Beaucoup de nouvelles formes sont effectivement en cours d’enregistrement auprès des Autorités de Santé française et européennes et le marché français, en particulier, attire les firmes pharmaceutiques, surtout étrangères. Avec ses 100 000 patients recevant un TSO à base de buprénorphine, ce marché a de quoi en effet aiguiser les appétits de firmes, connues ou pas encore, présentes dans le champ des addictions.
Mais rien n’est simple à ‘Bupréland’ !
Etat des lieux
En effet, la France est devenue en quelque sorte la patrie de la buprénorphine haut dosage en ayant été le premier pays à accueillir le Subutex® (février 1996) et en créant les conditions de son hégémonie (primoprescription en médecine de ville = 2/3 des patients sont substitués par la buprénorphine haut dosage pour 1/3 substitués par la méthadone). Mais elle est aussi une zone de sanctuarisation de ce même Subutex® qui a résisté plus qu’ailleurs à l’arrivée des génériques.
Des Laboratoires comme Arrow et Mylan n’ont pas ménagé leurs efforts. De judicieux dosages intermédiaires, une promotion par des délégués pharmaceutiques et médicaux et une volonté de conquérir ce marché de 100 millions d’euros, nous dit-on, avec des moyens et méthodes inhabituelles pour ces entreprises du générique.
Mais, rien de tout cela n’a pu entamer le moral et le portefeuille des actionnaires de Schering-Plough, puis Reckitt-Benckiser devenu Indivior. A peine 20 % de délivrance de générique de Subutex®, médecins et patients préférant l’original à la copie. Habituellement, quand un médicament perd son brevet, c’est plutôt 80 à 90 % des délivrances du médicament de marque qui sont substituées par le générique, quand le médecin ne prescrit pas directement en DCI (Dénomination Commune Internationale), ce qui est de plus en plus fréquent. Il faut noter également la mauvaise réputation du générique qui a contribué à freiner son implantation.
En effet, les risques majorés en cas d’injection, vérifiés par le CEIP de Nantes, ont fait planer le doute sur sa dangerosité en cas d’injection et, par la même occasion, ont fait chuter sa valeur marchande sur le marché parallèle ! Même si le fabricant a reformulé la composition et que les génériques de buprénorphine sont désormais à risque égal avec le Subutex®, le mal a été fait et leur réputation définitivement entachée. C’est surtout en prison que l’on peut se voir délivrer des génériques de Subutex®, c’est-à-dire dans un lieu de non-choix pour le patient, voire pour le médecin, fournis par une pharmacie hospitalière qui achète, comme pour les autres classes de médicament, au prix le plus bas !
Même Reckitt-Benckiser puis Indivior ont échoué dans la tentative de remplacer eux-mêmes le Subutex® par le Suboxone®. Des années de pré-lancement, une communication changeante dans le temps notamment sur la question « pour qui ? », des actions de promotion très visibles, etc. Là-aussi, rien n’a pu « dégraisser le mammouth » Subutex®, celui-ci cédant seulement quelques centaines de patients à son successeur, présumé par la firme.
Dans un e-dito de juillet 2014, Suboxone®, le flop des années 2010 [1, 2], nous avions, avec Philippe Riehl, pharmacien à Strasbourg, tenté de faire l’analyse de ce lancement raté en concluant ainsi : « Au final, alors que c’est un succès commercial dans beaucoup de pays, Suboxone® restera une anecdote dans l’histoire des Médicaments de Substitution Opiacée en France, histoire qui restera encore longtemps marquée par le succès extraordinaire de la mise sur le marché du Subutex® en février 1996 et une progression marquée de l’accès à la méthadone entre 2000 et aujourd’hui ».
On imagine que les stratèges de la firme ont décortiqué le pourquoi et le comment de ce ‘flop’ retentissant sur une terre aussi promise… Aujourd’hui, la firme Indivior s’est apparemment recentrée sur le Subutex® après des années de ‘vacarme’ autour du Suboxone® et l’ « original », presque vintage (22 ans déjà !), est à nouveau promu de façon visible.
