2013 aura sans nul doute été l’année de la cigarette électronique. Le rapport DAUTZENBERG, rendu en mai 2013 aux autorités de santé, a marqué en effet l’actualité autour de ce dispositif. Mais, plus encore, le nombre croissant d’utilisateurs de l’e-cigarette, visibles à la terrasse des cafés, dans la rue et lors de soirées privées, signe l’existence d’un véritable phénomène qui ne laisse pas indifférente la communauté addictologique et, en particulier, tabacologique : il y avait fin 2013 en France, 3 millions de « vapoteurs » contre 500 000 un an plus tôt.
Plus récemment, l’enquête ETINCEL (1), conduite par l’OFDT, a permis de préciser les contours du phénomène e-cigarette. Avec 18 % de la population française ayant expérimenté le dispositif, soit 9 millions de personnes, et 2 millions d’utilisateurs déclarant un usage quotidien, la cigarette électronique n’est plus un simple effet de mode.
Selon EUROMONITOR (2), si la tendance actuelle se poursuit, l’e-cigarette devrait supplanter le tabac traditionnel d’ici 2050. Les ventes de ce dernier ont en effet connu une baisse de 7 % en 2013. Par crainte de perdre des clients, ce nouveau marché est investi par les firmes cigarettières (Marlboro, Reynolds…) qui développent actuellement leurs propres dispositifs.
L’engouement croissant autour de la cigarette électronique signe indubitablement son appropriation par les usagers qui peuvent l’utiliser pour de multiples raisons. Que ce soit dans un objectif de sevrage (51 % des personnes interrogées dans ETINCEL) ou tout simplement pour fumer moins (11,5 %), ce nouvel outil permet aux usagers de s’affranchir du milieu médical et des dispositifs classiques du sevrage tabagique.
Les données de l’OFDT sont à ce titre sont éloquentes :
- Pour la première fois depuis 2008, les ventes de substituts nicotinique ont baissé, et ce de près de 12 % ;
- Par rapport à 2012, le nombre de patients ayant eu recours au remboursement forfaitaire de 50 € par l’assurance maladie a reculé de 7 % ;
- La tendance se ressent également concernant les consultations de tabacologie : en 1 an, le nombre moyen de patients suivis a baissé de 28 à 23, et celui du nombre de nouveaux patients par mois de 15 à 13.
En 2014, l’attention portée à cet outil continue d’être source de nombreuses questions, volontiers relayées par les médias :
- Ce dispositif est-il efficace ou est-ce simplement un gadget ?
- Est-il dangereux (substances cancérigènes dans certaines analyses) ? Si oui, quels sont ces risques ?
- Récemment encore, la législation à appliquer à l’e-cigarette cristallisait de nombreuses interrogations.
De manière plus générale, la question qui se pose est celle de la place de cet outil dans une stratégie globale de réduction des dommages liés au tabac. Cette problématique est d’importance car, rappelons-le, le tabac est la première cause de mortalité évitable dans le monde. Il a occasionné 73 000 morts prématurées en France en 2010 (3).
L’objectif de cet article est donc de faire un point sur les données ayant alimenté l’actualité de la cigarette électronique depuis 2013, aussi bien sur son efficacité, ses méfaits supposés, mais aussi concernant les multiples débats législatifs ayant eu lieu il y a quelques mois jusqu’au printemps 2014. Il a été écrit dans le cadre d’un projet de thèse d’exercice (pharmacie d’officine).
Un phénomène qui s’accélère en France en 2006
Le concept de cigarette électronique est plus ancien qu’il n’y parait puisqu’il remonte à 1963 (4).
Le premier brevet a été déposé par un américain, Herbet A. GILBERT, pour un dispositif remplaçant le tabac par de l’air chauffé et aromatisé. Faute de n’avoir pu élaborer un prototype, l’invention ne sera jamais commercialisée.
En 2003, un dispositif fonctionnel est rendu public par un pharmacien chinois (5). Le liquide contenant la nicotine est alors vaporisé avec des ultrasons. Et c’est en 2009 que sera inventée et brevetée l’e-cigarette telle que nous la connaissons, qui diffuse le liquide par l’intermédiaire d’une résistance chauffante.
