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D. Aspects cliniques et thérapeutiques des troubles psychotiques chez les patients dépendants
Les hypothèses antérieures 27 sur l’existence d’une relation de causalité entre apparition de symptômes psychotiques et consommation chronique de morphiniques n’ont pas été confirmées par des études plus récentes (182,283). Les données sur les comorbidités liées à la consommation de substances psychoactives confirment la faible probabilité d’un diagnostic de spectre schizophrénique chez les héroïnomanes sous méthadone.
Dans la Yale Study, seuls 3,4% des patients ont été diagnostiqués comme étant affectés de schizophrénie, dont 0,2% étaient de vrais schizophrènes et 3,2% étaient atteints de troubles de type schizo-affectifs, mettant ainsi en doute la fiabilité des taux de prévalence (317) précédemment rapportés et qui s’échelonnent entre 11 et 19% (59,115). En outre, des études importantes (19,261,307,346) recherchant la prévalence des troubles liés à l’utilisation de substances dans des populations de schizophrènes ont fait état d’utilisation d’héroïne chez 2 à 6,9% des sujets, taux inférieur à la prévalence dans la population générale des Etats-Unis, estimée à 9% dans les toutes dernières études du NIDA (265).Par ailleurs, il a été rapporté une plus grande prévalence d’abus d’amphétamines et de substances hallucinogènes chez les schizophrènes que dans la population générale : 25% contre 15% et 20% contre 15% respectivement (19,329).
Certains auteurs (329,346) suggèrent que les patients schizophrènes consomment d’euxmêmes des substances dopaminergiques, puisque ceux-ci sont susceptibles d’atténuer les symptômes déficitaires (la dépression spontanée ou iatrogène et les effets secondaires extrapyramidaux des neuroleptiques). L’effet antagoniste dopaminergique des psychostimulants peut conduire à la poursuite de la consommation de substances étant donné la nécessité de maintenir un niveau de stimulation dopaminergique suffisant. Ce mécanisme ressemble au stress dopaminergique induit par la cocaïne, à travers lequel une hypofonction dopaminergique perpétue la tendance au recours à la cocaïne.
Cependant, il est peu probable que les patients dont le tableau clinique consiste principalement en symptômes déficitaires possèdent l’énergie et l’excitation psychomotrice nécessaires à rechercher des substances psychoactives ou à en en consommer (91). Il a également été suggéré que, grâce à ses propriétés antipaniques antipsychotiques et antianxiogènes, courantes pour les opiacés naturels, la méthadone pourrait être efficace pour stabiliser la prédisposition aux accès psychotiques. Ainsi, la faible fréquence d’accès psychotiques chez les patients traités à la méthadone, prévenue en partie par l’agonisme des opiacés, peut masquer la présence sous jacente de conditions ressemblant à celles de la schizophrénie (30,168,234,261,300,302, 404).
Malgré les avancées dans la connaissance des opiacés et des récepteurs opioïdes, les relations entre les opiacés et les troubles psychotiques sont loin d’être clarifiées. L’utilisation d’antagonistes opiacés dans les troubles psychotiques a été proposée parce que l’on a mis en évidence un niveau plus élevé d’endorphines dans les liquides du système nerveux central des patients schizophrènes, et une tendance à diminuer de niveau au fur et à mesure que le traitement se prolonge. En dépit de cela, l’administration de naloxone aux schizophrènes a conduit à des améliorations significatives dans un sous-groupe de patients seulement. C’est la schizophrénie catatonique qui s’est révélée le type de schizophrénie le plus susceptible de répondre aux antagonistes opiacés, conformément à ce que l’on observe habituellement, à savoir que l’administration de bêta-endorphines induit chez le rat des changements de comportement qui ressemblent à une catatonie, c’est pourquoi on les a appelés « neuroleptiques endogènes » (377).
Certains auteurs estiment que ni les agonistes opiacés ni les antagonistes ne devraient être considérés comme des médicaments antipsychotiques (156) tandis que d’autres auteurs ont démontré l’efficacité antipsychotique des agonistes opiacés (30). On croit généralement que les sujets psychotiques sont attirés par les propriétés antipaniques, antipsychotiques et anti-agressives des opiacés (234,300,302,401).