Mais, nouvelle opportunité ‘marketing’, il semblerait que la tendance soit aujourd’hui à la promotion du Suboxone® (plutôt que du Subutex® ?) pour les patients devenus dépendants des opioïdes analgésiques, sans qu’on comprenne un seul instant le pourquoi du comment. Quel est le rationnel scientifique incitant à l’utilisation de l’association buprénorphine-naloxone à la place de la buprénorphine seule ? Par ailleurs, pour des patients dépendants de fortes doses d’opioides analgésiques, agonistes purs et puissants (comme le fentanyl), une substitution opiacée par la méthadone parait intuitivement plus pertinente [18], surtout s’ils ont encore des douleurs…
La France, plus que tout autre pays, a résisté autant à l’avènement des génériques qu’au Suboxone®. La firme Indivior reste bénéficiaire d’une réussite acquise finalement assez facilement à la fin des années 90, tellement le besoin de médicaments de substitution était considérable. Avec un régime de primo-prescription initiale généralisée, des conditions d’accès et de remboursements favorables, et une première mondiale – la mise sur le marché d’un traitement de substitution opiacée à base de buprénorphine haut dosage – la France est devenue une terre d’élection pour le Subutex® et donc pour la buprénorphine. C’est Bupréland, là où cette molécule est reine !
Mais cette hégémonie de Subutex® va-t-elle durer ? Il ne se passe pas un mois sans qu’arrivent à nos oreilles des informations concernant des demandes d’AMM pour de nouvelles formes de buprénorphine, parfois surprenantes.
Découvrons-les ici !
Les nouveautés
1. L’implant de buprénorphine : Probuphine® – 6 mois sinon rien !
Il s’agit d’un médicament développé par la société américaine Titan Pharmaceuticals. Des implants souscutanés (1 à 4, selon la dose de buprénorphine nécessaire) qui vont délivrer le principe actif pendant 6 mois.
La pose de ces implants doit être considérée comme un geste chirurgical, très bien décrit dans la vidéo que vous pourrez voir ci-après :
L’extraction de ces implants nécessite elle-aussi un geste chirurgical, plus lourd encore.
La répétition de gestes chirurgicaux pour poser et extraire les implants semble être un frein au développement de ce médicament. S’il est difficile d’obtenir les ventes de Probuphine® aux USA où il est commercialisé depuis 2016, elles sont, semble-t-il, largement inférieures aux prévisions. Ces prévisions qui imaginent le scénario optimiste où, crise des opioides oblige, des centaines de milliers de patients viendraient se faire implanter de la buprénorphine pour un bail de 6 mois…
Fin novembre 2017, l’agence européenne du médicament a accordé une AMM à ce médicament. La société Titan a trouvé un partenaire européen pour diffuser Probuphine® en Europe [3] fin novembre 2017. Il s’agit de Molteni, connu pour distribuer en Italie et en Europe de l’Est, différentes formes de méthadone. Elle n’est pas présente en France et pourrait à son tour rechercher un partenaire pour la France. Pas avant 2019 selon nos pronostics. Mais, les Autorités de Santé françaises pourraient freiner l’ardeur de Titan…
Même si cette forme obtenait une AMM, difficile de prévoir pour elle un avenir radieux. De la buprénorphine pendant 6 mois dans l’organisme. Pas possible d’arrêter le traitement (sans une procédure chirurgicale) pendant 1 jour ou 2. Que se passe-t-il pendant 6 mois en cas de consommation d’opiacés agonistes (méthadone, morphine, héroïne, etc.) ? L’effet sera bloqué en partie, mais comment va réagir l’usager ? Que faire en cas de douleur intense si le besoin en opioïde s’impose ?
Notre avis
Cette modalité ne s’inscrit absolument pas dans une approche de « Réduction des Risques ».
Elle pourrait être adaptée dans le meilleur des cas pour un patient très (très) stable, sans consommations d’opiacés ni de benzodiazépines, à une posologie de buprénorphine plutôt basse et qui imagine facilement en prendre encore pour 6 mois !
2. Les buprénorphine ‘dépôt’ : match USA – Suède !
Quelques annonces autour de 2 nouvelles formes de buprénorphine dites ‘dépôt’. A l’inverse de Probuphine® qui nécessite une procédure chirurgicale d’implantation et d’extraction, rien de tout cela.
Il s’agit d’injection sous-cutanée de fluides dont la caractéristique, une fois dans l’organisme, est de libérer la buprénorphine dans un temps donné.
D’un côté, la société suédoise Camurus, inconnue en France, prévoit 2 formes. La première permettant une libération de buprénorphine sur 1 semaine, la seconde sur 1 mois. Face à elle, Indivior qui a misé uniquement sur le développement d’une forme à libération sur 1 mois.