En France, on parle peu de ce dispositif jusqu’en 2006, année à partir de laquelle il prend son essor avec l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Les fumeurs y voient alors un moyen de continuer à s’administrer leur nicotine dans les lieux où fumer est interdit, offrant une alternative à la cigarette classique.
Face à son utilisation croissante, l’AFSSAPS (devenue depuis ANSM), publie en 2011 un point d’information dans lequel elle rappelle le principe de précaution, l’interdiction de la vente en pharmacie et souligne les dangers potentiels de la cigarette électronique (6) :
- Les liquides commercialisés présentent une toxicité cutanée ;
- La nicotine entraîne un risque de dépendance ;
- Les produits commercialisés ne bénéficient pas d’un contrôle qualité.
Malgré cela, l’e-cigarette continue de se diffuser. Les craintes des autorités se matérialisent en 2013 par une demande d’évaluation de la balance bénéfice-risque du dispositif. L’enquête aboutit en mai 2013 à la publication du rapport de l’Office Français du Tabagisme (OFT), aussi appelé rapport DAUTZENBERG (7). Ce dernier préconise un accès en vente libre mais dans un cadre plus strict comprenant une interdiction de la vente aux mineurs et celle de « vapoter » dans les lieux publics.
L’avis émis par les auteurs se veut néanmoins positif, laissant entendre un intérêt de la cigarette électronique dans le cadre d’une approche plus générale de Réduction Des Risques (RDR).
Le Pr DAUTZENBERG a notamment déclaré à l’APM (Agence de Presse Médicale) au moment de la publication du document : « [Qu’]elle semble être un bon produit pour sortir du tabac, pour fumer autre chose ou pour diminuer. Elle ne contient pas de monoxyde d’azote ni de particule, elle ne présente pas de taux significatif de substances cancérigènes, à la différence de la fumée du tabac. C’est un moyen plus propre de se droguer ».
Une efficacité similaire aux dispositifs traditionnels du sevrage tabagique
Cette question de la balance bénéfices/risques semble cruciale puisqu’elle n’a pas manqué d’alimenter l’actualité durant l’été 2013. Les différents articles parus dans des revues aussi prestigieuses que le Lancet se sont voulus tantôt alarmistes, tantôt rassurants.
Trois études méritent d’être mentionnées, apportant chacune un éclairage différent sur l’e-cigarette.
La première étude a été menée par une équipe Tchéco-Britannique (Chest – Juillet 2013) (8).
Elle a cherché à évaluer les raisons incitant à l’utilisation de la cigarette électronique.
Pour mener leur enquête, les auteurs ont interrogé dans la rue les personnes en train de fumer ou d’acheter un paquet de cigarettes.
Les résultats ont confirmé la forte acceptabilité de l’e-cigarette. Sur 1 700 répondeurs, une forte proportion – près de la moitié – a déclaré l’avoir testée au moins une fois et 10 % déclaraient un usage régulier (au moins une fois par semaine). L’envie de fumer moins, de décrocher du tabac ou de fumer dans les endroits où c’est interdit étaient les principales raisons invoquées à son utilisation.
La deuxième étude, réalisée par une équipe italienne (ECLAT – PLoS One – Juin 2013) (9)
Elle
avait pour objectif d’évaluer l’efficacité de la cigarette électronique sur la modération de la consommation de tabac (diminution d’au moins 50 %).
Notons que le critère principal est celui de la diminution de la consommation et non l’abstinence, qui est l’objectif le plus répandu chez la plupart des tabacologues. Les participants fumaient depuis au moins 5 ans et avaient pour particularité de ne pas souhaiter arrêter.
Les personnes étaient suivies régulièrement (une consultation toutes les 2 semaines environ) et avaient reçu au hasard :
- Soit une e-cigarette à 7,2 mg de nicotine ;
- Soit une e-cigarette à 7,2 mg puis 5,4 mg de nicotine (taux de nicotine décroissant au cours de l’étude) ;
- Soit une e-cigarette sans nicotine (placebo).