Généralement, l’hypothèse selon laquelle des neuropeptides seraient directement impliqués dans la physiopathologie des troubles psychotiques (273) est soutenue par des rapports connus de longue date sur les effets antipsychotiques de l’héroïne, et par le fait que le traitement à la méthadone prévient les récidives psychotiques chez les individus qui ont des antécédents d’épisodes psychotiques précédant la phase addictive. Chez les mêmes sujets la diminution graduelle de méthadone ainsi que sa réduction progressive a été suivie de rechutes psychotiques (202, 274). Ces phénomènes cliniques sont cohérents avec l’activité antidopaminergique de la méthadone, comme en témoigne l’augmentation de la prolactine sérique après la prise de la méthadone (125).
La méthadone a été proposée comme traitement dans des cas de schizophrénie qui ont résisté aux traitements conventionnels, et dans des cas de développements précoces de dyskinésies où l’on ne recommande de traitement ni continu ni discontinu avec les mêmes psychotropes (191). Clouet a été un fervent adepte de cette théorie : « la majorité des études neurophysiologiques, neurochimiques et comportementales soutiennent l’hypothèse qu’à la fois les neuroleptiques et les agonistes opiacés sont utiles dans le traitement des troubles psychotiques, puisque ces deux classes de produits entraînent des modifications similaires de l’activité des voies dopaminergiques du système nerveux central » (64).
Quoiqu’il en soit, les ressemblances entre les opiacés et les neuroleptiques sont certainement partielles puisque les opiacés, au contraire des neuroleptiques, peuvent procurer des effets subjectifs de plaisir, alorsque les neuroleptiques ne manifestent aucun effet spécifique et sensible sur l’agressivité. Le recoupement partiel des effets cliniques suggère que les agonistes opiacés et les neuroleptiques ont un mécanisme différent.
Bien que les opiacés ne soient pas considérés comme favorisant l’apparition de troubles psychotiques, et que les utilisateurs d’opiacés ne soient pas particulièrement atteints de troubles psychotiques, les auteurs ont remarqué des ressemblances psychopathologiques entre les dynamiques de pensée des addictifs et celles des psychotiques.
Le patient dépendant ressemble au psychopathe parce que dans les deux cas le Moi combat le Surmoi afin d’amoindrir son contrôle ; on reconnaît là une analogie avec une structure mentale psychotique parce qu’ils ont la même attitude hostile envers le monde extérieur. D’après Wurmser (404) « dans l’utilisation compulsive de substances psychoactives, le Moi lutte pour rejeter non seulement les valeurs, l’autoritié et la responsabilité (c.a.d le Surmoi) mais également les lignes tracées entre les objets, les limites de temps, la dichotomie externe-interne, la définition des limites entre réalités et conceptions sociales ». Les maladies addictives provoquent une sorte d’agressivité contre les bases syllogistiques de la pensée rationnelle qui s’apparente à celle de la psychose. En comparant l’addiction et la psychose, Wurmser conclut que la seule différence qui ressort, mis à part l’attitude différente du Surmoi, est d’ordre quantitatif.
D.1. Stimulants, cannabinoïdes, agents hallucinogènes et troubles psychotiques
Un point de vue différent existe concernant les autres substances non-thérapeutiques. La mescaline, la psylocibine et le LSD sont simplement des psychomimétiques et des hallucinogènes : ils peuvent révéler des syndromes psychopathologiques qui montrent les mêmes caractéristiques que ceux des troubles psychotiques spontanés. Les amphétamines et la cocaïne, et, dans une moindre mesure, les cannabinoïdes peuvent produire un mode de raisonnement ou des altérations sensorielles qui peuvent atteindre le même degré de sévérité que des états psychotiques déclarés (24,67,121,137,140,164,350,361). Ces effets sont tout a fait cohérents avec l’action spécifique de ces substances sur le système dopaminergique, qui est hyperactivé dans le cerveau des schizophrènes aigus.
La psychose aiguë induite par la substance ne dure en général pas longtemps. Il est cependant fréquent de remarquer la persistance de troubles psychotiques avec un pronostic proche de celui de la schizophrénie. Différentes interprétations de tels tableaux cliniques sont plausibles. Elles peuvent s’appliquer à des individus qui abusent de substances psychoactives en conséquence d’états psychopathologiques antérieurs, ou encore à des individus prédisposés qui sont atteints d’un vrai trouble dû à un effet excitant non spécifique des substances – un effet pouvant aussi se déclarer après des événements éprouvants ; enfin la substance pourrait être directement et spécifiquement responsable d’un début de tableau psychotique dans des populations à faible risque.