Les 2 technologies sont différentes mais le principe est le même. Inconvénient côté Indivior : il semblerait que le produit doive respecter la chaine du froid.
Ces médicaments ont déjà été évalués [4, 5]. Une dépêche APM début décembre 2017 nous a appris qu’Indivior a annoncé le vendredi 1er décembre l’obtention de son AMM aux Etats-Unis pour Sublocade®, nom commercial du médicament. De son côté, la FDA a annoncé elle-aussi sa position sur ce médicament, rappelant le contexte de la crise américaine des opioïdes [6] et la nécessité d’élargir les choix thérapeutiques.
Le médicament est donc homologué dans le traitement des troubles modérés à sévères liés à l’utilisation d’opiacés chez des patients qui ont initié (au préalable) un traitement avec un médicament à base de buprénorphine sous forme habituelle suivi d’un ajustement de dose, pendant au moins 7 jours. Sublocade® devra être administré par un professionnel de santé. L’annonce de l’obtention de l’AMM américaine pour Camurus est attendue en début d’année 2018. Le prix annoncé d’une injection mensuelle de Sublocade serait de 1 580 $ (aux US) [20].
En Europe, les procédures sont en cours. Difficile de faire la part des choses entre les infos et les intoxs des firmes qui annoncent leur médicament avant l’autre, mais il semblerait que pour l’Europe, le médicament du suédois Camurus, CAM2038 (pas encore de nom commercial), ait un petit peu d’avance sur celui d’Indivior, RBP 6000, alias Sublocade®.
Outre cet avantage qui pourrait lui permettre d’arriver le premier, le fait de disposer de 2 formes (1 semaine et 1 mois) semble plus intéressant. Pour un patient en délivrance quotidienne depuis des années et qui vit sa substitution opiacée sur un cycle de 24 heures, le passage à une ‘prise’ mensuelle (même s’il ne s’agit plus tout à fait de cela) parait être un énorme saut dans l’inconnu. Passer progressivement de chaque jour à 1 fois par semaine, deux-trois semaines d’affilée, puis 1 mois et la possibilité de revenir à une sous-cutanée chaque semaine si nécessaire parait plus raisonnable qu’en prendre d’emblée pour un mois.
Pour ce match USA – Suède, net avantage à la Suède, mais nous sommes en phase d’attente des AMM et tout peut arriver d’ici la mise sur le marché, probablement pas avant 2019, de ces médicaments.
Notre avis
Comme pour Probuphine®, ces buprénorphines ‘dépôt’ ne s’inscrivent pas dans une approche de « Réduction des Risques ». Elles sont probablement adaptées à des patients là aussi plutôt bien stabilisés et en fin de traitement, pour lesquels la prise quotidienne est une contrainte (une des dernières…). Pas question selon nous, d’initier un TSO par buprénorphine avec une sous-cutanée d’une semaine, encore moins d’un mois après seulement 7 jours de voie orale ou sublinguale. Cela pourrait être une option en milieu pénitentiaire pour faciliter l’accès au traitement de substitution (sans les contraintes organisationnelles et le risque de mésusage), avec bien sûr, le consentement du patient pour une injection sous-cutanée et une ‘mise sous buprénorphine’ pendant 1 semaine ou 1 mois, après une ‘vraie’ période d’observation avec un traitement quotidien.
3. L’extra-terrestre Zubsolv®, association de buprénorphine et de naloxone !
Bien étrange médicament qui nous arrive là ! C’est la société suédoise Orexo qui a annoncé lundi dans un communiqué l’obtention d’une AMM européenne centralisée pour Zubsolv®. C’est la firme Mundipharma, bien connue aux USA pour être à l’origine de la crise des opioïdes [19], qui a obtenu pour l’Europe les droits de commercialisation. Il est déjà commercialisé aux Etats-Unis depuis près d’un an.
En France, comme nous l’avons vu précédemment, Suboxone® n’a pas réussi à trouver son public. Pas sûr que ce concurrent arrive à faire mieux que Reckitt-Indivior pour capter des patients traités par buprénorphine seule. Si la France est une terre d’élection pour la buprénorphine, elle ne l’a pas été pour son association avec la naloxone. L’idée de punir l’usager à qui viendrait l’idée saugrenue de s’injecter Suboxone® a convaincu certains pays, mais la France a résisté avec un modèle plus axé sur la réduction des risques.