Au bout de 3 mois, elles étaient laissées libres d’utiliser la cigarette électronique à leur frais ou de l’arrêter.
Lorsque l’on prenait l’objectif de modération de la consommation, l’e-cigarette ne présentait pas de résultats supérieurs au placebo. Par contre, elle s’est révélée plus efficace en ce qui concerne l’abstinence à la cigarette à 3 mois et à 1 an chez les personnes ayant utilisé un dispositif avec nicotine.
Enfin, la troisième étude, réalisée en NouvelleZélande, a été la première à comparer l’e-cigarette au patch nicotinique (Lancet – Septembre 2013) (10).
Contrairement à l’étude précédente, les participants, fumeurs depuis environ 25 ans, avaient tous émis le souhait d’arrêter.
L’objectif principal était l’abstinence maintenue : moins de 5 cigarettes fumées pendant le déroulement de l’étude.
657 patients ont reçu au hasard pendant 3 mois :
- Soit une e-cigarette à 13 mg de nicotine ;
- Soit des patchs à 21 mg ;
- Soit un placebo (une cigarette électronique sans nicotine).
Quel que soit le dispositif reçu (patch, cigarette électronique ou placebo), il n’y avait pas de différence entre les 3 groupes sur le taux d’abstinence maintenue. Le seul résultat positif concernait le nombre de cigarettes fumées quotidiennement : les patients utilisant le dispositif avec nicotine fumaient 2 cigarettes par jour de moins que les patients recevant le patch.
Dans ces différents articles, la cigarette électronique, en complément d’un suivi régulier, a permis à la plupart des patients de diminuer leur consommation quotidienne de tabac et les symptômes liés au tabagisme (toux, troubles respiratoires…).
Quel que soit l’objectif des personnes (arrêter de fumer ou modérer sa consommation), l’e-cigarette a fait la preuve de résultats comparables aux dispositifs classiques (patchs…). Bien que d’une efficacité modeste, les auteurs s’accordent pour la plupart sur la forte acceptabilité de l’outil : une diffusion large peut avoir un impact important pour la santé publique.
En termes de réduction des risques, si l’on prend l’exemple de l’alcool, une modération de la consommation présente des bénéfices importants quel que soit le niveau d’usage. Cela n’est pas vrai pour le tabac, substance pour laquelle la dangerosité dépend moins de l’intensité de la consommation que de sa durée.
Ce point a été souligné par Grégory Pfau (Voir Flyer n° 54) dans le chapitre qu’il a rédigé dans l’ouvrage l’Aide-Mémoire de la Réduction des Risques (11) : « Concernant le tabac fumé: à durée égale, quand la quantité de cigarettes double, le risque de cancer est multiplié par 2, alors qu’à quantité de cigarettes égale, quand la durée double, le risque de cancer est multiplié par 23 ! »
Néanmoins, nous pensons que cet outil, bien accepté et largement diffusé s’inscrit dans une stratégie de réduction des risques à long terme, tant sur le plan de la diminution des symptômes liés au tabagisme que sur l’augmentation des chances pour les usagers d’atteindre un arrêt complet. Selon les dernières données (OFDT), 1 % de la population française aurait définitivement arrêté de fumer grâce à l’e-cigarette, tendance qui devrait se poursuivre les prochains mois.
La question de la dangerosité soulevée par 60 millions de consommateurs
Menées sur des périodes de 3 mois à 1 an, les études mettent à jour peu de risque à court terme. A plus long terme, il subsiste des doutes concernant la sécurité et les effets négatifs potentiels. La période de 3 mois est calquée sur celle auparavant choisie pour l’évaluation des substituts nicotiniques (patch, gomme…). Elle est donc trop courte pour conclure à un effet dans le temps de la cigarette électronique tant sur la consommation de tabac, sur son arrêt que sur les effets délétères de l’outil.
Fin août, un autre article a porté sur le sujet de la dangerosité. La revue « 60 millions de consommateurs », a en effet publié les résultats d’analyses réalisés par l’INC (Institut National de la Consommation) (12). Le jour de leur publication, ces essais ont été largement repris par les médias grand-publics avec des titres racoleurs.