D.2. Consommation de substances chez les patients psychotiques
On observe chez les patients psychotiques un écart important de prévalence d’abus de substances, entre 10% et 70% 88,258; mais il apparaît que 47% des schizophrènes, en moyenne, manifestent en permanence des troubles liés à l’alcool ou à des substances, ce qui signifie un risque relatif 4,6 fois plus grand que celui de la population générale (297) au sein de laquelle on observe 16% de troubles liés à la substance (46,89,297). Plus de 70% des schizophrènes sont de grands fumeurs de cigarettes (46,94). On peut prévoir un plus grand risque de dépendance 88 chez les jeunes, de sexe masculin, d’un niveau d’éducation faible (258) et avec un antécédent familial d’usage de substances (88).
Les patients schizophrènes qui ont des antécédents d’abus de substances ont un début de la maladie plus précoce, un meilleur fonctionnement global prémorbide et une meilleure adaptation, un plus grand nombre de symptômes positifs, une demande fréquente d’intervention médicale pour intoxication ou symptômes psychiatriques, une période asymptomatique plus courte et une moins bonne réponse aux médicaments antipsychotiques classiques (88,161). Près de 50% des sujets hospitalisés n’ayant pas répondu aux traitements classiques, montrent une utilisation simultanée de substances psychoactives (406).
D’autre part, c’est aux dépendants souffrant de maladies mentales auxquels l’on propose le plus souvent des possibilités de traitements (400,406). En ce qui concerne la fréquence de complications et d’adaptation psychosociale, les schizophrènes qui consomment des substances respectent moins les programmes de traitement, montrent un plus grand risque de complications médicales (y compris des problèmes liés au VIH) et une plus grande fréquence de suicides (161,261).
L’influence destructrice des substances est significative pour ces patients, parce que l’on observe une baisse notable de fonctionnement social, et une augmentation de leur niveau de pauvreté, d’errance et de perte de domicile fixe, de violence et d’inadaptation familiale (261). Cependant, quand la prise en charge réussit à contrôler l’usage de stupéfiants, la maladie des schizophrènes dépendants suit un cours plus satisfaisant que celle des schizophrènes non dépendants (193).
De nombreuses hypothèses ont été émises pour expliquer la relation entre l’abus de substances et la schizophrénie. Des dépendants non psychotiques pourraient devenir schizophrènes du fait de l’action toxique des psychotropes utilisés sur le fonctionnement du cerveau. Cette hypothèse est confirmée par une plus grande incidence de la schizophrénie chez les dépendants non psychotiques que dans la population générale (193). Selon une autre théorie, les schizophrènes auraient recours aux substances psychoactives à cause de leur état, ou de leur exposition aux neuroleptiques, pour lutter contre une symptomatologie déficitaire liée à leur maladie ou à leur traitement (38,163,170,207).
Il est possible d’autre part qu’un taux élevé d’usage de substances soit une conséquence des troubles cognitifs de la schizophrénie, qui consistent en une incapacité à anticiper les conséquences de ses propres choix 63. Ce modèle interprétatif ne correspond pas au fait que les psychotiques chroniques qui prennent de la substance psychoactive aient un meilleur fonctionnement psychosocial ou que l’observation de leur implication dans leur conduite de recherche de sensations indique une absence de déficience cognitive majeure (88,369).
Des troubles associés de l’anxiété et de l’humeur sont fréquents chez les schizophrènes et les traitements antidépresseurs sont efficaces (69,347). Les patients schizophrènes sont poussés par la dysphorie, élément moteur majeur mais pas unique, à la consommation de substances.
On ne peut pas toujours justifier l’usage de substances chez les schizophrènes par la dysphorie : certains auteurs ont prouvé que le nombre de symptômes dépressifs influence faiblement le taux de risque d’alcoolisme, d’abus de cannabinoïdes ou de polytoxicomanie (39,348). Inversement, d’autres auteurs ont étroitement associé troubles dépressifs et troubles anxieux.
Chez les dépendants, la dépression peut se développer pendant une période d’intoxication ou elle peut simplement être une réaction à un sevrage. Cependant, il est fréquent de noter que la dépression chez les patients schizophrènes, quand elle réagit aux antidépresseurs, entraîne une abstinence d’alcool (69). Les médicaments de l’humeur dysphorique peuvent être aussi utiles au traitement des patients schizophrènes dépendants qu’ils le sont chez les patients non psychotiques consommant de la cocaïne et du cannabis 347.
