Le Centre Malvau situé à Amboise est l’un des 4 services de soins de suite et de réadaptation addictologiques (SSR-A) de la région Centre Val de Loire, qui a élargi ses compétences initialement limitées à la prise en charge de l’alcoolo-dépendance vers l’ensemble des conduites addictives afin d’assurer notamment la prise en charge des usagers de drogues illicites.
Le Centre Malvau qui appartenait auparavant à l’Association de la Santé de la famille des chemins de fer français a intégré en janvier 2017, la Fondation l’Elan Retrouvé qui représente une des plus importantes institutions du secteur privé à but non lucratif dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale en Ile-de-France.
Le Centre a une capacité de lits permettant de recevoir une soixantaine de patients mais les restrictions d’admission imposées par l’ARS Centre, à causes des différentes mesures liées à la pandémie de Covid-19 (chambres vides d’Unité Covid, distances de sécurité dans les chambres, les ateliers, etc…) ont diminué la capacité d’accueil à une quarantaine de patients depuis 2 ans.
Profil des patients
- La majorité des patients hospitalisés sont des hommes (84%) et seulement 16 % des femmes
- La majorité des patients est âgée de 40 à 49 ans ; mais les femmes sont plus âgées que les hommes
- Origine géographique en 2020 : La majorité (75 %) des patients réside dans la Région Centre, 6% viennent de l’Ile de France et 19 % des autres régions de France.
- La majorité (77%) des patients vit seule, seuls 23 % des patients sont en couple.
- La majorité (62 %) des patients a des enfants : surtout les femmes (71 %) et 61 % des hommes.
La patientèle est beaucoup plus poly-consommatrice qu’auparavant car même si l’alcool reste le principal produit (76%), elle associe plus souvent l’alcool aux produits illicites (cannabis, cocaïne, héroïne) et aux médicaments (benzodiazépines et antalgiques opioïdes) que par le passé.
C’est pourquoi, la patientèle est plus précaire qu’auparavant (65 % ont un niveau scolaire inférieur ou égal au CAP, 70 % ne travaillent pas, 30 % n’ont pas de logement, 50 % ont des revenus mensuels inférieurs à 1000 euros, 60 % n’ont plus de permis de conduire donc pas d’autonomie de déplacement, 67 % ont des problèmes judiciaires, 32% bénéficient de la CMU et 12% de mesures de protection juridique…).
Elle présente aussi des comorbidités somatiques (digestives, cardio-pulmonaires, neurologiques) et psychiatriques plus lourdes (troubles anxieux, troubles de l’humeur, bipolarité, schizophrénie) ; d’où une prise en charge toujours plus complexe pour les équipes soignantes.
Le Centre Malvau, recevant davantage de patients dépendants des opiacés depuis 2018, a ajouté aux ampoules de Narcan du sac d’urgence, un kit de naloxone nasal en 2018.
En 2019, plusieurs journées nationales et articles ont porté sur le thème de la crise des opioïdes (USA, Canada) connue depuis quelques années et l’augmentation des décès en France dans la majorité des cas, liée à la méthadone, à l’héroïne, à la buprénorphine et aux antalgiques opioïdes: FPEA – France Patients Experts Addictions le 4/09/19 avec témoignages de patients et d’intervenants des CARRUD, CEIP-Addictovigilance et Naloxone, LE FLYER 76 octobre 2019 « Opioïdes forts, opioïdes faibles, quelle utilisation en 2019 ? ».
C’est pourquoi, il a été proposé à l’équipe soignante:
- Une formation sur la prise en charge de l’overdose aux opiacés avec mise à jour des connaissances liés à la naloxone et plus particulièrement le kit injectable actuellement disponible (antagoniste non sélectif des opioïdes) qui a obtenu une autorisation de mise sur le marché en mai 2019 et disponible en pharmacie depuis septembre 2019. Cette formation a eu lieu le 5 novembre 2019 et a été réalisée par le Directeur Scientifique du laboratoire qui le commercialise ;
- L’achat de kits naloxone injectable, prête à l’emploi, avec formation des infirmières par la cadre des IDEs, à l’utilisation du kit en cas de besoin ; achats décidés secondairement pour chaque patient sous traitement de substitution aux opiacés ou sous antalgiques opioïdes au long cours ;
- Une formation mise en place secondairement dans le cadre d’un plan de gestion des risques (PGR) par l’ensemble des IDEs, leur cadre et le médecin addictologue, pour expliquer à chaque patient qui va bénéficier d’un kit Prenoxad, avec un diaporama et un livret délivrés par le laboratoire :
- comment reconnaître une overdose ?