Dans son article, la revue mentionne plusieurs points qu’elle juge préoccupants :
- 3 substances toxiques ont été retrouvées dans la vapeur d’e-cigarette : formol (cancérigène), acroléine (toxique en inhalation et en ingestion), acétaldéhyde (cancérigène) ;
- Il a été constaté des différences entre la composition annoncée par les fabricants d’ecigarette et la composition réelle des liquides. La teneur en nicotine pouvait par exemple être jusqu’à 70 % plus faible qu’escompté.
Par cette analyse, l’INC, n’a pas souhaité dissuader les usagers ayant recours à la cigarette électronique mais alerter les autorités sur un manque de contrôle auprès des fabricants. Sans remettre en question l’intérêt de santé publique du dispositif, les auteurs plaident pour une réglementation plus stricte garantissant qualité et sécurité.
Une réglementation stricte pourrait freiner la diffusion d’un dispositif bénéfique pour la santé publique
Début septembre 2013, il était difficile d’échapper aux vagues générées par l’article de « 60 millions de consommateurs ». Radio, presse, télévision… l’ensemble des médias se sont emparés du sujet. Il est vrai que le sujet intéresse, tant le nombre d’utilisateurs concernés est important. Les réseaux sociaux n’ont pas été en reste, puisque la page Facebook du Flyer s’est aussi faite le support de ces débats.
Certains auteurs (Jacques le Houezec – sur son blog) (13) ont remis en question les conclusions de « 60 millions de consommateurs » : méthodologie critiquable, mauvaise qualité des produits testés. Ils s’accordent cependant sur le fait que la qualité de la cigarette électronique doit être contrôlée et posent également la question du cadre légal à adopter. Peu avant le battage médiatique généré par l’étude de l’INC, un article paru dans le Lancet14 s’est penché sur ce sujet. Exposant le point de vue de plusieurs spécialistes du tabac, la prestigieuse revue rappelle qu’en septembre 2013, la réglementation est à un tournant puisque les parlementaires européens doivent déterminer si l’e-cigarette est un produit de santé (médicament) ou un produit de consommation courante.
Les contributeurs notent aussi que réglementation souple et contrôle accru n’étaient pas antinomiques. Par exemple, il n’est pas obligatoire d’adopter le statut de médicament pour mentionner des précautions d’usage ou interdire la vente aux mineurs.
A l’inverse, un cadre strict risque de freiner la diffusion d’un dispositif de santé publique (vente uniquement en pharmacie, nécessité de réaliser des études d’AMM pour la commercialisation…) et contribuerait à conforter le monopole des lobbys du tabac. A l’approche du 8 octobre 2013, cette question était au centre des préoccupations puisque les parlementaires européens ont eu à se positionner sur le statut légal à adopter. Au même moment, de nombreuses voix se sont faites entendre : manifestations d’utilisateurs devant le parlement à Bruxelles, publication dans la presse française d’un appel de 10 médecins15 pour le maintien de la législation de produit de consommation courante…
Octobre 2013, la cigarette reste un produit de consommation courante
Et le 8 octobre 2013, les parlementaires rejettent le statut de médicament. Ils confirment que le produit doit être régulé mais sans adopter un cadre trop restrictif qui freinerait la diffusion du dispositif.
La vente sera libre mais avec des restrictions :
- Interdiction de la vente au moins de 18 ans ;
- La publicité devra être soumise aux mêmes restrictions que tous les autres produits du tabac ;
- La concentration en nicotine des liquides ne pourra excéder 30 mg/ml ;
- Le produit ne sera pas vendu en pharmacie ;
- Des avertissements sanitaires devront être mentionnés.
Le statut de médicament n’a pas été complétement mis de côté, puisqu’il sera toujours possible pour les firmes, si elles souhaitent commercialiser une gamme de concentration plus importante ou revendiquer des allégations de santé, d’effectuer des études en vue d’une demande d’AMM. Les réactions suscitées ont été diverses et variées tant l’avis de la commission européenne bouscule le paradigme de la prise en soin du tabagisme (16) :
- L’OFT s’est réjoui de cette décision qui laisse un accès large à un dispositif ayant un impact majeur sur la santé publique. Il reconnait cependant la nécessité de décliner rapidement au niveau national la décision européenne de façon à éviter que les cigarettiers ne s’emparent de la cigarette électronique pour en faire un produit d’initiation au tabagisme.