D’autres agents comme les benzodiazépines, une forte dose de glycine et des anticonvulsivants peuvent aussi être utiles pour traiter l’anxiété associée chez les schizophrènes. Cependant, il faut toujours tenir compte de leur potentiel intrinsèque d’addiction lorsque l’on donne des benzodiazépines à des patients DD. Des antipsychotiques nouveaux peuvent contribuer à réduire la dysphorie chez les patients DD. Des études sur l’olanzapine, la rispéridone, la quétiapine et la clozapine suggèrent un effet anxiolytique significatif (49,345).
Les schizophrènes dépendants n’ont pas de substance psychoactive préférentielle et leur façon de choisir parmi les substances disponibles est la même que dans la population générale (88,329). En d’autres termes, il n’y aura probablement aucune relation spécifique entre la symptomatologie schizophrénique et le choix des substances addictives; mais ce choix tend a refléter le taux de consommation de cette substance dans l’environnement du sujet. L’abus d’au moins une substance est tout à fait probable (trois fois plus probable pour l’alcool que pour les autres substances), et moins la substance est addictive dans la population générale, plus il est probable qu’elle produise une addiction chez les psychotiques chroniques (le risque relatif est 6 fois plus élevé que dans la population générale pour les psychostimulants et les substances hallucinogènes). Quand une substance devient moins consommée dans la population et chez les psychotiques, c’est qu’elle est moins disponible sur le marché.
En général, les psychoses chroniques favorisent l’apparition d’addiction à différents types de psychotropes sans sélection particulière, rendant ainsi certaines substances, habituellement moins addictives, aussi addictives que d’autres substances pour ces psychotiques. La schizophrénie ne diffère pas des autres maladies psychiatriques en ce qui concerne la typologie des substances consommées, ou la qualité des effets expérimentés, positifs ou négatifs (89,259,260). Si l’on considère l’appréciation subjective qui pousse à l’utilisation de substances, des études portant sur le motif donné par les patients pour lequel ils ont recours aux substances, ne présente aucune singularité : les schizophrènes utilisent des substances pour les mêmes raisons que les autres sujets, c’est à dire pour « planer » ou pour éviter « d’être déprimé », pour se « sentir mieux », « se faire plaisir » et pour « atténuer la dépression » (90).
La polyconsommation est le modèle d’utilisation le plus fréquent chez schizophrènes dépendants. L’alcool est le plus consommé (37%) ; il est également fréquent de poser un diagnostic de troubles lié à un alcoolisme chronique (22 à 47%). En seconde position viennent les cannabinoïdes (23%) suivis des stimulants et des agents hallucinogènes (13%) (42).
D’autres substances telles que les opiacés ou les hypnotiques-sédatifs sont beaucoup moins courants (94,193). L’étude ECA n’a pas mis en évidence de relations entre typologies des substances psychoactives et diagnostics psychiatriques (297).
D.3. Troubles psychotiques induits par des substances psychoactives
Une analyse d’urine positive à la recherche de substances psychoactives est nécessaire pour poser le diagnostic de syndrome psychotique aigu induit par les substances. Toutefois, considéré seul, aucun critère clinique ne permet d’affirmer un tel diagnostic. Sur la base d’un examen clinique, on ne peut pas non plus établir de relation entre une prise éventuelle de substances et des accès psychotiques. Des comparaisons entre des psychotiques aigus dont les urines sont positives et d’autres dont les urines sont négatives montrent des différences statistiquement significatives, mais elles sont tout à fait insuffisantes pour permettre une conclusion dans le contexte de cas isolés.
Des psychoses aiguës provoquées par des substances sont caractérisées par des hallucinations, irrégulièrement associées à des délires et plus rarement liées à des thèmes délirants. Quant aux typologies, les hallucinations visuelles et les délires de persécution sont prévalents. Les délires sont plus courants dans les psychoses aiguës induites par la cocaïne, tandis que des hallucinations isolées, quelquefois couplées de délires pendant des phases aiguës, sont plus typiques de l’intoxication aux cannabinoïdes ou psychomimétiques. Même avec les substances qui sont le moins susceptibles de provoquer des délires, le type dominant est le délire de persécution.