Zubsolv® n’est pas présenté comme un générique de Suboxone®. C’est mieux pour essayer d’obtenir un bon prix auprès des Autorités de Santé. Les dosages proposés (buprénorphine / naloxone) sont : 0,7 mg/0,18 mg, 1,4 mg/0,36 mg, 2,9 mg/0,71 mg, 5,7 mg/1,4 mg, 8,6 mg/2,1 mg et 11,4 mg/2,9 mg et sont destinés à une prise sublinguale.
Une bien étrange gamme qui comporte un très surprenant dosage 8,6 (mg de buprénorphine) ! Peut-être un petit clin d’œil malicieux du laboratoire développeur suédois au concept de transfert d’addiction (opiacés vers alcool). Difficile de croire que Mundipharma lance en France ce médicament sur le marché extrêmement réduit de l’association buprénorphine-naloxone, là où Indivior s’est lui-même cassé les dents en voulant imposer Suboxone® à la place de ‘son’ Subutex®. Mais, parfois, les ambitions des firmes ne tiennent pas compte de la réalité en matière d’attente des soignants et des patients…
Notre avis
Toujours pas très RdR comme approche ! Tout a été dit (et contredit) sur l’intérêt de l’association buprénorphine-naloxone [7] et son intérêt limité a été confirmé par les avis des Autorités de Santé (HAS, Commission Addiction) ainsi que par sa diffusion anecdotique. Le seul intérêt de cette forme est une gamme large de dosages que l’on retrouve aussi avec les génériques de Subutex®.
4. Buprénorphine IV, RdR de chez RdR !
Cela fait déjà plusieurs années que la substitution injectable fait débat en France ! Si certains pays proches de nous ont adopté des programmes ‘héroïne injectable’, on ne sent pas une telle attirance de nos responsables des politiques de santé vers cette modalité, malgré le fait qu’elle ait démontré, méta-analyse d’études à l’appui [8], son efficacité.
Mais Bupréland oblige, c’est sur le berceau de la buprénorphine injectable que se sont penchées les bonnes fées de la substitution opiacée à la française !
L’absence d’un médicament injectable à moindre risque et surtout du système d’accompagnement qui va avec, comprenant des lieux dédiés et une éducation aux risques liés à l’injection (ERLI), a contribué à pérenniser le détournement de Subutex® avec un mésusage par voie veineuse qui touche aux alentours de 15 % des usagers. Le recours au sulfate de morphine, injecté dans plus de la moitié des cas, montre lui-aussi le manque de solutions pour des usagers non encore prêts à renoncer à l’injection.
La population d’injecteurs de buprénorphine pouvant être estimée à près de 10 000 usagers, pas toujours au contact des professionnels du soin, il était évident que le besoin d’une forme buprénorphine IV allait se faire sentir. Les positions de la MILDECA et de la Commission des Stupéfiants et Psychotropes de l’ANSM vont clairement dans ce sens [9].
Peu d’informations circulent sur ce projet. Mais depuis l’enquête Pré-Bup IV menée par une équipe de Marseille [10, 11], nous savons que le processus de développement et d’évaluation clinique est engagé avec, selon nos informations, la firme Ethypharm qui pourrait déposer une demande d’AMM en 2018 ou 2019.
Des questions se posent sur la mise à disposition de cette substitution injectable par buprénorphine. Sera-telle uniquement accessible aux usagers sur un mode exclusivement supervisé, en milieu spécialisé ? Ou pourront-ils se voir remettre plusieurs ‘doses’ (take-home), évitant ainsi la fréquentation quotidienne des centres de soins ? Dans le premier de cas de figure, il y a fort à parier que cette modalité ne touchera qu’une faible partie d’usagers, ceux qui fréquentent tous les jours les CSAPA !
Notre avis
Approche ultra RdR ! La buprénorphine IV s’adressera à des patients pour lesquels l’entrée dans le soin passe par la proposition d’une substitution injectable. Elle sera adaptée pour les patients injecteurs réguliers de buprénorphine, qui ne sont pas demandeurs de méthadone comme moyen de renoncer à l’injection de comprimés sublinguaux de buprénorphine. Pas sûr que les injecteurs de sulfate de morphine, en recherche d’un effet opiacé plus prononcé, adoptent cette solution.
5. Orobupré®, le ‘super’ Subutex® !?
Nous avons appris fin novembre que l’ANSM avait donné une réponse favorable à la demande d’AMM pour l’Orobupré® (2 et 8 mg), déposée par Ethypharm [12].