- que faire en cas d’overdose aux opiacés ?
- informations nécessaires pour les services de secours (15/112) ?
- que contient un kit de Prenoxad et comment l’utiliser ?
- comment mettre la victime en Position Latérale de Sécurité ?
- que faire quand la victime reprend connaissance ?
- quel est le rôle de la carte patient ?
Depuis novembre 2019, tous les patients sous opiacés (traitement de substitution aux opiacés ou sous antalgiques opioides au long cours) reçoivent de leur IDE référente, la sensibilisation concernant le risque d’overdose, puis la formation concernant l’antidote injectable et son utilisation ; le kit naloxone (intramsuculaire) lui est remis le jour de sa sortie avec l’ordonnance du médecin addictologue et les conseils correspondants.
15% des patients du Centre Malvau ont une prescription d’opioïdes (TSO ou antalgiques) et reçoivent systématiquement leur kit.
Les patients concernés sont bien informés sur les mésusages, les abus et les décès liés à l’usage des opiacés ; ils sont très motivés par cette sensibilisation et très reconnaissants envers l’équipe infirmière et le Centre Malvau de leur fournir formation et kit.
Commentaires et réflexions de la rédaction
Le Flyer a reçu avec un grand plaisir la proposition d’article du Dr Pascale Mardon.
C’est à notre connaissance la première publication rapportant la remise systématique d’un kit naloxone en sortie de SSR-A, que nous appelons de nos vœux depuis plusieurs années.
Elle est systématique autant auprès des patients sous médicaments de substitution que pour des patients sous antalgiques opioïdes. Elle témoigne d’une volonté par les actes de réduire les risques de mort par overdose qui peut survenir dans ce contexte précis de sortie d’un lieu de soins résidentiel où la consommation a pu être considérablement réduite, voire amendée.
Effectivement, nous le savons depuis longtemps, dans les semaines qui suivent une réduction de la consommation d’opioïdes voire une abstinence, les usagers ayant perdu leur tolérance sont particulièrement exposés au risque d’overdose.
Il n’est donc pas étonnant que dans sa circulaire du 19 juillet 2019, la Direction Générale de la santé ait également proposé comme public prioritaire, parmi d’autres publics, « les personnes devenues moins tolérantes aux opioïdes : usagers sortants de prison, sortants d’un sevrage (hospitalier ou ambulatoire), à l’arrêt d’un traitement de substitution. ».
Ils nous arrivent probablement et à l’extrême de cibler pour la remise d’un kit naloxone, les usagers que nous considérons au premier regard comme les plus à risque, ceux qui s’injectent, ceux qui poly-consomment ou ceux qui prennent de grosses quantités d’opioïdes, licites (MSO ou antalgiques) ou illicites. C’est sans aucun doute ce qu’il y a à faire.
Mais, l’expérience acquise notamment au Royaume-Uni a montré que, même en cas de diffusion massive de kits naloxone (près de 100 000 kits par an, loin des 15 à 20 000 kits en France), il fallait toujours ‘chercher l’aiguille dans une meule de foin’, le patient ou usager qui ne nous saute pas aux yeux (« Finding a needle in a haystack », take-home naloxone in England 2017/18). On ne peut atteindre cet usager qu’en systématisant la diffusion des kits naloxone, pas en se focalisant sur ceux qui nous apparaissent comme étant les usagers les plus à risque.
A ce stade de la diffusion des kits naloxone en France, il faut probablement passer à la vitesse supérieure, sans quoi elle sera inutile pour les usagers et vaine sur la courbe des décès par overdose.
Au-delà des usagers qui fréquentent les CAARUD, le public qui bénéficie aujourd’hui le plus facilement de la remise d’un kit, il faudrait désormais généraliser la remise d’un kit aux personnes suivantes :
- En milieu pénitentiaire, et notamment pour les sortants. Il n’est plus normal qu’un usager d’opiacés, sous MSO ou sevré, sorte de prison sans un kit naloxone, remis par des soignants avec l’éducation thérapeutique indispensable.
