. Il pourrait y avoir un lien entre les troubles bipolaires et la dépendance : les troubles bipolaires peuvent être considérés comme un facteur de risque pour l’abus de substances. En réalité, les sujets avec des troubles bipolaires tombent dans la délinquance, la promiscuité sexuelle et les comportements impulsifs. Ces sujets sont par conséquent les plus susceptibles de rechercher les drogues dures.
Ainsi, le type de traitement dans lequel les sujets peuvent être inclus apparaît refléter la sévérité de la maladie addictive. Les patients avec des troubles bipolaires I présentent en général des troubles addictifs si sévères associés à des troubles de l’humeur, qu’ils ne peuvent recevoir qu’un traitement par la méthadone.
A l’inverse, les patients avec des troubles bipolaires II sont moins sévèrement atteints en ce qui concerne la dépendance et les troubles de l’humeur. C’est pourquoi ils peuvent recevoir avec succès un traitement par la naltrexone, qui, en règle générale, convient aux sujets qui ne sont pas sévèrement dépendants et principalement à ceux qui ne manifestent qu’un craving de faible intensité (231,301,342). A la lumière de ces résultats, nous concluons que la dépression majeure unipolaire récidivante n’est probablement pas le diagnostic le plus fréquemment posé chez les héroïnomanes. Il en résulte que la dépendance à l’héroïne ne peut plus être considérée comme une pratique perverse d’automédication.
Il pourrait y avoir un lien entre les troubles bipolaires et la dépendance : les troubles bipolaires peuvent être considérés comme un facteur de risque pour l’abus de substances. En réalité, les sujets avec des troubles bipolaires tombent dans la délinquance, la promiscuité sexuelle et les comportements impulsifs. Ces sujets sont par conséquent les plus susceptibles de rechercher les drogues dures.
Figure 2. Troubles psychiatriques associés chez les patients dépendants à l’héroïne, PISA Methadone Programme (1993-2001)
Dans cette optique, la prédisposition à l’abus de substances se retrouve dans l’ensemble du spectre des troubles bipolaires. En réalité, l’abus de substances se retrouve non seulement chez les sujets avec des troubles bipolaires axe I mais aussi chez des sujets dont le tempérament affectif lui-même est un facteur de risque de développer des troubles bipolaires graves.
En fin de compte, des risques élevés émergent aussi dans la catégorie B des troubles de la personnalité qui sont caractérisés par une large symptomatologie et par un chevauchement avec les signes clinique des syndromes bipolaires. Finalement, d’après la même hypothèse, les traits de personnalité qui ont été régulièrement considérés comme des troubles bipolaires tels que la recherche de nouveauté décrite par Cloninger, devraient aussi indiquer une probabilité plus importante de survenue de problèmes liés à l’usage de substances.
La propension à consommer des substances doit être interprétée comme aussi aspécifique qu’un comportement à risque, et ceci est aussi vrai pour ceux qui consomment diverses autres catégories de substances psychoactives comme les cannabinoïdes ou les stimulants.
Figure 3. Troubles de l’humeur chez les patients dépendants à l’héroïne. PISA Naltrexone Programme (1988-1993)
Certains héroïnomanes qui ne présentent aucun trouble majeur de l’humeur peuvent être considérés comme ayant un tempérament affectif. En comparant à l’aide de l’échelle TEMPS-A (une échelle d’auto-évaluation du tempérament émotionnel, définie par Akiskal et Mallya (8)) des sujets dépendants à l’héroïne et des sujets témoins évoluant dans le même environnement, il a été trouvé que le profil cyclothymique était prédominant chez les héroïnomanes. Les dépendants avaient un score moyen de 8/17 (47,05%) sur l’échelle cyclothymique (vs. 6/17, 35,29%) 214. En d’autres termes, les sujets dépendants à l’héroïne présentaient plus un profil cyclothymique que les sujets témoins (Figure 4). Parmi ces sujets, les tempéraments cyclothymiques et irritables étaient les plus fréquemment prédominants 271.
Un tempérament hyperthymique dominant signifie une plus forte probabilité d’abus d’alcool que chez les dominants dépressifs, cyclothymiques ou de tempérament irritable (la dominance du tempérament dépend de la synthèse des scores de différentes échelles, si bien qu’un sujet qui a la plus grande différence avec la moyenne de l’échantillon est considéré comme dominant) ; quand on prend en compte uniquement les tempéraments émotionnels extrêmes qui sont classés juste en dessous des principaux états émotionnels en termes d’importance des symptômes, la seule différence qui apparaît est au niveau de l’échelle d’irritabilité. Un tempérament extrême est enregistré quand le score des sujets est au-dessus d’un seuil correspondant à +2 déviations standard par rapport à la moyenne du score de la population générale.
Figure 4. Comparison between 36 heroin addicts ant 44 controls recruited from the same environnement, along the TEMPS-A (a self-evaluation ratiing scale affective temperaments by Akiskal & Mallya) (from Pacini, 2000).