L’Orobupré® est une nouvelle forme de buprénorphine qui se présente sous forme de comprimé orodispersible. Le comprimé est à poser sur la langue et se dissout en quelques secondes, ce qui le rendrait attrayant dans le cadre des prises supervisées. Plus encore, c’est un meilleur confort de prise qu’on peut attendre de ce nouveau médicament. Beaucoup d’usagers se plaignent des contraintes liées à l’absorption sublinguale. Il est probable qu’une partie des patients qui ne répondent pas à un traitement par Subutex® ou génériques, ne laisse pas le comprimé 10 minutes sous la langue. D’ailleurs, de façon très perspicace, la firme Indivior communique sur la nécessité de suivre à la lettre les modalités d’administration et de respecter le temps de dissolution pour améliorer la biodisponiblilité de la forme sublinguale.
Il est vrai que Subutex®, et c’est aussi valable pour ses génériques et Suboxone®, souffre d’une faible biodisponibilité, surtout si les conditions de dissolution sublinguale ne sont pas optimales.
Dans le cas d’Orobupré®, la biodisponibilité de la buprénorphine sous cette forme serait en moyenne supérieure de 30 % à celle qu’on obtient avec Subutex® et ses génériques.
Ce qui nécessitera obligatoirement des adaptations de posologie pour des patients qui ont déjà bénéficié de Subutex® ou de ses génériques.
Le médicament a déjà été mis à disposition des usagers début 2017 au Royaume-Uni (sous le nom d’Espranor®) et leurs premiers retours vont effectivement dans le sens d’un plus grand confort de prise et d’un meilleur ‘ressenti’. Toutes les informations sur le médicament sont disponibles sur un site dédié [13]. Orobupré® pourrait être à disposition des patients français en fin d’année 2018 (annonce de la firme, dépêche APM, décembre 2017), le temps d’obtenir l’avis de la Commission de Transparence et le prix, nécessaires pour la diffusion en pharmacie d’officine.
Néanmoins, la firme a aussi annoncé que dès mai ou juin 2018, elle le mettra à disposition des CSAPA associatifs (pour lesquels l’agrément aux collectivités n’est pas nécessaire), si ceux-ci jugent utile de le délivrer à leurs patients-usagers. Cette période de mise à disposition dans les CSAPA permettra d’avoir un premier avis sur le bénéfice supposé de ce médicament avant qu’il ne soit disponible à la prescription par les médecins généralistes et disponible en pharmacie d’officine, donc au plus grand nombre.
Les CSAPA associatifs auront donc un rôle de précurseurs et d’expérimentateurs dans la mise à disposition de ce nouveau médicament.
Une question se pose et s’est d’ailleurs posée lors des discussions en Commission des Stupéfiants et des
Psychotropes. C’est celle du potentiel de détournement d’Orobupré® [14]. La composition d’un tel médicament exclut généralement des particules insolubles que l’on retrouve dans des galéniques plus classiques (talc, amidon, etc.).
Un injecteur de Subutex® qui rencontrera Orobupré® risque donc de l’adopter. Il n’est pas impossible que certains médecins, avec une approche très RdR, prescrivent délibérément Orobupré® à des injecteurs de Subutex®, avec un objectif de réduction des risques liés à l’injection.
Mais, à l’inverse, nous pensons qu’un usager qui ne s’est jamais injecté de drogues et qui ne s’est jamais injecté de buprénorphine a très peu de chance de démarrer une carrière d’injecteur avec Orobupré®.
Ceci étant dit sur le potentiel de détournement, il nous paraitrait dommage que ce médicament ne serve qu’à une réduction des risques liés à l’injection et qu’il ne remplisse pas la fonction à laquelle il semble se destiner.
Notre avis
Orobupré® pourrait être un progrès, certes relatif, dans l’arsenal des MSO ! Depuis 1996, rien n’a été fait pour le confort des usagers en matière de prise orale de buprénorphine. Les firmes ont mis sur le marché des génériques supposés faire baisser les coûts de traitement ou, dans le cas de Suboxone®, un médicament supposé limiter le risque d’injection de buprénorphine. Ces solutions n’avaient aucun avantage tangible pour nos patients. En améliorant le confort de prise et la biodisponibilité de la molécule, Orobupré® pourrait prendre une place dans le paysage français des MSO. Probablement modeste, notamment en raison d’un très fort attachement des usagers à la « marque » Subutex®.