D.4. Psychose chronique liée au cannabis
La psychose aiguë liée à la consommation de cannabis apparaît par un accès psychotique induit par le cannabis chez des individus qui sont déjà psychotiques. Cette interprétation étiologique exige que les symptômes s’améliorent spontanément lorsque le patient ne prend pas de substance psychoactive (345,374). Si les symptômes psychotiques persistent, lorsque le patient ne prend pas de substances, on soupçonne que la prédisposition à la psychose est le terrain sur lequel les substances psychomimétiques déclenchent la maladie.
Chez des individus qui étaient des consommateurs importants de cannabis avant le déclenchement de leur psychose chronique, on peut émettre l’hypothèse que les substances psychomimétiques sont capables de produire des troubles psychotiques chroniques, influencés par un usage parallèle ou persistant, mais n’en dépendant pas.
Actuellement, nous pouvons définir la psychose chronique liée à la consommation de cannabis comme une sorte de psychose chronique qui est apparue soit parallèlement à une forte consommation de cannabis, et qui persiste, bien que le patient ait cessé d’en consommer (345,350), soit elle peut apparaître chez d’anciens consommateurs de cannabis alors qu’ils ont cessé d’en consommer depuis un certain temps. Avec des symptômes psychotiques qui s’installent en même temps que la consommation de cannabis, aucune relation n’a été établie entre la psychose et les différences de quantités consommées : des accès psychotiques ont été observés au cours de périodes où la consommation était plus importante que d’habitude, moins importante que d’habitude ou constante.
La rémission des symptômes psychotiques en dehors de la consommation de cannabis a sans aucun doute une signification pronostique favorable. Cependant, des troubles psychotiques primaires s’améliorent aussi après arrêt de consommation de cannabis, puisque ces types de troubles, bien qu’ils soient indépendants des substances en ce qui concerne leur pathogénèse, sont probablement aggravés par la consommation de psychomimétiques. Selon des auteurs indiens, jusqu’à 34% de psychotiques qui ont un antécédent de consommation de cannabis peuvent être classés en premier comme utilisateurs de cannabis, et en second comme psychotiques en s’appuyant sur la séquence chronologiques des deux phénomènes (57). En tous cas, il a été observé que l’apparition de psychose chronique était plus probable chez les utilisateurs de cannabis non psychotiques que chez les patients non psychotiques qui ne consomment pas de cannabis.
Le déclenchement de symptômes psychotiques chez certains consommateurs de cannabis seulement, et pas chez d’autres, suggère des différences de prédispositions entre individus. Néanmoins, dans les familles, on observe peu de troubles psychotiques chroniques chez les frères et sœurs des psychotiques utilisateurs de cannabis. En général, on peut considérer que certains psychotiques utilisateurs de cannabis sont devenus psychotiques après avoir pris du cannabis, tandis que chez d’autres, il est plus probable que le cannabis a puissament contribué à provoquer des symptômes psychotiques à cause d’une prédisposition psychotique.
D.5. Caractéristiques des psychoses chroniques et questions de discrimination clinique
La plupart des psychoses liées au cannabis s’améliorent en peu de temps et des rechutes ne sont probables que s’il y a plus tard récidive de prise de substance. D’autre part, un petit sous-groupe de psychotiques aigus consommateurs de cannabis suit une évolution défavorable caractérisée par la chronicité, la récurence d’épisodes aigus et une non réponse aux traitements antipsychotiques. On a remarqué que chez ces patients le cannabis peut augmenter la prédisposition à la psychose à un niveau plus élevé ou à un degré de pertinence plus grand, ou en fait, induire une maladie psychotique en agissant comme un agent étiologique.
Il n’y a pas eu d’accord utile sur un quelconque critère clinique de phase aiguë pour identifier les psychoses chroniques liées au cannabis, et l’on n’a reconnu aucune caractéristique de phase aiguë qui pourrait présager d’une évolution ultérieure. La plupart des études ont seulement décrit les symptômes psychotiques qui semblent être associés à une consommation récente de cannabis, et aucune d’entre elles n’a traité des différences entre les formes aiguës, subaiguës et chroniques. En principe, on ne peut pas s’attendre à des différences évidentes.
Actuellement, on établit donc un diagnostic de psychose liée au cannabis dans des cas de psychoses récidivantes et rémittentes, même quand elles ne sont pas liées au cannabis, s’il y a des preuves qui montrent que l’apparition de la psychose a suivi un épisode de consommation de cannabis. On a distingué certaines caractéristiques comme étant spécifiques à une intoxication au cannabis mais aucune ne s’est révélée utile pour distinguer l’évolution future des cas : rémission brève contre récidive chronique ou type schizophrénique persistant. Les accès psychotiques liés au cannabis se manifestent par un comportement très étrange, un niveau plus élevé d’agressivité et une excitation psychomotrice, une intuition plus forte, une conscience vague, une plus grande anxiété, des hallucinations visuelles distinctes et un affect exalté plutôt qu’émoussé (24,31,50,150,213,309,343,350,361,363,364,374).