- Le Pr Yves MARTINET (CHU Nancy) estime qu’il s’agit là d’un échec de santé publique : « Les vapoteurs continuent à fumer en même temps la cigarette classique et à s’exposer aux produits de combustion cancérigènes ». Faisant table rase du concept de Réduction Des Risques, il juge également que les firmes pharmaceutiques (!) devraient reprendre la main et développer la recherche.
- Pour l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine, ce vote est un scandale. Gilles BONNEFOND, le président, estime qu’il fallait appliquer le statut de médicament aux cigarettes électroniques contenant de la nicotine (substance active pouvant entretenir voir créer une accoutumance). Notons que l’obligation d’une AMM placerait la cigarette électronique sous le giron du monopole pharmaceutique, cantonnant sa vente aux seules pharmacies d’officine.
Europe
L’accord européen signé le 19 décembre 2013 conforte peu de temps après la position de la commission européenne. 3 points supplémentaires méritent d’être mentionnés :
- La confirmation du statut de produit de consommation courante ;
- L’accord entrevoit la possibilité d’embargo à l’échelle communautaire si 3 états membres proscrivent la vente de cigarette électronique pour des raisons sanitaires ;
- Une étude doit être mise en place d’ici 2016 pour évaluer les risques potentiels des ecigarettes.
Toujours dans l’effervescence suscitée par le débat sur le cadre législatif, citons aussi la publication au même moment de l’avis du tribunal de commerce de Toulouse sur un conflit opposant un vendeur d’e-cigarette et un buraliste (17). Le tribunal donne raison à ce dernier qui estime que « la vente de e-cigarette constitue une concurrence illicite et déloyale ». L’e-cigarette, serait un produit du tabac dont la vente relèverait du monopole des buralistes. Cette décision nous rappelle que la Réduction Des Risques et la santé publique ne sont pas les seuls enjeux qui dictent les choix législatifs et que les réactions corporatistes ou guidées par l’appât du gain ont aussi leur rôle à jouer.
USA
En avril 2014, ce sont les Etats-Unis qui ont proposé un cadre législatif, relativement proche de celui adopté par la commission européenne.
Il nécessite encore d’être entériné :
- Interdiction de la vente aux mineurs
- mais aussi obligation d’études
- Autorisation de commercialisation auprès de la FDA, le « gendarme » américain du médicament (18).
Pour ce pays, il s’agit là du tout premier cadre réglementaire. Par celui-ci, les autorités ont cherché à éviter l’incitation à l’usage auprès des jeunes et l’arrivée sur le marché de produits non-évalués. L’obligation d’une autorisation de commercialisation pose la question de l’accessibilité à la cigarette électronique, alors que dans le même temps la cigarette classique et ses dérivés sont pleinement disponibles.
L’e-cigarette : un outil de sevrage tabagique ?
En janvier 2014, la HAS publie ses nouvelles recommandations pour l’arrêt du tabac (19).
Particularité : elles se destinent prioritairement aux médecins libéraux, professionnels ayant un rôle de premier recours dans 90 % des cas lorsqu’un patient envisage d’arrêter de fumer.
En synthèse, la HAS préconise d’accompagner le fumeur selon sa motivation et le stade où il se situe dans son processus de changement. L’objectif final reste l’arrêt total du tabac et le maintien de l’abstinence, mais pour les fumeurs ne souhaitant pas arrêter, une approche de réduction de la consommation peut être proposée.
Une revue des différentes modalités de soin est réalisée :
- En première intention, proposer un soutien psychologique ;
- Chez les patients les plus dépendants, un traitement médicamenteux peut être utilisé pour soulager les symptômes de sevrage et réduire l’envie de fumer ;
- En deuxième intention seulement, envisager la prescription de varénicline (CHAMPIX®) et de bupropion (ZYBAN®).