Conclusion
Cela fait désormais près de 25 ans que les TSO (Traitements de Substitution Opiacée) ont conquis la France, avec un peu de retard sur d’autres pays européens.
Le ‘french system’, basé sur un accès large à la buprénorphine en médecine de ville à côté d’une mise à disposition de la méthadone en milieu spécialisé, a permis de rattraper le retard pris sur nos voisins.
Ceux qui étaient contre les TSO avant 1995 (et ils étaient nombreux), ou ceux qui y étaient indifférents, se sont ralliés et expliquent désormais aux plus jeunes professionnels comment les mettre en œuvre. Mais, peu importe, le temps a fait son œuvre et c’est tant mieux !
Aujourd’hui, plus qu’au TSO, c’est à la Réduction des Risques et des Dommages que se sont converties l’addictologie française et les Autorités de Santé. Il ne s’agit plus de traiter l’addiction à tout prix, notamment en accompagnant les patients sur le chemin de l’abstinence, mais plutôt de proposer un éventail le plus large possible de solutions permettant de réduire considérablement les risques et les dommages liés à la consommation de substances psychotropes.
Les MSO (Médicament de Substitution Opiacée) font partie de cet éventail et, dans la plupart des cas, prescrits dans un contexte de réduction des risques, au sens le plus large du terme. Et c’est encore tant mieux !
Il est donc assez surprenant d’assister à des tentatives pour bannir les acronymes MSO et TSO, pourtant adoptés par consensus par la communauté addictologie française en 2004 [15], et les remplacer par de nouveaux acronymes comme MAO (Médicament de l’Addiction aux Opiacés). Cela se passe souvent au cours de colloques ou symposiums où il est question de ‘traitements de fond de la conduite addictive’ que seraient les MAO, à l’inverse des MSO qui ne seraient qu’une approche de type RdR, issue du ‘canal historique’ [16] …
Car, dans l’annonce des nouvelles formes du buprénorphine, ce que l’on voit arriver, ce sont des traitements dont l’objectif principal est de limiter les mésusages en ‘bloquant’ sur des temps de plus en plus long le système opioïde.
De surcroît, avec des agonistes partiels, peu satisfaisants en terme d’effet opiacé et agissant comme antagoniste des opioides illicites (voire de traitements opioides de la douleur) que pourraient utiliser l’usager avec son « traitement de fond de la conduite addictive » implanté ou déposé sous la peau. Le nom de marque de la forme ‘dépôt’, « Sublocade® », pas besoin d’être bilingue pour comprendre la philosophie de soin derrière ce traitement mensuel.
L’arrivée des formes ‘implant’ (Probuphine® – 6 mois) ou ‘dépôt’ (Indivior et Camurus) semble bien témoigner d’une approche très américaine. La crise des opioides, comme elle est désormais nommée [17], provoque l’envie des firmes pharmaceutiques de proposer des solutions assez radicales. Le nombre de patients à traiter est tel que l’on perçoit aisément l’intérêt de proposer des solutions de ce type.
Pour des patients dépendants d’opioides analgésiques, sans l’étiquette de « toxicomane » et les pratiques d’usage de drogues qui vont avec, ces solutions peuvent être adaptées à quelques-uns, plus dépendants qu’addicts mais cela reste à voir…
A l’inverse, pour ceux qui fréquentent nos CSAPA et les cabinets de médecine de ville, une approche ‘réduction des risques’ nous semble plus opportune.
Il nous faut garder à l’esprit que les solutions visant à élaborer des stratégies de type galénique pour combattre le mésusage précipitent les usagers ‘mésuseurs’ vers le marché parallèle. La mise sur le marché de formes abuse-deterrent d’oxycodone par exemple (dissuasives de l’abus) a orienté une partie des millions d’américains devenus dépendants de cette molécule vers des opioides analgésiques présents sur le marché noir, vers l’héroïne et surtout les fentanyloïdes, plus dangereux encore en matière de mortalité.
Sur notre page Facebook, suite à une publication sur le sujet, un de nos correspondants a écrit : « Dans la bataille du détournement, les labos ne sont pas prêts de gagner… ». En effet, pour ceux qui sont encore en recherche d’effets psychoactifs des substances, la réduction des risques et la responsabilisation des usagers nous paraissent préférables à des solutions pharmacologiques proposées par des firmes et parfois acceptées par des Autorités de Santé qui, démunies, acceptent faute de mieux ces vraies ‘fausses solutions’. Cela a été le cas principalement aux États-Unis. Pas en France pour l’instant.