D.6. Psychose chronique liée à la cocaïne
La psychose aiguë est décrite chez les utilisateurs chroniques de cocaïne sans troubles antérieurs d’axe 1 après une consommation continue de trois ans. De tels épisodes se résolvent spontanément dès lors que la consommation de cocaïne s’arrête, et qu’elle ne se prolonge pas après la phase « assoupie » qui se manifeste par une dépression psychomotrice et une hypersomnie.
La consommation chronique de cocaïne ou d’amphétamines a aussi été associée à des troubles psychotiques chroniques qui évoluent indépendamment, et révèlent des symptômes psychotiques chroniques sans survenue de déficience cognitive. Le risque de développer une psychose chronique ne varie pas avec le modèle d’utilisation de la cocaïne. Il y a d’autres facteurs qui interviennent comme ceux liés à une personnalité prémorbide (164,291,326,327).
D.7. Traitement des psychoses chez les patients dépendants
D.7.a. Antipsychotiques
On a mesuré les effets d’antipsychotiques typiques et atypiques chez des psychotiques DD. Pour être complète, toute évaluation d’antipsychotiques doit prendre en compte leur retentissement sur les problèmes liées à la substance : d’un côté les substances utilisées peuvent avoir des propriétés psychomimétiques, d’un autre côté, une consommation persistante ou récidivante augure d’une évolution défavorable.
Les antipsychotiques typiques (AT) apportent peu d’aide aux psychotiques dépendants (37,44,88,345,400,406). La consommation de substances est courante chez les schizophrènes traités avec des AT et elle ne montre aucune diminution pendant le traitement ; en fait, on observe pendant le traitement une tendance à l’augmentation de la consommation de substances telles que la nicotine 235,236. Les psychotiques qui sont aussi dépendants réagissent moins favorablement aux AT, probablement à cause des effets psychotiques des substances toxiques utilisées en permanence, ce qui limite l’efficacité de ce traitement.
Lorsque l’utilisation de substance précède un accès psychotique, des médicaments tels que l’halopéridol ou la perfénazine se montrent dans ce cas moins efficaces qu’ils ne l’auraient été dans d’autres conditions.
Puisque les AT et l’abus de substances agissent tous deux sur le système dopaminergique du système nerveux central, on peut émettre l’hypothèse qu’un phénomène particulier puisse intervenir dans la relation entre la pharmacodynamie du produit spécifique et son retentissement sur l’évolution des psychoses, lorsque il y a, en plus, consommation de substance psychoactive (37,345). A des posologies cliniquement efficaces, on a remarque que les AT annulent l’effet de stimulation dopaminergique mésolimbique qui est le substrat connu pour renforcer les effets obtenus par de nombreuses substances tels que la cocaïne. La cocaïne et l’alcool sont les deux substances psychoactives les plus consommées chez les psychotiques.
Plusieurs substances addictives provoquent une augmentation du niveau de l’acide omovanillique, indicateur de l’activité dopaminergique, et stimule la libération de dopamine dans le nucleus accumbens qui est l’extrémité de la voie mésolimbique dopaminergique 243.
Sur cette base, il est possible que l’utilisation de substances inverse l’action de blocage dopaminergique provoqué par les AT. Cela est, d’une part, cohérent avec le rôle de la substance psychoactive qui provoque des récidives; et cela suggère d’autre part, que les psychotiques traités peuvent recourir à des substances pour contrarier la labilité émotionnelle induite par l’antagonisme mésolimbique des AT. Dans un système mésolimbique très tolérant, comme celui des dépendants, qui est plus sensible au manque de stimulation que le système d’individus normaux, l’administration de AT peut provoquer une hypophorie intense et intolérable, suivie d’une d’une hyperactivité comportementale compensatrice vers des sources de récompense.
Pour des individus qui ont déjà appris à obtenir des récompenses en utilisant des substances avant le traitement, recourir à des substances disponibles les assurerait automatiquement d’une compensation. L’effet des AT favorisant l’abus de substances serait directement lié à la puissance antidopaminergique du composant spécifique.