Dans une importante cohorte de 1010 sujets avec des troubles psychiatriques, il a été trouvé au moyen d’une évaluation par l’échelle TEMPS-A de Akiskal et Mallya et d’un questionnaire sur les habitudes de consommation de substances, que les tempéraments hyperthymiques et irritables étaient des facteurs de risque. Plus le score est élevé sur l’échelle d’hyperthymie, plus le risque d’abus d’alcool est important.
Le même lien a également été observé avec les cannabinoïdes (218). Des patients psychotiques chroniques, dépendants ou non au cannabis, ont été comparés en termes de caractéristiques cliniques et de sous-groupes de diagnostic (tempérament émotionnel vs. tempérament de type schizophrène). La consommation de cannabis était identifiée en termes de consommation passée ou consommation actuelle (passé et présent). Les consommateurs de cannabis présentaient une moindre labilité émotionnelle et un niveau de violence plus élevé, et ils appartenaient le plus souvent à la catégorie émotionnelle. Le diagnostic le plus fréquent chez les consommateurs de cannabis était le trouble bipolaire I, la phase présente étant maniaque, dépressive ou mixte. Conformément à ce qui a déjà été dit pour l’abus d’héroïne, l’usage de cannabis est plus probable chez les patients bipolaires que chez les schizophrènes.
De plus, les troubles bipolaires sont plus fréquemment diagnostiqués chez les patients ayant des antécédents de consommation de cannabis. Les patients bipolaires ont tendance à maintenir leur consommation même en présence d’un épisode psychotique aigu (Figure 5).
Figure 5
A. 111 in-patients with psychotic episode. Diagnostic cluster in cannabis abuse.
B. Diagnostic cluster in 66 cannabis abusers impatients with psychotic episode who stopped or are continuing abuse after psychotis.
L’abus d’alcool est connu depuis longtemps pour être une forme de compliance aux phobies sociales. Il a été noté, en fait, que les sujets présentant des phobies sociales et abusant d’alcool étaient différents de ceux ne consommant pas d’alcool en termes d’antécédents familiaux et de troubles bipolaires II. Ceci confirme encore le lien entre les troubles bipolaires et l’abus de substances (281).
Il existe aussi une très grande propension à la conduite à risque chez les patients dépendants. Les dépendants bipolaires semblent avoir, plus que les sujets dépendants ordinaires, un risque important de contracter des infections à VIH. Historiquement, les hommes homosexuels et les sujets qui s’injectaient des substances étaient les sujets présentant le plus de risque d’avoir des infections, mais les hétérosexuels présentent aussi des risques importants. Des sujets VIH-positifs avec un antécédent de dépression ont été comparés à des sujets VIH-négatifs afin de tenter d’identifier la présence de troubles bipolaires. Des antécédents familiaux d’alcoolisme ou d’autres sortes d’abus sont plus fréquents chez les patients VIH-positifs, de même qu’un contexte de troubles bipolaires II chroniques (78%) pouvant être associés à un tempérament cyclothymique (52%) ou hyperthymique (35%).
Aucune autre différence n’a été trouvée en termes cliniques, comme l’origine de l’infection (injection, homosexualité, autre). Ces données suggèrent que les caractéristiques prémorbides d’hyperthymie et de cyclothymie peuvent rendre ces sujets à risque de comportements dangereux (échange d’aiguilles, prostitution), comportements spécifiquement en rapport avec les infections à VIH (280).
Sur la base de ces données qui n’ont pas été contredites à cette date, on peut avancer l’hypothèse que les troubles bipolaires sont un facteur de risque pour les conduites dangereuses. Les profils de tempérament qu’ils soient de type dominant ou extrême, représentent des facteurs de risque pour la consommation de substances dans des populations non cliniques. En termes cliniques, les troubles bipolaires de types I et II sont les conditions les plus fréquentes de DD parmi les sujets dépendants à l’héroïne et les psychotiques chroniques consommateurs de cannabis. La différence entre les héroïnomanes et les sujets témoins réside dans les dimensions de la bipolarité du tempérament. Une autre hypothèse est que sur un plan génétique, les troubles bipolaires, les attitudes antisociales et l’abus de substances dérivent tous du même substrat.
A.7. Traitement des troubles de la personnalité au cours du traitement de maintenance par la méthadone
Treece et Nicholson ont confirmé que certains traits de personnalité nécessitent de fortes doses de méthadone au cours de la phase de stabilisation, alors que d’autres sujets ont besoin de doses plus faibles. Les sujets traités par la méthadone ainsi que les « dépendants de la rue » (« street-addicts » en anglais) sont classés en trois groupes en fonction de leur catégorie de troubles de la personnalité, plus un quatrième groupe pour les dépendants sans troubles de la personnalité. Les street-addicts étaient recrutés par le biais d’un journal de petites annonces.
La catégorie A, regroupant les personnalités schizoïdes, schizotypiques et paranoïaques, est caractérisée par la solitude, l’isolement et la singularité. La catégorie B comprend des personnalités limites, narcissiques, histrioniques et anti-sociales qui sont considérées comme ayant un comportement théâtral, hyper-émotif et excentrique. Les personnalités antisociales représentent 75% des sujets. Le groupe C, en fait, ne comprenait que deux sujets. Les posologies de méthadone étaient plus importantes dans les catégories A et B que dans le groupe non pathologique (368).