Ces nouvelles formes ‘dépôt’ et ‘implant’ nous paraissent utiles, mais uniquement pour des patients qui ont arrêté leur consommation de substances illicites, ceux qu’on appelle, sans que cela signifie grand-chose, les patients stabilisés. Ils sont bien moins nombreux que les firmes imaginent. Pas sûr toutefois que des patients extrêmement bien stabilisés depuis des années avec de faibles doses quotidiennes de buprénorphine (ou de méthadone), rassurés par leur prise quotidienne, se précipitent vers une injection sous-cutanée mensuelle de buprénorphine…
A voir.
La nouvelle association de buprénorphine et de naloxone aux dosages aussi surprenants que ceux proposés par Zubsolv® nous paraît peu utile en France, compte-tenu de la performance très moyenne de son prédécesseur Suboxone®.
L’étude d’une forme de buprénorphine injectable, et potentiellement d’une héroïne médicalisée, va dans le sens du développement d’une approche ‘entrée dans le soin’ et ‘réduction des risques’ pour des patients à la périphérie du système de soins. A défaut de disposer d’héroïne injectable, un cadre de prescription contrôlée de sulfate de morphine (Skenan 100 et 200 mg par exemple, qui a la préférence des usagers) pourrait être mis en place, en attendant que soit étudiée l’option héroïne médicalisée.
Orobupré® satisfera probablement une partie des usagers, compte-tenu du confort de prise qu’il apporterait aux patients et d’un gain de biodisponibilité qui pourrait correspondre à l’attente de certains en termes d’effet. Cependant, les patients stabilisés depuis longtemps avec une buprénorphine sublinguale pourraient ignorer cette buprénorphine.
Bienvenue à Bupréland !
En synthèse
Buprénorphine Implant-Probuphine®
Avantages
- Durée d’action 6 mois après pose des implants.
- Pratiquement aucun risque de détournement.
Inconvénients
- Gestes chirurgicaux pour la pose et l’extraction des implants.
- Gestion de la douleur compliquée en raison des propriétés agoniste partiel/antagoniste de la buprénorphine si le recours à des opioides analgésiques s’avérait utile. Idem en cas d’hospitalisation en urgence.
- Risques à évaluer en cas d’utilisation d’opiacés illicites ou de benzodiazépines par des usagers toujours en
- quête d’effets psychoactifs.
- Approche très nord-américaine, pas très RdR, orientée contre le mésusage.
Perspectives
- Probablement réservé à la prescription en milieu hospitalier compte-tenu des conditions d’implantation.
- Uniquement pour des patients ultra-stabilisés, consentants et bien informés.
- Accès au marché français ? Disponible fin 2018 ou début 2019.
Buprénorphine dépôt – Sublocade® et CAM 2038
Avantages
- Durée d’action 1 mois (Indivior et Camurus) ou 1 semaine (Camurus).
- Pas de geste chirurgical comme pour Probuphine®.
- Aucun risque de détournement.
- Nouvelle approche.
Inconvénients
- Les mêmes que pour Probuphine®, liés à la diffusion sur 1 mois (ou 1 semaine). Gestion de la douleur si nécessaire et co-consommation d’opiacés (illicites) ou de benzodiazépines ?
- Probablement nécessaire de compléter avec des prises quotidiennes de buprénorphine (coût de traitement majoré).
- Respect de la chaine du froid pour Sublocade® (Indivior).
- Idem que pour Probuphine®, approche très nord-américaine, pas très RdR, orientée contre le mésusage.
- Coût très élevé (1 580 $ annoncé pour les USA), prix en Europe ? en France ?
Perspectives
- Uniquement pour des patients stabilisés, consentants et bien informés.
- Compte-tenu de la nécessité de réserver ces formes à des patients stabilisés avec une évaluation des consommations de psychotropes, les Autorités de Santé pourraient en réserver la prescription en milieu spécialisé. Disponible en 2019.
Zubsolv®
Avantages
- Large gamme de dosages.
- Dissolution 5 min (au lieu de 10 min pour Subutex® et ses génériques).
Inconvénients
- Les mêmes que pour Suboxone® : risque de compétition sur les récepteurs [7] (naloxone vs. buprénorphine), combinaison bupré-naloxone peu attrayante (en France) pour les patients-usagers…
- Nouveaux dosages difficiles à mémoriser pour la prescription.
