L’arrivée sur le marché d’une nouvelle forme de buprénorphine haut dosage orodispersible, Orobupré®, a fait émerger un nouveau concept en matière de médicament de substitution, celui d’interchangeabilité. Terme auquel nous n’avions jamais été confrontés auparavant et qui mérite qu’on s’y attarde un peu.
« Les formes sublinguale et orodispersible ne sont pas interchangeables ». Cette phrase est en première page du document (brochure patient) remis par la firme Ethypharm, à la demande des Autorités de santé. Nous avions cru comprendre que ce même document devait être remis par toute firme commercialisant une forme de buprénorphine haut dosage (BHD).
Cette nouvelle notion de non-interchangeabilité peut paraître floue et les questions que nous ont posées nos lecteurs vont dans ce sens.
Interchangeabilité, de quoi s’agit-il exactement ?
Si on regarde de près les mentions légales et avis de la HAS concernant les formes sublinguale et orodispersible de BHD, on comprend aisément qu’il est possible de passer de Subutex® à Orobupré® et d’Orobupré® à Subutex®.
La non-interchangeabilité entre les 2 formes galéniques est liée à des différences d’absorption de la buprénorphine par les muqueuses buccales, selon que le médicament se dissout en 15 secondes sur la langue ou en 10 minutes sous la langue. L’absorption, ou plus précisément la biodisponibilité, est potentiellement accrue avec la forme orodispersible et il est de ce fait possible que la posologie nécessaire d’Orobupré® soit légèrement plus basse que celle d’une BHD sublinguale. Possible mais pas certain !
C’est en cela que les 2 formes ne sont pas interchangeables, mais le changement de traitement n’est pas ‘interdit’, bien sûr.
Nous avons déjà évoqué cette nouvelle forme de buprénorphine orodispersible dans nos colonnes. S’il ne s’agit pas d’une révolution thérapeutique, elle va nettement dans le sens d’une amélioration du confort de prise.
Au réveil, garder 10 minutes sous la langue un comprimé de BHD, sans pouvoir déglutir, boire un café, manger, peut paraître bien long. Et cela, si l’usager a un comprimé de 8 mg à prendre. S’il en a 2, voire 3, à prendre à la suite (?), c’est un temps consacré à la prise du médicament qui se traduit souvent par une absorption partielle (le comprimé est avalé avant sa dissolution complète) et on sait que c’est de la biodisponibilité perdue.
Témoignage d’un usager sur le site Psychoactif : Je suis très intéressé par Orobupré®, étant très incommodé par le temps que me prend la prise du Sub en sublingual au taf ou chez moi, où je dois m’isoler pour que personne ne me parle au risque de devoir tout avaler… sans mauvais jeu de mot…
On peut d’ailleurs se demander si les patients qui prennent (en théorie) 24 mg par jour, posologie autorisée depuis l’automne 2018, absorbent réellement la dose qui leur est prescrite, tant l’exercice paraît difficile.
Élargissons la réflexion autour de cette notion d’interchangeabilité aux autres MSO !

- Méthadone, sirop et méthadone, gélule sont strictement interchangeables. La biodisponibilité des deux formes est identique, assez élevée (autour de 80 %) et aucune adaptation de posologie n’est nécessaire en cas de passage de l’une à l’autre.
- Subutex® et génériques de BHD sont strictement interchangeables. La mise sur le marché de génériques de BHD a été obligatoirement précédée, comme pour tout générique, d’étude de bioéquivalence, sans laquelle le générique ne bénéficie pas de son précieux sésame, l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM).
- Subutex® et Suboxone® sont en théorie interchangeables. En réalité, et le constat a été fait à maintes reprises, la posologie de Suboxone® doit parfois être augmentée. Ceci, en raison d’une absorption de la naloxone dans l’organisme qui vient contrarier l’effet agoniste de la buprénorphine sur les récepteurs. La diffusion très limitée de Suboxone® en France et le nombre de patients ayant switché de Subutex® vers l’association buprénorphine-naloxone étant très faible, cela n’a pas permis d’identifier très précisément ce phénomène décrit dans la littérature scientifique. (voir Pr C. Lançon & al. Buprénorphine, avec ou sans naloxone ? Le Flyer n° 72 – Sept. 2017)
En guise de conclusion,
C’est pour cela probablement, que ce changement n’est pas aussi ‘facile’. Les patients n’aiment pas changer (pas tous) et les médecins non plus. Nous sommes tous victimes de nos habitudes et nous avons bien vu, lors de la mise sur le marché d’Orobupré®, que nous nous heurtions à certains automatismes, chez les uns et les autres.
Les génériques de BHD et Suboxone® ont subi cette résistance au changement, même s’il y avait d’autres raisons pour contrarier leur diffusion. Et, en l’occurrence, il n’y avait aucun bénéfice perceptible pour les usagers qui fréquentent nos structures ou nos cabinets.
Concernant Orobupré, le bénéfice, en termes de confort de prise (et pour certains de biodisponibilité) touche directement les usagers, comme les premiers retours semblent l’indiquer. Encore faut-il qu’ils soient informés de cette option. C’est le travail des firmes d’informer les professionnels de santé (médecins et pharmaciens), mais c’est à nous, professionnels de santé d’en informer nos patients.
Il en sera de même pour les nouvelles formes de buprénorphine par injection-dépôt pour une semaine ou un mois. Nous devrons informer les usagers de cette option et ils pourront alors décider d’adhérer ou non à cette nouvelle modalité de traitement.
Cette affaire d’interchangeabilité a traduit dans les faits une problématique déjà soulevée précédemment, celle de la biodisponibilité de la buprénorphine sublinguale. Selon le respect du temps de dissolution sous la langue (10 minutes), la déglutition de salive pendant ces 10 minutes (c’est quasiment impossible de ne pas déglutir pendant tout ce temps), la biodisponibilité peut varier considérablement (extrait des mentions légales : « Par voie sublinguale, la biodisponibilité absolue de la buprénorphine est mal connue, mais a été estimée entre 15 et 30 % »). C’est variable d’un individu à l’autre, mais également chez un même individu d’un jour à l’autre, car il respectera les consignes de prise de façon inégale selon le temps dont il dispose pour prendre sa buprénorphine sublinguale.
Il y aura probablement moins de variations avec la forme orodispersible et, moins encore, avec la forme dépôt, mais cela est une autre histoire…