Parallèlement à cela, l’utilisation de désipramine comme appoint à un AT pour les psychotiques cocaïnomanes a prouvé qu’elle diminue l’utilisation de cocaïne, ce qui n’arrive pas avec le même médicament chez les cocaïnomanes non psychotiques. En d’autres termes, les AT semblent augmenter de manière réversible par la désipramine l’utilisation de substances psychoactives ; la désipramine est efficace sur la consommation de substances, dans la mesure où elle inhibe l’antagonisme dopaminergique mésolimbique obtenu par les AT.
La clozapine, qui possède une faible spécificité pour les récepteurs dopaminergiques a montré, comparée aux AT, une faible capacité à réduire la transmission dopaminergique sur les modèles animaux. Sur les modèles animaux, la clozapine, contrairement aux autres antipsychotiques, a montré qu’elle faisait diminuer la consommation de cocaïne lorsqu’une dose fixe est utilisée, et elle fait augmenter les périodes sans cocaïne lorsqu’une dose plus forte est utilisée. Dans le domaine clinique, la clozapine a montré qu’elle a des propriétés anticraving. D’abord, la réactivité des patients psychotiques à la clozapine est indépendante de la consommation parallèle d’autres substances psychoactives, ce qui ce n’est pas le cas avec les AT, et phénomène qui, en règle générale, est moins marqué chez les consommateurs abusifs. Certains auteurs ont même suggéré que les psychotiques dépendants pourraient mieux réagir à la clozapine que les non dépendants (9,45,205).
Chez les schizophrènes DD, le traitement à la clozapine réduit la consommation de nicotine. De fait, après remplacement de l’halopéridol par la clozapine, on a observé une baisse de la consommation de nicotine, tandis que l’halopéridol en avait augmenté la consommation. La réduction de nicotine liée à la clozapine est proportionnelle à la dose administrée (236). Les alcooliques traités à la clozapine ont tendance à être abstinents (50%) au cours de l’année suivant l’hospitalisation. Deux psychotiques alcoolodépendants traités à 500 mg/jour de clozapine sont restés abstinents sur le long terme (107,108).
L’interprétation des effets de la clozapine sur la consommation de substances et d’alcool n’est pas claire : bien que dans certains contextes un effet anticraving primaire semble apparaître, dans d’autres contextes il est possible que l’utilisation de substances tende à diminuer parce que le blocage antidopaminergique n’entraîne pas de besoin d’automédication comme celui qui apparaît avec les AT (170,210). Des schizophrènes utilisateurs de substances font état en fait de « symptomatologie déficitaire », d’anxiété et de troubles de l’humeur dans une moindre mesure, tandis que leur antagonisme par des substances dopaminergiques finit par exacerber les symptômes psychotiques affectant ainsi défavorablement l’évolution de la maladie et altérant l’efficacité des antipsychotiques antidopaminergiques (ex : AT). Un cercle vicieux s’installe, constitué de symptômes négatifs et de traitement par AT, d’utlisation de substances dopaminergiques, de récidives psychotiques puis de potentialisation de traitement par AT afin d’obtenir un spectre de défense antipsychotique plus large.
Chez les patients DD l’hypophorie induite par les AT pourrait être la clé d’une explication des dynamiques entre le traitement antipsychotique et parallèlement, l’évolution de l’abus de substances. La fréquence de symptômes d’humeur dépressive chez les psychotiques sous AT et leur revirement partiel après la prise d’une substance psychoactive sont cohérents avec ce modèle d’explication. Une nouvelle dimension, recherchée par le Questionnaire de Personnalité Tridimensionel (Tridimensional Personality Questionnaire, TPQ) de Cloninger, qui indique un risque plus élevé dans les conduites liées à la substance a été récemment associé au sous-type du récepteur D4. Des médicaments agissant comme antagonistes du D4 peuvent réduire les comportements de recherche de substance, tandis que des antagonistes du récepteur D2 (comme les AT) semblent les augmenter, en particulier chez les individus qui sont fortement positifs au D4. En réalité le profil de la clozapine se distingue par sa forte spécificité pour les récepteurs D4 (un rapport D4/D2 plus élevé) 193. La risperidone qui a la plus haute spécificité pour les récepteurs D4, n’a pas encore été évaluée à ce sujet.