Sujet d’actualité cristallisant l’attention, la HAS fait mention de la cigarette électronique sous forme d’un avis « ni oui, ni non ». L’institution ne s’y déclare pas opposée. Selon elle, e n’est pas un outil d’arrêt du tabac, mais si un fumeur en fait usage, il ne faut pas l’en dissuader.
A l’occasion des Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC) qui se sont tenues en janvier 2014, une intervention des Prs DAUTZENBERG et THOMAS fait écho à la position de la HAS : la cigarette électronique n’est pas, selon eux, un dispositif de première intention dans l’arrêt du tabac.
La préférence doit se porter dans un premier temps sur les substituts nicotiniques classiques, en insistant sur l’importance de choisir la bonne dose de nicotine.
Durant le congrès, ils sont également revenus sur les multiples questions concernant le dispositif.
- En comparaison aux risques majeurs et bien connus du tabagisme (50 % des fumeurs vont décéder du tabac), l’e-cigarette est moins dangereuse même si l’on s’interroge parfois sur la fiabilité et la qualité des produits commercialisés. Sur ce sujet, le parlement européen a voté un texte donnant quelques directives. Les industriels souhaitent également établir des règles pour certifier la qualité de leurs produits.
- L’utilisation dans les lieux publics ne doit pas être autorisée. Le vapotage pourrait être assimilé à de la « fume » en terme de visibilité, redonnant une légitimité apparente au fait de fumer. Actuellement, l’interdiction de vapoter dans les lieux publics n’est pas effective, cette question devant être abordée dans la prochaine loi de santé publique fin 2014.
- Ils évoquent aussi la récupération de l’e-cigarette par les industriels du tabac. Le cigarettier Reynolds a racheté récemment une compagnie de cigarettes électroniques. Cet industriel est par ailleurs à l’origine de la première demande d’AMM en Angleterre (Nous laissons à chacun apprécier qu’un cigarettier se positionne comme acteur de santé…).
- Enfin, avec 10 millions de fumeurs ayant expérimenté le dispositif à fin 2013 (enquête IPSOS20), la cigarette électronique s’apparente à une démarche de sevrage de la population (objectif cité par plus de la moitié des personnes interrogées dans l’étude ETINCEL-OFDT). Elle partage en effet plus de points communs (gestuelle, fumée…) que les substituts classiques (patch, gommes…) et offre une alternative qui convient mieux à certains fumeurs, notamment ceux ne souhaitant pas faire appel à un professionnel de santé pour arrêter de fumer ou ceux souhaitant seulement aménager leur consommation.
Enfin, l’INPES a lancé début janvier une étude nationale dont nous attendons les résultats pour fin 2015. Cette enquête, menée auprès de 15 000 personnes, aura pour objectif de connaître les caractéristiques du vapotage et des vapoteurs : fréquence de consommation, durée d’utilisation, teneur en nicotine, lieux d’achats, usage pour l’arrêt ou pour la diminution du tabagisme…
La publication des résultats est attendue au troisième trimestre 2015.
L’e-cigarette, un outil de Réduction des Risques
Lors d’une conférence au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) début février, le Dr Alain Morel a plaidé pour un changement de paradigme. L’ecigarette s’intègre pleinement dans une démarche de réduction des risques.
La RDR, qui remet en cause le sevrage comme seul objectif thérapeutique valable, est une modalité de soin désormais bien intégrée dans l’accompagnement des usagers de drogues (traitements de substitution, échange de seringues… chez les usagers d’opiacés par exemple). Cette évolution est également d’actualité dans le domaine de l’alcoologie, où la modération de la consommation apparaît de plus en plus comme un objectif possible (une évolution concomitante à l’arrivée de nouveaux médicaments de l’alcool).
La cigarette électronique s’inscrit dans cette lignée de réduction des dommages du tabagisme.
Comme le dit à juste titre Alain Morel : « Les usagers s’approprient le pouvoir d’agir sur leur plaisir, leur santé et les risques qu’ils prennent vis-à-vis de la substance la plus addictive qui soit. C’est révolutionnaire ! ».