- En milieu hospitalier. Toute personne sortant des urgences (après une hospitalisation pour une OD), tout patient sortant d’un sevrage ou d’une hospitalisation, voire d’une consultation, avec un trouble lié à l’usage d’opioïde, doit lui aussi bénéficier de la remise d’un kit (plutôt que d’une prescription, l’overdose pouvant malheureusement survenir avant la délivrance du kit en pharmacie).
- En médecine de ville, où de nombreux patients sont suivis pour un traitement de substitution opiacée ou un traitement antalgique opioïde, notamment ceux avec des problématiques d’abus et d’addiction. Dans ce contexte, la prescription d’un kit est la seule solution, sauf à construire des solutions innovantes (fournitures de kits par un CAARUD ou CSAPA partenaire par exemple)
- Dans les structures résidentielles et à leur sortie pour les mêmes raisons qu’évoquées ci-avant, la perte de tolérance et la sensibilité accrue aux risques d’overdose fatale. A l’instar de l’expérience relatée par le Dr Pascale Mardon.
Il faut aussi s’appliquer des principes et adopter des stratégies qui, seules, peuvent permettre d’infléchir la courbe des décès par overdose.
Utiliser la métaphore de l’extincteur est une de ces stratégies
La prescription ou la délivrance d’un kit naloxone ne doit pas s’envisager comme celle d’un médicament qui répond habituellement au triptyque médecin-patient-pathologie ou symptôme. La naloxone est plus un antidote qu’un médicament.
Personne ne souhaite qu’il soit utilisé par le patient ou, plus souvent, par quelqu’un de son entourage. Comme un extincteur ou, pour rester dans le domaine médical, un défibrillateur, il doit être à disposition pour pouvoir être utiliser au cas où. Et s’il n’est pas utilisé, c’est tant mieux. Il faut accepter l’idée qu’il faille probablement diffuser des centaines de kits pour pouvoir sauver une seule vie et qu’ils arriveront à péremption avant usage (et qu’il faudra alors les renouveler).
La faible diffusion en France des kits naloxone auprès des usagers de drogue est en partie liée à la sous-estimation du risque d’overdose et parfois parce que le soignant n’a pas été confronté lui-même à une overdose. Attendre qu’un seul de ses patients décède d’une overdose pour délivrer des kits naloxone, c’est malheureusement trop tard pour celui-ci. Cela reviendrait à attendre un incendie pour se doter d’un extincteur, là où c’est utile.
La stratégie du ‘bon samaritain’
Il n’est pas toujours facile de donner un kit naloxone à un usager, action qui le renvoie à sa consommation à risques, sa vulnérabilité, son statut de victime potentiel…
Dans certains pays, la stratégie du ‘bon samaritain’ a permis de lever cet obstacle. Pour ceux qui sont réticents à se voir délivrer un kit ou qui ‘assurent’ qu’ils vont faire attention, leur donner un kit pour qu’ils puissent sauver un autre usager (au cas où) est une bonne façon de s’assurer d’une diffusion communautaire. Qu’au final la naloxone soit utilisée pour eux-mêmes (administrée par un tiers) ou pour sauver un autre usager n’a pas d’importance.
En conclusion
La naloxone n’est pas un médicament nouveau ! Ce qui est nouveau, c’est le fait que sous la forme des kits commercialisés depuis peu, elle soit prête à l’emploi et qu’elle puisse être administrée par des non professionnels de santé.
Elle sort ainsi de sa réserve hospitalière et permet aux proches de patients exposés au risque d’overdose d’intervenir le cas échéant. Elle est d’un coup modique, un peu plus de 20 euros pour le kit intramusculaire actuellement seule forme disponible.
C’est un antidote efficace en cas de dépression respiratoire, conséquence d’une overdose et sauve des vies. A condition que les usagers, leur entourage ou tout témoin potentiel d’une overdose en soit doté.
Elle est aujourd’hui disponible partout, mais malheureusement pas toujours diffusée ou prescrite par ceux qui sont en capacité de la faire, souvent par méconnaissance.