D.7.b. Méthadone et antipsychotiques
Chez les psychotiques sous méthadone, l’utilisation associée d’antipsychotiques peut être considéré comme acceptable et utile (58,176). Lorsqu’ils sont associés à la méthadone, de faibles doses d’AT comme la chlorpromazine, la fluphénazine et l’halopéridol sont nécessaires pour contrôler les symptômes psychotiques (351).
L’un des problèmes est que les antipsychotiques sont susceptibles d’être mal tolérés chez les dépendants à l’héroïne.
D’habitude, il convient de ne pas trop utiliser d’AT mais si c’est nécessaire, les patients doivent se conformer à la prescription. Des préparations à effet retard rendent possible de pallier la non observance thérapeutique et un traitement simultané de méthadone semble protéger des effets secondaires extra pyramidaux. Le Tableau 8 indique les posologies nécessaires de méthadone et d’antipsychotiques pour les héroïnomanes psychotiques. Les cliniciens doivent faire particulièrement attention pendant la phase d’induction, afin de minimiser les potentialisations narcotiques des antipsychotiques et des opiacés, surtout avec l’utilisation d’AT.
En règle générale, il est recommandé d’éviter d’administrer des antipsychotiques avant que le patient n’ait atteint un état stable avec la méthadone. Pendant ce temps, on peut avoir recours à l’action sédative de la méthadone. De surcroît, il faut éviter l’utilisation de benzodiazépines. En cas de sévère excitation psychomotrice nécessitant l’administration de neuroleptiques, on peut utiliser des quantités limitées de neuroleptiques toujours sous contrôle médical, et il ne faut pas prendre les neuroleptiques trop tard dans la soirée. Les antihistaminiques constituent une option alternative indiquées pour obtenir la sédation les héroïnomanes psychotiques.
Tableau 8. Posologies et interactions pharmacologiques chez les héroïnomanes sous méthadone avec une psychose et des comportements violents dans l’étude PISA-SIA
D.7.c. Disulfirame
Le disulfirame antagonise la consommation d’alcool indépendamment de la présence de symptômes psychotiques. La diminution de la consommation d’alcool a nécessairement un impact positif sur l’évolution de la psychose elle-même, parce que l’on sait que l’alcool majore les symptômes psychotiques. Cependant, chez les sujets traités avec de forte doses de disulfirame, on remarque une aggravation des symptômes psychotiques (42,193). On note que le disulfirame a les mêmes effets bénéfiques chez les schizophrènes alcooliques que chez les alcooliques non psychotiques. En particulier, l’alcoolisme des schizophrènes semble très bien réagir à l’association de clozapine et de disulfirame (42).
En conclusion, le disulfirame est utile chez les alcooliques psychotiques à une dose de 250 mg/jour : à cette posologie, la probabilité de voir apparaître une aggravation iatrogène des effets psychotiques est moins forte que les conséquences d’une consommation permanente d’alcool qui exacerbe et nuit à l’évolution globale de la maladie. On a montré également que le disulfirame est utile dans le traitement de la dépendance à la cocaïne chez les dépendants aux opiacés sous méthadone (282).
D.7.d. Désipramine
Le Tableau 9 montre les recommandations du groupe PISA-SIA concernant le traitement des héroïnomanes psychotiques.
Tableau 9. Traitement de la psychose chez les héroïnomanes. Recommandations du Groupe PISA-SIA (Study and Intervention on Addictions)
- A. Utiliser les propriétés antipsychotiques des opiacés à action prolongée
- B. Utiliser la bonne compliance du patient sous traitement à la méthadone ou buprénorphine pour réduire le risque d’accès psychotiques.
- C. Ajouter de faibles doses de neuroleptiques typiques ou atypiques (en les associant avec des thymorégulateurs). Profiter des augmentations du taux sanguin de méthadone et/ou de neuroleptiques.
- D. Préférer les neuroleptiques du type clozapine.
- E. Considérer l’éventualité d’une psychose de sevrage. Réintroduire la méthadone ou la buprénorphine.
- F. Ajouter des neuroleptiques avec précaution chez les héroïnomanes psychotiques sous méthadone et qui ont une faible tolérance.
- G. Utiliser aussi avec précaution au cours de la phase d’induction du traitemment à la méthadone.
- H. Eviter les neuroleptiques peu puissants chez les héroïnomanes sous méthadone (doses plus élevées = interférences métaboliques plus forte = plus grande augmentation du taux sanguin.)
- I. Utiliser des antihistaminiques par voie intramusculaire chez les héroïnomanes psychotiques agités sous traitement à la méthadone.