A l’inverse, le Pr Xavier Quantin du CHU de Montpellier s’interroge : « Il faut se demander si la réduction des risques que [la cigarette électronique] offre est intéressante d’un point de vue santé publique ». Il cite un risque d’initiation au tabac par ce dispositif et un risque de normalisation de l’usage… discours que l’on a pu entendre il y a quelques années à propos des programmes d’échange de seringue et plus récemment concernant les salles de consommation à moindre risque.
Bien que l’actualité récente ait été extrêmement riche, il reste de nombreux points à éclaircir, notamment concernant l’adaptation en droit français de la réglementation européenne. Le produit sera-t-il interdit dans les lieux publics ? Plusieurs entreprises (SNCF…) en ont déjà interdit l’usage. Mais la fumée de cigarette électronique n’ayant pas la même toxicité que celle de la cigarette classique, son interdiction ne pourra se faire sur la même base que l’interdiction du tabac.
Au cours de la rédaction de cet article, de nombreuses autres questions se sont posées pour lesquelles les réponses restent actuellement en suspens. Qu’en sera-t-il par exemple des interrogations soulevées par « Ploom » ? Lancé en avril 2014, réponse des industriels du tabac à la cigarette électronique, ce dispositif fonctionne un peu à l’image du modèle Nespresso : le tabac est contenu dans des capsules individuelles, qui sont chauffées, sans combustion, pour diffuser la nicotine (entre autre) sous forme de vapeur.
Sur le plan de la RDR, Bertrand Dautzenberg de l’OFT, s’inquiète dans une intervention d’une forme de tromperie de la part des industriels du tabac : « au contraire de la cigarette électronique, Ploom est un produit qui accroche, qui rend dépendant et qui fait croire au fumeur qu’il fume quelque chose de moins toxique ».
Il estime également que des doutes persistent concernant l’absence de combustion évoquée par les fabricants « Est-ce seulement de la vapeur, y-a-il des particules de fumée, personne ne le sait ? En tout cas, je sais que dans le tabac il y a des nitrosamines cancérogènes qui vont être libérées dans ce produit. Donc, Ploom reste toxique et dangereux ».
Une porte d’entrée vers le tabac ?
En guise de conclusion, citons un article du JAMA21 qui a posé la question de la porte d’entrée dans le tabagisme par l’intermédiaire de la cigarette électronique. Fin février 2014, une étude menée auprès de 40 000 adolescents américains a été publiée avec pour objectif d’évaluer le lien entre tabagisme chez les jeunes et utilisation de l’e-cigarette.
En 1 an, les résultats montrent en effet une diffusion plus forte du dispositif (3,3 % de jeunes l’ont utilisé en 2011 contre 6,8 % en 2012). L’e-cigarette serait associée à une intention d’arrêter de fumer plus fréquente mais aussi à un risque plus important d’être fumeur de tabac. En commentaire, les auteurs estiment que « ces résultats suggèrent que l’usage de l’e-cigarette aggrave plutôt qu’elle améliore l’épidémie de tabac parmi les jeunes et remettent en question les affirmations selon lesquelles ces produits sont efficaces comme aide au sevrage tabagique ».
Sans remettre en question l’impartialité des auteurs, il nous paraît important de nuancer le propos, l’étude ne permettant pas d’arriver à de telles conclusions :
- Si la diffusion plus large de l’e-cigarette est bien démontrée, il ne semble y avoir aucun impact sur le tabagisme chez les jeunes, les chiffres semblent même à la baisse ! (5,6 % de fumeurs en 2011 contre 4,5 % en 2012) ;
- La question qui doit être posée est : est-ce que l’e-cigarette peut entraîner des personnes n’ayant jamais fumé (ou qui n’auraient jamais fumé) à devenir fumeurs ? Comme reconnu en conclusion par les auteurs, ce point n’a pas été évalué…
Le tabac provoque des dommages majeurs en termes de santé publique. Il est normal qu’un dispositif nouveau tel que la cigarette électronique puisse susciter de nombreuses questions relatives à son innocuité ou son efficacité.