Le cas suivant est un exemple de DD de troubles de la personnalité et de dépendance à l’héroïne : homme de race blanche, âgé de 29 ans, d’origine sociale moyenne, qui souffrait de dépression chronique et d’un trouble de la personnalité de type schizotypique et traité par 100 mg par jour de méthadone. A l’âge de 18 ans il avait manifesté un comportement antisocial avec repli et troubles dépressifs. Il avait essayé pour la première fois des opiacés durant son service militaire. Il consommait de la marijuana, des hallucinogènes, des amphétamines, et occasionnellement des barbituriques mais à fortes doses. Son usage d’héroïne devint rapidement important et régulier. Il avait commencé un programme de maintenance à 23 ans et avait échoué quatre fois dans ses tentatives de désintoxication, tout en continuant à abuser d’alcool et d’anxiolytiques, même après 14 mois de traitement, tout en présentant une faible estime de soi, des émotions émoussées, un discours stéréotypé, un raisonnement inconsistant, une pensée incohérente, lente, répétitive et mensongère (368).
Les investigateurs de l’étude PISA-SIA ont confirmé que la posologie de méthadone variait en fonction de l’état psychiatrique et de l’agressivité à l’instauration du traitement (225). En utilisant les scores de l’échelle SCL-90, un échantillon de 20 sujets a été réparti en deux groupes en fonction de l’atteinte psychiatrique (atteinte psychopathologique sévère vs. atteinte psychopathologique légère). Tous les sujets étaient abstinents de toute substance depuis une longue période et avaient atteint un niveau satisfaisant de réhabilitation psychosociale, après une durée de traitement variable (1-96 mois). La posologie de la phase de stabilisation se situait entre 7 et 80 mg avec une moyenne de 39 ± 23 mg par jour. Une forte atteinte psychiatrique correspondait à une posologie importante soit en moyenne 60 mg par jour, contre 30 mg par jour dans le groupe présentant une atteinte plus faible. De la même façon, une agressivité marquée correspondait à des posologies d’entretien plus importantes, en moyenne 50 mg par jour contre 30 mg par jour pour les sujets modérément agressifs. Ni les caractéristiques psychiatriques, ni l’agressivité ne semblaient liées à la durée du traitement.
Les symptômes sensibles à la méthadone comprenaient la dépression, les troubles phobiques, la paranoïa, les troubles somatiques et psychotiques, ces deux derniers montrant les plus fortes corrélations. Concernant l’agressivité, la posologie de méthadone semblait être en rapport avec l’extinction des signes d’agressivité, d’irritabilité et de violence, ces deux derniers étant plus fortement corrélés. En conclusion, plus les signes psychiatriques et l’agressivité sont importants à l’instauration du traitement, plus ils nécessitent une posologie de méthadone élevée pour la phase de stabilisation.
Conclusions
La controverse subsiste sur le fait que la personnalité puisse être définie sur la seule base d’un penchant pour la dépendance aux substances psychoactives, c’est à dire d’une personnalité « toxicophile ». Les résultats obtenus jusqu’à présent ne permettent pas de soutenir l’hypothèse initiale de Felix selon laquelle la dépendance aux substances psychoactives est en soi un trouble spécifique de la personnalité. De nombreuses études ont été réalisées sur divers groupes de sujets dépendants pour tenter de déterminer quel type de personnalité avait favorisé le développement d’abus de substances.
La personnalité des sujets dépendants a été évaluée en termes de traits de personnalité (102,242). L’analyse des traits de personnalité des sujets potentiellement dépendants à l’alcool ou aux opiacés ne permet pas de dégager des traits distinctifs de personnalité ni même de terrain qui permettrait d’identifier des conditions pour l’abus ultérieur de substances psychoactives (70,71,242,371,372). Cependant, certains troubles de personnalité définis par la version 3, la version 3 révisée et la version 4 du DSM ont tendance à être des caractéristiques présentes chez les sujets dépendants. De tels troubles de la personnalité présentent les mêmes caractéristiques ou symptomatologies que la tendance qui se dégage en utilisant le questionnaire MMPI.
Nous suggérons que les caractéristiques de la personnalité et de la dépendance doivent être envisagées séparément pour chacune des phases de la dépendance : premiers contacts avec les substances, persistance de l’usage, dépendance établie. Il est nécessaire de distinguer les traits de personnalité qui conduisent à la consommation de ceux qui favorisent la persistance de la consommation et éventuellement de ceux qui conduisent à la dépendance.
De plus, la relation entre la personnalité et la consommation de substances doit être envisagée en fonction de la catégorie de substances utilisées. En fait, malgré l’importance et le rôle majeur que représente le potentiel addictif de chaque substance, il est peu probable que les différents effets subjectifs n’interagissent pas avec les différents substrats de personnalité.