Perspectives
- Incertitude de voir ce médicament en France compte-tenu de la faible diffusion de Suboxone®.
Buprénorphine IV
Avantages
- Tous ceux d’une substitution injectable pour faire entrer dans le soin des injecteurs, en l’occurrence de buprénorphine. Approche très RdR.
Inconvénients
- Pas forcément adaptée pour tous les injecteurs, notamment d’agonistes purs (morphine, héroïne).
- Risque d’un régime de prise supervisée en milieu spécialisé sans take-home.
Perspectives
- Probablement réservée aux CSAPA, donc uniquement pour des patients les fréquentant quotidiennement.
- Pas avant 2020.
Orobupré®
Avantages
- Amélioration du confort de prise, dissolution en quelques secondes.
- Amélioration de la biodisponibilité de la buprénorphine et de son effet substitutif.
- Risques limités en cas d’injection.
Inconvénients
- Pas bio-équivalent à Subutex® et ses génériques, donc nécessite une adaptation de posologie.
- Potentiel de détournement par voie IV pour des patients injecteurs de comprimés sublinguaux de buprénorphine et les risques associés ?
Perspectives
- Commercialisation printemps 2018.
- Pourrait souffrir de l’attachement des patients (et des médecins) à la marque Subutex® (?).
Liens d’intérêt : Dans le cadre de la rédaction de cet article, les auteurs ne déclarent aucun lien d’intérêt avec les nombreuses firmes qui commercialisent ou commercialiseront les médicaments cités.
Lire : Buprénorphine, de nouvelles formes arrivent à la conquête de Bupréland !! : Orobupré© (Saison 2)
Références consultables
- (1) E-dito n° 3 du Flyer. Médicaments et addictions, les tops et les flops des années passées et à venir (2) !
- (2) M. Benslimane, S. Robinet, M. Wilquin, C. Lançon, Injection de buprénorphine, réduction des risques et politique globale en matière de TSO – Quelle substitution injectable ? Le Flyer n° 52 (Sept. 2013)
- (3) 28/11/2017. Titan pharmaceutical. TITAN PHARMACEUTICALS PARTNERS WITH MOLTENI TO MARKET PROBUPHINE® IN EUROPE
- (4) 17/08/2016. Lea Eslava-Kim, Long-Acting Buprenorphine Formulation Shows Promise for Opioid Dependence
- (5) JAMA Psychiatry. 2017 Sep 1, Sharon L Walsh et al. Effect of Buprenorphine Weekly Depot (CAM2038) and Hydromorphone Blockade in Individuals With Opioid Use Disorder: A Randomized Clinical Trial
- (6) FDA. November 30, 2017. FDA approves first once-monthly buprenorphine injection, a medication-assisted treatment option for opioid use disorder
- (7) E. DE BERNARDIS, L. BUSÁ, L’association buprénorphine-naloxone peut-elle faire mieux que la buprénorphine seule ? Le Flyer n° 57 (Nov. 2014)
- (8) Cambridge University Press. 02 January 2018. Heroin on trial: Systematic review and meta-analysis of randomised trials of diamorphine-prescribing as treatment for refractory heroin addiction
- (9) ANSM, 12 janvier 2017, Commission des stupéfiants et psychotropes
- (10) ATHS 2015 : Perrine ROUX / VIDEO : Atelier Rhune 1 – La buprénorphine injectable
- (11) Lac d’argent. Les usagers consultent sur la buprénorphine injectable
- (12) Psychoactif. 22 novembre 2017, La buprenorphine disponible sous une nouvelle galénique : orobupré
- (13) Espranor
- (14) Orobupré. RÉSUMÉ DES CARACTÉRISTIQUES DU PRODUIT
- (15) Conférence de Consensus (Lyon, 23-24 juin 2004), ANAES – FFA. Le Flyer n° 18 (novembre 2004)
- (16) Lien mort.
- (17) NIH, Drug Overdose Death Rates
- (18) S. ROBINET, C. LUCAS, J. BERNARD, N. FRANCHITTO, Opioïdes et risques addictifs, mythes et réalités. Comment les prévenir ?, Le Flyer n° 69 (Nov. 2017)
- (19). IFLS. April 20, 2016. Oxycontin: How Purdue Pharma Helped Spark The Opioid Epidemic
- (20) ABC News, December 3rd 2017, US approves monthly injection for opioid addiction