Néanmoins, conclure que la cigarette électronique n’a pas sa place comme outil du sevrage tabagique et affirmer qu’elle est une porte d’entrée vers le tabagisme est trompeur et faux. A défaut d’agiter le spectre d’un scandale sanitaire potentiel (alors que le tabac tue chaque année en France 73 000 personnes…), on le comprend, facile à relayer et générateur d’audience, répondre à la question de l’incitation à l’usage ne pourra se faire qu’avec du temps (10 à 15 ans), des précautions (tant l’enjeu en terme de santé publique est important), et de la rigueur (au risque de dire n’importe quoi !).
Références
- (1) OFDT. Résultats de l’enquête ETINCEL-OFDT sur la cigarette électronique. Février 2014. Disponible en ligne sur https://www.ofdt.fr/publications/collections/resultats/resultats-de-lenquete-etincel-ofdt-sur-la-cigarette-electronique-prevalence-comportements-dachat-et-dusage-motivations-des-utili/
- (2) http://www.reuters.com/article/2012/05/15/idUS180693+15-May-2012+MW20120515
- (3) OFDT. 2013, Drogues et Addictions, données essentielles.
- (4) H. A. GILBERT SMOKELESS NON-TOBACCO CIGARETTE Filed April 17, 1965.
- (5) Le Monde, 18 octobre 2013, Hon Lik, le père inconnu des vapoteurs
- (6) AFSSAPS. Communiqué de presse : L’AFSSAPS recommande de ne pas consommer de cigarette électronique. Mai 2011.
- (7) OFT (Office français de prévention du tabagisme). Rapport et avis d’experts sur l’e-cigarette. Mai 2013.
- (8) Kralikova E, Novak J, West O, Kmetova A, Hajek P. Do e-cigarettes have the potential to compete with conventional cigarettes? Chest. 2013;144(5):1609-1614. doi:10.1378/chest.12- 2842.
- (9) Caponnetto P, Campagna D, Cibella F, Morjaria JB, Caruso M, et al. (2013) EffiCiency and Safety of an eLectronic cigAreTte (ECLAT) as Tobacco Cigarettes Substitute: A Prospective 12-Month Randomized Control Design Study. PLoS ONE 8(6): e66317. doi:10.1371/journal.pone.0066317
- (10) Dr Christopher Bullen MBChB,Colin Howe PhD,Murray Laugesen MBChB,Hayden McRobbie BChB,Varsha Parag MSc,Jonathan Williman PhD,Natalie Walker PhD. Electronic cigarettes for smoking cessation: a randomised controlled trial. The Lancet – 16 November 2013 ( Vol. 382, Issue 9905, Pages 1629-1637 ) DOI: 10.1016/S0140-6736(13)61842-5.
- (11) Alain Morel, Pierre Chappard, Jean-Pierre Couteron. L’aide-mémoire de la réduction des risques en addictologie en 22 fiches. Collection: Aide-Mémoire, Dunod 2012 – 360 pages – 150×210 mm EAN13 : 9782100582150
- (12) 60 millions de consommateurs. Les cigarettes électroniques ne sont pas sans danger. Septembre 2013.
- (13) Le blog de Jacques Le Houezec : http://jlhamzer.over-blog.com/
- (14) Polosa R, Caponnetto P. Regulation of e-cigarettes: the users’ perspective. The Lancet Respiratory Medicine, Volume 1, Issue 7, Page e26, September 2013. doi:10.1016/S2213-2600(13)70175-9.
- (15) Libération. Dix médecins vantent les mérites de l’e-cigarette pour l’arrêt du tabac.
- (16) APM. Cigarette électronique : une victoire en demi-teinte pour la santé publique. Vendredi 11 octobre 2013.
- (17) Les Echos. Cigarette électronique : les buralistes remportent une victoire. Décembre 2013.
- (18) Libération. USA : La cigarette électronique bientôt réglementée pour protéger les jeunes. Avril 2014.
- (19) HAS. Recommandations de bonne pratique : Arrêt de la consommation de tabac : du dépistage individuel au maintien de l’abstinence en premier recours. Méthode recommandations pour la pratique clinique. Janvier 2014.
- (20) IPSOS. Cigarette électronique : ce qu’en pensent les « vapoteurs ». Décembre 2013.
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